La Querelle du coloris sous règne de Louis XIV.

La Querelle du coloris sous règne de Louis XIV.

Roger-de-Piles-da-The-Principles-of-Painting-1743

Les conférences du Louvre sur l’art du dessin par Jacqueline Lichtenstein.

 Lumineuse synthèse sur l’émergence de la couleur

Diaporama du cours :

https://docs.google.com/presentation/d/14OaKn9ozn_0n3OpqisK4E9XGqiOf2JRmTQUXBnJq1DA/edit?usp=sharing

Sur la lumière et la couleur chez Rubens lire le document du service éducatif du Musée des Augustins de Toulouse  à propos de tu tableau :

Peter Paul Rubens Le Christ entre les deux larrons vers 1635 huile sur bois 193 x 296 cm Toulouse Musée des Augustins

http://www.edu.augustins.org/pdf/second/nord/nsty04s.pdf

https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Querelle_du_coloris

I. La Querelle du coloris.

Sous le règne de Louis XIV, naît en France le discours sur l’art, à la fois théorique et historique, dominé par deux figures majeures : André Félibien (1619-1695) et Roger de Piles ((1635-1709).

Bernard Picart, d’apres un autoportrait de Roger de Piles, eau forte 30 x 21 cm.

Maître André Félibien, écuyer, Seigneur des Avaux et de Javercy, historiographe du Roy, garde des Antiques de S. M. de l’Académie Royale des Inscriptions etc., décédé à Paris le 11 de juin 1695, âgé de LXXVI ans.

Pierre Drevet Portrait d’ Andre Fe?libien d’apres Le Brun, taille douce, 45 x 31 cm Ecole de Nationale des Beaux Arts Paris.

De Piles apparaît comme le théoricien majeur du coloris dans la querelle entre rubénistes et poussinistes qui occupe les trente dernières années du siècle. Il ne s’agit pas d’une transposition de la Querelle des Anciens et des Modernes. Les deux camps ont toujours dialogué dans un climat d’écoute mutuelle.

A. De Piles et la théorie de la disposition.

Évoluant dans un milieu aristocratique avide de poésie et d’art, mais non dans les cercles du pouvoir comme Félibien, de Piles, un intellectuel raffiné et apprécié, a certainement assisté aux fameuses Conférences de le Brun à l’Académie, publiées en 1668 et préfacées par Félibien. Il y répondra, ainsi qu’aux premiers Entretiens de Félibien,  dans ses deux premiers ouvrages : Abrégé d’Anatomie,  et la traduction accompagnée de « remarques nécessaires, et très amples » du De Arte graphica, poème latin de Dufresnoy, meilleur ami de Pierre Mignard, rival de Le Brun.

Avant la Querelle, l‘Académie n’a pas un corpus doctrinal. La théorie émerge progressivement entre  1660 et 1685 d’abord sous forme de dialogues, de commentaires, de conversation mondaine ou philosophique. C’est pourquoi l’essentiel des idées exprimées par de Piles dans ses remarques était parfaitement recevable : éloge de l’antique, respect du costume et de l’histoire, respect de la perspective mais une perspective linéaire qui ne soit pas la condition de l’unification du tableau, attention marquée à l’expression des passions sur l’ensemble du tableau, importance de la figure principale, condamnation des excès de maniérisme et de l’imitation servile de la nature. Quant aux règles de la bonne peinture, elles doivent être connues et appliquées mais sans dogmatisme. De manière pragmatique pour de Piles,  l’intelligibilité du sujet « du premier coup d’oeil » impose leur respect.

Dans les Conférences de Le Brun et de Félibien à l’Académie, ce dont les peintres aiment parler c’est de couleur et de lumière. On apprécie Titien et sa manière de peindre « par grandes masses », sa « belle économie de couleurs de lumières ». Cepndant, lorsqu’il s’agit de comparer Titien et Raphaël, Le Brun (probablement)  remarque que le premier « n’avait jamais pensé en travaillant ses Ouvrages qu’à leur donner de la beauté et à les farder, pour ainsi dire par l’éclat des couleurs et non pas à représenter régulièrement les objets comme ils sont ». On voit ici le reproche traditionnel fait à la couleur d’être un « fard » c’est à dire le soupçon de jouer de la séduction au détriment de la rigueur de la forme objective.

Roger de Piles ne répond pas immédiatement à cette critique mais il consacre une grande partie de son texte à la couleur (: « l’âme et le dernier achèvement de la peinture ») avec d’abondantes références à Titien. (Paartie sur la peinture et les couleurs disponible sur Google books). La couleur doit participer de l’unité du tableau, ce que de Piles appelle « l’économie du tout-ensemble » :

