SELFIE DE SALVATORE PIRACCI

Interview dans le studio “Radio détresse” entre l’auditrice Lou et la présentatrice de la séquence spéciale : “Interprétation des livres”. 

(NB : “P” signifie présentatrice et la lettre « L » est choisie pour le prénom Lou.)

Présentatrice : Bonjour à tous ! Ici radio détresse à l’antenne, la radio qui ne vous cause pas de stress. 

Il est actuellement 9h du matin et je suis débordante de joie de vous retrouver pour la continuité de notre séquence radio spéciale cette semaine dédiée exclusivement à l’interprétation des livres. Pour rappel, nous nous intéressons depuis lundi au roman écrit par Laurent Gaudé qui se nomme Eldorado. 

Nous avons accueilli depuis le début de la semaine environ 6 auditeurs qui nous ont donné leur interprétation du roman. Aujourd’hui, on continue avec une nouvelle auditrice qui nous vient de Nouvelle-Aquitaine et qui se nomme Lou. 

Celle-ci est arrivée avec un dessin qui représente métaphoriquement un personnage du roman à un épisode clé de l’ouvrage. 

Pour une compréhension plus globale de l’interview, nous allons dès à présent faire tomber le voile et dévoiler ce personnage. Il s’agit de la représentation de Salvatore Piracci dans le chapitre 13 du roman qui se nomme : “L’ombre de Massambalo”. Maintenant que tout est dit, commençons cette interview. 

P : Bonjour à toi chère auditrice. C’est un plaisir pour moi de te recevoir cette semaine surtout que c’est la première fois que l’on va avoir une interprétation faite à partir d’un dessin. Je suis curieuse d’en savoir plus, es-tu prête ?

L : Bonjour, merci de m’accueillir dans votre studio, je suis plus que prête à vous dévoiler ma façon de voir la fin du roman. 

P : Très bien, commençons sans plus attendre. Quand je regarde votre dessin, ce qui me frappe en premier c’est la différence entre le milieu de la feuille qui est très coloré et le reste qui est très blanc voir vide. Est-ce voulu ?

L: Merci pour votre question qui est très pertinente dès le début. Et pour vous répondre, oui c’est bien voulu. J’ai cherché à représenter à la fois l’intériorité du personnage c’est-à-dire ses émotions et ses ressentis grâce aux couleurs mais aussi le fait que Salvatore Piracci est quelqu’un de très seul grâce à l’absence de couleur, au blanc. Si je peux me permettre, je vais pour l’instant juste me focaliser sur les trois couleurs qui sont à l’extérieur de la silhouette noire et vous en parler un peu plus. 

P : Oui allez-y, ont-elles une symbolique ces couleurs ? 

L : Bien sûr. Le orange qui entoure la silhouette est une couleur chaude que l’on remarque au premier regard. Je l’ai choisi parce que grâce à son attractivité, elle peut mettre en évidence l’état d’alerte et même de peur dans lequel se trouve Salvatore Piracci quand il arrive sur la place du marché à Ghardaïa. Celui-ci semble presque être devenu un sauvage et être sous un état de tension voire de réactivité permanente. Pour illustrer mon propos, j’ai retenu deux phrases de ce début d’épisode qui, à mon avis, symbolisent très bien cet état d’alerte ressenti par Salvatore: “Une vivacité sauvage scintillait dans ses yeux. Il était devenu rapide et nerveux” (p.211). 

P : Très bien, merci pour votre réponse. Mais alors pourquoi avoir choisi d’associer cette couleur qui attire l’œil à une couleur beaucoup plus harmonieuse et douce qu’est le vert clair ? 

L : Comme vous l’avez expliqué vaguement, mon but était de mettre en place un contraste entre ces deux couleurs pour bien mettre en avant que Salvatore est une personne entière, constituée de plusieurs émotions et ressentis qui se chevauchent. Ainsi, ce vert clair vient mettre en évidence que Salvatore va être, quelques phrases plus tard dans l’épisode, sous un état de détente et de sérénité. À titre d’exemple, il décide de ne pas s’inquiéter de sa situation (rappelons-le: il est en errance) et souhaite attendre sur cette place de marché; il combine l’action à la parole en s’asseyant et en ne bougeant plus. Ainsi, il peut s’adonner à une activité: “contempler avec sérénité le grand marché bruyant qui l’entourait” (p.212). 

P : Parfait et qu’en est-t-il du blanc ? Celui-ci représente seulement sa solitude ? 

L : Le blanc à pour moi deux significations. Tout d’abord celle du vide ; Salvatore est depuis le début décrit comme étant quelqu’un de très solitaire, l’auteur atteste même qu’il est “le fils de plus personne. Ni père, ni mari. Un homme de quarante ans qui mène sa vie sans personne pour poser un regard dessus.” (p.13). Cette solitude est retrouvée à la fin du roman où celui-ci parcourt une vie d’errance parce qu’il n’a personne à qui se rattacher. Le seul qui aurait pu compter pour lui est son ami Angelo mais qu’il a aussi décidé de quitter. 

