Une nouvelle approche de l’antique : Raphaël à Rome .

Une nouvelle approche de l’antique : Raphaël à Rome .

 

Raphaël, invente un nouveau langage artistique en changeant le regard porté sur l’Antiquité.

A. Peintre et architecte de génie.

L’architecture maniériste du XVIe siècle apparaît comme l’antithèse du Quattrocento. L’ordre et l’harmonie laissent la place à des expérimentations qui, tout en utilisant le modèle antique, aboutissent à des oeuvres d’une grande originalité. On situe le début du maniérisme dans les dernières oeuvres de Raphaël (peinture voir p. ex. La Transfiguration, sa dernière oeuvre et architecture voir ci-dessous) et dans les fresques des loges du Vatican qui, tout en poursuivant l’exploration des modèles antiques amorcée au Quattrocento, sont d’une grande liberté plastique. Le terme réinvention du modèle prend avec Rraphaël tout son sens.

Raphaël était peintre et architecte, il a accompagné de manière magistrale l’attrait pour l’antique de la cour pontificale sous Jules II (della Rovere) et surtout sous Léon X (Médicis). Cette cour portait à son apogée les idées néo-platoniciennes de Marsile Ficin autour des trois principes de l’idéalisme platonicien : le Beau, le Juste (ou le Bien), le Vrai. C’est dans la Chambre de la Signature qu’il réalise la plus belle mise en images de ces nouveaux principes nés de la rencontre entre christianisme et philosophie platonicienne. (vers 1512 – 1514). Au moment de sa mort en 1520, sa gloire d’architecte était aussi grande que celle de peintre.

Il avait prévu de « mettre en dessin » le plan de la Rome antique dans un relevé à trois dimensions (façades, plan, coupe en élévation), les humanistes ont beaucoup regreté de ne pas l’avoir vu achever ce travail. La pratique du dessin architectural a certainement occupé une place importante dans sa formation depuis le début (cf. Mariage de la Vierge, ou le Couronnement de la vierge où l’on remarque que c’est un peintre qui pense comme un architecte).

Epitaphe de Raphaël :

« Raffaelli Sanctio Joann. F. Urbinati / pictori eminentss. Veterum aemulo / cuius spiranteis prope imagineis si / contemplere laturae atque artis foedus / facile inspexeris. / Julii II et Leonis X pontt. / Maxx. Picturae et architect. Operibus gloriam auxit ».

« A Raphaêl d’Urbino, fils de G. Santi, peintre éminent émule des Anciens. Ses images vivantes si tu les contemplais de près, t’apparaîtraient comme le fruit de l’union de la nature et de l’art. Ses œuvres en peinture et en architecture, ont fait beaucoup pour la gloire des papes Jules II et Léon X. »

La rencontre avec Bramante (1444-1514 ) a été décisive : la capacité et la rapidité d’assimilation du peintre est déconcertante même par rapport à d’autres grands artistes : Giuliano da Sangallo, Peruzzi, Jacopo Sansovino. Dès la Chambre de la Signature Bramante constate la capacité de Raphaël à concevoir des édifices. Quels sont ses modèles ? Ces deux dessins le montrent : le plus beau cortile du Quattrocento (Urbino) et le Panthéon de Rome.

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Cortile du palais d’Urbino, Intérieur du Panthéon dessins de Raphaël qui montrent son intérêt pour l’architecture.

Bramante décide que Raphaël serait son successeur à la fabrique de la basilique Saint Pierre.

B. La traduction du modèle antique dans l’architecture raphaélienne.

– La grande Coupole de la Chapelle Chigi à Santa Maria del popolo.

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/0/0b/Dome_Cappella_Chigi_from_inside%2C_Santa_Maria_del_Popolo%2C_Rome%2C_Italy.jpg/1026px-Dome_Cappella_Chigi_from_inside%2C_Santa_Maria_del_Popolo%2C_Rome%2C_Italy.jpg

Les mosaïques du dôme de la Chapelle Chigi, par Luigi da Pace (1516) selon des cartons de Raphaël, église Santa Maria del Popolo, Rome, Italie. Ce sont les uniques mosaïques dues à Raphaël.

Ex. Agostino Chigi passe commande à Raphaël -> chapelle Chigi, église Santa Maria del Popolo> voir coupole à huit pans conçue par Raphaël ci-dessous représentant la Création du monde. Les caissons sont de tailles différentes et décorés de mosaïques. Le tambour comprend des panneaux de grands maîtres du XVIe et début XVIIe (Caravage, Martyre de saint Pierre, l’assomption d’Annibale Carrache etc.