« Le tout ensemble est un résultat des parties qui composent le tableau, en sorte néanmoins que ce tout, qui est une liaison de plusieurs objets, ne soit point comme un nombre composé de plusieurs unités indépendantes et égales entre elles, mais qu’il ressemble à un tout politique où les grands ont besoin des petits comme les petits ont besoin des grands. Tous les objets qui entrent dans le tableau, toutes les lignes et toutes les couleurs, toutes les lumières et toutes les ombres ne sont grandes ou petites, fortes ou faibles que par comparaison. Mais quelle que soit la qualité de toutes ces choses, et quel que soit l’état où elles se trouvent, elles ont relation dans leur assemblage dont aucune en particulier ne peut se prévaloir. Car l’effet qui en résulte consiste dans une subordination générale où les bruns font valoir les clairs, comme les clairs font valoir les bruns, et où le mérite de chaque chose n’est fondé que sur une mutuelle dépendance. Ainsi, pour définir le tout ensemble, on peut dire que c’est une subordination générale des objets les uns aux autres qui les fait concourir tous ensemble à n’en faire qu’un… »

R. de Piles

Cette approche de la couleur est audacieuse. Pour la première fois depuis la Renaissance, un théoricien affirme clairement la primauté du clair obscur (donc de la couleur) par rapport à la perspective linéaire. Mais comme nous l’avons déjà vu, Alberti, puis Ghiberti et Léonard avaient déjà souligné l’importance primordiale des ombres, du clair – obscur dans la composition du tableau. En réalité, de Piles se place du côté des partisans du colorito vénitien.

Le passage le plus important des Remarques concerne la partie noble de l’art : la disposition de l’invention de choses qui permet de faire « un choix convenable à l’Histoire que l’on traite… » et la disposition de distribuer ces mêmes choses « chacune à  sa place », qui « accommode les Figures et les Groupes en particulier et tout l’ensemble du tableau en général ».

Félibien distingue la partie noble de la peinture (: la composition conforme à la théorie de l’art, ce qui relève à la fois du savoir et de l’imagination et qu’on peut avoir sans être peintre) et le domaine plus pratique de la couleur et du dessin. Pour de Piles en revanche, la disposition relève d’une activité intellectuelle par laquelle le peintre pense son oeuvre en termes spatiaux. La disposition acquiert un statut théorique car elle est responsable de « l’économie du Tout-ensemble » c’est à dire de l‘harmonie de l’ensemble. Et il donne le fameux exemple de la grappe de raisin qu’utilisait Titien pour illustrer les idées d’harmonie des tons, de la graduation des ombres et de la lumière dans ce fruit à la fois pour chaque grain et pour tous ensemble.

Roger-de-Piles-da-The-Principles-of-Painting-1743

« Démonstration d’unité d’objet », Roger de Piles, Cours de peinture par principes, 1708, 1e édition en 1666 (édition anglaise, 1747).

La disposition est un savoir spécifique du peintre qui ne doit rien aux mathématiques, aux belles lettres ou à l’anatomie, n’en a pas moins sa noblesse propre : « Mais pour l’économie du Tout-ensemble, il n’y a que le peintre seul qui l’entende ; parce que la fin du peintre est de « tromper agréablement les yeux, ce qu’il ne fera jamais si cette partie lui manque ». Ici de Piles évoque la question de la vérité et répond à l’objection du « fard ». La peinture étant par essence « tromperie qui procure elle même un agrément ». L’effet de vrai est lié à l’ensemble du tableau et non au sujet représenté. La disposition ouvre donc un espace de liberté à l’artiste, sur lequel il n’a des comptes à rendre à personne (ni même au roi ?).

B. La Querelle et la théorie du coloris.

En 1671, Philippe de Champaigne, proche du rigorisme des milieux jansénistes et pourtant admirateur de Titien, blâme les coloristes qui privilégient un « bel éclat extérieur » qui leur fait « oublier l’âme et l’esprit » qui doivent animer « un beau corps ». La couleur serait donc du côté de l’immoralité, du mensonge, de la dissimulation.

Roger de Piles répond avec son Dialogue sur le coloris (janvier 1673).

Reprenant les arguments de Gabriel Blanchard  (1630 – 1704), de Piles rappelle que comme Dieu crée le corps avant l’âme, le peintre dessine avant de colorer. Le dessin n’est donc pas premier dans la hiérarchie puisque l’âme est supérieure au corps. Mais de Piles va plus loin que Blanchard. Il distingue couleur (domaine pratique des « broyeurs de couleurs » comme disait le Brun)  et coloris en assignat à ce dernier, au même titre que le dessin, de corriger la nature : « un habile peintre ne doit point être esclave de la nature, il en doit être arbitre et judicieux imitateur. La bonne imitation n’est donc pas de l’ordre de la ressemblance mais il s’agit, grâce au clair – obscur et au coloris, de rendre « plus vrais que les véritables » les objets représentés. Selon les conseils de Roger de Piles, il ne sert à rien d’asservir la peinture aux maîtres et aux modèles. Il faut une réflexion théorique personnelle qui permet aussi des effets de « surprise » comme chez Rubens.

De Piles devient ainsi le théoricien attitré du coloris. Les rubénistes gagnent du terrain comme en témoignent ses Conversations sur la connaissance de la peinture publiées en 1677 et qui mettent en scène six amateurs, parfois collectionneurs, pour lesquels il s’agit d’acquérir la valeur du jugement de goût par la connaissance personnelle des oeuvres en lisant p. ex.  les ouvrages des spécialistes. le « plaisir des yeux », l’effet de « surprise », et ce du « premier coup d’oeil ». Le sujet semble passer au second plan tout comme l’imitation servile des anciens qui conduit Poussin à « faire de la pierre ». Félibien lui même dans son 5e Entretien fait l’éloge de Rubens dont le génie exprime « la puissance et les charmes de l’art » alors que de Piles publie en 1684 Les premiers éléments de la peinture pratique.

