Une sculpture romantique ?

Une sculpture romantique ?

 

Exposition récente sur le sculpteur romantique Adolphe Victor Geoffroy Dechaume (1816-1892) à la Cité de l’architecture : présentation de l’exposition ici.

Introduction : un nouveau rapport à la sculpture dans la deuxième moitié du XVIIIe.

« De tous les arts, celui qui se prête le moins à l’expression de l’idée romantique, c’est la sculpture »

disait Théophile Gautier. Selon P. Wat dans le Dictionnaire, la sculpture a été le dernier des arts à basculer dans l’expression romantique et ce à cause de la forte prégnance des Beaux Arts et du modèle antique dans l’art de la sculpture. On serait passé sans heurts du néo-classicisme au réalisme, puis au symbolisme, nouvelle forme d’académisme. Le travail « d’après la bosse » consistait à modeler face à des moulages des chefs d’oeuvre de l’antiquité : l’Apollon du Belvédère, la Vénus de Médicis, le Laocoon ou le Torse du Belvédère. A ces oeuvres canoniques s’ajoutait la Vénus de Milò, arrivée au Louvre dans les années 1820, et devenue la nouvelle référence de la beauté classique reléguant d’ailleurs celle des Médicis au rang de souvenir. 

Plus que tout autre art, la sculpture restait depuis la Renaissance attachée à l’anticomanie des commanditaires, même si comme on le verra dans la première partie, l’approche de ces oeuvres exposés au musée à partir de la Révolution, change dans la première moitié du XVIIIe, de même que la création fortement dépendante de la commande publique. Un autre facteur mis en avant pour expliquer la soi-disant non existence d’une sculpture romantique était le fait que les sculpteurs devaient souvent avoir recours à des « praticiens » travaillant le marbre et fondant le bronze ce qui ne favorisait pas non plus l’innovation personnelle. C’est justement dans les différences entre commande publique, plus dépendante de la norme, et oeuvres du Salon (souvent des études en attendant la commande définitive), souvent plus audacieuses, qu’une première différenciation s’opère. Le premier frémissement d’une sculpture romantique n’apparaît qu’une génération après la peinture. Pierre Wat la situe au Salon de 1831 sous forme d’études en plâtre en attendant d’être concrétisées en cas de commande, 

I. La lente émergence d’une « sculpture romantique » sous le drapé du néo-classicisme.

Entre réel (y compris laid) et idéal classique.

Selon Werner Hoffmann dans Une époque en rupture : 1750 – 1830, Univers des Formes, Gallimard. Paris 1995, les premières ruptures sont à rechercher dans les premiers signes d’une « bi-focalité » (c’est sa thèse sur le changement de paradigme du romantisme en revenant à une poly-focalité une multiplicité de points de vue en rupture par rapport à la Renaissance classique où la mono-focalité était la norme) apparaît dans les planches de l’Analyse de la Beauté de Hogarth (1757).

Hogarth Planche Analyse de la Beauté I 1753, 37×48 cm

Dans cette première planche on voit une sorte d’entrepôt d’antiques, probablement des moulages ou de copies le tout encadré d’un répertoire d’images composé de figures disparates dont aucune n’atteint la perfection formelle des antiques. S’agit-il de notes marginales, de digressions, ou est-ce un lien entre la Beauté idéale et les formes imparfaites qui nous entourent ? A. W. Schlegel avait dit « Hogarth est un artiste qui a peint la laideur et qui a écrit sur la Beauté ».

Hogarth Planche Analyse de la Beauté II. 1753, 37×48 cm

On voit bien ici les couples antinomiques des interrogations du XVIIIe siècle  qui seront reprises par les romantiques : idéal et réel, art et nature, unité et diversité, le formel et l »informel, la règle et sa transgression. (Hoffmann)

La beautén selon Hogarth, est-elle dans la forme concrète ou abstraite ?

En examinant la figure du danseur de la deuxième planche (à gauche), on voit qu’elle s’inspire de celle de la Samaritaine d’Annibal Carrache que Hogarth admirait beaucoup. C’est une figure de danse élégante et belle contrairement aux autres personnages caricaturés aux figures grotesques. Le corps forme un S, la ligne de l’arabesque, qu’il reprend de manière abstraite dans la vignette n°71 en haut à gauche. La beauté idéalisée incarnée dans le corps devient ainsi idée, perfection de la ligne, sorte de « beauté plus pure » comme le disait Schiller de l’arabesque.

Les sculpteurs du XVIIIe jouaient justement de ces dualités par exemple dans le mélange de citations ou de costumes à l’antique dans des statues d’hommes illustres ou de pouvoir. Houdon (1741-1828) sculpte des bustes à l’antique mais aux allures contemporaines avec perruque (voir article détaillé ici sur Houdon) cherchant la contradiction, comme le Suédois Joan Tobias Sergel (1780-1814) présente le roi de Suède dans une posture – citation de l’Apollon du Belvédère :

Johan Tobias Sergel Gustav III de Suède, modèle en plâtre de la statue de Skeppsbron à Stockholm  1790-93. National Museum, Stockholm.

Dans le même esprit, voir statue de Louis XV par Bouchardon au Louvre (réduction en bronze du monument de Louis XV avec Hygeia, déesse de la santé détruite à la Révolution) :

http://www.insecula.com/oeuvre/O0010157.html

Nous sommes là dans la lignée de Winckelmann qui affirmait dans ses Réflexions sur l’imitation des œuvres grecques dans la peinture et la sculpture (1755),

« Le seul moyen pour nous de devenir grands, voire, si cela est possible, inimitables, c’est l’imitation des Anciens… »

L’idéal de l’homme beau acquiert ainsi une valeur intemporelle par l’accord parfait entre les parties, l’unité organique s’associant parfaitement à la diversité de différentes parties du corps.

L’importance de la multiplicité des points de vue et du toucher : la sculpture, un art supérieur pour les néo-classiques.

Goethe disait « L’homme constitue l’objet suprême, en fait l’objet essentiel des Beaux Arts ». Un Christ souffrant sur la croix n’est qu’une « ineptie visualisée ». On retrouve ici l’enthousiasme de Winckelmann pour la « noble simplicité et la grandeur sereine » des statues grecques classiques. « Le seul moyen pour nous de devenir grands, voire, si cela est possible inimitables, c’est l’imitation des anciens… » (Réflexions sur l’imitation). Johann Gottfrid Herder affirmait « la sculpture est vérité, la peinture est rêve, la première est toute représentation, la seconde magie narrative » (sur le paragone peinture – sculpture  voir Léonard de Vinci, Traité de la peinture).