Dessin pour l’Eternel de l’occulus au sommet de la coupole :

Dans les huit compartiments radiaux : personnifications des planètes et des étoiles.

Puissants raccourcis … Mosaïques (inhabituelles à la Renaissance), pilastres aux angles…Au sommet, à la place de l’occulus romain, l’Éternel dans une gestuelle rendu par un raccourci impressionnant qui rappelle le travail de Mantegna dans la voûte en trompe l’oeil de la Chambre des époux au palais ducal de Mantoue (1465-74).

Référence à l’antiquité : idées platonicienne dans Timée : les âmes sont de la même substance que les sphères célestes et y retournent une fois libérées de leur prison terrestre : le corps.

Plusieurs projets architecturaux sont attribués à Raphaël, impressionnant de rapidité et d’inventivité : Villa Madama, Sant Eligio degli Orefici, sa maison Villa Giulia, projet de nouvelle façade pour San Lorenzo à Florence, décors pour Les Suppositti de Lariosto montés au Vatican en 1519.

-> Palazzo Branconio (1517-1518) : naissance du maniérisme.

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Dessin de Raphaël,  Palazzo Branconio (1517-1518) conçu pour Giovanni Battista Branconio dell’Aquila, ecclésiastique conseiller de Léon X, numismate. Il n’existe pas aujourd’hui mais il est une des toutes premières oeuvres maniéristes.

Conception originale dérivée du Panthéon et des arcs de triomphe selon la méthode de la « contamination », répétition régulière de motifs partout sur la façade.

Rythme régulier des arcades au rez-de-chaussée séparées par des colonnes engagées analogue au rythme des fenêtres inscrites entre des « tabernacles » et aux tympans alternativement triangulaires et curvilignes. Au-dessus apparaissent les ouvertures de la mezzanine séparées par des guirlandes qui encadrent des médaillons ornés de bustes. Au centre : les armes de Léon X de Médicis.

– Les fenêtres du 2e étage alternent avec des panneaux peints à fresque qui évoquent les reliefs de l’arc de triomphe de Constantin.

La balustrade couronne l’édifice sans être un nouveau motif mais pour la première fois dans un palais.

-> importance donnée à l’enchaînement rythmique vertical et horizontal (cf. architecture romaine).

-> Ce qui a frappé les contemporains : les bas reliefs en stuc de Giovanni da Udine ; statues, panneaux peints. Il faut aussi reconnaitre que la richesse du décor est inspirée de l’Antiquité mais c’était la 1e fois que celui-ci était intégré dans la façade publique d’un palais et pas seulement du côté de sa cour.

Villa Madama (italien).

Voir aussi : Villa Madama (français),

Après cette tentative de recréer un bâtiment « à l’antique » Raphaël a la possibilité d’accomplir le même dessein à plus grande échelle à Villa Madama.

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Le plan de la villa :

Sur un terrain « jolie vue, prairies. » selon Vasari appartenant à Léon X, il s’agissait de construire une « villa » destinée à accueillir ambassadeurs et hôtes illustres avant leur entrée dans la cité. Dans une lettre probablement adressée à Castiglione Raphaël cite ses sources : Vitruve, Pline le Jeune, vestiges de la campagne romaine Villa Hadriana, Tivoli, villa de Domitien…Raphaël y décrit de façon très détaillée la villa :

C’est succession des pièces,  agencement « a l’antique » avec , au 1er étage le vestibule divisé en 3 nefs avec colonnades ioniques, ensuite l’atrium à la grecque débouchant sur un cour circulaire.

Loggias d’hiver exposée au soleil, une des deux tours rondes équipée de fenêtres de sorte qu’elles soient « touchées chacune à leur tour par le soleil tout au long de sa course du levant au couchant…un edroit très agréable pour y séjourner et y converser entre gentilshommes ».

Le projet était beaucoup trop ambiitieux par rapport aux possibilités techniques (terre argileuse et friable, pente). Les appartements du « piano nobile » ont été réalisés après la mort de Raphaël.

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Détail de la coupole :


Décor Jules Romain, Giovanni da Udine élèves de Raphaël pour la loggia du jardin.L’iconographie s’inspire des grotesques et de scènes mythologiques inspirées de descriptions de Philostrate.

Voir détails ici :

http://www.wga.hu/frames-e.html?/html/g/giovanni/udine/index.html

Le projet de Raphaël pour la Villa Madama est sans précédent à la Renaissance.

Ensemble grandiose, séquence architecturale complexe issue d’une profonde connaissance de l’architecture romaine, dont on ne peut visiter qu’un fragment, puisqu’inachevée, comme une « ruine antique ».