C. L’idée et le « Cours de peinture » : l’appel du tableau.

loadimg

Artis et Naturae Fœdus (:Traité), Le génie réunit la nature et l’Art. Gravure extraite du Cours de peinture par Principes édité à paris en 1708 : 

Préface de Thuillier ici : http://www.cineclubdecaen.com/peinture/livres/coursdepeintureparprincipes.htm

C’est la nomination, par le nouveau Surintendant des Bâtiments Hardouin-Mansart, de Charles de La Fosse, ami de de Piles, à la direction de l’Académie de Rome en remplacement de Coypel (poussiniste) qui apaise l’atmosphère. De Piles publie son Abrégé de la Vie des peintres avec un volume intitulé L’Idée du peintre parfait destiné aux « curieux » plus qu’aux peintres.

 Simonneau Frontispice Abrege de la vie des peintres Roger de Piles 1699

Frontispice de l’Abrégé par Simmoneau d’après Coypel. 2e Ed. 1715.

L’Abrégé comprend un sorte de dialogue entre l’auteur et lui même, des notices sur des artistes des réflexions « théoriques » des remarques parfois très courtes dont un porte sur le dessin et un autre sur l’estampe.

Rien dans cet ouvrage sur le « fard », pas de polémique.  Le premier chapitre est consacré au « Génie ». L’auteur affirme que le savoir normatif ne vaut rien sans l’exercice non pour son contenu. le génie doit s’en servir mais il a besoin d’être « cultivé » pour s’en rendre maître. Il s’agit pour lui  de s’approprier le visible pour en rendre la grâce. « Un Peintre ne la tient que de la Nature, il ne sait pas lui même qu’elle est en lui, ni à quel degré la possède, ni comment la communiquer à ses Ouvrages : elle surprend le spectateur qui en sent l’effet sans en pénétrer la véritable cause ».  La grâce s’oppose à la beauté qui plaît par  les « règles ». Ainsi l’irrationnel prend le dessus sur le plaisir intellectuel que procure l’oeuvre de l’artiste savant. Les Académiciens (Perrault) ont tenté de récupérer l’idée du « tout ensemble » pour établir une hiérarchie esthétique  :

– Aux Anciens l’imitation fidèle touchant tout spectateur (par les sens) -> Oiseaux de Zeuxis

– Aux Italiens l’expression des passions touchant les « êtres sensibles », le coeur

– Aux Français (Poussin, Le Brun) la « composition du tout ensemble » réservée à l’École française.

De Piles répond fermement : le tout-ensemble touche directement tout spectateur. Il suggère une autre généalogie :

aux Anciens le dessin, aux Italiens l’expression des passions, aux Vénitiens et à Rubens le « tout-ensemble ». Par ailleurs il dénonce la domination du sujet d’histoire et de l’expression des passions à cause des « gens de lettres » dont il déplore « l’idée imparfaite de la peinture ». Dans son Cours de peinture par principes il ressemble ses conférences prononcées à l’Académie en ajoutant trois chapitres, sur le coloris, sur le paysage et sur le portrait. Il critique implicitement Le Brun et sa taxonomie des passions et réaffirme l’importance de l’anatomie mais aussi de la liberté de l’artiste quant au clair – obscur. Il semble que pour de Piles le tableau soit un objet de désir, divertissement, instruction et beauté. Quel que soit le genre (portrait, paysage et nature morte compris) l’artiste doit faire preuve d’invention autour de deux pôles, loin d’être antinomiques et plutôt complémentaires : le vrai simple (tel qui se présente dans la nature) et le vrai idéal (sous entendu à l’antique). Incontestablement la couleur, le « fard » est du côté du vrai simple et du coloris propre à exprimer le génie alors que le dessin relève davantage du travail et de l’habitude.

Les positions partiellement subversives de de Piles (vers 1700 il semble tenter une sorte de synthèse entre les deux positions) sont restées sans lendemain, lui même ne voulant pas aller au bout de la remise en cause de la peinture en interrogeant par ex. la ressemblance. Le XVIIIe siècle le lit et le cite mais s’abstient de suivre ses propositions les plus novatrices et affirmant à nouveau la primauté du sujet d’histoire. Même Diderot, qui savait apprécier le coloris, se complaît dans une posture platonicienne. Sans de Piles cependant, aurions-nous eu un Chardin même si ce dernier ne l’a jamais lu ?

