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FRAGMENT PERDU – CHAPITRE 59

Monologue intérieur d’Hélène.

La grande messe approche et je sais que toi aussi.

Tu t’es toujours fait la promesse d’être là à temps pour le premier dimanche d’avril. Lorsque les cloches sonneront, je sais que tu seras là, près de moi. Je sentirais ton odeur s’envelopper autour de moi comme une tunique de soie. Et tout sera comme avant. L’espace d’un instant, j’aurais l’impression que tu n’es pas parti. Au Japon.

L’espace d’un instant, nous serons heureux. Comme au premier jour. 

Chaque frontière que tu traverses creuse un écart entre nous, je le sais. Cet espace grandit à mesure que tu t’éloignes, et moi je suis impuissante. Car je reste ici, à Lavilledieu, je reste attendre ton retour. Et j’ai peur. Peur de tellement de choses. Je suis terrorisée à l’idée d’attendre ton retour en vain. J’ai peur que l’annonce de ta mort ne vienne à ta place. J’ai peur que tu décides de rester vivre dans cet autre monde, car la vie est meilleure là-bas. J’ai peur que tu trouves mieux que moi, que nous. Et peu importe ce qui t’arrive ou ce que tu fais, moi je n’y peux rien.

Hervé, tu as essayé de le cacher pendant si longtemps. J’en serais presque touchée si je n’étais pas si triste. Mais que veux-tu… il est impossible de résister à ces tentations qui nous consument. Qu’a t-elle fait de mieux que moi ? Je pourrais te supplier de me le dire, et pourtant je ne le veux pas. À quoi bon cela sert-il de se faire du mal puisque le résultat sera le même ? Je sais, mon amour, que je ne suis pas le tien. Et Dieu sait que j’en ai rêvé.

Je me suis fait beaucoup d’idées en ton absence. J’ai imaginé que si nous arrivions enfin à concevoir notre Philippe, tu aurais pu lâcher les oiseaux de la volière car comme tu me l’as dit : « Le jour où il t’arrive quelque chose d’heureux, tu ouvres la porte en grand et tu les regardes s’envoler. ».

Mais maintenant je sais que ce jour n’arrivera pas. Je l’ai su dès le retour de ta troisième expédition. Tu n’étais plus le même Hervé. La façon dont tu m’as embrassée, comme si tu t’en voulais d’avoir fait quelque chose de mal, c’est çe qui t’a trahi. Mais j’ai voulu m’en assurer en te rédigeant cette lettre écrite en japonais. Ta réaction ne trompait personne, tu as pris soin de cette lettre comme tu pouvais prendre soin de moi avant. Tu pensais que c’était elle, qu’elle te donnait enfin des nouvelles venues directement de l’autre monde. Et pourtant ce n’était que moi. Mais tu ne le sais pas.

Comment pourrais-je t’en vouloir d’être épris d’une autre ? À vrai dire, je ne t’en veux pas, Hervé. Je dirais même que je te comprends. Je ne suis pas ton amour, mais tu n’es peut-être pas le mien non plus. T’en es-tu déjà douté ? As-tu déjà imaginé cette possibilité ? Car moi j’en doute. Je pense que cette idée ne t’a jamais traversé l’esprit, sûrement car il était ailleurs. Et pourtant tout était sous tes yeux.

J’essaye de le cacher pour ne pas te faire souffrir, comme toi tu le fais en cachant la lettre. J’en aime un autre, Hervé, et je ne peux rien y faire, c’est plus fort que moi. J’aime l’homme qui a changé ta vie. J’aime cet homme qui a débarqué dans le village sans prévenir, cet homme à qui on ne peut donner d’âge.

J’aime Baldabiou. 

Elle est ton amour et il est le mien. 

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