C. Le décor à l’antique est en effet renouvelé par la découverte de la Domus aurea de Néron..

Dans sa lettre à Léon X, Raphaël remarque :

« bien que l’architecture contemporaine soit réveillée, elle est encore loin d’égaler l’antique au niveau des « ornements tels quels « ne sont pas en matière précieuse comme chez les anciens, qui dépensaient énormément pour mettre à exécution ce qu’ils imaginaient ».

Le décor mural de la Domus aurea de Néron redécouverte en 1480 avait beaucoup impressionné les contemporains : Michel Ange, Ghirlandaio, Raphaël.

Voici comment la décrit Caius Suetonius Tranquillus, dit Suétone, un érudit romain, ayant vécu entre le Ier et le IIème s. ap. J.-C. et principalement connu pour ses Vies des douze Césars, qui comprennent les biographies de Jules César et des onze premiers empereurs romains (Auguste, Tibère, Caligula, Claude, Néron, Galba, Othon, Vitellius, Vespasien, Titus et Domitien).

« [Néron] se fit bâtir une maison qui s’étendait du Palatin à l’Esquilin, et l’appela d’abord Domus Transitoria (le Passage), puis un incendie l’ayant détruite, il la reconstruisit sous le nom de « Domus aurea ou plus connue en français sous le nom de maison dorée ». […] Dans son vestibule on avait pu dresser une statue colossale de Néron, haute de 120 pieds ; la demeure était si vaste qu’elle renfermait des portiques à trois séries de colonnes, longs de mille pas, une pièce d’eau semblable à la mer, entourée de maisons formant comme des villes, et par surcroît une étendue de campagne où se voyaient des cultures, des vignobles, des pâturages et des forêts, contenant une multitude d’animaux domestiques et sauvages. Dans le reste de l’édifice tout était couvert de dorures, rehaussé de pierres précieuses et de nacre. Le plafond des salles à manger était fait de tablettes d’ivoire mobiles et percées de trous afin qu’on pût répandre sur les convives des fleurs ou des parfums. La principale salle était ronde et tournait continuellement sur elle-même, alternant jour  et nuit comme l’univers. Dans les salles de bains coulaient les eaux de la mer et celles d’Albula. »

Suétone, Vie des Douze Césars, Néron, 31

DOMUS AUREA SALLE OCTOGONALE

La salle octogonale de la Domus aurea aujourd’hui.

Vasari rapporte que la découverte des grotesques et autres décors en relief léger et en stuc dans les salles souterraines (grottes -> grotesques)  des  ruines antiques du palais de Titus (où on a trouvé le groupe de Laocoon) a surpris et enthousiasmé les milieux artistiques romains. Raphaël est immédiatement invité à voir ces vestiges, accompagné par Giovanni da Udine, il sera stupéfait par la fraîcheur et la qualité des œuvres. Mais divergence croissante entre Raphaël et ses collaborateurs  d’un côté et les autres artistes de l’autre : pour les premiers ce sont là les signes d’unlangage formel qu’il faut étudier afin d’inventer de nouvelles créations autonomes alors que pour les autres il s’agit d’un répertoire de motifs curieux, bizarres dans lequel on peut puiser.

1.  Les deux premières réutilisations de ces motifs : Stuffetta et loggietta du cardinal Bibbiena.

Ex 1. La stuffetta du cardinal Bibbienaauquel Léon X avait aménagé un appartement au 3 étage du Vatican.

Petite salle de bains (vapeurs) dont les murs pouvaient être chauffés.

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Niche aux encadrements élaborés, soubassements avec des masques, voûte, lunettes parois revêtues  de fresques grotesques (colonnades frontons minuscules, putti, acrobates) allégories de la purification du corps, plus bas sur fond noir : amours sur des chars traînés par des tortues, escargots, dauphins, papillons, dragons.« technique succincte » avec touches rapides, rehauts colorés, aspect lustré avec la couche de cire.

Imitation de l’antique, scrupuleuse

http://www.wga.hu/frames-e.html?/html/r/raphael/5roma/4/index.html

Ex. 2. Loggetta :

délicates architectures fictives, fausses niches avec des personnifications de saisons, Apollon, Vulcain dans sa forge avec des amours, à la voûte : motifs architecturaux, animaux réels ou fantastiques, statues antiques célèbres En bas ornements géométriques et scènes mythologiques.

Et la Logetta, pièce rectangulaire de 16m de long qui donnait sur la cour du Maréchal.