II. La facture et le coloris : ce qui fait peinture.

Nous avons vu qu’à l’origine (XVe – XVIe) la prépondérance du dessin sur le coloris est une conséquence de l’anoblissement de l’art (selon l’expression « cosa mentale » de Léonard). Dans ce cas, comment argumenter pour valoriser la couleur ? La difficulté de Roger de Piles était de valoriser la couleur en la classant elle aussi dans le domaine de l’intelligence alors qu’elle était associée à la part pratique du métier et qu’elle s’adressait d’abord aux sens.
Dans son Dialogue sur le coloris (1673),  de Piles explique que « le coloris est non seulement une partie essentielle de la peinture, mais encore qu’il est sa différence, et par conséquent la partie fait le peintre, de même que la raison est la différence de l’homme est ce qui fait l’homme ». Il affirme également que l’ambition de la peinture est d’imiter la nature le plus parfaitement possible. S’il défend la couleur, c’est parce qu’elle est la plus à même de rendre la « magie » de la nature.

Plusieurs fois dans le Dialogue, il déplore le manque d’intérêt des peintres français pour le coloris, indifférence qui vient de l’ignorance. En effet, si quelques artistes étaient sensibles au coloris (Jacques Blanchard, Sébastien Bourdon), Le Brun, Henri Testelin, Jean-Baptiste Champaigne, Noël Coypel ne semblaient pas concernés par les possibilités expressives de la couleur.

Même un artiste proche de Roger de Piles comme Charles de la Fosse (voir ici) dans son morceau de réception à l’Académie, L’enlèvement de Proserpine, semble en retrait au niveau du coloris :

De la Fosse Proserpine 1673, huile sur toile 115 x 174 cm ENBA

Charles De la Fosse L’enlèvement de Proserpine 1673, huile sur toile 115 x 174 cm ENBA. Paris.

En revanche, le Siège de Maastricht de Joseph Parrocel (1646 – 1704) proposé à l’Académie en 1676 est d’une facture beaucoup plus libre ignorant l’importance du dessin et de la forme dans l’École française.

Joseph Parrocel, Le sie?ge de Maastricht 1676, huile sur toile, 142 x 185 cm, Muse?e de Versailles .

Tableau situé à la frontière de plusieurs genres : Histoire, paysage, scène de genre. Parrocel semble très bien maîtriser le coloris : il utilise le même procédé pictural (reflets colorés de lumière blancs, bleus, roses et jaunes au milieu du nuage de fumée) pour mettre en valeur les personnages principaux et la ville au loin. Cette originalité ainsi que la touche épaisse, particulière à Parrocel, contribue à faire de ce morceau de réception du jeune artiste un tableau remarqué comme en témoigne sa citation dans une Conférence à l’Académie dès 1685.

Entre le partisans d’une beauté intellectuelle de l’art pour qui la facture n’est qu’une sorte d’enveloppe visible d’une idée plus profonde et défenseurs d’une beauté émotionnelle, sensible de l’art pour qui la facture est justement la différence qui fait par essence peinture, les positions peuvent sembler inconciliables.

A. L’intérêt pour le faire, (la facture : la touche, la pâte), en italien le « pittoresco ».

Quelle place tient la facture dans la défense du coloris ?

En général, les partisans du coloris parlent peu de la facture se limitant à mettre en avant le phénomène lumineux. Mais dès la deuxième moitié du XVIe siècle, certains Vénitiens ont essayé une nouvelle manière de peindre en prenant le contre-pied de la facture lisse qui dominait jusque là.

Titien, Enfant avec des chiens, 1565-1576, huile sur toile 99,5 × 117 cm, Rotterdam, musée Bojmans van Beuningen.

La peinture en tant que matière colorée est laissée volontairement visible, l’exécution n’est plus dissimulée par les fondus et les glacis des couches  huileuses. En Italie, on parlé de « pittura della macchia » (« peinture de la tache »). En France, le maniement du pinceau ne semble pas attirer l’attention des théoriciens. Il est assimilé à la plume de l’écrivain. Mais dans l’Italie du XVIIe siècle on invente le mot « pittoresco » pour désigner lien profond entre les moyens et le résultat de la peinture, entre peinture – matière et peinture oeuvre d’art. C’est le Vénitien Marco Boschini qui dès 1660 publie un ouvrage (La carta del navegar pittoresco) non pas théorique mais plutôt une promenade d’amateur à la recherche du plaisir visuel. Il veut transmettre ses sentiments, ses impressions personnelles. La couleur contient tous les éléments : l’idée et l’exécution grâce à la « fureur » créatrice du génie artistique. Plus encore, alors que le dessin s’apprend par le travail, la couleur est la seule marque du tempérament créateur de l’artiste, la marque de son génie propre.

B. Mais la « fureur » du génie créateur ne fait pas l’unanimité.

Les textes sur la facture sont assez rares en France au XVIIe siècle. La part purement visuelle de la peinture, celle qui procure le plaisir des yeux semblait moins morale, presque suspecte. Même si Félibien, qui reconnaît que le coloris peut être agréable mais qu’il ne sert pas l’illusion. La matière ne peut pas être un objet de délectation. Mais la nuance va aussi en sens inverse. De Piles critique Titien dans l’Abrégé de la vie des peintres (1699),  en lui reprochant son infidélité à l’histoire, sa négligence de l’antique. Sur la facture il reconnaît en revanche sa qualité de « modérer une couleur par une autre » et d’effacer « les apparences d’une main libre » tout en préservant « les marques sensibles de cette liberté » qui réjouissent les yeux quand (…) elles procèdent (…) du feu de l’imagination ».