Dans sa description – admiration de l’Apollon du Belvédère (voir cours de khâgne  ici), Winckelmann témoigne  d’un nouveau rapport à l’œuvre d’art inspiré des écrits d’Addison et Shaftesbury : le premier considère que l’homme cultivé ne s’ennuie jamais car il peut mobiliser les images de beauté des œuvres qu’il possède dans son esprit. Mieux, pour Shaftesbury il s’agit de former son goût au contact de belles œuvres grâce au jugement esthétique que favorise la constitution de « galeries mentales ». Ainsi se forme une communauté d’hommes fondée sur la civilité.

En effet, la description de l’Apollon du Belvédère par Winckelmann (voir texte cité ici), grand lecteur de Shaftesbury, atteint l’extase face à la forme idéale d’un dieu, elle-même image incarnée  dans le marbre. Chez les modernes la contemplation distingue l’œuvre  matérielle et l’image visuelle qu’elle suscite. Par la vertu du sujet sensible – artiste et contemplateur-  une épiphanie des images se réalise : une idée artistique s’incarne dans la matière et accomplit le rituel du culte esthétique de l’œuvre. Cette une incarnation de la religion de l’art qui se réalise ainsi.

Le sujet-type de Winckelmann (c’est à dire la personne libre de son jugement) est paradoxalement un sujet hautement romantique, il existe parce qu’il sent. Sa perception esthétique le rend libre : il dialogue avec lui-même dans une forme d’introspection quasi religieuse face à un nouveau Dieu, celui de l’art.

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/0/0e/Jas%C3%A3o_e_o_Velo_de_ouro_-_Bertel_Thorvaldsen_-_1803.jpg/398px-Jas%C3%A3o_e_o_Velo_de_ouro_-_Bertel_Thorvaldsen_-_1803.jpg

Jason, 1803–1828, statue, musée Thorvaldsen de Copenhague. (voir ici)

Se plaçant du point de vue de celui qui contemple l’oeuvre, Herder souligne :

« l’oeil glisse autour de la statue, cherche le repos sans le trouver, n »a pas de point de vue comme c’est le cas devant la peinture, parce que mille points de vu ne lui suffiraient pas, parce que le vivant, dès qu’il est ancré sur un point de vue, devient placard et que la belle forme ronde se fragmente en un misérable polygone ».

cette conception à la fois visuelle et tactile pouvait parfois choquer comme ici avec l’Hiver ou la Frileuse de Houdon.

Jean-Antoine Houdon (1741-1828), La Frileuse, 1783. Montpellier, Musée Fabre. Voir aussi ici :

http://lunettesrouges.blog.lemonde.fr/2010/07/25/les-fesses-de-la-frileuse/

Cette statue a choqué le juryson bas de dos a été jugé « inconvenant ». Corps sensuel qui pourrait correspondre à l’expérience de Goethe :

« Je vois avec un oeil qui sent, et sens avec une main qui voit » en utilisant le toucher face à la sculpture… »

Nous entrons pour ainsi dire dans le corps de la statue qui, de son côté, s’imprègne de notre âme. » Mieux que tout autre, Canova dans Amour et Psyché met en scène cette importance du toucher.

Observons Amour et Psyché de Canova : 

http://musee.louvre.fr/oal/psyche/psyche_acc_fr_FR.html

http://www.clioetcalliope.com/oeuvres/sculpture/psyche/psyche.htm

http://www.louvre.fr/oeuvre-notices/lamour-et-psyche

Ces groupes sont justement unifiés par le geste qui n’est pas une véritable étreinte passionnée mais plutôt un geste de toucher. L’ouverture des bras d’Amour et de Psyché ou le bras posé sur l’épaule de chacune des Trois Grâces, forment une structure dont l’union n’est pas accomplie.

Antonio Canova, Trois Grâces, 1810, esquisse, Lyon, MBA.

 

Statue en marbre (Musée de l’Hermitage, Saint-Petersbourg), 2 répliques faites pour John Russell, 6e duc de Bedford (National Gallery of Scotland, Edimbourg et Victoria & Albert Museum, Londres). Un modèle en terre-cuite de cette sculpture se trouve à la Galleria antichi maestri pittori, Turin

Voir aussi l’esquisse ici :

http://www.napoleon.org/fr/collectionneurs/objet/files/473307.asp

Le Gefühl, terme allemand qui signifie à la fois expérience du toucher et sentiment, émotion, ce qui correspond au rapport entre matière et spiritualité dans le romantisme. Cette primauté de la sculpture est d’ordre moral : elle est vérité alors que la peinture est mensonge, « magie ». La sculpture a une sorte de droit d’aînesse en tant qu’art de la forme imitée et complète.

En partant de ces oppositions Burke ,comme nous l’avons vu en introduction,  va montrer les limites de la beauté associée à l’agréable pour lui opposer le sublime caractérisé par « l’obscur », « le désordre », la « vacuité » l’infini ». Si la beauté comme la pensaient Winckelmann ou Diderot est une « qualité sociale » (partagée par des connaisseurs, aidant à élever son goût et à rendre meilleur son caractère (la beauté comme un facteur de civilité), le sublime relève de l’individuel, de la solitude désemparée et, tandis que les la proportion, la justesse, le fini sont les qualités du beau, la démesure est inhérente au sublime. Il provoque une douleur positive (« positiv pain ») caractérisée par l’horreur et la peur.

Hogarth le disait déjà :

« Les rochers énormes et informes recèlent une forme agréable d’horreur, et le vaste océan nous en impose avec son effrayante immensité ».

C’est dans le Moine au bord de la mer que cette idée de Hogarth trouvera son expression la plus accomplie. Le beau est contenu dans une limite corporelle alors que le sublime inclue l’informe, l’infini. « La beauté est une certaine qualité inhérente aux corps » disait Burke. les grands paysagistes romantiques comme nous le verrons vont se tourner de plus en plus vers l’absence de forme et de limite. Cette conception « classique » de la beauté a permis à la sculpture d’être le degré le plus élevé en matière de beauté.

