Géricault romantique et moderne.

Géricault romantique et moderne.

Théodore Géricault (1791 – 1824), l’inventeur de la tradition moderne en France.

Sur Géricault, peintre romantique  compléter avec les notes du Rosen et Zerner (avec une analyse des portraits du point de vue du fragment).

https://docs.google.com/document/d/1yVWSE0cgxlCOOi3HIMG16–2JKIHiFU3BBVf0PEFmlg/edit?usp=sharing

L’exposé de Juliette sur le Rosen et Zerner nous permettra d’approfondir.

Portrait de l’artiste (autoportrait ?), 1er 1/4 du XIXe siècle, huile sur toile : 30 x 38 cm. Musée des Beaux Arts de Rouen.

Si un artiste incarne, mieux que tout autre, le romantisme français qui n’a pas rompu les liens avec l’art classique c’est bien Géricault. Mort des suites d’un accident de cheval, il eut une carrière très brève n’exposant que quatre tableaux au Salon entre 1812 et 1819. Il reçut un prix pour le Portrait équestre de M. D…, aujourd’hui au Louvre sous le nom d’Officier de chasseurs à chevade la garde impériale chargeant (ci-dessous) , qui connaît un grand succès et lui vaut une médaille malgré les critiques dont celles de David (le cheval s’éloigne du spectateur et la facture donne une impression de non finito). Deux ans après il revient avec deux toiles : le pendant de M. D…rebaptisé Officier de chasseurs à cheval de la garde impériale chargeant, et Cuirassier blessé.

1. Le peintre de l’épopée napoléonienne subvertie par le fragment.

Rappelons la définition de fragment par Schlegel :

« Un fragment devrait être comme une petite œuvre d’art, complète et parfaite en soi, séparée du reste de l’univers comme un hérisson ».

L’intérêt pour le cheval qui a fait la légende de l’artiste, n’est pas une incongruité. On racontait que dans l’atelier de son maître Guérin où il s’ennuyait Géricault avait décidé de faire un tour du côté des casernes de Courbevoie afin d’y peindre « les croupes d’une rangée de coursiers au repos ». A son retour le maître et ses camarades furent frappés par la qualité de ses dessins. Derrière le mythe de l’artiste romantique génial et rebelle, se cache une vieille tradition remontant au peintre Lysippe pour qui la nature remplaçait l’enseignement des anciens maîtres. Il est aussi un des tout premiers peintres à saisir l’importance du Louvre comme lieu d’apprentissage : il copie notamment Rubens et visite l’atelier de Gros.

Si Géricault échappa à la conscription (en 1811, il paya un remplaçant pour 1000 francs qui devrait mourir quelques mois après, puis 3000 à ses héritiers…) mais il rendra hommage à la Grande Armée par plusieurs toiles et études tout en se gardant d’appuyer l’Empire pour lequel il n’avait que peu de sympathie.

Ce tableau a été exposé comme portrait équestre de M. D (Dieudonné) au Salon de 1812 mais quelques mois plus tard le modèle, blessé, décédait. L’épopée napoléonienne revisitée par Géricault s’inscrit d’emblée dans le tragique.

Voici  les impressions de Michelet dans son Journal du 20 juillet 1840 :

 » Le cavalier est mûr, non fatigué mais tanné par la guerre (…) Il est si guerrier qu’il n’a plus la même furie de la guerre (…) Il se tourne vers nous et pense. Cette fois c’est probablement pour mourir…Pourquoi pas ? Ni ostentation ni résignation. C’est tout bonnement un homme ferme et de bronze, comme s’il était mort déjà plusieurs fois ».

Détail du tableau Officier… ci-dessous

Ce « guerrier » est en effet loin d’appeler à la guerre. Il se tait. Il ne crie aucun ordre alors qu’il est placé au milieu de la bataille. Michelet a donc bien perçu le message pacifiste de la toile comme il a bien saisi que le Cuirassier blessé, beau grandiose mais si fragile glissant avec son coursier colossal sur cette « descente rapide, glissante, où l’Empire roule vers l’abîme qu’on ne voit pas encore… ».

Les chevaux sont les témoins, sinon les vecteurs du drame historique qui se joue dans ces années 1812-1813. Leur tête, leurs yeux fous, signifient d’une certaine manière la déraison de l’espèce humaine. Ils expriment pas tant la rage de vaincre l’ennemi, de toute façon invisible, mais plutôt la volonté de survivre dans ce chaos. Chacune de ces figures de soldats incarne à elle seule le peuple qui endure les souffrances imposées par la dictature militaire et incarnation de la solitude marquée par le « mal du siècle » né des déceptions révolutionnaires. Ce regard noir nourri d’opposition politique, de nostalgie, d’amour des principes de 1789 est proche du Groupe de Coppet (intellectuels français et allemands hostiles à l’Empire napoléonien qui se réunissaient autour de Madame de Staël au bord du lac Léman en Suisse).

Théodore Géricault Officier de chasseurs à cheval de la garde impériale chargeant 1812 Huile sur toile, 349 cm × 266 cm. Musée du Louvre, Paris.