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Voir quelques détails :

http://www.wga.hu/frames-e.html?/html/r/raphael/5roma/4/index.html

http://www.wga.hu/frames-e.html?/html/g/giovanni/udine/index.html

Le décor dicté par Bibbiena, conçu par Raphaël et réalisé par Penni, Jules Romain, et Giovanni da Udine a eu un immense succès .

> Imitation et reprise par d’autres personnages de la cour papale jusqu’à la salle de bains du pape Clément VII au Château de Saint Ange à Rome, décoré vers 1525-27 par da Udine. (Clément VII =  Jules de Médicis, cousin de Léon X, s’opposa à Charles Quint sans succès). Ce dernier pousse la famille des « Colonna » a renverser le pape, il connut aussi le sac de Rome par les mercenaires allemands restés en Italie en 1527. Le même Clément VII subit aussi l’affront d’Henri VIII qui fonde l’église anglicane face au refus du pape de lui accorder le divorce avec  Catherine pour se marier avec Anne Boleyn)

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La salle de bains de Clément VII au château Santangelo vers 1525-27.

2. Les Loges du Vatican de Léon X,  une œuvre sans précédent.

1517 : nouveau défi pour l’atelier de Raphaël : le décor des salles de la loggia du pape ;

Lettre de Baldassare Castiglione en 1519 où il dit que le pape s’amuse beaucoup à transformer ses appartements :

« on vient de lui livrer une loggia peinte et ornée de stucs à l’antique œuvre de Raphaël, aussi belle qu’il et possible de l’être et peut-être plus que tout ce qu’on voit aujourd’hui de moderne ».

On y trouve des « peintures de grand prix », et des statues dans des niches entre les fenêtres. Conçues par Bramante, les loges étaient commencées à sa mort, Raphaël a achevé le second étage.

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Les Loges de Bramante vues de l’extérieur à gauche (le deuxième niveau est récent) et de l’intérieur à droite (vitres récentes)

Raphaêl = conçoit les principe des voûtes sur travées, il accentue la succession des arcades, en plaçant le long des murs le ressaut des pilastres et des édicules de marbre qui encadrent les fenêtres de façon à marquer plus nettement la scansion de la galerie en unités spatiales (65m) sur 4m. 13 travées couvertes de voûtes de plan quadrangulaire, qui ménagent des espaces pour les fresquesAu centre de chaque voûte un ange ou une victoire en stuc blanc, tient un des emblèmes de Léon X. (joug ou anneau de diamants avec trois plumes). Dans la travée centrale est placé l’écusson portant les armes des Médicis surmonté de la tiare pontificaleDécors faits de frises, grotesques, décors à caissons ou en colonnades et encadrements illusionnistes en trompe l’œil…

Iconographie, voir sur Web Gallery of Art : http://www.wga.hu/frames-e.html?/html/r/raphael/5roma/4/index.html et sur Wikipedia : 

http://commons.wikimedia.org/wiki/Category:Loggia_di_Raffaello_(Vatican_City)?uselang=fr

Sur les Compartiments centraux : Un cycle grandiose de fresques composé de 52 scènes de l’Ancien Testament connues sous le nom de « Bible de Raphaël, » peintes entre 1518 et 1519 : création, Adam et Eve, Noè, Abraham, Isaac, Jacob, Joseph, Moïse, Josué, David et Salomon. Les épisodes de la vie du Christ n’arrivent qu ‘à la dernière travée. Plus de détails mais dans des couleurs horribles :

http://www.christusrex.org/www1/stanzas/0-Raphael.html

Plus bas épisodes bibliques, animaux, monstres.

Stucs dorés à l’origine ou blancs sur fond de couleur, occupent l’intrados des arcs doubleaux et s’étendent vers les pilastres, des guirlandes de fleurs et de fruits sur fond bleu sont peintes à fresque sur les lunettes du mur intérieur entre les fausses fenêtres encadrées par des édicules sont représentés des paysages de ruines et des oiseaux en plein vol. Fresques abîmées depuis mais restaurées grâce à un album de Giovanni Battista Armenini destiné à la famille Fugger (Vienne). Pour les stucs : les artistes ont puisé dans l’immense répertoire figuratif des reliefs héllenistiques, et romains, des gemmes, des monnaies, des médailles.

Figures bibliques sources antiques,, paléochrétiennes ou Renaissance. Dimensions réduites, compositions à caractère cursif et narration s’intègrent merveilleusement à un décor profaneMalgré la richesse foisonnante la structure est rigoureuse ce qui porte la signature de Raphaël. C’est un admirable concert d’architecture, sculpture et peinture sorti d’une renaisssance miraculeuse du décor antique . Ensemble qui sera LE « MODÈLE CLASSIQUE» par excellence pour des générations d’artistes au même titre que les modèles anciens.