Dans la sculpture néoclassique, la violence n’est pas pour autant oubliée. Canova lui  donne une dimension héroïque dans de groupes colossaux comme Thésée et le centaure

(marbre 1805-1819, 340 x 370 cm. conservé à Vienne (Kunsthistorsches Museum).

Autre exemple de Canova dans le même esprit : Hercule et Lichas (inspiré des Métamorphoses d’Ovide)

Modèle en plâtre, Gypsothèque de Canova (Possagno)

voir ici : http://utpictura18.univ-montp3.fr/GenerateurNotice.php?numnotice=A0782

et ici : http://www.wga.hu/frames-e.html?/html/c/canova/1/91heercul.html

La mission de la sculpture selon les théoriciens.

Émanciper l’homme du péché originel selon Herder.

L’idéal de la figure sculptée est axé donc sur la spontanéité, la grâce et la dignité. C’est une manière dit Herder de délivrer l »homme de la Chute en lui redonnant dans l’oeuvre d’art sa liberté, sa dignité sa grâce. Selon Herder, l’oeuvre sculptée s’impose de manière libre est digne, mais il se demande quels sujets sont dignes d’être sculptés. Les chaises, les vêtements, les les gens ? Devait-elle se limiter à former des figures « aussi uniformes et éternelles que la simple nature humaine? » faisant que « nous nous incarnons pour ainsi dire dans la statue » comme il disait ?

L’image du citoyen pensif du monument à Louis XV inauguré en 1765 à Reims par Pigalle :

Le monument de Reims, d’après Jean-Baptiste Pigalle, eau forte Legendre, Description de la place Louis XV que l’on construit à Reims, 1765.

 Le « citoyen heureux » d’être le sujet d’un grand roi n’est autre que le sculpteur lui même dans une attitude ambigüe dont on ne sait pas si elle ne cachait pas une volonté d’émancipation de l’artiste – citoyen. (voir photo du monument actuel copie d’après gravure).

Concilier chair et esprit c’est l’autre grande mission de la sculpture.

Mais parfois les deux sont inconciliables comme dans le Napoléon en Mars pacificateur de Canova refusé par l’Empereur qui devait se demander comment un corps aussi puissant pouvait exprimer l’idée de paix. Napoléon interdit l’exposition publique de cette statue arrivée à Paris en 1811 :

Antonio Canova (1757-1822) : Napoléon en Mars désarmé et pacificateur, 1802/1806, nu héroïque colossal, en pied, marbre, hauteur 325 cm, Apsley House, London.

Une copie exécuté en bronze en 1811 se trouve à l’Accademia di Brera à Milan. Grand marbre monumental commandé au célèbre sculpteur italien par Napoléon en 1801. La sculpture fut achevée en 1806 et arriva à Paris le 6 février 1811. Inspirée des nus héroïques de l’antiquité, elle provoqua l’embarras de l’Empereur qui ne se reconnut pas dans cet athlète de marbre. Reléguée dans un coin du Louvre, elle fut achetée par le gouvernement britannique au roi Louis-Philippe pour 60 000 francs, et offerte au duc de Wellington.

L’ambivalence est aussi le propre de la Pauline Borghèse en Vénus victrix de Canova, la soeur de Bonaparte, (marbre, 200 cm de long) 1804-1808, Galleria Borghèse, Rome. (voir  dossier ici)

http://fr.wikipedia.org/wiki/Vénus_Victrix_(Canova)

En position allongée sur une Klinè, accoudée sur un coussin, la pose semisdraiata de la statuaire antique.

Tenant la pomme de Pâris (normal car elle était plutôt volage…), Pauline devient ici une allégorie de la déesse de la beauté dans une configuration inédite dont on ne sait pas si elle est vanité ou non (elle avait refusé d’être représentée en Diane). Alors que Falconet appelait la sculpture de restituer les vertus et les faiblesses de l’homme. ici il s’agit plutôt de faiblesses (de la chair…).

Ces deux exemples posent une autre question fondamentale pour les sculpteurs.  Dans les statues des dieux et des héros il y a toujours une distance par rapport à l’homme. Mais comment représenter les contemporains ? Travestir les grands hommes en personnages à l’antique en créant une distance et favorisant l’idéalisation ? Ou privilégier le costume moderne au risque de la trivialité ? Comme l’empereur, les napoléonides (famille impériale) se prêtent à toute une série de représentations à l’antique : bustes, statues, groupes sculptés. La sculpture  est en effet un enjeu politique

Goethe, partisan de l’idéalisation, et le sculpteur Schadow (1764-1850) ont débattu sur cette question. Ce dernier appréciait le Pierre le Grand de Falconet (1780, St. Petersbourg voir photo)  car il était habillé à la russe. Falconet dans ses Réflexions devant l’Académie exprime une vue morale de la sculpture : « Il faut perpétuer la mémoire des hommes illustres ».
C’est sous le règne de Louis XVI que le Comte d’Angiviller organise la création d’une Galerie de statues de grands hommes français de Montesquieu richement drapé de Clodion (1783) au Maréchal de Tourville plein de vie de Houdon (1781).

C’est le comte d’Angiviller  (1737-1809), directeur général des Bâtiments du roi, qui sera chargé par Louis XVI de commander aux grands sculpteurs du moment une série de statues (chaque année deux) qui « présentent à la nation l’image de ceux qui l’ont honorée ». En dépit de la crise économique, la commande suit son cours tous les ans jusqu’au Consulat pour un total de vingt-huit statues. Ces grands hommes appartiennent à la fois à la politique (duc de Sully, Michel de l’Hospital), la philosophie (Descartes, Pascal), aux Beaux-Arts (Poussin), personnages du Grand Siècle, mais aussi de périodes plus lointaines. Conçues comme des portraits fidèles, ces statues étaient destinées à la Grande Galerie du Louvre que d’Angiviller destinait à devenir à la fois le premier grand musée français pour la formation des artistes mais aussi le lieu des grands hommes, un mémorial d’une histoire que le public apprécie de plus en plus où les portraits seraient les exempla de vertu. Étienne Louis Boullée esquisse les plans du Museum au centre duquel il place le temple de la renommée destiné  à contenir ces statues.  Cette commande relance le paragone entre peinture et sculpture ainsi que le retour à l’antique à travers l’idée du portrait – monument ornant les places publiques pour inspirer la vertu aux citoyens.
 
