David, Gros, Delacroix et la peinture d’histoire à sujet moderne.

David, Gros, Delacroix et la peinture d’histoire à sujet moderne.

Introduction :

Lire article sur le contexte historique et artistique du XVIIIe siècle.

http://lewebpedagogique.com/khagnehida/archives/2362

 

Le romantisme français naît du néo-classicisme dont il représente en quelque sorte le prolongement. L’essentiel de ce que la France compte de peintres de la première moitié du XIXe siècle sont des héritiers (même en se démarquant parfois) de David.

Jacques-Louis DAVID, Le Serment des Horaces, 1784, Collection de Louis XVI, Huile sur toile, 3,30m x 4,25m, Paris, Louvre.

David a réinventé la peinture d’histoire dans les années 1770 – 1780 (voir page consacrée à lui ici). La représentation de nobles exploits, l’exemplum virtutis, était depuis longtemps le sujet de ce genre dominant, mais le créateur du Serment des Horaces l’a élevé au rang de la rhétorique afin d’inciter le public à la vertu, l’éduquer, l’émouvoir (pathos, ethos, logos : les trois principes de la rhétorique). Il suivait dans ce sens les appels de Diderot dans les Salons (1759 – 1783) qui demandait aux artistes de peindre « comme on parle à Sparte », pour un art sobre et sérieux débarrassé des frivolités du rococo, bref pour un retour au « Grand style » (: XVIIe, Poussin, Le Brun) :

« dans le torrent de modes, de fantaisies, d’amusements, dont aucun ne dure, et dont l’un détruit l’autre, l’âme perd jusqu’à la force de jouir, et devient aussi incapable de sentir le grand et le beau que de le produire »

Diderot, « Le luxe », Encyclopédie, 1765

 Les Horaces de David, inspirés de la tragédie Horace de Corneille, exposés en 1785 expriment  une peinture qui se veut morale (cf.Lumières)  très loin du baroque et du rococo qui dominaient à l’époque

On peut affirmer avec William Vaugham que David, incarnant l’apogée de la peinture rhétorique apparue vers 1770,  est le « père de la peinture française moderne » jusqu’à Delacroix. Mais sa mise au service Bonaparte, puis sa disgrâce sous la Restauration ont affaibli son art, d’autant plus que ses élèves ont pris leurs distances en adoptant un style bien différent : Gros, Ingres, les Primitifs (Maurice Quay, cf. page sur « Les institutions artistiques, l’artiste et son atelier »). Les successeurs immédiats de David suivent donc d’autres voies qui mènent au romantisme. David, père paradoxal du romantisme français dans la peinture ?

I. David (1748-1825), entre exemplum virtutis et expression du sentiment.

Le tableau du Serment des Horaces est une véritable révolution à la fois thématique et picturale marquée par un nouveau rapport à l’histoire mais aussi une nouvelle expression plastique issue de l’interprétation du modèle antique.

L’idéal de l’Antiquité (sans oublier Raphaël au Vatican) fournit à la fois les textes (Pline, Hérodote) modèles politiques (démocratie athénienne, République romaine, puis Empire sous Napoléon), les valeurs morales (virtù) et tout naturellement les modèles esthétiques (technique des vases, des fresques, les bas reliefs) empreints de simplicité formelle, de clarté prises comme des “vertus” stylistiques. La forme l’emporte sur la couleur (Diderot ne disait-il pas “Il n’y a que les maîtres dans l’art qui soient bons juges du dessin, tout le monde peut juger de la couleur” ?) comme l’affirment les auteurs des volumes sur les Beaux Arts, de L‘Encyclopédie méthodique éditée par Charles Joseph Panckoucke en 1788. Comme pour l’architecture, il s’agit de “régénérer” l’art en recherchant la vérité à la fois par le naturel et par l’idéal classique tout en refusant les concessions au “réalisme” comme pouvait le faire la peinture de genre.

Tableau moins connu que le Serment, mais qui donna à David le Prix de Rome après un premier échec (La Mort de Sénèque) : Antiochus et Stratonice. Il exprime très tôt déjà la dualité du message davidien

JL David, Antiochus et Stratonice, Prix de Rome 1774, huile sur toile 122x160cm. Ecole des Beaux Arts.