Le changement de titre exprime aussi celui du genre. De portrait le tableau devenait un scène historique comme pour répondre aux critiques initiales. Géricault en dit plus sur les conquêtes napoléoniennes que de nombreuses autres toiles exécutés à l’instigation de Napoléon (la scène des Pestiférés... ou de la Bataille d’Eylau étaient minutieusement prédéfinies, mais il le fait par l’évocation et le fragment. 

David s’écria :

« D’où cela sort-il ? je ne reconnais pas cette touche »

Cette exclamation en dit long sur l’art nouveau et sa perception. Pourtant, Géricault s’est inspiré de son Bonaparte au Grand Saint Bernard et de Murat dans la Bataille d’Eylau de Gros (cavalier placé de trois quarts dos face à Napoléon). Partant de portraits d’anonymes réalistes, Géricault s’élève vers l’épique (ce qui préfigure aussi le réalisme de Courbet). Grâce à cette touche visible, brutale, il réussit à fusionner l’énergie du cavalier et  celle de son motif favori, le cheval. Il semblerait que les modèles qui l’ont inspiré étaient le Murat de Gros, bien dans la tradition du portrait équestre remontant à Van Dyck, et très éloigné du Chasseur accroché au même Salon de 1812, ainsi que celui, toujours de Gros, inséré dans la Bataille d’Eylau :

Au Salon de 1814, Géricault complète le portrait équestre de l’Officier par le Cuirassier blessé quittant le feu, dont la composition a considérablement évolué.

Une  première esquisse du grand tableau :
 

T. Géricault, Cuirassier blessé  H. : 0,46 m. ; L. : 0,38 m. Louvre.

Une esquisse plus avancée existe au musée de Brooklyn :

T. Géricault, Le Cuirassier blessé quittant le feu, (esquisse, huile sur toile) 1814, 55.2 × 46 cm. Brooklyn Museum.

Le tableau fini :

Théodore Géricault Cuirassier blessé quittant le feu 1814, huile sur toile 358 cm × 294 cm. Musée du Louvre, Paris.

Un exemple emblématique des contradictions originelles du fragment tel que défini par Schlegel dans la revue Athenaeum (: métonymie réaliste ou métaphore romantique ?) est le  Cuirassier blessé quittant le feu (Pour une analyse très détaillée du tableau : contexte, iconographie, composition, touche, interprétation du point de vue stylistique : néo-classicisme – romantisme lire  Lorenz Eitner : Géricault. Ed. Gallimard. Coll. Art et artistes. pp. 53 – 124) : la réception fut assez froide à cause des défauts évidents dans le dessin et les proportions du cheval dont le corps est mal conçu car transféré d’un autre tableau L’enseigne de maréchal-ferrant.  Pourtant, l’originalité de cette œuvre est très grande tant par son thème que par la mise en page : le grand format alors qu’il l’avait abandonné depuis 2 ans, le cadrage serré qui rend la figure encore plus monumentale peinte probablement d’après un portrait d’atelier.

Ainsi, Géricault bouscule les genres : ni portrait ni peinture d’histoire il présente dans ce fragment la personnification d’un soldat anonyme extrait de la masse et héroïsé, magnifié. La signification de ce tableau dépasse de loin la simple anecdote pour atteindre une l’image symbolique de la chute de l’Empire. Tableau monumental, symbolisme nouveau : fragment marqué par l’individualité proche du portrait équestre mais qui par son titre, par sa composition s’impose comme une image de la réalité d’une scène de bataille.  Le regard fuyant de l’officier vers l’endroit où elle s’engage en témoigne. En tant que fragment cette image s’impose donc comme une métonymie des milliers de soldats de la Grande Armée vaincue. Mais par ses proportions surdimensionnées cet officier acquiert un caractère extraordinaire, métaphore et personnification du héros terrassé, ce que confirmerait sa présentation au 1er Salon post – napoléonien avec l’Officier de chasseurs à cheval de la garde impériale chargeant de 1812.

 

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Géricault, Carabinier assis sur un tertre, un autre militaire à genoux portant un enfant dans ses bras, 1814, crayon plume et encre brune, 205 x 165  mm, Paris collection particulière.

Dans ses dessins et lithographies Géricault va beaucoup plus loin dans la représentation de la misère des soldats de la grande Armée défaite. Son intérêt pour le peuple des vaincus, des blessés, des humbles n’a d’équivalent que chez Rembrandt et ses gravures de mendiants. Ces soldats , image du désastre de 1812, sont loin de l’image des surhommes qu’appelait de ses voeux Napoléon capable dans la dureté du climat russe de « conserver leur gaieté et leurs manières ordinaires » et de voir « une nouvelle gloire dans les difficultés différentes à surmonter »

Géricault La charrette des soldats blessés 1818 lithographie 28 x 29 cm Ecole des Beaux Arts Paris

Géricault La retraite de Russie étude 1818 mine de plomb, encre brune et aquarelle 25 x 20 cm Rouen MBA.

L’opposition à l’Ogre de Corse pousse Géricault à s’engager dans la compagnie des Mousquetaires du Roi Louis XVIII qu’accueillent républicains et royalistes aux cris « Vive Louis XVIII à bas le tyran ». Au Salon de 1814, Géricault à qui Denon avait passé commande pour un tableau intitulé « Le Prince – Vice Roi à l’armée de Russie délivrant un de ses aides de camp polonais surpris par des cosaques ». Il s’agissait de redorer le blason du régime dont de plus en plus de Français se détournaient.