Mais quel serait le bon « moment » à choisir pour la représentation du modèle en son absence ? Il ne s’agit pas seulement de mettre en valeur le personnage mais l’installer dans une histoire.

Un exemple intéressant est celui du portrait de l’amiral de Tourville,

http://www.wikiphidias.fr/images/stories/Statue_Biographie/Marin-JC_Tourville.jpg

né en 1642, maréchal de France en 1701, mort en 1701).  H. 2,10m, statue en marbre de Carrare commandée à Houdon pour le salon de 1781 et conservée à Versailles).

 
Voir aussi l’étude en terre cuite extraordinaire de vérité et de fougue plastique :
Jean-Antoine Houdon (1741-1828) Le Maréchal de Tourville, 1783 Terre cuite. Sèvres, Musée National de Céramique
 
Cet amiral est aussi représenté au milieu d’une action. Alors que Rousseau préconisait de ne pas arranger les physionomies des hommes publics pour les montrer et déplorait qu’on s’inspirât des grandes actions, le livret de Salon de 1781 explique le choix de Houdon : Tourville vient de lire les instructions de Louis XIV dont il sait qu’elles ne sont pas pertinentes mais face auxquelles il s’incline faisant preuve de discipline jusqu’au sacrifice. Or, selon le chroniqueur du Salon, le moment choisi ne correspond pas du tout à la mise en scène puisque les conseils à bord se font discrètement dans une chambre close, alors que l’amiral semble décoiffé par le vent, le panache ondule et les cheveux retombent sur le front. Il y a donc erreur dans la mise en scène. De plus, son expression est marquée par l’indignation que provoque la lecture de la lettre ce qui n’est pas conforme à la règle qui veut que le portrait ne soit pas affecté par les passions. On voit bien ici que ce portrait  emblématique impose à l’artiste des contraintes à la fois de l’histoire et des règles du genre.
 
Herder raille ce type de statues :
« Un héros en uniforme, l’étendard à la main et le chapeau incliné à l’oreille, taillé dans la pierre assurément ! Ce doit être un véritable. L’artiste qui l’a créé aurait sûrement fait un bon tailleur dans le militaire »
L’héroïsation peut prendre de formes plus originales encore avec le Voltaire assis du même Houdon, réponse digne au Voltaire nu de Pigalle (« un singe avait di le philosophe). Dignité et sérénité émanent de la figure prise dans un moment d’introspection et d’interrogation. Pigalle lui avait voulu montrer la force de l’esprit qui domine un corps lui décrépit. De cette double nature de l’homme  Franz Xavier Messerschmidt et ses Têtes de caractère (clic) en témoignent aussi avec un souci d’objectivité anatomique face au visage et en même temps une référence au buste antique comme ceux qu’il a sculptés pour la cour.
Devant la Tête bec, un ami s’interrogeait :
 
« Comment un artiste « parti des plus pures proportions antiques de la forme humaine » ait pu « égaré par une imagination corrompue et des hypothèses insensées, concevoir l’esprit de la proportion jusque dans une image révélant la plus affreuse disproportion dont l’esprit humain fût capable ».
Dans ses quarante neuf têtes (voir critique de l’exposition Messerschidt au Louvre en 2011 ici) le sculpteur passe du masque de l’idéalisation à celui de la disproprtion. C’est une manière de détruire l’esprit néo-classique en détruisant en même temps sa propre identité.
Un autre genre contribue également en cette fin du XVIIIe siècle à la désintégration de l’idéal classique : la sculpture funéraire.

La sculpture funéraire : représenter le deuil spirituel ou élever l’homme à l’éternité ?

Les problèmes posés par le mausolée ou le monument funéraire sont identiques à tout autre monument :  la rupture de l’unité narrative classique qui crée une impression de « multilatéralité hétèreogène » (dit Hoffmann) au lieu de « l’effet commun » que recherchait Diderot, sorte de focalisation généralisée appelant le regard « vers un seul point de vue » c’est le cas par exemple du Mausolée du Maréchal de Saxe par Pigalle (Eglise Saint Thomas, Strasbourg) voir présentation et analyse ici :

https://www.lerougeetlenoir.org/contemplation/les-contemplatives/strasbourg-le-tombeau-du-marechal-de-saxe

« Sic transit gloria mundi » (« Ainsi passe la gloire du monde », proverbe latin).

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/3/3a/Mausol%C3%A9e_du_Mar%C3%A9chal_de_Saxe_-_%C3%89glise_Saint_Thomas_%2837066466483%29.jpg

Maurice de Saxe, maréchal général des Armées et des Camps de sa Majesté très Chrétienne meurt au château de Chambord le 20 novembre 1750. Louis XV pense l’inhumer à Saint-Denis; il doit y renoncer à cause du triple vice de ses origines : protestant, étranger, bâtard. On trouve alors la solution alsacienne et strasbourgeoise. La ville étant luthérienne, c’est elle qui reçoit le corps en 1751. Jean-Baptiste Pigalle achève le monument en 1776 et soulève l’admiration des parisiens.

Devant une pyramide, symbole de l’immortalité, le maréchal descend vers son tombeau. A sa droite, trois animaux, symbolisant l’Angleterre (Le léopard), le Saint-Empire (l’aigle), la Hollande (le lion) qui se placent sur des drapeaux ennemis rompus. A sa gauche les drapeaux de la France qui se relèvent car ils sont victorieux. A ses pieds la mort ouvrant la pierre du tombeau alors qu’Hercule, symbole du soldat est plongé dans la plus profonde douleur. Entre Maurice de Saxe et le tombeau, la France, pleine de douleur et de désespoir qui tente de retenir le maréchal et de fléchir la Mort. Derrière la France, un petit enfant en pleurs, un flambeau éteint et renversé dans une main, fait allusion à l’Amour ou la sensibilité du maréchal, connu pour les passions qu’il déchaîna.

Le Tombeau (ou Mausolée) est une œuvre majestueuse, tourmentée, montrant des drapés magnifiques, des audaces stylistiques (la pyramide en fond), et une composition savante que Pigalle lui-même décrit ainsi : 

« Au haut du mausolée paraît le maréchal de Saxe dans toute sa gloire, tenant son bâton de commandement à la main; derrière lui est une pyramide, symbole de l’immortalité ; à sa droite, les trois animaux qui caractérisent les trois nations, à savoir : pour l’Angleterre, le léopard, qui est tout à fait renversé, les Anglais ayant été les plus maltraités. Pour la Hollande, le lion, qui fuit, les Hollandais n’ayant fait que se présenter et fuir à l’aspect du maréchal. Et pour l’Empire, l’aigle, qui est effrayé de toutes lès victoires de ce héros …».

