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E-MAIL DE SOLEIMAN A LA BARRIÈRE DE CEUTA

De : Soleiman.saad402@gmail.com
A : barrièredeceuta@gmail.com
Objet : Le commencement d’une nouvelle vie
Date : 29/11/2023

Bonjour Barrière de Ceuta

Tout cela me revient : mes derniers adieux à ce café sur la place de l’Indépendance, à ces visages et paysages familiers qui avec le temps se brouillent jusqu’à devenir un lointain souvenir de cette vie, où je me sentais à ma place. Je me souviens de cette séparation déchirante avec mon frère malade, qui m’avait donné envie de renoncer à ce voyage. Avant de finalement l’accomplir en l’honneur de ma moitié, de mon Jamal. Je n’oublierai jamais ma mère et mon histoire, qui sont maintenant derrière moi, mais qui suivront à tout jamais, les traces de mon ombre. J’honore Massambalo qui m’a protégé et donné la force de résister, jusqu’au bout. J’ai été si heureux lorsque je l’ai rencontré, il était si divin. Grâce son pouvoir, il m’a redonné du courage, et du sens à mes objectifs. Je ne sais pas pourquoi je te raconte tout ça, Barrière meurtrière, tout cela ne t’affecte guère puisque tu as été construite pour nous tuer. Tu nous fais tomber alors que nous sommes déjà à bout de forces. Tu montres chaque jour que nous n’avons pas notre place de l’autre côté et nous sommes à tes yeux, que des bêtes sauvages, qui courent et qui échouent. Des milliers d’hommes ont vécu dans l’urgence et la peur avant d’arriver jusqu’à toi, pour finalement mourir à tes pieds, devant tes gardes. Les plus chanceux arrivent à te franchir, en laissant parfois des frères derrière eux. Ils voient leurs vies changer à tout jamais, c’est la survie de chacun.

J’aimerais te raconter une histoire d’errance : la mienne. Je suis fier de te prouver qu’on peut te franchir, en réunissant nos dernières forces et derniers espoirs.

Voici mon voyage :

Après avoir quitté mon frère, je n’ai pas une seule seconde cessée de penser à lui et sa maladie, qui le ronge de jour en jour. Pendant que mes pensées divaguaient, moi et une vingtaine de personnes étions entassées dans une camionnette, il faisait très chaud, tout le monde suait et la fatigue se faisait sentir en attendant les passeurs. Mon frère me donnait de la force pour ne penser qu’à moi et ne pas m’attarder sur le sort des autres. Tout d’un coup, des hommes ont surgi et ont brandi des armes sur nous. Ils ont pillé les seules richesses qui nous restaient et nous ont frappé jusqu’au sang. Cette trahison a laissé en moi la rage et la douleur. Je me suis ensuite évanoui. En me réveillant, j’ai rencontré Boubakar. Son combat pour survivre a commencé il y a 7 ans, avec une jambe boiteuse. J’ai instantanément ressenti de l’admiration pour lui. Il est devenu peu à peu, comme un deuxième frère. Il m’a appris qu’à deux, nous avions deux fois plus de chances de nous en sortir. Cependant, en faisant un arrêt à Ouargla, j’ai totalement dévié. J’ai suivi un marchand, et l’ai frappé de toutes mes forces au visage. Je l’ai fouillé et récupéré tout ce qu’il possédait. Peut-être parce qu’on n’avait plus d’argent, peut-être pour apaiser ma rage et ma douleur… Après cet acte égoïste, je me suis sentie comme une bête, je me dégoutais. Lorsque j’ai tendu la moitié de la liasse à Boubakar, il ne m’a pas posé de questions, mais il a compris. J’ai lu de la tristesse dans ses yeux. C’est à ce moment-là que je suis devenu comme lui : j’ai commis une atrocité pour survivre et gagner du temps, mais j’en suis si peu fier. En fin d’après-midi, tandis que j’attendais Boubakar dans les rues de Ghardaïa, j’ai senti une présence inhabituelle et j’ai compris tout de suite, à qui j’avais enfin affaire. J’étais fasciné, heureux et apaisé. On les appelle « les ombres de Massambalo ». Elles sont présentes sur les routes clandestines, pour donner de l’espoir aux âmes perdues, qui cherchent l’Eldorado. Je me suis approché de l’ombre et lui ai offert en offrande, la seule richesse qu’il me restait, l’objet qui me tenait le plus à cœur, mon beau collier de perles vertes, celui de Jamal. En retournant voir Boubakar, je n’ai jamais eu autant d’espoir. J’ai décidé de garder ma rencontre secrète et de me laisser emporter, par cette force invincible. C’est à partir de là que nos chemins vont se croiser, Barrière de Ceuta. Arrivé au Maroc, nous nous sommes dirigés vers le camp, situé près de ta frontière. Nous avons décidé de te franchir pendant la nuit. En effet, cela était encore une fois dans l’urgence, puisque les policiers venaient férocement vandaliser notre camp le lendemain. Le but était aussi de vous prendre par surprise, toi et tes gardes. Nous avions donc prévu de courir comme des bêtes vers toi sans s’arrêter avec des échelles tissées de nos mains abimées. Nous savions tous que les plus chanceux passeraient et les autres payeraient les représailles, en étant battu et abandonné dans une contrée lointaine. J’étais très inquiet pour Boubakar et sa jambe, mais je n’avais jamais vu, une telle détermination dans son regard. C’était maintenant ou jamais Il me supplia de l’abandonner s’il échouait et de courir sans m’arrêter. Je me suis senti à ce moment-là, horriblement seul, mais fort. Je me rappelle du moment où Abdou cria : « À l’attaque » pour lancer la course. Nous étions cinq cents émigrés contre quinze hommes espagnols. Cinq cents qui courent vers une vie rêvée, mais qui vont pour certain voir leur destin se briser sous leurs yeux. Les gardes espagnols n’ont pas hésité à tirer des balles, des bombes lacrymogènes puis ils chargeaient avec leurs matraques. Des corps tombaient et s’écrasaient contre le sol. Tout le monde se bousculait et se heurtait les uns aux autres. En plus de nous blesser avec tes barbelés et des gardes, Barrière de Ceuta, tu as aussi rendu mes semblables sans cœur et compassion. Je n’ai pas réfléchi pour aider Boubakar à se défaire de tes barbelés et des assaillants. En unissant nos forces, nous avons réussi à franchir ta première barrière. Une ouverture au ras de terre pour la deuxième grille, a permis à Boubakar de passer en premier. Moi, j’ai reçu des coups de matraques à l’épaule. Boubakar m’a hissé de toutes ses forces de l’autre côté de ton grillage pour me céder des agrippements des Espagnols. Le pire, ce sont les griffures de tes barbelés qui nous ont lacéré le dos. Tout mon corps était fracturé, mais nous avons réussi !