Titien, La Vierge à l’Enfant avec sainte Catherine et un berger, dite La Vierge au lapin. Vers 1525 – 1530. Huile sur toile, 71 cm x  87 cm, Paris, Musée du Louvre.

Voir ici : http://musee.louvre.fr/oal/viergeaulapinTitien/viergeaulapinTitien_acc_fr_FR.html

et ici http://musee.louvre.fr/oal/viergeaulapinTitien/indexFR.html

A travers cet exemple Roger de Piles veut montrer le caractère à la fois achevé de l’art de Titien et l’aspect sous-jacent du caractère vivant de sa peinture. Selon lui, les marques sensibles de la facture découlent de l’acte créateur.  Noël Coypel reprendra cet argument en appelant à la fin du travail du peintre à « gâter » les tableaux par « des coups de pinceau légers et spirituels…afin d’en « ôter la fade propreté et la froide uniformité (…) » et les « animer (…) par l’art du dessin et les charmes du coloris… ». Cependant, Coypel modère son propos en invitant le peintre à soigner sa facture par un « pinceau animé sans être trop brusque ; hardi sans être dur ; moelleux sans être léché… »

Plus encore que Titien, Tintoret était l’expression la plus profonde de la « fureur » picturale dont la rapidité d’exécution n’est pas un effet de virtuosité gratuite mais la volonté de se démarquer du style lisse et poli du maniérisme florentin.   Mais si Boschini le valorise beaucoup, les auteurs français semblent moins loquaces à son sujet. Félibien reconnaît « sa facilité à composer de grands sujets (…) » mais sans « finir toutes les parties du tableau (car) il préféroit le feu de l’imagination & et l’abondance des expressions à ce qui regarde l’achèvement de l’ouvrage ».  Roger de Piles parle de son génie « fécond et facile » en fait un véritable modèle de la « vivacité de son imagination ». Son pinceau est « ferme & très vigoureux ; son labeur facile : ses touches spirituelles ». Tintoret est « un modèle des plus capables de donner de l’ardeur à un jeune homme qui veut peindre avec un bon goût de couleur une manière expéditive ». Il fallait de l’audace pou introduire Tintoret parmi les modèles pour la formation des jeunes artistes.

L’autre artiste du pittoresco dont de Piles analyse la facture est Rembrandt. Félibien est un peu embarrassé face à la visibilité de la touche du Hollandais qui couchait  » à grands coups de pinceau les couleurs fort épaisses, les unes auprès des autres, sans les noyer ni les adoucir ensemble. ».  Dans la typologie des peintres qu’établit de Piles dans l’Abrégé, il les classe en les notant sur vingt.

Voici la notation des grands maîtres par Roger de Piles :

Si Rembrandt n’a que 12 en dessin, il obtient 15 en composition et 17 en coloris juste derrière les premiers Giorgione et Titien qui reçoivent 18/20. La position des théoriciens français est finalement ambigüe. D’un côté ils reconnaissent la « fureur » du génie qui transparaît dans la visibilité de la touche des Vénitiens mais lorsqu’ils théorisent ils prônent toujours la maîtrise  de soi. Sur l’imitation de la nature, les expressions, les draperies, l’accord des couleurs de Piles ne fait que peu d’allusions aux vertus proprement picturales du tableau. « Le pinceau libre est peu de chose si la tête ne le conduit & s’il ne sert à faire connoître que le peintre possède l’intelligence de son art ».

D’une manière générale les Vénitiens étaient les maîtres en la matière. Mais le danger du pittoresco était qu’il remettait en cause la définition même de la peinture comme art de l’imitation de la nature par le dessin et les couleurs. Le « tachisme » bousculait cette définition. Car la nature est une peinture finie à la perfection. Un accent brutal de couleur dans un tableau mettant en valeur la réalité de la peinture – matière détourne l’art de son ambition d’imitation.

Andrea Schiavone, Le Jugement de Midas vers 1548-50 huile sur toile 167 x 198 cm Windsor Royaume Uni. (Voir ici)

 Les figures sont placées  dans un beau paysage vénitien qui semble reprendre celui de sa propre interprétation (Kunsthistorisches Museum , Vienne, voir ici) datée du début des années 1550, de la « Vierge à l’enfant et Sainte-Catherine » de Titien vers 1532 ( National Gallery , Londres). La composition semble au même titre que le « Dépouillement de Marsyas  » de Titien, célèbre tableau aux accents sauvages (vers 1570 à 1576, Palais de l’archevêque de Zamek un Zahrady, Kromeríz, Rép. Tchèque), du fameux dessin de Giulio Romano (Louvre, voir ici). L’attitude d’Apollon et Midas et le coup de pinceau quasi impressionniste avant l’heure utilisé pour renforcer l’ambiance dramatique de l’histoire.

Titien pousse très loin l’affirmation de la tache et de la touche dans son sauvage Dépouillement de Marsyas :

Titien, Dépouillement de Marsyas. Vers 1570–1576 huile sur toile 212 cm × 207 cm National Museum, Krom??íž.

