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MAIL DE SOLEIMAN A BOUBAKAR

Quelques mois après être arrivé en Europe, Soleiman veut remercier Boubakar pour tout ce qu’il a fait pour lui :

 

De : soleiman123@mail.fr
Cc : boubakar456@mail.fr
Objet : mail de remerciement de ton bon-ami Soleiman
Date : 12 Juin 2007

 

Bonjour Boubakar,

Nous sommes enfin libres après des années pour toi et des mois pour moi. Je veux dans ce mail, dans ce message, te remercier. Te remercier de tout ce que tu as fait pour moi, j’aimerais te retracer mon histoire, qui a ensuite été la nôtre. J’aimerais te conter cette belle histoire qui ironiquement a été plus ignoble que belle.

J’ai grandi dans une famille sans grande richesse comme mon pays. J’ai souvent rêvé de cet eldorado, de ce monde meilleur, où nous pourrions travailler et ramener de l’argent à la maison, plus que l’on en ramenait ici. Je l’ai rêvé comme toi, je l’imagine, et comme toutes ces personnes. Puis avec mon frère, mon cher Jamal, nous avons décidé de partir (enfin aujourd’hui je le sais, ce « nous » a été plutôt « je »), mais ce rêve, malgré tout, nous le partagions. Nous voulions partir à la conquête de cet eldorado pas si facile à atteindre, mais cela je ne le savais pas encore. J’ai tout d’abord passer la frontière avec mon frère, là où nous avons autant ri que pleuré, là où je me suis retrouvé seul, seul face à mon destin. Je cite : «  mon frère, je ne peux pas, je suis malade », et là le choc, mais au fond je le comprenais. Je suis donc parti, seul, à la conquête de ce rêve commun.

On m’a emmené jusqu’à Al-Zuwarah où je suis resté deux jours, en attendant ces passeurs, ces foutus passeurs. Nous avons pris cette camionnette, cette camionnette sensé nous conduire jusqu’à la côte libyenne, jusqu’à ce bateau. Nous avons roulé quelques heures, puis nous nous sommes arrêtés. J’ai tout de suite su qu’il y avait problème, que quelque chose allait se produire, je ne sais pas si toi aussi tu as ressenti la même chose ? Nous étions arrivés dans un cul de sac. C’est alors que la situation a pris une autre tournure, je me suis retrouvé à être frappé de partout, sans rien pouvoir y faire. La nuit est passée et je me suis réveillé dans un état lamentable. Je ne voyais plus personne, au premier abord, puis je t’ai vu, toi, et tu m’as expliqué ton plan. Les autres, eux, avaient décidé de partir, d’essayer de retrouver le chemin, de retourner au départ. Ils voulaient sûrement recommencer, en espérant trouver cette fois ci des passeurs plus « bienveillants ». Ils avaient peur de l’insécurité, celle de partir sur des routes non connues, mais toi, tu n’avais pas peur car cela faisait déjà des années que tu étais sur la route de cette eldorado. Ce n’était pas le moment de retourner en arrière, et puis tu avais déjà ton voyage bien imprimé dans ta tête : que faire, par où passer…Tout était bien planifié.

C’est à partir de là que l’on a pris la route ensemble, cette route en direction de notre eldorado, ce voyage tant imaginé. Nous avons marché durant quelques jours, pendant de longs kilomètres, puis arrivé à notre première étape, tu m’as payé notre premier voyage en bus, avec cette générosité que tu as toujours eu, et je ne t’en remercierai jamais assez. Nous nous trouvions sur le toit du camion, accroché à une barre, à la force de nos mains. Te rappelles-tu d’Ahmed qui parlait sans cesse ? Je  le trouvais très énervant même si j’étais aussi très admiratif de sa vie, de ce qu’il devait sûrement posséder : une famille, une petite maison. Je l’imagine bien sûr, je n’ai jamais vu tout cela. C’est peut-être cette admiration, ou plutôt cette jalousie, qui m’a poussé à le voler. J’y repense encore aujourd’hui et cela me trotte dans la tête de temps en temps, mais ce vol nous a aussi permis de pouvoir prendre un autre bus tout de suite, sans devoir passer par la case travail. Je me souviens de ton regard quand je t’ai glissé cette liasse de billet dans ta poche. Tu as d’abord eu un regard de surprise puis un regard de déception comme si tu avais perdu une certaine estime pour moi et pour finir un regard de compréhension pour mon geste. Nous sommes finalement arrivés à Ghardaïa.

