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EXTRAITS DU JOURNAL D’HERVE

Durant un frais matin d’octobre 1861, je prends la route pour le Japon pour la première fois. Je suis vraiment content de découvrir une nouvelle partie du monde, B. en parle si bien que je n’ai qu’une envie : y poser le pied. J’adore mon travail, j’ai une grande responsabilité sur les bras chaque année. Acheter des œufs de vers à soie pour tout le village n’a rien d’anodin, quand j’investis, je n’investis pas seulement pour moi, mais pour toute la production locale. C’est une très grande responsabilité que je mène à bien depuis plus de huit ans. D’ailleurs, j’adore aller chercher ces œufs à soie en Égypte et en Syrie, mais après toutes ces années je trouve ça un peu redondant. C’est pourquoi, quand B. m’a parler du Japon pour éviter les épidémies dans les colonies et ainsi la perte de soie, j’ai pris mon sac à dos et je me suis lancé dans cette folle aventure d’aller voir la fin du monde. Malgré la mise en garde de B. sur les conditions de sortie difficiles des œufs à soie, j’ai pris mon courage à deux mains et j’ai quitté mon petit village.

Au cours de ce premier voyage j’ai découvert des endroits magnifiques. Les rives du lac Baïkal m’ont vraiment impressionné, ce paysage est aussi incroyable que terrifiant. Voir une étendue d’eau aussi immense en plein milieu des terres m’a fait me rendre compte de ma taille microscopique et qui sait ce qui se cache dans ses profondeurs. Les locaux m’expliquaient qu’à cette période de l’année, il n’est pas entièrement gelé, mais que sa navigation est tout de même impossible à cause des blocs de glace présents et après les légendes de monstre marin qu’ils m’ont raconté je suis bien content de ne pas avoir à naviguer sur ses eaux profondes. 

Qui plus est, le lac Baïkal est le lac le plus profond du monde avec plus de 1,6 km de profondeur C’est également le lac le plus grand sur Terre avec une superficie de 32 000 m2 (pour information la Belgique à une superficie de 31 000 m2,soit moins que le lac !! ). C’est également la plus grande réserve d’eau douce présente sur Terre. Il représente 20 % de cette eau douce. 

Après ce qui m’a semblé une éternité, j’ai enfin posé le pied au Japon. La découverte de cette « nouvelle » terre fut extraordinaire. Leur végétation est magnifique, j’ai été très surpris de découvrir ces arbres qui fleurissent en plein hiver : les Prunus mume. C’est un abricotier japonais dont les fleurs sont d’une rare beauté. Leur architecture est tout aussi incroyable et dépaysante que la faune et la flore locale. Leurs temples sont époustouflants avec leurs toits évasés ainsi que leurs couleurs chatoyantes. 

La culture des Japonais est d’ailleurs restée très présente, car pendant 200 ans, le Japon a fermé toute communication et échange avec la plupart des pays à l’exception de très rares échanges avec des marchands chinois et hollandais. Cette situation s’est débloquée au début des années 1860, ce qui m’a d’ailleurs mené ici.

J’ai eu l’occasion de découvrir le Japon durant ce voyage, mais une fois mes œufs bien au chaud dans leur boîte, j’étais loin de me douter que ce n’était pas encore gagné, j’ai presque réussi à oublier qu’aucun œuf de vers à soie ne peut quitter cette île. J’avais à peine dépassé la frontière du village qu’un homme m’a rattrapé et s’est mis à me parler japonais en me faisant des grands gestes. Je n’ai pas compris grand-chose à part que quelqu’un du nom de Hara Kei voulait me voir.

J’ai très vite compris que cet homme était le chef, non pas du village, mais de tout. Si je veux mes œufs, je vais devoir convaincre cet homme. C’était un grand honneur de me retrouver à pouvoir négocier mon retour avec le chef directement, mais je dois avouer que le reste de la journée est un peu flou, il voulait juste que je parle. Alors j’ai parlé. Je lui ai raconté qui j’étais, d’où je venais et tout ce qui me semblait digne d’être évoqué. Tout est flou car la seule chose à laquelle je pensais était cette femme, couchée à ses pieds, étendue sur ses jambes. À un moment de mon récit, elle a ouvert les yeux et dieu… Ces yeux… n’avaient pas une forme orientale. J’ai fait comme si de rien était j’ai juste continué mon récit, tout en gardant les yeux rivés sur elle. 

Que fait une occidentale aux pieds d’un Nippon après ces deux cents ans d’isolement ? 

Je n’ai pas eu pas la chance d’en savoir plus. Une fois que j’ai fini de raconter ma vie, Hara Kei m’a dit que je pouvais quitter l’île. Mais avec de vrais œufs de vers à soie et pas ceux de poissons qu’ils ont essayé de me vendre. Ils ont essayé de me berner alors que ça fait des années que je fais ce métier. Erreur d’étourderie. Je lui ai promis que le temps que je retrouve le continent en vie, il aura le véritable or attendu et non l’alliage ressemblant que j’avais donné au vendeur. J’ai repris mon sac-à-dos et j’ai enfin pu prendre le chemin du retour vers ma petite terre natale. Le chemin l’a paru plus long. Après plus de cinq mois de voyage, je passe l’Oural comme une délivrance.

L’Oural est une chaîne de montagnes située en Russie qui s’étend de la mer baltique au sud des steppes su Kazakhstan sur presque 2 000 km. Généralement, c’est cette chaîne de reliefs qui dessine la frontière géographique entre l’Europe et l’Asie. Ce qui explique mon sentiment de délivrance : être en Europe signifie bientôt être de retour auprès d’Hélène. 

Après avoir traversé l’Europe d’est en ouest. J’ai enfin pu serrer ma femme dans mes bras. Même si je suis heureux d’être revenu au pays, une autre certitude tourne dans ma tête : je n’en ai pas fini avec le Japon. Maintenant que j’y suis allé une fois je suis déterminé à y retourner et profiter encore plus du voyage.

Je reverrai cette femme au visage de jeune fille

et aux yeux qui n’avaient pas une forme orientale,

quoi qu’il m’en coûte. 

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