Ensuite, le blanc est le symbole pour moi de la représentation divine et c’est ce que Salvatore veut devenir: un être divin qui erre dans les rues en donnant espoir aux migrants qui viennent délicatement l’acclamer. Il le dit lui-même: “De ville en ville, de pays en pays, il ne serait plus qu’une ombre qui donne du courage aux hommes” (p.215). Cette nouvelle personnalité et “reconversion professionnelle” que choisit Salvatore a été déclenchée par sa rencontre avec Soleiman et le collier que celui-ci lui a offert. 

P : Pouvez-vous nous parler un petit peu plus de ce collier. Étant donné que vous témoignez de l’importance aux couleurs, je vois qu’il est d’un vert feuille d’arbre, comme les yeux de cette forme noire. Quel est le symbole pour vous de cette couleur ?

L : Ce vert feuille d’arbre comme vous le décrivez est symbole pour moi de l’espoir. Celui-ci est très présent tout au long du roman à travers Soleiman qui veut passer toutes les frontières et arriver en Europe dans le but de l’obtention d’une vie meilleure. De plus, cet espoir est aussi porté par Salvatore qui choisit de devenir un être divin, porteur d’un message d’espoir et de courage.

P : Et plus concrètement, que représente pour vous le collier et les yeux, sans s’occuper de leur couleur ? 

L : Pour vous répondre, je vais suivre une certaine logique. Les deux héros du roman se rencontrent pour la première fois par le biais de la vue qui va être porteuse de messages et d’émotions. En effet, le regard de Soleiman va se faire insistant tout en étant respectueux mais va créer une certaine confusion et un certain étonnement chez Salvatore. Le narrateur l’exprime très bien : “Il remarqua qu’un jeune homme était là, en face de lui, qui l’observait avec insistance” (p.212)

Ensuite, un échange structuré de quelques courtes phrases va se mettre en place entre les deux personnages et c’est grâce à ce regard “ample et décidé, (…) tout entier dans sa demande”(p.214)  que Salvatore va décider de donner de l’espoir et du courage à Soleiman pour son voyage en Europe. C’est aussi grâce à ce regard que Salvatore a une sorte d’électrochoc et a pour ambition de devenir l’ombre de Massambalo. 

Pour finir, l’échange va prendre fin lorsque Soleiman va offrir un présent à cette ombre: le collier de son frère Jamal. Ce collier est la façon pour Soleiman de remercier cette ombre et de se porter chance pour les jours à venir dans le but toujours d’une vie meilleure. Il a de nouveau espoir grâce au hochement de tête de Salvatore. Ainsi, comme vous l’avez bien remarqué, le collier et les yeux de cette ombre ont un symbolisme commun.

P : Très bien, merci pour cette réponse détaillée. Je vais finir cet entretien avec une dernière question, pourquoi avoir choisi de mettre au centre de cette feuille une ombre noire sans expression qui représente je pense Salvatore ?

L : Bien joué, cette ombre noire comme vous le dites représente bien Salvatore. Pourtant, bien plus qu’une ombre, c’est plutôt un fantôme. Vous allez me demander pourquoi un fantôme ? Et bien, c’est d’après moi, la meilleure façon de représenter Salvatore qui en quittant la Sicile, a choisi aussi de quitter son lui d’avant. Il a mis fin à sa personnalité, à son identité, à ce qui le représentait. C’était un choix voulu de sa part et qui était lié à son métier, c’est-à-dire sauver des migrants de la mer sans identité et sans aucune reconnaissance sur son île. Pour moi, le fantôme représente une rédemption pour Salvatore, comme s’il souhaitait se mettre à la place de ceux pour qui “il avait été tant de fois la malchance”(p.214), c’est-à-dire ni entendu, ni écouté, ni compris, ni reconnu (d’où le fait de ne donner aucune expression au fantôme). Ainsi, le fantôme représente la perte de son identité, il n’est plus représentable. Pour autant, cette représentation est aussi en concordance avec ce que Salvatore va devenir, c’est-à-dire l’ombre de Massambalo. 

Pour finir, j’ai choisi de colorier ce fantôme en noir pour mettre l’accent sur la toute fin de l’épisode où Salvatore va perdre la vie sous les roues d’un camion. Cette couleur est donc symbole de deuil, de perte et de mort. 

P : Très bien, merci encore pour le témoignage de votre représentation Lou. C’était un plaisir de vous accueillir sur notre plateau. Je vous souhaite une bonne continuation et pour ceux qui nous écoutent, je vous donne rendez-vous demain sur la même fréquence à 9h et toujours sans stress. Bonne journée.