Petit à petit l’art funéraire s’éloigne des thématiques et des symboles chrétiens : le chancelier du Royaume de Suède  Oxenstierna, dicte à Clio les actions du roi. Il prte un constume d’époque la fille de Zeus porte une toge intemporelle.

Johann Gottfried Schadow, dessin du projet de Sergel pour les statues du monument équestre du rois Gustave Adolphe, 1791, plume et encre grise, 48,8 x 27,2 cm, avec des annotations de Schadow. Berlin, Akademie der Künste.

Tobias Sergel, modèle original pour les statues du comte Oxenstierna et de Clio, 1789. Stockholm, the Royal Palace.

On voit bien ici cette dissociation narrative et cette polyfocalité dont parle Hoffmann.

Canova pousse à l’extrême cette tendance :

Monument funéraire de Clément XIV (1783-1787) :

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/en/7/7e/Tomb_of_Pope_Clement_XIV_Gregorovius.jpg

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/8/8a/Basilica_dei_Santi_XII_Apostoli_09.jpg/768px-Basilica_dei_Santi_XII_Apostoli_09.jpg

Canova Clément XIV, monument funéraire, Marbre haut. 740 cm. Basilica dei Santi XII Apostoli, Roma. Deux allégories de vertus : Debout : la Mensuétude (la douceur de caractère) assise (peut-être a inspiré David pour une des femmes du Serment des Horaces)la Tempérance. La puissance du Pape s’exprime avec vigueur mais elle n’atteint pas les deux femmes. Leur deuil semble sans objet précis, sorte de méditation qui n’est pas de ce monde. 

 

Le Tombeau de Marie-Christine une des filles de Marie-Thérèse placé dans l’église des Augistins de Vienne en 1805, reprend la focalisation, la continuité de l’action mais sans revenir à la tradition  du point de vue unique :

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/f/f2/Cenotaph_of_Archduchess_Maria_Christina%2C_Duchess_of_Teschen_9.jpg/2560px-Cenotaph_of_Archduchess_Maria_Christina%2C_Duchess_of_Teschen_9.jpg

Canova, Tombeau de Marie-Christine. Marbre haut. 574cm. église des Augustins de Vienne, 1798 – 1805,

Un processus spatio-temporel est mis en scène ici mais qui ne vise pas à focaliser le regard du spectateur. Il consiste au passage de l’espace et du monde réel à l’espace fictif des personnages en deuil.Le but de leur mouvement est de sortir justement de notre temporalité. L’archiduc Albert de Saxe – Teschen est représenté en génie assis sur les marches dans une posture d’affliction tenant les armes de la Maison. La Vertu tenant l’urne funéraire entourée peut-être de la Candeur et de l’Innocence suivies enfin par la Charité soutenant la Vieillesse.  Un médaillon inscrit dans l’ovale du serpent égyptien Ouroboros (qui se mort la queue) tenu par la Félicité représente la défunte. La porte noire admirée par Stendhal est une invention de Canova. Cette oeuvre fut critiquée sévèrement par les Schlegel et par Herder : l’urne funéraire est un déni du culte chrétien, l’indifférenciation des figures, cette porte noire atypique qui semble symboliser une sorte d’entrée d’un parcours initiatique indéfini, sans images. Est-ce une image de l’infini ?

L’obscurité qui absorbe les personnages symbolise peut-être les interrogations quant aux voies à suivre pour les sculpteurs : les critères traditionnels sont brouillés,la sculpture peut-elle basculer dans le romantisme ?

Canova, constitue avec Rodin à l’autre bout du siècle les deux jalons majeurs dans la sculpture du XIXe. Il a formé plusieurs sculpteurs dans son atelier romain, très visité, il est d’abord un modeleur avant d’être un sculpteur de la pierre. La sculpture avec « mise au point » à partir d’un modèle remplace la taille directe. Ce modèle est généralement en terre cuite mais vite transposé en plâtre car la terre cuite est plus difficile à conserver. Des séries de dessins, les invenzioni de Canova, complètent la production des sculpteurs. Si le travail préparatoire sur le marbre est souvent réalisé par les assistants avec l’aide du maître, la finition est toujours l’oeuvre de l’artiste.

II. Le frémissement romantique des années 1830. 

 

A. Le Salon de 1831 

Gustave Planche, critique très conservateur, a écrit une critique de ce Salon c’est sur Gallica :

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k62136607/f109.image

Oeuvres romantiques peu nombreuses, les quelques plâtres du Salon dus à

Antonin Moine : Chute de cheval et de son cavalier (clic ici).

Henry de Triqueti :

Débutant en sculpture au Salon de 1831, Henry de Triqueti se fait très vite remarquer pour l’ensemble de ses travaux décoratifs. C’est en 1834 que lui est offert l’un des plus importants chantiers de sa carrière : il doit sculpter les portes de bronze de l’église de la Madeleine.

On trouve également des oeuvres de  http://fr.wikipedia.org/wiki/François_Rude et une exposition  François & Sophie Rude. Un couple d’artistes au XIXe siècle, citoyens de la Liberté ici.

Dijon, Musée des Beaux-Arts, du 12 octobre 2012 au 28 janvier 2013.

Notamment le Jeune pêcheur napolitain jouant avec une tortue qui fit sensation tout essuyant les critiques des conservateurs.

ainsi que de Barye (clic) : Le tigre et le gavial,

http://www.grandpalais.fr/grandformat/le-tigre-et-le-gavial/

Jehan Duseigneur et son Rolland le furieux :

http://www.louvre.fr/oeuvre-notices/roland-furieux

http://fr.wikipedia.org/wiki/Jehan_Du_Seigneur

On y découvre aussi des bas reliefs littéraires, proches de la peinture et des fantaisies surnaturelles, comme les Lutins en voyage d’Antonin Moine ou néo-gothiques comme ceux de la Princesse Marie d’Orléans (: voir tableau : L’atelier de Marie d’Orléans (clic ici), Louis-Philippe et la famille royale, visitant les Galeries Historiques du musée de Versailles, s’arrêtent devant la statue de Jeanne d’Arc… de Vinchon (clic ici) la statue de Jeanne d’Arc par Marie d’Orléans est ici (clic),)  Henri de Triqueti ou Félicie de Fauveau.