Géricault, Eugène de Beauharnais, le prince vice roi à l’armée de Russie délivrant un de ses aides de camp polonais surpris par les cosaques 1814-1818, crayon noir, lavis, encre de Chine et gouache blanche sur papier bistre.

Géricault, Eugène de Beauharnais et ses aides de camp 1814 – 1815, huile sur toile, 64 x 80 cm, Bruxelles, Musées royaux des beaux-arts de Belgique.

Cette esquisse très énigmatique, appartenant elle aussi à la série d’une quarantaine d’études pour ce tableau, conservée à Bruxelles et longtemps contestée, semble montrer un épisode totalement opposé : rien ne se passe, les visages sont pensifs, les regards perdus dans le vide. Est-ce une application des préceptes de Lessing dans le Laocoon quand il préconise pour la peinture la représentation du moment qui précède le drame, la relation de ce dernier étant laissé au poète ?

2. Géricault : un « hérétique » de l’antique qu’il traite en moderne.

Ayant échoué pour le Prix de Rome en 1816, Géricault décide de faire le voyage d’Italie à ses propres frais. Allait-il remettre en cause son style hors normes, le choix des sujets déconcertant au profit d’une peinture plus classique conforme aux souhaits de son maître Guérin ?

En guise de réponse, voici une série d’études qu’il a effectuées autour du Carnaval romain en février 1817 et de la course de chevaux sauvages organisée entre la Place du peuple et la Place de Venise sur la via del Corso. Course ultra-violente où les accidents mortels n’étaient pas rares. Une douzaine de palefreniers se présentaient devant les notables placés dans une loge tapissée (« la mossa »)

Le nombre d’études et le témoignage d’un critique d’art attestent de son intention de choisir un de ces épisodes comme sujet d’un grand format.  L’influence de Michel-Ange transparait dans ces esquisses d’une grande beauté plastique et d’un dynamisme marqué.

Cinq tableaux sur une vingtaine sont conservés (et plusieurs dessins) qui montrent un traitement du sujet tantôt comme une scène moderne tantôt comme une scène antique.

La version de Baltimore :

La cours de chevaux, 1817, huile sur papier marouflé sur toile, 45 x 60 cm, Baltimore. Walters Art Museum.

Géricault Cheval arrête par des esclaves 1817 huile sur toile 45 x 60 cm Rouen MBA.

Ici le sujet se transforme en scène à l’antique comme l’indiquent les corps dénudés des jeunes esclaves, et non plus des palefreniers romains, ainsi que le paysage idéalisé.

Géricault Course de chevaux libres a Rome La Ripresa huile sur papier maroufle sur toile 1817 45x60cm Lille MBA.

Dans la version de Lille il s’agit de l’arrivée (Ripresa). La violence du mouvement, la tension physique des corps humains et de ceux des chevaux sont accentués par le clair obscur qui rend la scène plus dramatique et finalement romantique.

Géricault La course aux chevaux libres La Mossa 1817 huile sur papier maroufle sur toile 45×60 cm Louvre.

La version du Louvre montre le départ devant la loge des notables (la Mossa).

Géricault La cours de chevaux 1817 huile sur papier marouflé sur toile 45 x 60 cm Getty Museum

Etudes, coll. privée.

Le tableau, prévu pour près de 10 m de largeur resta inachevé. Il devait être son chef d’oeuvre, une oeuvre aux dimensions exceptionnelles. Certainement prévu pour le Salon, ce tableau est abandonné pour des raisons mystérieuses.  L’étude des esquisses laisse difficilement entrevoir l’intention de l’artiste. Que signifiait ce projet ? A Rome, Géricault est déjà un artiste confirmé et connu pour sa passion du cheval. Ce thème a de toute évidence une valeur allégorique comme c’était le cas avec les tableaux exposés de 1812- 1814. Selon Bruno Chénique, les raisons de l’abandon sont à la fois politiques et esthétiques.

Des débats opposent les historiens de l’art : les uns mettent en avant le caractère « classique » des études minimisant le « romantisme » de la démarche et oubliant qainsi u’au départ,  la couse de chevaux reste un sujet de genre. Pour autant, le traitement esthétique du sujet est de toute évidence inspiré de l’antique : ce ne sont pas des paysans de la campagne romaine et des « Barberi » (les chevaux libres ou « barbes ») que l’artiste voit mais des jeunes hommes, des éphèbes de héros aux corps idéalisés. Sommes nous à Rome ? à Athènes ou dans un espace – temps intemporel ?

Lorenz Eitner voit dans le tableau du Louvre :

« Les dompteurs de chevaux apparaissant en gros plan (…) La vigueur taciturne de leur procession saccadée ne fait pas vraiment penser à quelque fête de la Rome antique ou pontificale mais bien plutôt à un spectacle de l’époque révolutionnaire : une troupe de Jacobins mimant la frise du Parthénon »

L’intuition d’Eitner est certainement juste même si elle lui semble incongrue. Accentuant l’intemporalité de ce spectacle, géricault ne voulait-il pas le transformer en une vaste allégorie politique sur « Le peuple libre ». Mais la difficile lecture d’une telle oeuvre dans le contexte politique de la Restauration, l’a peut-être dissuadé de poursuivre dans cette voie davidienne et républicaine des corps héroïques et des leçons morales et politiques.