Boubakar et moi avons traversé l’enfer à tes côtés. Tu es l’épreuve la plus dure à surmonter. Une fois de l’autre côté, ce qui m’a le plus marqué, ce sont ces mêmes policiers qui nous battaient, qui était en train de boire leur café à côté de nous en nous ignorant complètement. De plus, nous étions aux petits soins par ces mêmes gardes alors que de l’autre côté existait une fosse humaine.

Barrière de Ceuta, tu es la frontière qui sépare l’enfer et l’Eldorado. L’Eldorado est un paradis que chacun d’entre nous souhaite atteindre. Moi, mon paradis c’est une Europe riche et libre en droit humain. En réalité, je me suis trompé sur mon Eldorado, j’ai été rejeté violemment de cinq pays européens depuis mon arrivée. Ce n’est que le début de ma vie d’errance.

Cependant, j’espère voir un jour ta destruction, Ceuta.

Cordialement

Soleiman

 

 

2 commentaires sur “E-MAIL DE SOLEIMAN A LA BARRIÈRE DE CEUTA”

  1. Je trouve que ton article est très intéressant. En effet, écrire un mail à une barrière c’est-à-dire un élément qui n’est pas humain semble être une tâche qui demande beaucoup d’imagination. Tu as réussi à surmonter cette difficulté en personnifiant cette barrière et en décrivant toutes les émotions ressenties par Soleiman à son égard. De plus, on observe une richesse dans le choix du vocabulaire. La fin de l’article est pertinente puisqu’on ressent la haine que Soleiman a pour Ceuta.

  2. Diable !
    Que j’espère aussi la voir tomber à terre, cette fichue barrière ! Elle a été source de souffrances, de déchirements, de renoncements aussi, sûrement : c’est à cause d’elle que des Hommes ont renoncé à leurs rêves… Il nous faut la blâmer, bien qu’elle soit l’œuvre des Hommes. L’œuvre de l’hybris des Hommes, qui ont cru pouvoir ériger d’infranchissables obstacles à la réalisation de nos rêves. Alors, je ne peux que saluer ton courage d’avoir écrit à ce mur, pont d’acier dur -et si froid !- presque insurmontable, avec justesse et précision. Cela m’a été très agréable ! D’autant plus qu’avec autant de politesse, tu défies la barrière de Ceuta de manière tout à fait délicieuse !
    Je souhaitais sincèrement voir ce texte écrit. Je te remercie d’avoir contribué au bonheur de ma journée.

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