Varietas encyclopédique, sens du rythme, fantaisie et inventivité comme le souligne Vasari :

« pour les peintures, les stucs, l’agencement et l’invention, on ne peut absolument pas imaginer plus belle œuvre ».

Les loges sont conçues comme :

– une galerie de sculptures antiques (dans les niches) de la collection de Léon X, ouvertes sur un jardin au-delà duquel la ville se profilait.

comme un lieu consacré aux plaisirs intellectuels du pape et de sa cour.

comme un lieu aussi où l’on contemple les beautés naturelles et artistiques dans un esprit néo-platonicien

Les récits bibliques sont choisis de façon à ne pas réclamer des savoirs très poussés ou des interprétations intellectuelles doctes. Programme figuratif élaboré par Raphaël avec un conseiller, sorte de promenade érudite, un réconfort du corps et de l’âme pour le pape et son entourage très attirés par le mélange entre thèmes bibliques et motifs profanes (contaminatio).

Vasari cite les peintres qui ont travaillé : Giovanni da Udine : expérimente les stucs à l’antique et peint les grotesques. Jules Romain (Giulio Romano) : figures, Gianfrancesco Penni : les modelli et les cartons. C’est aussi le moment le plus accompli de la collaboration entre le maître et son atelier.

3. La loggia de Psychè dans la Villa Farnésina.

Construite par Baldassare Peruzzi pour Agostino Chigi vers 1510-1511. Il avait aussi décoré de fresques mythologiques avec le zodiac de Chigi  le plafond de la loggia. Chigi voulait l’intervention de Raphaël dès 1511 mais ce fut impossible (il était trop occupé). Il finit par obtenir de lui qu’il peigne la  « Fresque de la Galatée, une des Néréides, un cycle de fresques de la loggia de Psychè en plus de la décoration de la chapelle de Santa Maria della Pace et Santa Maria del Popolo.


Dans une des loggias du côté de Tibre, à côté d’une fresque de Polyphème (image sensible  du cyclope représenté à l’antique, comme un berger contemplant la paysage de bord de mer côté droit comme s’il regardait du côté de Galatée) de Sebastiano del Piombo (peintre d’atmosphère vénitien) , Raphaël peint Le triomphe de Galatée,

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date inconnue, après 1512.  fresque  295 x 225 cm, Villa Farnesina, Rome

La Néréide représentée sur un char aquatique décrit dans les  Métamorphoses d’Ovide, coquille tirée par des dauphins. Cortège de nymphes et de tritons, jeu dynamique d’oppositions (frontale et de dos), trois petits amours disposés dans des positions différentes, les joueurs de coquilles également opposés à l’extérieur de la scène. Impétuosité du putto au premier plan. Mouvement, multiplicité de formes sculpturales, interprétées dans la variété des positions, gamme chromatique antiquisante (rouge pompéien)

4. La chapelle Chigi  dans Santa Maria della Pace : naissance d’un topos raphaélien :

En 1514, Raphaël exécuté un autre cycle de fresques modeste mais significatif, pour Agostino Chigi. Elles sont situées dans la chapelle à gauche de l’abside de l’église de Santa Maria della Pace à Rome. Les Sibylles assises au-dessus de l’arcade qui mène à la seconde chapelle privée des banquiers Chigi. Le mouvement de rotation des corps rappelle celui des vertus dans la Chambre de la Signature, mais la coloration suggère qu’ils ont été peints à une date ultérieure.

Partie supérieure : 4 prophètes probablement par Timoteo Vitti d’Urbino, collaborateur de Raphaël, qui doit les avoir sur un dessin original de Raphaël, car ils sont très cohérents par rapport aux Sibylles : Osée, Daniel, David, Jonas. Entre les Sibylles au sommet de l’arche se trouve un putto tenant un flambeau, le symbole de la prophétie, qui éclaire les ténèbres de l’avenir.

Dans la partie inférieure les Sibylles : Cumes, Perse, Phrygie, Tibur et des anges, sont attribués à Raphaël. Comme les Vertus dans la Chambre de la Signature, chacune des figures est accompagnée par un ange qui indique l’esprit divin présent dans leurs prophéties. En plus grandiose et en assimilant des motifs michelangelesques et antiques. Orchestration symétrique partant du centre et allant vers la côtés. Les figures sont associées l’une à l’autre avec grand naturel, dans une grande variété de gestes d’attitudes d’expressions. Selon un passage de St Thomas d’Aquin, les sibylles étaient inspirées de bons esprits ou par des anges. Ces derniers tiennent les rouleaux de parchemin devant les yeux des voyantes.