L’artiste ne semble pas être intéressé par le conflit « classique » contre moderne ». L’antiquité, est  présente dans ses dessins, mais c’est une antiquité revisitée filtrée par son regard subversif. Lors de son voyage en Italie, il a produit également plusieurs dessins qui montrent une source d’inspiration pittoresque et populaire autant que classique. 

Voici ce qu’il écrit à Horace Vernet en 1820 :

 » Rome et Naples vous retiendront et je trouve cela naturel. Le charme mystérieux de toutes ces grandeurs évanouies vous attachera malgré vous et l’air poétique qu’exhale encore cette terre si longtemps le théâtre de la puissance romaine ne manquera pas d’enflammer votre imagination. Alors séduit, enchanté, peut-être sans les oublier entièrement retarderez-vous au moins l’instant de rejoindre vos amis ».

La figure du brigand.

Parmi les figures locales qui ont attiré son regard, le brigand est sans doute le plus caractéristique. Solitaire, souvent mélancolique, sorte de relique d’une grandeur passée, mais aussi rebelle et anti-héros pourvu de la « grandeur calme et de la noble simplicité » que Winckelmann réservait aux dieux et héros antiques. Contrairement au pape qui voyait en lui un dangereux anarchiste républicain fruit des désordres révolutionnaires et de l’occupation française, Géricault rend l’humanité au personnage du brigand surtout lorsqu’il porte dans ses bras un enfant.

Etudes de brigand romain assis tenant son enfant dans ses bras. 1816-1817, mine de plomb, crayon,  noir, plume et encre brune, lavis brun, aquarelle. 18 x 25 cm, Paris Ecole des Beaux Arts.

Etude de brigand romain et son enfant, 1816-1817, Crayon noir, aquarelle et gouache, 28 x 19 cm, coll. part.

Géricault réussit parfois à donner un sens allégorique à des scènes de genre banales comme cette « pauvre famille » ou « Famille italienne » de Stuttgart :

Géricault, La Pauvre famille ou famille italienne, 1816-1817, huile sur papier marouflé sur toile, 22 x 29 cm Stuttgart Staatsgalerie.

On a évoqué une allégorie du thème des trois Parques gardiennes de la vie et du destin. Que peut vouloir dire cette vieille femme montrant aux enfants la fleur de pissenlit poussant contre un mur ? Est-ce une allusion à la fragilité de la vie ? Est-ce la place que leur réserve la société romaine, en marge ?

Ce roman familial incarné par le brigand et son jeune fils, la mère et ses enfants serait-il un allégorie du temps : passé, présent futur.

3. De la peinture d’histoire à l’héroïsation du fait divers un manifeste de l’art nouveau.

Un tableau montre mieux que tout autre l’ambivalence des rapports ambivalents de Géricault avec la tradition : le Radeau de la Méduse. Le tableau a été exposé au Salon de 1819  en même temps que la grande Odalisque d’Ingres.

Théodore Géricault, Le radeau de la Méduse, 1818-1819 huile, toile sur bois, 491 cm × 716 cm. Musée du Louvre, Paris.

De retour d’Italie, Géricault décide d’immortaliser sur une toile monumentale un sujet d’actualité dont l’opposition libérale, bonapartiste et républicaine s’était emparée  pour dénigrer les ultras du gouvernement de Louis XVIII.

Chaumareys, ancien émigré, piètre commandant de la frégate La Méduse qui n’avait pas navigué depuis 25 ans, portait l’entière responsabilité de ce naufrage et surtout celle du lâche abandon du radeau construit pour la circonstance pour les marins de basse extraction sociale. Les officiers ont coupé les cordes attachées au radeau abandonnant les pauvres marins une  mort certaine. Quinze sur cent cinquante ont échappé.

Après avoir traité la peinture d’histoire par la métonymie romantique du fragment comme David dans la Mort de Marat, Géricault s’attaque au très grand format d’histoire à la manière de David. Mais le sujet qu’il choisit (du moins en apparence) n’a rien à voir avec avec les grands faits historiques ni les grands hommes. L’artiste arrive cependant à donner à ce simple fait divers marin une dimension héroïque en même temps que critique sur le plan politique et social.

Car contrairement à ce qu’affirmait Lorenz Eitner : « Ce tableau ne rime à rien, il n’y a ni héros ni message ; les souffrances des naufragés ne sont mises au service d’aucune cause, leur martyre reste sans gloire », Géricault ne s’est pas contenté de remettre en cause les codes de la peinture d’histoire. Un tel tableau ne visait pas seulement à provoquer un choc « esthétique » (ce qu’il ne manqua pas de faire) il délivre aussi un message politique et social.

Le critique Mahul raconte e 1825 :

« Pendant toute la durée de l’exposition, la foule resta comme fixée en permanence devant le radeau de la Méduse. : on en parlait dans les journaux, dans les ateliers, dans les salons. En vain quelques artistes et même quelques théoriciens que tout ce qu’ils voient pour la première fois épouvante, crièrent à l’abomination, à la violation des usages. les uns se demandaient si c’était un tableau d’histoire, d’autres ne consentaient à y voir qu’une marine et encore, car ils auraient voulu agrandir la mer et rapetisser le radeau ».