Les trois oeuvres illustrent trois tendances majeures de la nouvelle sculpture :

– goût pour le naturel et une certaine réalité pittoresque

– attirance vers la cruauté sauvage d’inspiration orientaliste

– sujets littéraires et médiévaux.

Sur la réception de ce type d’oeuvres par les romantiques lire les extraits des critiques de Théophile Gautier sur la sculpture au Salon de 1833 :

http://michel.cristofol.over-blog.com/article-l-architecture-100692902.html

A. Le goût pour le naturel et le pittoresque.

Le Jeune pêcheur napolitain jouant avec une tortue de François Rude qui fit sensation tout essuyant les critiques des conservateurs :

http://www.louvre.fr/oeuvre-notices/jeune-pecheur-napolitain-jouant-avec-une-tortue

Francois Rude Jeune pêcheur napolitain jouant avec une tortue 1831-33 Marbre, 77 x 47 cm Musée du Louvre Paris. Rude n’a pas encore fait le voyage en Italie mais il arrive a rendre la fraîcheur juvénile   du modèle, une véritbale étude plus qu’un sujet mythologique insistant sur l’anatomie et surtout la naïveté  de l’expression, le naturel sont remarquables.

Un autre jeune artiste s’illustre dans ce salon, c’est Francisque Joseph Duret.(1804 – 1865)

 

 

Francisque Duret, Pêcheur napolitain dansant la tarentelle 1833 bronze h 158cm Musee du Louvre.

Prix de Rome, Duret, séjourne en Italie pendant quatre ans et fait de nombreux séjours à Naples pour y dessiner des antiques. Il se laisse séduire par la vivacité et la gaieté populaires d’où cette oeuvre créée en France à son retour. La figure s’inspire cependant du Faune dansant du Musée national de Naples :

Ces oeuvres à l’attitude gracieuse et juvénile, le pittoresque de leur costume : scapulaire, caleçon, bonnet de laine rouge typiques ont eu un grand succès. Enfin, les « rêves glacés de l’idéal » néo-classique sont mis en cause.  Si le caractère juvénile n’est pas le monopole des romantiques (cf. L’Amour au papillon d’Antoine Chaudet (clic) :

http://www.louvre.fr/oeuvre-notices/lamour

http://www.wga.hu/html_m/c/chaudet/index.html

ou L’Amour tourmentant l’âme (Salon 1827) d’Augustin  Dumont (clic).

les pêcheurs inaugurent une série à succès au goût pittoresque déjà bien établi en peinture et en littérature. François Duret donnera une suite à son Pêcheur avec le Vendangeur improvisant (1849).

François Duret, Vendangeur improvisant sur un sujet comique (Souvenir de Naples), dit aussi Improvisateur bachique. Bronze de Auguste Delafontaine d’après original de Duret

L’Amour tourmentant l’âme (1877). Un jeune amour nu, assis, approche une torche d’un papillon. Réalisé pendant son séjour à Rome.

Carpeaux rend hommage à ses deux maîtres Rude et Duret avec son Jeune Pêcheur à la coquille (vers 1857 – 1858) charmante figure juvénile : il en existe plusieurs versions plâtre, bronze, terre cuite au Musée d’Orsay  :

http://www.musee-orsay.fr/index.php?RDCT=7d1d91cb9aa5722f6ed8

Photos ici :

http://www.cbx41.com/article-le-pecheur-a-la-coquille-par-jean-baptiste-carpeaux-49174918.html

Il associe ainsi le sourire expressif de Duret à la science anatomique de Rude

B. L’inspiration littéraire.

Pour se démarquer du néo-classicisme, les sculpteurs romantiques cherchent de nouvelles sources d’inspiration dans la littérature et l »univers fantastique propre à chaque pays.  Un des premiers exemples est le Loke de Freund, exécuté à Rome mais qui renvoie plutôt aux légendes scandinaves auxquelles l’artiste est très attaché. En France, Antonin Moine exploite le surnaturel avec ses Lutins :

Antonin Moine, Les Lutins en voyage; Combat de gnomes sur un cheval ailé, modèle en plâtre présenté au Salon de 1831. Ils rappellent les Djinns de Victor Hugo (Les Orientales, XXVIII )

Le Paradis perdu de Milton et le Faust de Goethe contribuent à peupler les Salons d’oeuvres romantiques montrant des anges rebelles, ces êtres maudits dans lesquels les artistes se plaisent à se reconnaître.

Le plus célèbre est Satan mélancolique absorbé dans ses pensées en partie dissimulé par les ailes enveloppantes de Jean-Jacques Feuchaire (clic) (1807-&852)  en 1833 (Louvre). Voir ici : http://www.louvre.fr/oeuvre-notices/satan.

Statuette qui a été conçue accompagnée de deux vases : http://www.insecula.com/contact/A007008.html

Il annonce Carpeaux mais aussi le Penseur de Rodin montrant ainsi la permanence de l’esprit romantique dans le siècle.

Dante, Shakespeare, Le Tasse ou le Roland furieux de l’Arioste qui inspire Antoine-Louis Barye (1796-1875) dans Roger et Angélique emmenée par l’hippogriphe au galop (bronze, 69cm, vers 1840 Musée  d’Orsay voir analyse de l’oeuvre ici) et bien sûr Jehan Duseigneur (voir plus loin),

Mais aussi des romanciers contemporains comme Chateaubriand et ses Indiens Chactas et Attala (cf. aussi tableau de Gros que nous avons vu précédemment).

Francisque Joseph Duret : Chactas méditant sur la tombe d’Atala. 1835. Bronze, 135cm. Lyon, musée des Beaux Arts

Dante et Virgile aux enfers, après Delacroix, Auguste Préault (1809-1879)  montre les deux poètes aux enfers dont l’aspect préfigure Rodin. Sur Auguste Préault, sculpteur romantique, voir article sur une exposition du Musée d’Orsay (c’est ici).