Antiochus, le fils du roi, est malade…d’amour. Le médecin Erasistrate découvre  qu’il désire la jeune épouse de son père Stratonice. David choisit le moment où le médecin présente la jeune femme à Antiochus en même temps que le père fait un geste de magnanimité offrant sa jeune épouse à son fils. Mais David n’accomplit pars le récit. Il laisse planer le doute sur l’issue de cette histoire en se contentant de montrer le geste de renoncement du père. David exprime déjà ici la tension entre devoir et inclination, entre caractère public et caractère privé. Cette même ambivalence, cette hésitation il la fera vivre magistralement dans Les licteurs rapportent à Brutus les corps de ses fils (1789) d’après la pièce de Voltaire. Les héros de David ne sont donc pas des généraux victorieux mais des personnages brisés, marqués par le conflit entre devoir et leurs penchants humains. 

David pousse plus loin la dramatisation du politique avec Brutus, fondateur de la République romaine :

Les licteurs rapportent à Brutus les corps de ses fils, 1789 huile sur toile, 323 x 422 cm, Musée du Louvre, Paris.

Ses fils ayant conspiré contre la jeune République, Lucius Junius Brutus avait dû ordonner leur exécution : son amour et ses devoirs envers sa patrie l’emportant ainsi sur ceux envers sa famille

Ici, David s’inspire d’une tragédie du grand poète et dramaturge italien Vittorio Alfieri (Brutus I et Brutus II). L’oeuvre est plus complexe que le les Horaces malgré la ressemblance du jeu d’opposition monde féminin – monde masculin, non dénuée de clichés idéologiques (lire Linda Nochlin, “Femmes Art et pouvoir”) qui perdureront sur la supériorité du devoir d’État par rapport aux sentiments personnels incarnés dans ses femmes dont la faiblesse s’exprime soit par l’abandon et la mollesse dans le premier tableau soit par des gestes théâtralisés de désespoir dans le second.

Mais David ne restera pas dans les sujets vertueux antiques de la peinture d’histoire. Dès 1789, il s’engage dans la Révolution dont il devient un des grands témoins. L’Histoire en marche devient un de ses sujets de prédilection. Cette inclinaison à témoigner de l’histoire du présent comporte cependant des risques. Du grand tableau sur le Serment du Jeu de Paume, il ne reste qu’une esquisse à la plume, encre et lavis, mine de plomb et l’ébauche de la gigantesque  toile (voir dossier ici) destinée à la chambre de la future Assemblée Nationale. Mais la grande famille révolutionnaire s’est scindée en factions rivales et le projet n’a pas abouti. David pourra se rattraper avec le Sacre de Napoléon (1805-1807) il réalise la grande toile politique dont il rêvait..

L’image du martyr révolutionnaire Marat en revanche est une toile qui épouse au plus près à la fois la conscience subjective du peintre et les exigences objectives du moment puisque le tableau est peint au lendemain des faits du 13 juillet 1793.

Jacques Louis David, Marat assassiné, huile sur toile de 165 x128 cm. Vendu par les héritiers de David au Musée des Beaux Arts de Bruxelles.

Triple message de ce tableau : l’authenticité (sorte de reportage) par la présence de la lettre de revendications de Charlotte Corday, un message politique appelant à venger l’ami du peuple, une icône emphatique du martyr à vénérer, sorte de relique.

Ici, David introduit le spectateur au coeur de l’évènement pour le rendre témoin de l’Histoire. Cette histoire est désormais centrée sur l’héroïsme révolutionnaire qu’incarne le martyr de la liberté Marat. Véritable “Piétà jacobine” comparée par certains à celle de Michel-Ange, le tableau devient un véritable emblème du combat de la liberté.

Interprétation.

Dans le Brutus la mort est infligée, ici c’est un martyr, une mort acceptée, au nom du combat pour la liberté. La liberté ou la mort, le principe dépasse l’individu comme le caractère sacré du roi. La mort des combattants de la liberté scelle le serment. Œuvre votive (“A Marat David”), scène funèbre qui devient un monument d’éternité. Contraste entre l’écriture cursive comme témoignage sur l’attentat et la stèle funéraire gravée en caractères latins -> éternité.