Mercey affirmait encore en 1838 : « La Méduse était un acte de double opposition, artistique et politique. »

En effet, le choc que provoqua ce tableau était d’un double ordre. On en censura le titre pour effacer la référence au fait divers « Scène de naufrage » mais ce subterfuge ne trompa personne. Avant l’exposition au salon des journaux comme la Renommée l’annonçaient citant le nom de « jeune homme, M. Jericault, connu pour ses « belles esquisses de chevaux » et le titre du tableau « Le naufrage de la Méduse ». La foule ne s’est pas trompée non plus s’arrêtant devant « l’épouvantable  scène de naufrage » (on remarque le glissement du titre après le premier jour de l’exposition). D’autres journaux ont carrément dénigré l’artiste, trop jeune pour savoir ce qu’il faisait : effet très heurté, coloris mort, un dessin qui est « un peu loin de notre école » etc. Géricault a très vite compris que le fond des critiques était surtout d’ordre politique.

Michelet faisait du tableau une véritable allégorie politique :

« c’est la France elle même, c’est notre société tout entière qu’il embarqua sur le Radeau de la Méduse. »

une vaste allégorie politique, voilà le sens de la toile.

La figure dite du « Père », une « tête d’expression » qui arbore comme l’Officier Dieudonné dans une lithographie de 1819 une croix de la légion d’honneur est le symbole de l’Empire qui a dévoré ses enfants tel Ugolin. L’espoir, l’avenir est représenté par le métis (et non pas le Noir) qui agite les lambeaux de chemises blancs fruit de l’union des deux races. Le peuple pourra se régénérer comme le montrent les corps athlétiques des naufragés.

Il faut attendre 1842 et le socialiste Charles Blanc pour que la question de l’Abolition de l’esclavage devienne une des grilles de lecture du tableau.

 Géricault a transformé son atelier en théâtre, il reconstitua à l’aide d’un charpentier survivant du naufrage le navire à l’échelle, y plaça des figures en cire. Les premières esquisses comme celle ci-dessous annonçaient une peinture horriblement réaliste le tableau devint un manifeste d’un art nouveau plus que la représentation d’un fait réel.

Michel-Ange Charon vidant sa barque, détail du Jugement dernier, 1536 – 1541 Chapelle Sixtine Vatican.

Etude préparatoire, la seule à montrer un scène de Cannibalisme. Crayon noir, lavis d’encre brune, gouache blanche en rehauts et en lavis sur papier beige. 28 x 28 cm. 

Nulle trace ici de voile à l’horizon, le dessin s’apparente aux ouvres noires de Goya. 

Voir sur le site de la Tribune de l’art article sur l’acquisition de ce dessin par Louvre (2004).

http://www.latribunedelart.com/un-magnifique-dessin-de-gericault-entre-au-louvre

LIre l’article Wikipedia (dense et bien documenté) :

 http://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Radeau_de_La_Méduse

Sur la gestation de la Méduse voir critique de l’exposition :

http://www.latribunedelart.com/gericault-au-coeur-de-la-creation-romantique

Le fait divers devient prétexte à une grande toile d’histoire. Tableau minutieusement préparé, aux références précises à l’histoire de l’art (Rubens et Miche-Ange (ses véritables maîtres). David préconisait d’étudier à la fois la nature et l’histoire. Géricault suit sa leçon pour mieux la mettre en cause.

C’est ce qu’il fera aussi dans ses fameux  fragments anatomiques et dans les « portraits » d’aliénés » pour son ami médecin le docteur Étienne-Jean Georget, médecin chef à l’hôpital de la Salpêtrière à Paris et premier à traiter la folie comme une maladie, à qui il donne le statut de « sujets ». 

Delacroix a bien compris ce que signifiaient les toiles de son ami. Dans l’article « Sujet » destiné au Dictionnaire des Beaux arts (1857) il écrit :

 » La peinture n’a pas toujours besoin d’un sujet. La peinture des bras et des jambes de Géricault ».

Le Radeau de la Méduse devient le véritable talisman de la jeune génération d’artistes français (dont Delacroix) comme le Serment des Horaces fut celui de la génération de la Révolution. David voulait exprimer le sens du devoir civique.  Géricault celui de ses obsessions personnelles.  Si le tableau a été timidement accueilli en France (et pour cause…), il a eu un grand succès Angleterre où il été exposé en 1820

« la main hardie de Géricault avait mis à nu les détails de l’horrible événement avec la rigueur de Michel-Ange et la tristesse de Caravage » 

a-t-on pu écrire à cette occasion. 40 000 spectateurs l’ont vu et se sont bien réjouis du scandale dont la France était l’acteur. Peu de gens ont compris les enjeux profonds de cette toile.

C’est inspiré de ce tableau que Delacroix compose sa Barque Dante qui reçoit au Salon un accueil favorable de la critique, et en particulier d’Adolphe Thiers.

Nicolas Sebastien Maillot Vue du Salon carre du Louvre avec la Méduse et le Déluge 1831 huile sur toile, 126 × 142 Louvre

Selon Hans Belting, le tableau de Géricault est la Guernica du XIXe siècle. L’art réinvente un événement contemporain en le rendant intemporel sans rompre totalement avec la tradition (nus, composition pyramidale…). L’enjeu pour Géricault : raconter l’histoire d’une catastrophe de manière authentique tout en créant une vison de l’art qui dépasse ce sujet. Le tableau a été accroché assez haut hors de portée du regard indifférent. Même s’il a été remarqué par les critiques et le public , l’artiste ne reçut qu’un simple médaille avec 30 autres peintre et sculpteurs.