Voir oeuvres de ce sculpteur sur RMN :

http://www.photo.rmn.fr/cf/htm/CExpT.aspx?E=2K1KL5UJH4O&o=THT

Fils d’un modeste artisan du Marais, il fréquente l’atelier de David d’Angers mais travaille aussi sous l’influence de Moine. Il débute au Salon de 1833 où il montre ses tendances principales : faire jaillir de la forme des émotions profondes qu’engendrent la douleur, le deuil, la misère et la mort.

Dans son bas-relief : La Tuerie, (Chartres Musée des Beaux Arts)  il propose une saisissante mêlée de corps et de visages exacerbés ce qui fut considéré comme une provocation.(voir paragraphe suivant sur l’expression romantique).

Ophélie.

Un des thèmes les pus chers aux romantiques : poésie (Rimbaud), peinture, sculpture.

Delacroix (voir ici) et Millais (voir ici)  l’avaient déjà mise en scène : (fair une recherche sur WGA « Ophelia »)

Le peintre académicien Alexandre Cabanel l’a aussi représentée dans une facture claire, lisse et très idéalisée proche des pré-raphaélites.

Alexandre Cabanel (1823-1889) Ophélie, 1883, huile sur toile, 77 × 117.5 cm, coll. privée. (il semble fortement inspiré de l’esquisse de Delacroix)

Si les premiers sculpteurs romantiques préfèrent tirer parti du cadre médiéval dans lequel on peut identifier les ombres de Paolo et Francesca mais dans un cadre pittoresque, dans la 2e moitié du XIXe le glissement s’opère vers le destin infernal comme au supplice d’Ugolin qui mangea ses enfants. « je ne suis pas pour le fini, je suis pour l’infini » écrit Préault sur le médaillon de Delacroix. Mais au lieu de s’arrêter dans évocation historique, Préault se laisser emporter par un lyrisme désespéré comme dans son Ophélie au corps formant une courbe marquée, renversé et flottant sur l’eau que l’on ne distingue pas de sa chevelure ni de ses drapés qui l’enveloppent selon le principe de l’indifférenciation symboliste. Image ambigüe et émouvante, ce relief est une évocation romantique de l’héroïne de Shakespeare à la manière de Rimbaud :

« Sur l’onde calme et noire où dorment les étoiles/la blanche Ophélie flotte comme un grand lys… »

Auguste Préault, Ophélie, 1876, bronze, 75 x 22 cm, Musée d’ Orsay.

Ici, contrairement à la Tuerie, une mort silencieuse très difficile à rendre en sculpture à cause de la transparence de l’eau. Dans ces lignes tortueuses où se mêlent les drapés de la robe et les ondulations de l’eau, pointe déjà le symbolisme.

Préault ira jusqu’à demander à Napoléon III de lui « concéder » un pic montagneux d’Auvergne pour bâtir, mêlant sculpture et paysage, « une acropole de la civilisation gauloise » dominée par un Vercingétorix « tout en airain, bronze, pierre, granit ou matière sombre qui se rouille… ». C’est dire l’originalité de cet artiste apprécié par Baudelaire, gautier et mort deux ans après l’exposition de l’Âge d’airain de Rodin (1877).
Le Roland furieux de Duseigneur (voir ci-dessous) est une autre oeuvre emblématique inspirée d’un sujet médiéval revisité dans une oeuvre épique par le poète l’Arioste à la Renaissance : http://fr.wikipedia.org/wiki/Orlando_furioso. 

L’expression romantique : énergie, violence, tristesse, vie sauvage.

C’est Jean Bernard ou Jehan Duseigneur (1806-1866) qui surprend au Salon de 1831 avec son Roland furieux (clic).

Jehan Duseigneur, Roland furieux, entre 1831 et 1867, Bronze Acquisition de Napoléon III (1868)

Lire analyse de l’oeuvre : http://www.louvre.fr/oeuvre-notices/roland-furieux

Voir aussi ici : http://www.insecula.com/oeuvre/O0000085.html

Muscles gonflés, membres tordus, le journaliste et critique d’Art Théophile Thoré dira C’est la « Préface de Cromwell de la sculpture«  allusion au fameux texte fondateur de Hugo (1827) qui mieux que tout autre disserte sur la nature, l’art, le théâtre. (texte intégral ici) (pour le romantisme vous pouvez faire une recherche du terme « romantique ou romantisme pour retrouver les occurrences et les contextualiser).  Duseigneur devient un des hérauts du romantisme fréquentant le Cénacle de Victor Hugo avant d’accueillir chez lui le « Petit cénacle » qui accueillait entre autres Nerval et Gautier (qui dédia une ode au sculpteur :

« Roland le paladin, qui, l’écume à la bouche,
Sous un sourcil froncé, roule un œil fauve et louche,
Et sur les rocs aigus qu’il a déracinés,
Nu, enragé d’amour, du feu dans la narine,
Fait saillir les grands os de sa forte poitrine,
Et tord ses membres enchaînés. »

Il réalisa des oeuvres religieuses comme Sainte Agnès (1839) pour l’église de la Madeleine ou le Crucifiement (clicpour Saint Roch (1857-1862) et surtout plusieurs médaillons d’inspiration romantique modelés d’après ses contemporains

 C. Le sujet d’histoire.

Auguste Préault,  Tuerie, 1834, fonte en bronze (1851) d’après le plâtre du salon de 1834, 1851, 1,09 x 1,40 m, Musée des Beaux-Arts de Chartres.

Oeuvre étrange, irréaliste, sans profondeur ni sujet véritable. La tête de femme hurlante, les bouches béantes, les chevelures flottantes ou hérissées, les mains crispées et le violent tourbillon des corps et des têtes créent une ambiance étrange selon la technique de l’assemblage de fragments. Le gros plan sur une mère tenant son enfant rappelle le thème du Massacre des Innocents, ce relief n’est pas étranger au Sardanapale de Delacroix. Au Salon de 1834, le sous-titre de l’œuvre est « fragment épisodique d’un grand bas-relief ». Absence de sujet, « fragment », mise en scène d’une violence extrême visant le sublime. Il ne manque rien pour qualifier cette oeuvre de « romantique ». Rarement le refus de l’harmonie classique aura trouvé une expression plus puissante que celle-ci (on peut aller jusqu’à Guernica).

Pourtant cette oeuvre dérageante a été accrochée au Salon « comme un malfaiteur au gibet » formule attribuée au sculpteur néo-classique Cortot gardien du temple de l’exemplum virtutis dans la sculpture publique face à la « frénésie de la rébellion ». 