Baudelaire y voit le héros révolutionnaire divinisé (Apollon). Contraste avec Brutus -> couleur ici plus discrète, si ce n’est la nappe posée sur l’établis (vert) la caisse en bois et le mur gris aux nuances lumineuses subtiles. En revanche le dessin prévaut dans la représentation du héros comme un agent du « spiritualisme » (Baudelaire)

La Révolution entend utiliser la tragédie, le théâtre classique comme source de la raison. L’artiste doit penser donc non seulement composer mais proposer au spectateur un récit d’actions exemplaires (exemplum virtutis né à Florence au Quattrocento).  David, peintre du sacré, de la domination d’un absolu qui dépasse les hommes, sa « piéta jacobine » est là pour en témoigner.
Il procède à une mise en scène de la mort de Marat dans la cour du Louvre et, pour être plus proche du réel, il fait faire un moulage de la tête de Marat pour un rendu précis du crime ; les citoyens lors de l’exposition peuvent vérifier par leurs yeux la réalité de l’événement avec la baignoire dans laquelle il l’avait croqué la veille de son assassinat…Le tableau sera copié maintes fois pour des raisons de propagande, le Louvre en possède une.

Voir un dessin préparatoire ici :

https://picasaweb.google.com/lh/photo/G6qv80Pm78oupmxIebyiMdMTjNZETYmyPJy0liipFm0?feat=directlink

Michel Thévoz (conservateur et historien de l’art suisse, Le théâtre du crime. Essai sur la peinture de David, Paris, Ed. de Minuit, 1989) évoque la sobriété de la scène qui laissait l’impression d’un « instantané photographique » : il y voit une volonté d’objectivité de la part de David, sorte de « degré zéro du style ». Pour Michel Thévoz, ce souci d’objectivité  anticipe sur le réalisme moderne.  

Le néoclassicisme est  par conséquent l’anti – baroque par excellence, il n’admet pas les sensations. L’œuvre doit parler d’elle-même. Le tableau est une forme de serment de fidélité à la cause révolutionnaire. Pour David, c’est un serment de fidélité à la norme figurative de l’héritage classique prenant le contre pied de la frivolité du rococo. Ce serment fait de Marat l’égal de Socrate, d’Aristote et de Platon. Le Serment des Horaces était un cri, ici tout est silence, absence de mouvement si ce n’est la plume que la victime laisse tomber.

Un autre exemple de représentation du héros martyr de la liberté par David est la Mort de Bara. Le nu androgyne idéalisé (qui rappelle le jeune David fondu en bronze par Donatello en 1430 à Florence,n’est en réalité qu’une ébauche car David n’a pas achevé cette oeuvre :

Jacques Louis David, La Mort de Bara, 1794, huile sur toile, 118×155 cm. Musée Calvet. Avignon.

http://www.histoire-image.org/site/oeuvre/analyse.php?i=344

Au mythe (au sens propre) du héros juvénile (13 ans) mort pour la République (histoire de ce sacrifice très probablement inventée de toutes pièces puisqu’il a été tué par des brigands). Image inachevée du héros juvénile destiné au culte révolutionnaire censé palier à la déchristianisation que dénonce Robespierre. David présenta son plan d’organisation de la cérémonie et évoqua la mort de Bara : « Sommé par des brigands de crier Vive le Roi ! A l’instant, percé de coups, il tombe en pressant sur son cœur la cocarde tricolore ; il meurt pour revivre dans les fastes de l’histoire. » La fête qui était prévue le 10 thermidor 10 août 1792) fut finalement annulée en raison des événements de la veille aux Tuileries.

Dans le tableau d’histoire – événement l’artiste joue sur deux registres : reproduire les faits et les sublimer. Mais comme le montrent les exemples davidiens, suivre l’actualité et choisir un camp peut s’avérer risqué L’ancrage à l’antiquité permet donc de rendre intemporel l’événement et masquer ainsi la « bifocalité » du sens dont parle Werner Hofmann dans Une époque en rupture (Univers des formes Gallimard 1996). Le tableau ci-dessous de Topino – Lebrun met en scène la mort dramatique du réformateur Caïus Gracchus dont la réforme politique en faveur de la plèbe se heurte à la résistance du Sénat qui finit par appeler à son élimination physique. Sa mort reste mystérieuse : poursuivi par ses opposants, se suicide-t-il ? Meurt-il lynché ?

La mort de Gracchus Babeuf (conspiration des Egaux en 1797 contre le Directoire) ressemble étrangement à ce fait historique. Mais personne n’a fait le rapprochement lors du Salon de 1798.