Ces tableaux montrent justement jusqu’où peut aller la volonté de l’artiste de mettre en avant la matérialité de la peinture au risque de manquer d’humilité face à la nature, de respect de la « bienséance » (Noël Coypel).

C. Les peintres français.

Ces critiques sont bien compréhensibles dans une école française qui a toujours préféré la peinture lisse, le fini. Comparons justement deux panneaux portant sur le même sujet : La Descente de Croix. Le premier est de Rubens et date de 1612 :

Peter Paul Rubens (1577–1640), La Descente de Croix. 1612-1614, Triptyque, huile sur bois, 420 × 310 cm. Anvers Cathédrale Notre-Dame.

Son biographe Bellori parler de « l’agilité » et de la « frénésie de son pinceau ». Rubens préparait les panneaux en bois d’une couche de plâtre blanc ce qui facilitait le effets de glacis et de transparence.  Rappelons qu’il faisait travailler beaucoup d’assistants dans son atelier d’Anvers privé de fenêtres et éclairé uniquement par une ouverture au plafond. Il réalisait à la craie  un dessin préparatoire sur la toile ou le panneau en indiquant ça et là les couleurs qu’il terminait lui-même par la suite. Dans le Cycle de Marie de Médicis, les tableaux sont unifiés par le coloris: une base de gris froids associés ici ou là au vert, lui même rythmé par les tonalités rouges d’une grande puissance.

Le deuxième panneau est peint par Charles Le Brun, en pleine Querelle du Coloris peint pour le Couvent des Carmélites de Lyon. On peut le lire comme une sorte de traduction du tableau de Rubens (connu par des gravures et par un esquisse préparatoire possédée par Richelieu) dans le langage plastique, chromatique et iconographique français. les détails trop réalistes comme ce personnage tenant le linceul avec ses dents ne sont pas de mise ici. De même pour le corps du Christ héroïsé au lieu de s’affaisser comme chez Rubens. A l’effet du « tout-ensemble » rubéniste Le Brun préfère individualiser rationnellement les figures afin de mieux exprimer  les passions des saintes femmes p. ex. Si l’émotion est partagée à parts égales dans les deux oeuvres, le langage plastique de Le brun est plus châtié. Malgré l’utilisation de couleurs lumineuses, fortes, notamment des contrastes de tonalités primaires, Le Brun renonce à la rhétorique du coloris chère à Rubens, et à Roger de Piles.

Charles Le Brun, Descente de croix, vers 1680, huile sur toile, 545 x 327 cm, Rennes Musée des beaux Arts :

Même si à la fin du XVIIe siècle la peinture française est plus portée sur le coloris qu’au milieu du siècle, , elle ne s’aventure pratiquement jamais dans le mode de la tache. Rares sont les artistes qui utilisent une touche empâtée comme Claude Vignon :

Claude Vignon, David avec une épée et la tête de Goliath, 1621, huile sur toile. H:133,7 cm × L:98 cm. Blanton Museum of Art, University of Texas at Austin.

D’autres en revanche comme Jean Jouvenet (1644-1717), formé à l’école de Poussin et de Le Brun, même s’ils ne sont pas insensibles au coloris, ils n’en font pas le fondement de leur esthétique. C’est plutôt le dynamisme de la composition, la qualité du dessin et enfin l’intensité des couleurs qui les caractérisent plus que la visibilité de la touche et la facture.

Jean-Baptiste Jouvenet, Apollon et le char du soleil avec l’assemblée des dieux de l’Olympe,  vers 1680-1690. Huile sur toile. (Musée des beaux-arts de Reims).

La vigueur du style reste toujours liée à la représentation du drame même si l’art de Charles de La Fosse vibre d’un chromatisme sensible s’inspirant de Titien :

Charles de La Fosse (1636–1716) , Clytia changée  en héliotrope, 1688, huile sur toile, 131 x 159 cm Palais de Versailles, Grand Trianon.

De La Fosse pousse plus loin encore le coloris à la manière de Titien et de Véronèse qu’il a pu admirer à Venise dans ce tableau somptueux :

Charles de La Fosse Présentation de la Vierge au temple 1682 huile sur toile 307 x 401 cm Toulouse Augustins

Si le résultat est du plus bel effet sur le plan du coloris, on ne trouve pas cependant l’énergie de la pittura di macchia chère à certains Italiens comme le napolitain Salvatore Rosa.

Salvator Rosa (1615 -1673), Bataille de cavaliers, 1645-1652, huile sur toile, 148 x 218 cm Auckland Art Gallery.

Pierre Mignard Mademoiselle de Blois 1686 Huile sur toile 130 x 96 cm Versailles Muse?e du Château.

Peintre réputé à la Cour de Louis XIV, notamment pour ses portraits et son coloris éclatant de beauté (mais dans une facture plutôt lisse), Pierre Mignard s’était tenu à distance de l’Académie à cause de sa rivalité avec Charles Le Brun. Louis XIV l’appréciait et n’a pas manqué de l’y nommer après la mort du Directeur Le Brun. Il faisait partie des Rubénistes et il était ami proche de Roger de Piles.