4. Géricault : peintre de la folie, de la mort, du « soleil noir », du Unheimlich ».

Géricault et l’inquiétante étrangeté des suppliciés, des enfants, des animaux.

Stephan Germer, définit le Unheimlich par « l’étrangement inquiétant », « quelques chose qui aurait dû rester dans l’ombre et qui en est sorti ». Dans les arts plastiques, quelque chose qui ne se laisse pas représenter. Le Unheimlich ne se présente qu’en marge d’autre chose. Dans le cas des têtes de suppliciés, ce ne sont pas elles qui produisent de l’inquiétude mais des détails « étrangement inquiétants » : les yeux et la bouche ouverts si bien que ces visages semblent nous regarder, nous parler. Ce concept appliqué à l’art place l’oeuvre à la frontière de ce qui est visible et invisible, montrable et non montrable.

1er cas : Les têtes coupées de suppliciés par la guillotine.

 Géricault, Têtes de suppliciés, 1818-1820, huile sur toile, 50 x 61 cm. Stockholm Nationalmuseum

Quatre études de la tête d’un guillotiné. 1818-1820, crayon noir, 21 x 28 cm. Besançon, Musée des beaux arts.

Le débat sur le supplice de la guillotine est ancien. l’exitus de l’âme (le dernier souffle) coïncidait-il avec le moment de la décapitation ? la tête tranchée perdait-elle toute conscience ? Pour le docteur allemand Sömmering la réponse était claire : le siège du sentiment étant le cerveau, « le moi reste donc vivant quelque temps encore et »ressent l’arrière-douleur dont le col est affecté ». 

Cette idée demeura une des chimères les plus terrifiantes du XIXe siècle malgré les preuves apportées par les médecins que la tête, le cerveau comme tout organe ne peut pas être rendu indépendant du principe vital qui régit le reste du corps. L’imagination romantique française a été nourrie de cette idée la Terreur révolutionnaire comme un certain goût partagé pour la cruauté et la violence en sont l’explication. Géricault se situe entre la ferveur romantique pour l’horreur et la dénonciation humaniste du supplice. Mais ce tableau n’est pas un acte militant. Il n’était pas destiné à être montré au public comme La tête de Fieschi peinte par Brascassat en 1836. 

Jacques Brascassat 1835 La tete de fieshi detail huile sur toile 48x 39 cm Musée Carnavalet (voir ici)

Ici l’artiste reprend l’idée de la dédicace de David à Marat reprenant l’idée du martyr politique. histoire, portrait dédicace anoblissent le sujet et le rendent présentable. Rien de tel chez Géricault : la tête coupée d’un anonyme ne suscite ni indignation ni compassion. Géricault a procédé à un montage ajoutant une tpete de femme d’après le portrait d’un modèle vivant professionnel.
Est-ce pour autant le fruit d’une préoccupation purement artistique ? Ces « têtes d’expression » (cf; Conférences de Le Brun) apparaissent comme des objets vivants : yeux et bouche ouverts chez l’un (un acte anti-Lessing), tête penchée et yeux fermés comme si elle dormait chez l’autre (quiétude conforme aux théories de Lessing).

En comparaison avec cette mise en scène de l’horreur, la « nature morte » des « fragments anatomiques » (Musée Fabre Montpelier voir ici) a un effet plus subtile et plus dérangeant.

Géricault, Fragments anatomiques, 1818-1820, huile sur toile, 52 x 64 cm. Musée Fabre Montpelier.

Les membres semblent s’enlacer doucement, les bras coupés embrassent les jambes coupées. C’est précisément ce qui rend le tableau étrange et inquiétant. Dans la tête du supplicié le spectateur reste est maintenu à distance par l’horreur, al couleur blafarde, la morbidité, dans le 2e cas il reste extérieur car les membres sont disposés de manière à se refermer sur eux mêmes comme dans une étreinte.

Le traitement plastique est également différent : agressif à coups de brosse énergiques pour les têtes dans une lumière blafarde qui isole les visages l’un de l’autre. La présence des draps blancs et des tâches rouge marron couleur utilisée d’après les traités d’anatomie  crée une évidence. Mais dans le tableau des anatomies Géricault joue de l’ambivalence. Une lumière unifiante sur fond noir qui encadre les membres, l’émotion dominante est davantage la beauté que le dégoût. Ici un ton presque doré, la brutalité de l’amputation presque masquée dans l’obscurité afin que le spectateur puisse imaginer le corps indemne. Quel serait le tableau le plus proche de la notion de Unheimlich ?

Quand Géricault se consacre à la peinture animale, il enrobe aussi de mystère ces représentations, en particulier du cheval, animal qu’il a doré depuis son enfance. Le cheval est présent dans toute la hiérarchie des genres  dans son oeuvre et non pas forcément dans des tableaux dits « animaliers » typiques du XIXe siècle. L’animal peut provoquer la peur quand il n’est pas possible à l’homme de s’identifier à lui, quand il paraît supérieur, plus puissant. C’est le cas du cheval dans L’Enseigne du maréchal ferrant (Zurich)

Géricault, Enseigne de maréchal-ferrant, vers 1814, huile sur bois, 122 x 102 cm. Zurich Kunsthaus.