Topino Lebrun Francois Mort de Caius Gracchus exposé en 1798 huile sur toile 387 x 615 cm MBA Marseille.

Le peuple héroïsé mais les divisions politiques dénoncées.

Dans une entreprise de récupération et de détournement de l’iconographie d’Ancien Régime David met en scène un cortège triomphal du peuple et des martyrs de la Révolution :

J-L. David, Le Triomphe du peuple français. 1795, 21.1 cm x 44 cm. Encre noire, lavis gris, mine de plomb, plume. Musée du Louvre.

Le dessin inachevé (mais mis au carreau pour être reporté) est lui aussi composé en longueur à la manière d’une frise antique, mais le cortège qui forme le Triomphe du peuple français s’avance de la gauche vers la droite. La Victoire guide un char antique, tiré par quatre taureaux, où trône un Hercule assis personnalisant le Peuple français (rappel : Hercule gaulois -> François 1er), protégeant l’Égalité et la Liberté, avec à leurs pieds, le Commerce, l’Abondance, les Sciences et les Arts. Le char foule des attributs d’Ancien Régime, tandis qu’au-devant deux hommes du peuple mettent à bas des tyrans qui tentent de fuir. À l’arrière, David dessine ceux qu’il considère comme les héros de la liberté, brandissant des palmes, symbole de leur « martyre » : Cornélie, qui accompagne ses fils, les Gracques (assassinés pour leurs tentatives de réformes plébéiennes), Brutus, Guillaume Tell (qui porte son fils sur ses épaules), puis ferment la marche Marat et Le Pelletier, deux députés de la Convention assassinés en 1793.

La toile ne sera jamais réalisée.

(extrait du site l’Histoire par l’image)

Philippe-Auguste Hennequin  peint un immense tableau (4 x 6 m) Le triomphe du peuple français le 10 août 1792. Premier prix au Salon 1799 qui rompt avec la peinture – événement au profit de l’allégorie dans un style « furioso » qui n’a rien à envier aux romantiques. Démantelé le tableau, il disparait hormis quelques fragments qui laissent deviner le puissant mouvement de cette oeuvre qui appelle à la réconciliation dénonçant la violence révolutionnaire. Sorte de psychomachie : Calomnie, Discorde, Trahison, rage, contre Liberté Mérite Equité…

La Fureur et l’Envie. Musée du Mans.

Fragments du tableau d’Hennequin La Calomnie et le Mensonge

Les Sabines, sont aussi un tableau qui appelle à la réconciliation grâce à l’intervention des femmes.

Sur ce tableau voir articles :

http://www.louvre.fr/oeuvre-notices/les-sabines

J-L David, Les Sabines ou L’Intervention des Sabines, 1799 huile sur toile, 385 x 522 cm. Musée du Louvre.

Sur le plan plastique, David semble se tourner vers les dessins de Flaxman, d’où la disposition en frise,  et vers le style « grec » loué par Winckelman d’où la nudité sculpturale des guerriers. L’Institut ne lui pardonna pas cette prise de liberté esthétique, ni d’ailleurs son esprit d’indépendance qui le poussa à exposer le tableau, non pas au Salon, mais dans son atelier du Louvre avec une entrée payante. Il voulait aussi marquer sa désapprobation vis à vis de ses élèves du courant des « Primitifs » qui prônaient un retour à l’archaïsme.

David reprend ici le double thème du conflit et de la réconciliation. Dans les Horaces les femmes subissaient de manière passive l’Histoire. Mais la Révolution avait créé un personnage féminin : l’allégorie de la Liberté et de la République militante, figure de combat. Ici la figure féminine devient médiatrice, ce qui annonce les futurs compromis napoléoniens.

David donne à sa composition trois registres rompant ainsi avec l’unité classique. A l’arrière plan la lutte tumultueuse dont se détachent Hersilie et les deux guerriers qui constituent le deuxième niveau avec les mères affligées et leurs enfants.

Cette partie concentre la valeur symbolique de la scène. Puis, l’emblème du bouclier de Romulus constitué de la louve, symbole de civilisation et d’éternité, est l’image centrale autour de laquelle gravite la narration.

Comment situer le grand tableau du Sacre ?