T-ai-je déjà raconté ma rencontre au marché de Ghardaïa, avec ce vieil homme ? (enfin était-il si vieux que ça ? peut-être pas). Je crois ne te l’avoir jamais raconté car je pensais bien que tu te moquerais de moi. J’ai souvent entendu parler de ce Massambolo, comme toi je pense, ce dieu protégeant les immigrés, et quand j’ai vu ce monsieur, j’étais sûr, sûr que c’était lui. Alors je suis allé le voir et je lui est posé la question. J’ai dû le lui répéter 3 fois et  finalement il m’a répondu oui, alors je lui est donné mon collier en offrande et c’est pour cela que lorsque je t’ai retrouvé je ne l’avais plus.

Nous avons vécu des mois à la frontière entre le Maroc et l’Espagne, et ceux-ci ont été les plus durs. Je le voyais dans tes yeux, c’était des semaines de stress, de fatigue, à vivre dans ce bois, aux aguets face à la menace des policiers, aux aguets aussi du jour où nous pourrions passer. Et ce jour est venu. Je me souviens avoir vu ces policiers dans la ville et m’être dit qu’il fallait te prévenir. Lorsque je suis arrivé au camps, l’information tournait déjà, et avec tous nos chefs vous vous êtes rassemblés pour savoir que faire avant l’attaque fatidique des policier. Vous avez décidé que c’était le moment, le moment de passer cette fameuse frontière derrière laquelle nous serions enfin libres. Alors nous avons construit nos échelles et dans la nuit le signal a été donné. Juste avant, tu m’as fait promettre de courir, de passer cette frontière, sans penser à qui que ce soit, même pas à toi, seulement à moi. C’est ce que j’ai fait dans un premier temps, mais lorsque j’étais en haut de la première barrière je t’ai vu. Comment ne pas t’aider, toi qui as été comme un frère durant ces mois, qui m’a guidé, soutenu, je ne pense pas que tout seul j’aurais réussi à faire tout ce parcours. Je ne pouvais donc pas te laisser aux mains de cette terreur, alors je t’ai aidé, comme tu as pu le faire pour moi, ensuite, à la deuxième barrière.

Nous sommes enfin arrivés en Europe après tout ce qu’on a vécu. Les choses sont encore difficiles certes, mais je m’en contente et j’ai pu envoyer de l’argent à ma mère et mon frère au pays, toi aussi ? Je travaille beaucoup mais finalement j’aime bien.

D’ailleurs je voulais te donner des nouvelles de ma jambe.  J’ai toujours un peu mal mais c‘est normal à ce qu’a dit le médecin que j’ai pu voir. Il m’a expliqué qu’au vu des coups portés à celle-ci, je devrais encore avoir mal pendant un bon moment, des mois, des années… Je porte donc une attèle et j’ai mes béquilles lorsque la douleur est trop forte et que je ne peux pas marcher correctement.

J’aimerais finir ce mail de remerciement par cela : j’aimerais que tu te rendes compte de l’homme que tu es, de ta gentillesse, de ta bienveillance et toutes ces qualités incroyables dont toutes personnes devraient être dotées. Je voulais donc aujourd’hui pour ma part te remercier de m’avoir embarqué dans cette aventure, pourtant bien compromise dès le début. Tu as été comme un frère pour moi, un frère de cœur, sans toi je n’en serais pas là, encore un grand merci.

Je t’aime fort, mon ami, viens me voir quand tu pourras 🙂

Amicalement.

Soleiman

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