Création théâtrale

Nous ne pouvons pas traverser sensiblement et présentement ce qui a été.
La mémoire de ce qui n’a pas été vécu reste une reconstitution mentale qui ne peut pas toucher de manière directe l’engagement vital de l’Horreur. Alors comment vivre l’Histoire qui n’est plus?
Comment traverser ce qu’elle engage?
Je me suis rendue cet été à Auschwitz, j’en suis revenue vide de contenu, avec l’intuition que le traitement de cette catastrophe traumatique personnelle et collective devait passer par l’esthétique du choc, suivant le principe d’un vaccin, parce que bouleverser l’ordre établi pourrait permettre d’en créer peut-être un autre.
Comment s’y prendre? Nous avons pressenti de pouvoir convoquer une poétique de la performativité afin de mettre en jeu de manière extrême le réel à l’épreuve du théâtre (en lien avec la programmation du Centre National Dramatique HTH). Comment vivre surtout auprès des autres qui n’ont pas connu cela, ces êtres qui « allaient, [qui] n’avaient pas le sens du danger?
Peut-être qu’en convoquant ce choc, ce sens du danger, pourrions-nous vivre un peu mieux auprès d’eux?
Car si on ne peut effectivement pas réellement revivre ce qui a eu lieu, on peut peut-être travailler à le regarder.
Que voir? Comment (ne pas) voir? De quel espace regarder? Qu’est-ce qui voit en moi?
Dans la continuité d’un travail sur le choc, nous questionnons la notion d’Aveuglement et les liens qu’elle renferme (processus pour y accéder, sens perdu, absence de lumière, noir, fulgurance, choix, accident, soumission, choc, coupure…) et pressentons qu’elle nous amène peut-être à établir un fil rouge dans le labyrinthe de l’écriture de cette traversée théâtrale que nous construisons entre nuit et brouillard.
In fine, élaboration d’une forme théâtrale à partir d’une écriture collective contemporaine.

Aurélie Kerszenbaum, enseignante de lettres et théâtre au lycée jean Monnet de Montpellier, et petite fille de déportée.

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