Un pendant « impérial » des deux Serments démocratiques.

http://www.histoire-image.org/site/oeuvre/analyse.php?i=175

Jacques-Louis David (1748-1825), Le Sacre de l’empereur Napoléon Ier, 1806. Date représentée : 2 décembre 1804, 621 cm x 979 cm, Huile sur toile, Musée du Louvre.

David peut enfin peindre la grande toile politique dont il rêve depuis le Serment du jeu de paume. A cause d’une « brouille familiale » l’impératrice mère n’atait pas présente à la cérémonie mais Napoléon demanda qu’elle y figure.

Cette fois le « père » est un empereur, la soumission s’exprime à son égard et non plus à un impératif patriotique.Ce changement s’opère dans un décor inspiré des arcs de triomphe romains qui a été déployé dans un édifice gothique. La synthèse stylistique entre style classique et gothique est bien dans l’air du temps (cf. Saint Geneviève de Soufflot -> Panthéon ).

L’influence de David sur la peinture française, voire européenne, est immense.

Il incarne l’abandon d’une peinture d’Histoire encore marquée par la prééminence de la commande royale (sur des thèmes qui préfigurent le style troubadour) et ecclésiastique (l’Eglise passe encore des commandes jusqu’en 1789).

C’est le Comte d’Angivillers, Directeur des Bâtiments du Roi qui mène une politique très active à partir de 1775. Mais il faut remarquer un changement dans le choix des sujets pour ces commandes officielles : l’histoire de la monarchie prend de plus en plus le pas sur le sujet antique. Cette peinture met en scène les grandes figures de l’Histoire de France dans des situations exemplaires comme ce tableau de François Guillaume Ménageot :

François Guillaume Ménageot, La mort de Léonard de Vinci dans les bras de François Ier, 1781, huile sur toile, 278 x 357 cm. Musée de l’Hôtel de Ville d’Amboise.

Ici, un des derniers tableaux de commande religieuse avant les troubles de la Révolution peint par un des plus brillants élèves de David.

De Peinture francaise 1770-1800

Anne-Louis Girodet de Trioson Le Christ mort soutenu par la Vierge 1789 Huile sur toile, 335 x 235 cm Montesqieu Volvestre (Haute-Garonne) église Ste Victor.

Tirant parti des leçons de David sur l’expression du sentiment, l’émotion, Girodet annonce les développements du romantisme en plaçant la scène dans une cavité rocheuse creusée à droite de manière spectaculaire vers son entrée fortement éclairée. La froide précision académique du corps puissant du Christ contraste avec la sensibilité exprimée par la figure féminine de la Vierge (ce qui rappelle le compositions de David).

II. Antoine-Jean Gros (1771-1835), entre davidisme et romantisme.

François Gérard, Portrait de J-A Gros à l’âge de 20 ans. 1790, huile sur toile, 61 x 50 cm. Musée des Augustins Toulouse.

A. L’exemplum virtutis napoléonien détourné.

Gros fut un fidèle élève de David (1785-1792) dont il garde l’atelier après le départ du maître en 1816. Il est le peintre de la geste napoléonienne, ce qui lui a valu de devenir baron. Mais il est aussi un des premiers artistes romantiques en France tout en restant, et c’est un paradoxe dans le cadre officiel des commandes qui constituent l’essentiel de sa production. Artiste parmi les plus doués de sa génération, Gros incarne la difficulté de sa génération ayant servi la cause impériale à s’adapter au monde de l’après 1815. Il se suicide en 1835.

Antoine-Jean Gros Bonaparte visitant les pestiférés de Jaffa le 11 mars 1799 1804 huile sur toile  715 × 523 cm. Paris. Louvre.

Nous avons déjà parle de ce tableau qui annonce la peinture romantique française et sur lequel vous trouverez une analyse sur le site du Louvre :

http://www.louvre.fr/oeuvre-notices/bonaparte-visitant-les-pestiferes-de-jaffa-le-11-mars-1799

L’influence du colorisme de Rubens est évidente, Gros prend le contre pied de la peinture claire, aux contours nets de David. Sur le plan politique et de l'(in)exactitude historique il prend les mêmes libertés que celles de David dans le Sacre puisque d’une part Napoléon et ses officiers portent l’uniforme de l’armée impériale (qui n’existe pas à l’époque) et le geste thaumaturgique de Bonaparte est bien sûr une anecdote mensongère, Napoléon ayant fait enfermer, voire fait exécuter les malades comme l’accusaient les Anglais.