L’étrangeté du cheval comme dans l’Officier chargeant, est cette double caractérisation : puissance indomptable et regard expressif donnant l’impression d’une conscience égale sinon supérieure à celle de l’homme.

Tête de lionne,  huile sur toile, Musée du Louvre.

Géricault peint ce portrait de lionne vers 1819, probablement d’après une pensionnaire de la ménagerie du Jardin des plantes. Le romantisme du peintre ne s’exprime-t-il pas dans l’exotisme de ce fauve qui évoque l’ailleurs ? Une certaine mélancolie pourrait même être décelée dans le regard profond de l’animal captif.

 

Portraits d’enfants ?

Un troisième genre vient souligner l’inquiétante étrangeté ce son les portraits des enfants Dedreux :

Géricault, Alfred Dedreux, huile sur toile 47 x 38 cm, Metropolitan Museum N. York.

L’enfant n’est ni enfant insouciant ni un adulte en miniature. Géricault les a dotés d’une personnalité remarquable et d’une grâce confiante.

L’enfant est le neveu de l’ami intime de Géricault le peintre Pierre-Joseph Dedreux-Dorcy. Géricault a croisé la famille à Sienne en 1817, à la fin de son séjour italien, les enfants Dedreux retour à Paris avec leur mère à l’automne 1819, ce qui permet d’établir une date probable pour le portrait. Cette toile fait partie d’un petit groupe de peintures et dessins de Géricault (dans diverses collections privées) qui dépeignent Alfred et sa sœur, Elisabeth, de deux ans sa cadette. Alfred est devenu un peintre, et comme Géricault, il était tombé amoureux des chevaux et des sports équestres. Eugène Delacroix, ami de Géricault, a possédé  plus tard cette peinture.

L’enfant est très bien habillé avec goût et occupe une grande partie de l’espace par un effet d’échelle qui lui donne une grande monumentalité. L’image de l’enfant ici correspond aux conceptions héritées des Lumières : : il devait être enfantin, naïf et fortifié mais aussi montrer qu’il est doté de dons intellectuels, d’une bonne éducation. mais cet enfant « parfait » semble devenir ici une victime qui prépare sa révolte comme l’indique son regard aux effets menaçants. Sorte d’inversion latente du rapport adulte – enfant.

Le portrait de Louise Vernet :

Géricault Louise Vernet enfant huile sur toile 60 x 50 cm Louvre.

Loin d’engendrer la sympathie, la fille fait étalage de concupiscence pouvant ainsi provoquer un certain désir chez le spectateur.Elle est tout sauf le produit d’une éducation correcte. Coquette, elle laisse glisser sa robe de son épaule, elle regarde le spectateur et semble vouloir l’attirer. L’énorme chat accentue l’image d’une délurée. L’enfance peut donc être coupable.

Quelle opposition avec les enfants Hülsenbeck de Runge !

Philipp Otto Runge Les enfants Hülsenbeck, Philipp Otto Runge Le Hülsenbeck enfance ( 1805-1806 ),

un portrait des enfants du partenaire d’affaires de son frère, pourrait être considérée comme une des plus belles œuvres de l’époque. Dans ce tableau , Runge rend le monde autour de ses trois jeunes figures naturaliste et  parvient également à les présenter subjectivement, de leur point de vue .

Les enfants , à la fois petits et emprunts de monumentalité, et le paysage urbain charmant derrière sont également mis en valeur d’une manière ce qui rappelle les madones de Raphaël ( qui Runge admirait beaucoup ). Runge emploie geste et de l’expression pour décrire chaque frère et sœur comme un individu unique. Bien que cette sensibilité à la personnalité des enfants doit être attribuée principalement à ses propres talents d’observation, le tableau reflète aussi de grands changements culturels et historiques dans la perception de la petite enfance .

Avec la montée de la notion des Lumières de la Bildung ( éducation au sens le plus large de la formation du caractère individuel), les philosophes et les écrivains associés à la fois le mouvement Sturm und Drang et le romantisme – et plus particulièrement , Karl Philipp Moritz ( 1756-1793 ), dont la classe comprenait Alexander von Humboldt, Ludwig Tieck, et Wilhelm Wackenroder – porté une attention croissante sur les enfants dans une tentative de comprendre la relation complexe entre rationalité et émotion. Dans l’idéal romantique du «primitif » et du « naïf », l’enfant occupe une place particulièrement spéciale.

Lire aussi catalogue Folie d’un monde p. 112-113.

Mélancolie 

G. de Nerval, Les Chimères, «El Desdichado»

Je suis le ténébreux, – le veuf, – l’inconsolé,
Le prince d’Aquitaine à la tour abolie :
Ma seule étoile est morte, – et mon luth constellé
Porte le Soleil noir de la Mélancolie.
[…]

Géricault souffrait du célèbre « mal du siècle », une mélancolie introspective une certaine complaisance dans la douleur et un repli sur soi (cf. autoportrait en début de page). Partant en 1817 précipitamment de Rome, sans attendre l’arrivée de son ami Dedreux-Dorcy il lui écrit « une année de tristesse et d’ennui ». Quelques semaines plus tard il poursuit :

 » …je suis un monstre vous le savez bien.(…) Livré presque seul à moi même je ne suis capable de rien (…) Maintenant j’erre (…) je cherche vainement à m’appuyer, rien n’est solide, tout m’échappe (…) Nos espérances et nos désirs ne sont vraiment ici bas que vaines chimères, et nos succès des fantômes que nous croyons saisir (…) la souffrance est réelle, les plaisirs ne sont qu’imaginaires ». 