Toutes ces oeuvres se caractérisent par la « manière de sentir » dont parlera Baudelaire, une « agitation de l’âme » (Thoré), qui s’expriment par une tension interne, dramatique souvent qualifiée de « sauvage ». La recherche du mouvement, de l’expression jusqu’à l’outrance, à la déformation.

« Criez plus fort ! » disait Rude à sa femme qui pose pour le Génie de la patrie de la Marseillaise ornant l’Arc de Triomphe de l’Étoile à Paris (voir Fiche de la Base Joconde  ici)

François Rude se place en réalité entre classicisme et romantisme comme le montre son relief du Départ des volontaires de 1792 (dit La Marseillaise) pour l’Arc de triomphe de l’Etoile. Commande de l’Etat en 1833, c’est un des quatre haut reliefs ornant ce nouveau Monument civique  et qui consacrera son renom. Rivalisent pour les sculptures des artistes comme Rud, le néo-classique Cortot (Le retour) et Antoine Etex (La résistance et la Paix). Les sculpteurs se sont inspiré des marbres de la frise du Parthénon récemment acquis par l’Angleterre et reproduits en moulages pour les Beaux Arts.

Voir album photo ici : https://picasaweb.google.com/emmanuel.noussis/SculpturesDuParthenon?authuser=0&feat=directlink

 
François Rude, Départ des volontaires de 1792 (dit La Marseillaise) haut relief en pierre (haut. 12,70 m.)
Voir détails ici :
Jean-Jacques Feuchère réalise le bas-relief du Passage du Pont d’Arcole (1834) face Nord droite (voir ici)
 
 
Comparons avec Jean-Pierre Cortot (le Triomphe) et Antoine Etex (La résistance, la Paix): 
Le souffle épique et l’élan révolutionnaire qui animent les guerriers font de ce relief une exception romantique entourée d’oeuvres néo-classiques.
 
 Rude a été admis  à l’Ecole des Beaux Arts où il obtient le Prix de Rome en 1812 sans pouvoir partir car en pleine guerre l’Académie de France à Rome n’a pas les moyens de financer le voyage.

D. La sculpture animalière.

Rude et Barye s’appuient sur l’observation de la nature conformément à l’exclamation de Victor Hugo dans la Préface de Cromwell « La Nature donc ! La Nature et la vérité ». Les dessins d’animaux sauvages de Barye clic), comme ceux de Delacroix  en témoignent. Ils allaient l’un comme l’autre au Jardin des Plantes pour étudier scientifiquement les animaux morts ou vivants. 

Le Tigre et gavial : (Voir Base Joconde clic ici); les oeuvres de Barye sont ici (clic) Cette sculpture romantique transmet toute la puissance de l’attaque perpétrée par un tigre (Panthera tigris) sur un gavial du Gange (Gavialis gangeticus) (espèces typiques du Nord de l’Inde et du Népal).

Antoine-Louis Barye Tigre dévorant un gavial, bronze, 1832, H:40 x L:105 cm, Pr: 40 cm.

Barye présente aussi à ce même Salon de 1831 le Lion au serpent (bronze 1832-35) ci-dessous en recherchant à rendre de manière illusionniste la « matière vivante » du pelage. Il obtient une commande de Louis Philippe en 1835 pour laquelle ce lion sera fondu à la cire perdue. Voir plusieurs photos tournant autour de l’oeuvre :

http://www.insecula.com/oeuvre/O0000090.html

Antoine-Louis Barye, Lion et serpent

Le bronze est la matière préférée des romantiques car il permet d’être plus fidèle au modelé naturel que le marbre qui entraîne presque toujours une certaine simplification et convient mieux à l’idéalisation néo-classique.

Le Salon de 1833 fut celui où l’on accepta le plus grand nombre de sculptures romantiques mais dès 1834 les refus furent très nombreux et les jeunes sculpteurs exclus. Seule la tuerie fut acceptée en 1834 et encore avec des réserves. Dès 1849 (rétablissement du jury après sa suppression en 1848) les refus sont plus nombreux que les admissions au Salon. Or sans exposition de projets au salon pas d’espoir d’obtenir une commande ni d’acquérir une réputation. Devant cette situation les artistes réagissent différemment : Moine se suicide, Barye survit grâce aux réductions (procédé mécanique mis au point dans les années 1840 par Collas et Sauvage qui permettait de faire entrer les chefs d’oeuvre de la sculpture universelle dans son foyer en respectant les proportions originales et en variant la taille à l’infini).

Antonin Moine (1796-1849), artiste romantique maudit.

Article Universalis : https://docs.google.com/file/d/0ByMLcNsCNGb5RzRXUWd3UEo0Y1E/edit?usp=sharing

Par son destin tragique, Antonin Moine est la personnification même du sculpteur romantique. Il est celui que tout contemporain aurait cité comme le sculpteur romantique par excellence. Oublié aujourd’hui, sa vie fut conforme à la geste du jeune artiste héros romantique. Après sa mort tragique, Victor Hugo décriera l’horreur de son suicide violent  par coup de pistolet.

Théophile Gautier chanta ses louanges en le nommant le premier de tous à cause de sa supériorité incontestable et il précise ainsi la nouveauté de son art : « Les hardies et heureuses modifications que Géricault et Delacroix ont apportées dans la peinture, Moine les a introduites dans la sculpture. »

Sorti des ateliers de Gros et de Girodet, il fit la connaissance de Barye et modela deux médailles de style Renaissance.  Féru de Moyen Age, il s’inspirait de dames, de pages, de chevaliers et produisit des reliefs aux thèmes fantastiques. Il sculpta la cheminée de l’Assemblée Nationale (clic)

Voir oeuvres :

http://www.artandarchitecture.org.uk/search/results.html?qs=Moine

Le sonneur d’olifant (cli ici)

Le style troubadour en sculpture connaît une grande vogue à partir des années 1830.

La réhabilitation de ces artistes est tardive : il faut attendre le Second Empire et surtout la IIIe République pour voir des commandes aboutir (la Tuerie n’est achetée qu’en 1859 et le Roland furieux est commandé en 1867 alors qu’Ophélie, dont le plâtre avait été exécuté en 1843, et exposé au Salon 1850-51, n’est fondue qu’en 1876 !

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