Napoléon à la Bataille d’Eylau met en scène l’Empereur après une des grandes batailles de l’épopée napoléonienne :

Antoine-Jean Gros Napoléon sur le champ de bataille d’Eylau,1807. Huile sur toile, 521 cm × 784 cm. Musée du Louvre, Paris.

Tableau exceptionnel  à la fois par ses dimensions accentuées également par la taille des têtes au premier plan deux fois plus grandes que nature, mais aussi par le réalisme de l’horreur poussé jusqu’au sublime qui saisit le spectateur. Les espions de Napoléon au Salon de 1808 ont soupçonné Gros de vouloir rendre la guerre impopulaire mais Napoléon apprécia, peut-être car il apparaît ici tel un dieu bénissant les blessés, à la fois magnanime et rempli d’humanité et de compassion. Le geste du bras levé s’inspire certainement d’Alexandre le Grand dans la série de Le Brun pour Versailles, et la statue équestre de Marc Aurèle au Capitole(voir ici). L’influence de Rubens pour les figures et des paysagistes hollandais du XVIIe siècle est également perceptible. Loin du simple « reportage » de guerre, ce tableau ambitieux visait aussi à témoigner de la virtuosité de l’artiste. 

La question de savoir comment l’histoire contemporaine devait être représentée est déjà posée depuis Rubens et sa série sur Marie de Médicis qui était très largement allégorique. Mais Gros décide de ne pas idéaliser la scène en dehors de la figure de Napoléon et de représenter les blessés, les soldats fous et les cadavres en décomposition au premier plan. Géricault s’en souviendra pour son Radeau de la Méduse. 

Pour comprendre l’originalité du tableau il suffit de le comparer à celui de Carle Vernet (1758 – 1836, fils du paysagiste  Joseph Vernet et père du peintre Horace Vernet)

De Images romantisme

Carle Vernet Napoléon donnant l’ordre avant la Bataille d’Austerlitz 1808 Huile sur toile 380 x 644 cm Versailles Musée National du Château.
Vernet peint Napoléon dans un style conventionnel rappelant les scènes de l’Histoire du Roy sous Louis XIV de la série de tapisseries sur des dessins de Charles Le Brun (exemple ici)

B. Un précurseur (voire un initiateur) du romantisme.

L’autre oeuvre majeure de Gros dans la veine romantique  est le portrait de Bonaparte au Pont d’Arcole :

Voir dossier sur les visages de Bonaparte ici.

http://www.histoire-image.org/site/etude_comp/etude_comp_detail.php?i=131

A.J. Gros, Bonaparte  au Pont d’Arcole en 1796 (étude), vers 1801, huile sur toile, 73 × 59 cm. Louvre.


Saisi dans le feu de l’action de cette bataille lors de la campagne d’Italie,  Bonaparte est ici le héros qui par sa fougue et son action guide les troupes vers l’objectif, la prise du pont sous le feu de la mitraille. Le visage exprime le caractère décidé et volontaire du héros, rappelant la « tête d’expression » chère à l’Académie mais en la modernisant car elle est placée dans le feu de l’action qu’évoquent les couleurs gris – ocre des fumées et les ondulations de l’étendard esquissé comme une sorte d’auréole entourant le buste.

Gros peint aussi des sujets classiques mais en leur donnant parfois des accents tragiques, voire sublimes.

Sapho à Leucate, signé daté sur le rocher, 1801, huile sur toile, 122×100 cm Bayeux, Musée Baron Gérard.

Tableau qui attira tous les regards au salon par son atmosphère nocturne, ses bleus et verts profonds. Certains la jugèrent par contre trop verte un peu « discordante » trop éloignée des clairs de lune de Joseph Vernet référence absolue en la matière.

Joseph Vernet Nuit: Scène de la côte méditerranéenne avec pêcheurs et bateaux 1753 huile sur toile 96,5 × 134,6 cm Musée Thyssen-Bornemisza Madrid

L’adjectif « romantique » a même été utilisé par un journal. Le sujet a fait couler beaucoup d’encre car deux Sapho ont coexisté dans la tradition classique :

– la plus grande poétesse de la Grèce antique ayant vécu au VIIe siècle av. JC. Elle exerçait une sorte de rayonnement sur les jeunes filles équivalent à celui de Socrate avec ses disciples.