C’est dans le sud de la France, du côté des peintres de Marseille, de Toulouse, de Lyon qu’il faut chercher des peintres qui usent de la touche empâtée ou fluide, à l’exécution emportée, voire négligée. Le meilleur de ces peintres provinciaux au tournant du XVII au XVIIIe siècle est sans doute Joseph Parrocel :

Joseph Parrocel Le retour de la chasse  vers 1700, huile sur toile 19 x 104 cm. Londres. National Gallery.

 Joseph Parrocel Soldats partageant un butin au sommet d’une montagne, Hamilton, Picker Art Gallery

« Il eut en partage un coloris si fort et si brillant qu’il y a peu de tableau qui fassent autant d’effet que les siens » écrit Pierre-Jean Mariette (1694 – 1774), amateur, historien d’art et collectionneur. Mais Parrocel eut du succès avec des peintures de batailles et de chasse. On ne considérait pas de la même manière ces sujets de genre et les sujets d’histoire. Félibien par exemple, reconnaît le « génie » de Rosa dans la peinture de batailles mais « il n’estoit pas agréable dans les autres grands sujets ». Edme-François de Gersaint écrit à propos des Soldats partageant un butin ci dessus que le tableau était peint et « touchez » « aussi artistiquement & pittoresquement que par Jacob Bassan » (: Bassano). Il s’agit ici d’une des premières fois que le mot « pittoresque », au sens étymologique, est utilisé en français. La touche devient un des critères importants du commentaire de l’oeuvre.

D. Une inversion des valeurs au XVIIe et au XVIIIe siècles ?

C’est dans l’intimité du cabinet d’amateur que la sensibilité à la tache et à la touche gagne ses lettres de noblesse. L’idée de s’éloigner du tableau pour voir comment la tache se fond dans le tout est préconisée par Félibien et par de Piles pour appréhender la manière « très particulière » des tableaux de Rembrandt :

« Par l’éloignement, les coups de pinceau fortement donnez & cette épaisseur de couleurs que vous avez remarquée, diminuent à la veuë & se noyant & se meslant à l’ensemble, font l’effet qu’on souhaite » écrivent Félibien et de Piles en 1699.

« Les coups de pinceau sont marquez d’une épaisseur de couleur si extraordinaire, qu’un visage (peint par Rembrandt) paroist avoir quelque chose d’affreux, lorsqu’on le regarde un peu près. » dit Pymandre, l’interlocuteur de Félibien dans les Entretiens.

Rembrandt, Autoportrait en Saint Paul,  1661 huile sur toile 93 x 79 cm Rijksmuseum Amsterdam.

Rembrandt, Autoportrait en Zeuxis (ou Démocrite), 1668-69, huile sur toile, 82,5 x 65 cm, Wallraf-Richartz Museum, Cologne.

Sur la matérialité de la peinture de Rembrandt lire impérativement cette page du Cours de Khâgne : (parties sur couleur, matière, lumière)

http://lewebpedagogique.com/khagnehida/archives/822

Ce changement de regard vis à vis du tableau est une véritable révolution dans la réception de la peinture et le jugement esthétique.

A la fin du XVIIe siècle, avec ces changements doctrinaux et la diversité des collections on assiste à un véritable retournement du goût. La visibilité de la facture devient un critère d’appréciation réservé aux « connoisseurs » (( les conoscitori italiens). C’est à eux que s’adresse Rembrandt et cela n’a rien à voir avec un quelconque sacrifice au nom de l’art comme la tradition romantique de l’artiste maudit l’a affirmé au XIXe siècle.

Joseph Parrocel, Le retour de la chasse  vers 1700, huile sur toile 19 x 104 cm. Londres National Gallery

A propos de ce tableau de Parrocel, Mariette écrivait : « Cette manière qui n’est guère que pour les sçavans et les connoisseurs, l’empecha d’estre fort occupé »

L’amateur d’art se détourne du sujet littéraire ou historique et même de l’illusionnisme pour s’intéresser à la manière, donc à la matière. La picturalité lui révèle le mouvement de la main de l’artiste (voir réflexions du cours de Khâgne sur le toucher de Rembrandt et la représentation de la main -> Autoportrait aux deux cercles (-> ici)où la main a disparu au profit des pinceaux, de l’appui-main et de la palette), qui fait surgir l’intention intime du peintre. Ce moment de découverte peut être aussi bouleversant, voire plus que la narration ou le trompe-l’oeil. Si le dessin, le clair obscur peuvent s’apprendre, la touche est la part individuelle, intime, le génie propre de chaque peintre.

Un exemple :

Rembrandt Jésus et les Pèlerins d’Emmaus papier sur bois 1628 39x42cm Paris muse?e Jaquemart André.

Le jeu de lumière n’est pas un simple effet plastique. Il prend une dimension symbolique intégrée dans le récit. Dans Les pèlerins d’Emmaüs, la source de lumière est entre le disciple et le Christ qui reste en contre-jour pour le spectateur au premier plan (à peine visible), presque une ombre majestueuse. C’est la lumière qui émane du Christ, une lumière intérieure qui fait référence à la Révélation, à la Vérité immatérielle. Mais au fond du tableau, la lumière naturelle du foyer est présente également.