Composition : comme une frise classique ->rompt avec le  modèle Michel-Ange à la Sixtine où les figures étaient isolées. Textes des phylactères tenus par les anges : grec et latin.

Sujets : Incarnation, Passion, Résurrection. Des deux côtés de la niche étaient prévus des reliefs dessinés par Raphaël associés au thème de la résurrection. (cf. putto = flambeau vers le haut) Vasari s’extasiait -> non désintéressé,  il voulait démontrer l’influence et la primauté de Michel Ange. Les figures occupent une loggia en guirlande sur deux niveaux. La structure de la loggia reflète l’architecture de la chapelle : ses arches coïncident avec ceux de la fenêtre et de l’entrée. Composition en guirlande rappelle les Vertus de la Chambre de la Signature.

III. Raphaël et l’antique.

Dès ses débuts Raphaël utilise les modèles antiques :

Les trois grâces, 1504-05, huile sur bois, 17 x 17 cm. Musée Condé, Chantilly

Dessins du retable Baglioni (inspirés du sarcophage de Méléagre),

Sarcophage romain de Meleagre 206 x 72cm marbre Louvre

Egalement dans les Muses du Parnasse (Chambre de la Signature) ou dans le Triomphe de Galatée.

Mais c’est à partir des années 1514 que l’artiste développe ces thèmes plus systématiquement au fur et à mesure des progrès de son travail dans les domaines de l’archéologie et de l’architecture : l’étude des reliefs et des peintures antiques va profondément influencer sa conception de l’art.

La fresque de l’Incendie du bourg : une relecture antique d’un miracle chrétien.

1er août 1514, Raphaël devient architecte de Saint-Pierre, suite au décès de Bramante qui l’avait désigné comme successeur.

Il reçoit le solde pour la première des deux chambres pendant qu’il commence le travail de la 3e chambre par la fresque de l’Incendie du bourg qui donnera plus tard  le nom à cette dernière chambre. Ses autres préoccupations : basilique Saint Pierre, portraits, retables…font qu’il réduit sa participation directe dans la 3e chambre en dehors de l’Incendie du bourg. Cette chambre était devenue la salle à manger de Léon X. c’est d’ailleurs en son honneur que les choix iconographiques sont faits : Léon III couronnant Charlemagne, pape Léon IV et l’Incendie du bourget la bataille d’Ostie.

Intention de Léon X d’apparaître comme un pacificateur, comme élément de concorde entre princes chrétiens. On est loin ici de l’inventivité iconographique des chambres de Jules II -> imagerie dictée par le pape Léon X à des fins de propagande.

Incendie du bourg = année 847, flammes du quartier voisin de la basilique vaticane s’éteignent grâce à la bénédiction du pontife –> symbolique contemporaine de Raphaël : incendie de la guerre éteinte par Léon X qui signe un traité avec François Ier.

Groupe d’Enée portant Anchise son père et son fils Ascagne à côté (cf Enéide de Virgile) , allusion à la piété familiale de Jean de Médicis.

-> Approche traditionnelle :

Œuvre comparée avec les deux premières chambres et considérée comme le signe du déclin du génie pictural de l’artiste à cause des interventions croissantes de son atelier : incohérences, manque d’unité d’harmonie entre parties, figures, décors et architectures au premier plan.

Les figures isolées : gesticulations emphatiques, trop inspirées par une conception sculpturale du corps.

-> Plus récemment, constat d’une véritable transformation consciente de l’art du peintre.

Dans l’Incendie, inspiration à rechercher dans l’Ecole d’Athénes mais aussi aux domaine de la scénographie. Plusieurs points de fuite, procédés utilisés au théâtre. Selon de Vecchi, les soi-disant imperfections et incohérences sont voulues et calculées pour donner plus d’expressivité au récit. Les recherches lors des restaurations récentes montrent que le carton a été scrupuleusement respecté.

Quel est donc le sens de la composition de cette œuvre ?

Raphaël distingue trois temps différents :

– à gauche l’incendie et la fuite des rescapés.

– à droite la tentative désespérée d’éteindre le feu.

au premier plan le groupe de femmes et d’enfants appelle à l’aide en se tournant vers la figure du pontife c’est à dire la solution de la tragédie.

Le pape étend miraculeusement les flammes depuis une loggia d’un bâtiment à bossage de type bramantien derrière lequel se trouve l’ancienne basilique du Vatican (constantinienne).