– la seconde Sapho a été chantée par Ovide dans les Héroïdes, courtisane et cithariste, elle se jeta du haut du rocher de Leucate en mer Ionienne.

David l’a également immortalisée dans une grande composition Sapho, Phaon et l’Amour en 1809 (Ermitage) pour le prince Youssoupoff, mécène et collectionneur d’art français (admirateur de Gros) qu’il achète pendant son séjour à Paris, de 1808 à 1811, ainsi que d’autres peintres en vogue dont il ramène les œuvres en Russie. La Sapho de David, conforme au goût de l’anacréontisme (d’Anacréon, poète lyrique de l’amour et du banquet, VIe siècle av. JC, Asie Mineure) très à la mode.

Ici, Sapho laisse échapper sa lyre et son rouleau de poèmes. Cette « Sapho galante » est empêchée dans sa lecture par l’Amour, elle abandonne sa lyre à l’éphèbe Cupidon, et elle se tourne en riant vers son amant Phaon. Théâtralité des gestes, décors de théâtre, couleurs vives, érotisme. Tous les stéréotypes de l’anacréontisme sont présents.

Jacques-Louis David Sapho, Phaon et l’Amour.1809  huile sur toile 225 cm × 262 cm Musée de l’Ermitage, Saint-Petersbourg.

Après la peinture engagée de la période révolutionnaire, David revient au sujet antique « léger » mais pour satisfaire un client

Sapho à Leucate, signé daté sur le rocher, 1801, huile sur toile, 122×100 cm Bayeux, Musée Baron Gérard.

Gros choisit de fusionner les deux figures, la malheureuse de Leucate est en même temps la poétesse lyrique de Lesbos. Mais il prend aussi des libertés par rapport au récit de Strabon selon lequel le saut a eu lieu en plein jour, au milieu d’une grande foule car, tous ceux qui voulaient guérir de l’amour se jetaient dans la mer, cherchant non pas la mort mais une sorte de rédemption, de libération. 

Le voile transparent flotte sur le rocher comme si elle venait d’achever son chant avant de se lever. Sorte de fantôme, elle semble attirée par les flots et la lune. Le deuxième promontoire à l’arrière plan pourrait être une métaphore du quatrième vers des strophes saphiques, plus court (5 syllabes) que les trois premiers (11 syllabes), un drame visuellement poétisé en quelque sorte.

Le tableau réunit les quatre éléments : l’air, l’eau, la terre, le feu, et Sapho qui semble attirée vers l’immortalité ou vers son reflet et peut-être ainsi vers la mort ? Elle st représentée à l’instant qui précède le passage dans un autre monde, sorte de traversée du miroir entre la poésie classique familière des érudits et l’imaginaire romantique en formation. Cette tension intérieure habite le tournant du siècle et Gros est un des artistes qui ont le mieux senti ce passage.

« Pâle comme neige, la mort ou le visage clair des lépreuses »

(Margurite Yourcenar, Sapho ou le suicide in Oeuvres romanesques Pleiade, 1983, p.1129)

Chasseriaux a produit un dessin du même sujet :

http://lettres.ac-rouen.fr/francais/romantik/themes/sapho.html

 ainsi que Gustave Moreau :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Gustave_Moreau_-_Sapho_%C3%A0_Leucade.jpg

Mais Gros montre ici l’exemple aux romantiques français, mais malgré lui : Delacroix et Géricault admiraie nt tout autant l’aspect dramatique de l’art de David et la facture riche et colorée, la « picturalité de Gros.

 Mais ils appréciaient aussi sa capacité de mettre en scène dans de véritables tableaux, avec un grand goût de la composition l’histoire contemporaine en marche. Pourtant Gros était loin d’être en rupture avec son maître dont il professait l’art à ses élèves. Honoré par l’ultra conservateur Charles X, il voulait malgré tout préserver l’héritage néo-classique. La mauvaise réception de son Hercule et Diomède au Salon de 1835 est la cause de son suicide en 1835.

J-A Gros, Hercule et Diomède, 1835, huile sur toile, 426 x 324cm. Toulouse.

Jacques Bordier du Bignon (1774-1846) , Gros s’élançant dans l’éternité, 241×182 cm, huile sur toile, Musée des Augustins Toulouse.