Au milieu du XVIIIe siècle, l’abbé Du Bos se moquait de la qualité idiosyncrasique de la touche : « L’expérience enseigne que l’art de deviner l’auteur d’un tableau, en reconnaissant la main du maître est le plus fautif de tous les arts après la médecine ». Mais l’historien de l’art Dezallier d’Argenville lui répondit : « Si cet auteur avoit eu quelque pratique de la peinture, ou un peu plus de connoissance dans cet art, il auroit sçu qu’un coup de pinceau, qu’une seule touche d’arbres dans un tableau, découvre son auteur ».

E. La reconnaissance de l’inachevé. 

L’ultime transgression du dogme classique est la reconnaissance du statut de l’inachevé à commencer par le dessin.

Dezallier d’Argenville transgresse davantage le dogme académique en regrettant qu’un artiste « en peignant un tableau se corrige et réprime la fougue de son génie ; en faisant un dessin il jette le premier feu de sa pensée il s’abandonne à lui-même ; il se montre tel qu’il est ».  « Les desseins touchez & peu finis ont plus d’esprit & plaisent beaucoup davantage que s’ils étoient plus achevez ».

Il disait aussi qu’un dessin « peiné, léché », est rarement le signe d’un original. « Peut-on s’imaginer que « de garnds peintres tels que raphaël, Titien, Véronèse, Rubens et Vandick dont le génie était sublime et si fécond, ayent pu se captiver au point de finir et terminer un dessin comme le feroit un graveur ? La vivacité de leur génie ne leur permettoit pas un tel travail ». 

Si l’école française du XVIIe siècle penchait pour l’achevé, l’exécution lisse, Joseph Parrocel, Charles de La Fosse  ou Jean-Baptiste Corneille ont réalisé des petites peintures semblables à des esquisses qui ont pu être vues comme des oeuvres à part entière puisqu’il y avait un marché de ce type de tableaux. Cela prouve que le regard sur le pittoresco avait changé dès la fin du XVIIe siècle. Cependant, c’est au XVIIIe siècle que l’esquisse gagne un nouveau statut. Les collections s’enrichissent de ces petites oeuvres (peintures ou simples dessins) qu’on regarde de près. D’une conception philosophique, scientifique, intellectuelle  du dessin héritée de la Renaissance (le dessin a annobli la peinture et la sortie de l’artisanat) on passe à une « conception coloriste » du dessin (J. Lichtenstein)

Même si Watteau et Chardin s’inscrivent dans ce contexte de « réconciliation » entre dessin et couleur (en suivant cependant des cheminements opposés car le premier se sert de dessins de figures qu’il place ensuite dans ses compositions colorées alors que Chardin réalise ses natures mortes directement par observation longue et directe afin de saisir à la fois la forme et la couleur de l’objet), l’artiste majeur ayant aboli les frontières entre fini et non fini, entre esquisse, dessin et tableau est Fragonard. Il a bien assimilé les leçons des vieux maîtres vénitiens à commencer par « la visibilité de la touche » de Tintoret. Sa vigueur, son dynamisme ne pouvaient que séduire l’artiste fougueux qu’était Fragonard et pour qui la distinction première ébauche, étude, esquisse ou composition définitive était abolie.

Conclusion.

A la fin du XVIIe siècle, le plaisir de regarder un tableau remet en cause la théorie classique. Mais la querelle du coloris n’a pas été jusqu’à démolir l’édifice esthétique construit depuis la Renaissance. Les artistes et théoriciens académiques ont préféré opter pour l’apaisement en conciliant, comme le faisait Noël Coypel (directeur de l’Académie au début du XVIIIe), Rembrandt et Corrège.

Voici un tableau qui incarne cette union du dessin et de la couleur appelée de ses voeux :

Guido Reni (1575-1642) L’Union du dessin et de la couleur, vers 1620-1625 diamètre 121 cm Paris, Musée du Louvre.

Entré dans la collection de Louis XIV en 1685, le tableau représente allégoriquement le dessin sous les traits d’un jeune homme qui paraît plein de sollicitude envers la couleur, jeune femme discrète coiffée d’un turban (image classique de la couleur associée à l’Orient et à la féminité depuis l’Antiquité). Le dialogue muet semble incarner l’union symbolique des deux au point qu’on peut se demander si l’acquisition du tableau n’était pas une manière de calmer les deux camps. D’ailleurs, l‘art de Guido Reni était considéré dans l’Académie comme une synthèse réussie de la correction du dessin et des charmes de la couleur. La recherche d’un compromis annonce le discours convenu de Noël Coypel qui dénonce « la guerre pittoresque » dès sa prise de fonction en 1695. Poursuivre dans la querelle c’est « vouloir suivre le conseil de Toinette dans le Malade Imaginaire : c’est vouloir couper un brans, afin que l’autre se porte mieux, et se faire crever un oeil pour voir plis clair de l’autre » (Conférence sur le rang du dessin et du coloris en 1697)

Si le goût pour le pittoresco gagne du terrain au XVIIIe siècle avec Watteau et surtout Fragonard, il faudra attendre le XIXe pour que la touche connaisse en France son véritable épanouissement notamment grâce à Delacroix érigé en « plus grand coloriste » du siècle par Charles Blanc.

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