-> Poétique d’Aristote : la tragédie se joue en trois temps catastrophe, la veine tentative de solution et l’intervention divine pour dénouer le drame.

L’artiste, pousse ici encore plus loin la réinvention de l’Antiquité que la pure reprise de modèles formels. Ainsi il transforme le miracle des Liber ponitificalis en tragédie antique classique par une métaphore iconographique sur l’Incendie de Troie rivalisant avec Virgile au second livre de l’Enéide. Léon X voulait en effet impulser un renouveau de la culture latine classique.

C’est une véritable mise en page théâtrale qui aura un grand succès au XVIIeL’historien de l’art Ortolani parle de « laboratoire du nouveau langage » (Raffaello 1942) qui marie classicisme antique et expériences picturales modernes (agencement de différents décors sans rapport entre eux dans la composition). Exécution : Giulio Romano à gauche, Penni ou Giovanni da Udine au centre. Raphaël : tête de la jeune fille qui porte deux cruches à droite.

La préoccupation d’exactitude archéologique.

Par ailleurs, dans certains cartons des tapisseries de la Chapelle Sixtine, une des oeuvres majeurs par l’influence qu’elle a exercée sur toute la peinture d’histoire jusqu’au XIXe siècle, en particulier dans la Guérison du boîteux la représentation des édifices acquiert une précision archéologique.

Colonnes torses décorés de reliefs

Dans la bataille de l’Ostie, la disposition des personnages au 1er plan, des éléments de l’arrière plan rappellent la colonne trajanne.

Le contexte humaniste dans la cour de Léon X (1465-1521) explique certainement cela mais on est frappé par la capacité de Raphaêë à accompagner ces idées et même de les précéder comme dans le programme de la décoration de la Stuffetta et de la Logetta de Bibbiena au Vatican où il réinvente le décor à l’antique. Ce style était issu de la fusion entre sacré et profane, antique-païen et chrétien,  et qui avait suscité le mépris d’une bonne partie des intellectuels de l’Eglise et pas seulement Luther (Erasme).

Pour Raphaël comme pour Léon X le retour à l’antique devait servir à ancrer le passé dans le présent, à lui redonner une grandeur ce que beaucoup ne comprenaient pas. Pendant les 20 ans qui précèdent le désastre de la Réforme pour l’Eglise catholique (grosso modo 1500 – 1520) , les artistes mènent la renovatio (la nouvelle Rome) et d’abord Raphaël. Une foule d’artistes et de graveurs diffusent son art.

Son incapacité à réaliser toutes les commandes qui affluent devient paradoxalement une des raisons de la diffusion : pour Alphonse Ier d’Este à Ferrare qui comptait les placer dans son cabinet aux côtes de Bellini, Titien ou Fra Bartolomeo, dessin du triomphe de Bacchus aux Indes de l’Albertina (Vienne).

raimondi quos ego gravure

Marcantonio Raimondi : Quos ego : scènes de l’Énéide de Virgile, gravure, date inconnue. Gravure d’après les dessins de Raphaël. Par ses gravures Marcantonio Raimondi a joué un rôle majeur dans la diffusion des oeuvres de Raphaël et par la même de la Renaissance en Europe occidentale.

Scène centrale Neptune, sortes de bas reliefs qui l’encadrent représentant d’autres scènes du récit. Contraste saisissant entre la dynamique tourbillonnant de la scène centrale toute en énergie et le côté plus équilibré emprunt de dignitas des scènes qui l’entourent. Cf. Loges du Vatican. Même contraste qu’entre les épisodes centraux de Saint Pierre et Saint Paul dans les cartons de la Chapelle Sixtine et les scènes latérales.

La reprise des modèles antiques  va encore plus loin, Raphaël cherche à reconstituer des tableaux décrits par les auteurs antiques et perdus.

 

Le Sodoma, Il, Les noces d’Alexandre et Roxane, vers 1517. Fresque, 370 x 660 cm. Villa Farnesina, Rome. (D’après dessin de Raphaël –> ici)

http://www.wga.hu/framex-e.html?file=html/s/sodoma/2/2farnes.html&find=Alexander

Noces d’Alexandre et de Roxane (1517) (texte de Lucien) pour Agostino Chigi pour sa chambre à coucher de sa villa Farnésine où l’on célébré son mariage en 1518. Exécuté par le Sodoma, le dessin de Raphaêl -> Alexandre inspiré de l’Apollon du Belvédère. Les tableaux religieux ont eux mêmes été influencés par les modèles antiques.