Incarnation du génie artistique, Géricault est frappé par ce mal caractéristiques des grands artistes, une sorte de souffrance inconnue liée à la sensibilité qui donne accès à la vérité profonde de la condition humaine.

Dans une impressionnante série de tableau, Géricault explore ainsi la face la plus sombre de la mort à la quelle il a été confronté à l’âge de 16 ans quand sa mère est morte. Sur son lit de mort il dira à un apprenti : « Aimez bien votre mère, car personne ne vous aimera comme elle : ni votre maîtresse ni votre femme ».

Selon B. Chénique, ce refoulé du féminin maternel a été remplacé par l’omniprésence du cheval… rares sont les portraits de femmes, et quand il y en a un (Laure Bro), elle même orpheline, il est extraordinaire mais il s’en dégage une étrange tristesse qui fait dire à Zerner « on sent comme une menace peser sur le sujet ».

Géricault, Portrait de Laure bro, née de Comères, 1818-&820, huile sur toile, 45 x 55 cm, New York coll. part.

Dans une veine ingresque et italienne à la fois, Géricault montre ici l’étendue de son talent s’attaquant au portrait bourgeois avec une grande acuité capable de saisir derrière l’apparence de la jeune femme habillée à l’antique les tourments de l’âme.

La nature de cette menace trouve peut-être son explication dans le récit d’un rêve que la jeune épouse confiait à son mari engagé dans la campagne de Russie (lire catalogue p. 155)

– Les scènes de naufrage et du Déluge.

Ge?ricault Scene du Deluge 1818-19 huile sur toile 96 x 129 cm Louvre

Le tableau de Géricault est extrêmement sombre. La structure horizontale du tableau accentue cette lourdeur du ciel. D’autre part, il y a un contraste entre cette structure horizontale et la structure verticale de la lumière céleste. L’eau occupe une part conséquente de l’espace car seuls quelques rochers sont visibles dans cette scène. Quelques êtres humains s’accrochent à un rocher mais l’aspect pathétique de leur sort est supplanté par cet environnement angoissant et violent. Ils sont faibles face à la nature. Sur le côté gauche de l’œuvre, une barque est en train de couler. À droite, un homme s’agrippe à un cheval dont seule la tête sort de l’eau. Dans la Bible, les chevaux apparaissent à plusieurs reprises, notamment dans l’épisode des quatre cavaliers de l’Apocalypse. Chacun a une couleur différente et est monté par un cavalier qui annonce la fin du monde.

La maladie et la mort.

Géricault Epidémie de fievre a Cadix 1819 huile sur toile 38 x 46 cm Richmond Museum of fine Arts

Afin de réprimer d’éventuelles révoltes dans les colonies, l’Espagne prépare un corps expéditionnaire posté au port de Cadix. Une fièvre jeune ravage la ville, comme le disent les gazettes « elle attaque les hommes robustes plutôt que les vieillards et les frêles ». Un corps mort d’une femme au premier plan, le dos michelangelesque  d’un de ces hommes forts et la souffrance du « Père » qui a tout perdu tel le Brutus de David. (voir aussi figure du « Père » dans la Méduse  ou encore le dessin du Cuirassier  assis sur un tertre).

Conclusion.

Sorte d’étoile filante, Géricault a marqué la peinture romantique française et européenne en explorant les possibilités d’expression plastique jusqu’aux limites de ce qui pouvait être montré. Ayant un sentiment très profond de l’héritage classique, il en a cependant sapé les conventions privilégiant l’expression personnelle plutôt que l’application de normes académiques. Delacroix l’avait bien compris quand il écrivait dans son Journal à propos des fragments anatomiques de jambes et de mains :

(…) Ce fragment de Géricault est vraiment sublime (…) C’est le meilleur argument  en faveur du Beau, comme il faut l’entendre. Les  incorrections ne déparent point ce morceau. A côté du pied qui est très précis et plus ressemblant au naturel (…)  il y a une  main dont les plans sont mous et faits presque d’idée,  dans le genre des figures qu’il faisait à l’atelier, et  cette main ne dépare pas le reste ; la finesse du style la met à la hauteur des autres parties. Ce genre de  mérite a le plus grand rapport avec celui de Michel-  Ange, chez lequel les incorrections ne nuisent à rien( …)

Artiste polyvalent, Géricault a produit des chefs d’oeuvre non seulement en peinture mais aussi dans les arts graphiques et même la sculpture comme le montre le groupe Satyre et nymphe où l’influence de Michel-Ange et manifeste. Ses esquisses, dont l’EBA de Paris possède une collection exceptionnelle, montrent tout le génie de Géricault dans la recherche du mouvement, de la monumentalité et de l’expressivité que ce soit dans le portrait de genre, les scènes narratives comme dans le sujet du cheval.

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