Le petit tableau : la vision d’Ezechiel, 40x30cm, huile sur bois, Florence Galleria palatina

Description de Vasari  : « le Christ tel Jupiter » en dit long sur la source antique de cette image. Il s’agit de Dieu et non pas du Christ, grâce au motif du tétramorphe, on croise la vision d’ Ézéchiel avec la vision de Saint Jean à Patmos. Ezéchiel vu au loin, minuscule, foudroyé par un rayon de lumière. Scène de Théophanie.

La lettre à Léon X en 1519 : un moment exceptionnel dans l’histoire du rapport à l’antique.

Lettre a Leon X Raphaël Baldassar Castiglione

Édition établie par Francesco Paolo di Teodoro, traduit de l’italien par Françoise Choay et Michel Paoli. Éditions de l’imprimeur, 2005.

L’introduction :

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Véritable archétype de la conservation des vestiges antiques -> référence au XVIIIe et XIXe siècle. Raphaël dénonce la furie destructrice de ses contemporains (les barbares n’ayant pas été les seuls à détruire). Comment caractériser ce qu’affirme Raphaël ? Le ton de sa lettre ? ? érudit mais un artiste qui veut préserver les beaux modèles, récupérer, inventorier pour servir le présent, pour donner de beaux modèles aux artistes contemporains censé égaler et même surpasser les Anciens.

Raphaël : praefectus marmorum et lapidum, acheter à un « prix honnête » les marbres nécessaires à l’édification de Saint Pierre et le contrôle des marbres anciens avec inscriptions pour empêcher leur destruction. Le tournant opéré ici par Léon X est la volonté à partir de 1515-16 de conserver les vestiges antiques de la Ville. Raphaël est également responsable de l’urbanisme -> lecture d’Alberti, des auteurs latins mais aussi fouilles archéologiques. -> Au moment de sa mort (1520) il préparait un ouvrage sur l’architecture et l’urbanisme romains à partir de Vitruve et des fouilles. -> dessins de façades…Méthode : le relevé, une représentation en trois parties : plan au sol, élévation du mur de façade, et coupe pour voir l’intérieur.

Raphaël et le raphaélisme : l’invention du « goût de l’antique ».

Il est l’héritier de Brunelleschi, d’Alberti. Jacob Burkhardt affirme que « Raphaêl par sa recherche systématique et soigneuse par les distinctions stylistiques très pointues pose les fondements d’une histoire comparée de l’art en général »

Le « raphaélisme » est un tournant capital dans l’art occidental.

L’art raphaélien apparaît fondamental pour toute une génération d’artistes ceux qui travaillèrent avec lui mais aussi ceux qui arrivèrent à Rome après sa mort et celle de Léon X et sous le pontificat de Clément VII (Jules de Médicis) grand connaisseur de l’antiquité. Ce tournant fut interrompu par le sac de Rome en 1527 par les armées de Charles Quint -> dispersion des artistes qui deviennent le véhicule du style nouveau dans les cours italiennes et diffusent la Renaissance bien au-delà dans toute l’Europe occidentale, à commencer par la France, dans la cour de François Ier (Jules Romain, Rosso Fiorentino et le Primatice à Fontainebleau (la Nouvelle Rome).

Ci-dessous décoration de la Chambre de la princesse d’Étampes à Fontainebleau par le Primatice : nymphes en stuc, peinture : mariage d’Alexandre le Grand et de Roxane.

Sur Fontainebleau lire :

https://lewebpedagogique.com/khagnehida/2010/02/19/fontainebleau-nouvelle-rome/

https://lewebpedagogique.com/khagnehida/2008/09/15/fontainebleau-naissance-dune-ecole/

Voir en particulier : L’ignorance chassée dans la Galerie François Ier : renaissance des lettres françaises et des arts impulsée par le monarque tout en s’ouvrant à la littérature antique par les traductions de Guillaume Budé, codification de la langue française. La monarchie française, qui se réclamait d’une descendance d’Énée, cherche à marquer aussi une descendance gauloise, « française » notamment à travers la figure allégorique de « l’Hercule gaulois ». Cette période du XVIe siècle correspond aussi au début de ce qu’on peut appeler le « goût de l’antique » exprimé par les collections privées de sculptures antiques à commencer par celle des papes à Rome.

Cours suivant :

https://lewebpedagogique.com/khagnehida/2010/02/19/les-collections-dantiques-de-rome-et-de-naples/

https://lewebpedagogique.com/khagnehida/2010/02/19/fontainebleau-nouvelle-rome/

https://lewebpedagogique.com/khagnehida/2010/03/09/premieres-copies-dantiques/

 

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