Le tableau évoque les derniers pas du maître vers la mort. En effet, fragilisé par les critiques émises à l’encontre de son oeuvre, le baron se jette dans la Seine en 1835, suicide qui suscita une grande émotion dans le milieu artistique. L’aspect fantastique et onirique de la composition appartient au Romantisme : de profil, Gros est poussé vers le vide par une chimère armée de serpents qui évoque à la fois la cruauté du monde des salons et ses propres démons intérieurs. En haut à gauche, autour d’une palette, des phylactères évoquent ses principales oeuvres. Dans son hommage à l’artiste, le peintre n’a pas omis la Légion d’honneur qui orne son habit.

Delacroix l’avait très bien dit :

« Gros a élevé les sujets modernes jusqu’à l’idéal ; il a su peindre le costume, les moeurs, les pâssions de son temps sans tomber dans la mesquinerie ou la trivialité, écueils ordinaires de ce genre de sujets »

(article de Delacroix dans la revue des deux mondes 1948)

III. Delacroix (1798 – 1863) entre classicisme et romantisme.

http://mbarouen.fr/fr/oeuvres/autoportrait

Autoportrait d’Eugène Delacroix, 1798-1863 vers 1816. 50, 5 cm x 60, 5 cm. Huile sur toile. Rouen Musée des beaux Arts

http://www.rouen-musees.com/Musee-des-Beaux-Arts/Les-collections/Le-romantisme-Autoportrait-96.htm

Jeune artiste travaillant à ce moment dans l’atelier de Guérin et fréquente Géricault. Si la facture est lisse, l’influence de Rembrandt dans le clair-obscur est très marquée.  Géricault meurt jeune laissant la place à son ami et mentor Eugène Delacroix qui occupe la place éminente de chef de file devant Théodore Chassériau, Alexandre Descamps, Auguste raffet, Achille Devéria ou Ary Scheffer, Horace Vernet  ou Eugène Isabey tous artistes reconnus.

Mais Delacroix a-t-il été véritablement un peintre du mouvement romantique ?

Bien sûr en comparant les deux visons de l’artiste Raphaël chez Ingres, Michel-Ange chez Delacroix, on serait tenté de le faire.

Jean-Auguste-Dominique Ingres (Montauban 1780 – 1867 Paris), Raphael et la Fornarina, 1814, huile sur toile 64.8 x 53.3 cm. Harvard Art Museums/Fogg Museum,
 
Eugène Delacroix, Michel-Ange dans son atelier, vers 1849,1850, huile sur toile, 40x32cm, Montpellier, Muse Fabre.
 Comme le montrent les deux toiles, les deux artistes sont inclassables.
 
A quelqu’un qui voulait le flatter en le qualifiant de « Victor Hugo de la peinture » il répondit « Vous vous trompez Monsieur. Je suis un pur classique ». 

Il n’a pas enrolé malgré lui par ceux qui se sont reconnus dans Les Massacres de Scio (1824, Louvre) ou la Mort de Sardanapale qui a fait scandale au Salon de 1827.  Ils l’auraient fait entrer « bon gré mal gré dans la coterie romantique », comme il le disait lui-même. Malgré ses débuts scandaleux, Delacroix n’a eu cesse de les faire oublier en  entretenant un rapport ambivalent au romantisme.

Trois Oeuvres manifestes témoignant d’un nouveau rapport à la peinture.

La barque de Dante :

Delacroix, La barque de Dante, 1822, huile sur toile, 189 cm × 246 cm. Paris, Louvre.

 Le poète traverse sur une barque les eaux troubles afin de se rendre à la Cité des Enfers. Dante avait été remis au goût du jour par Flaxman comme nous l’avons vu dans l’introduction.Les nus académiques doivent beaucoup à Géricault mais surtout à Michel-Ange. La lumière et le coloris sont cependant différents, vifs au niveau des drapés  et l’arrière plan où la ville se consume plus proches du sublime dans leur obscurité inquiétante que les couleurs blafardes vert et gris de la Méduse. Delacroix a veillé à un certain équilibre des tons froids notamment le bleu du Rameur Phlégias, le rouge de la coiffe de Dante et le orange du drapé de Virgile. L’intérêt pour la picturalité du tableau est manifeste.

 « Aucun tableau ne révèle mieux à mon avis l’avenir d’un grand peintre, que celui de M Delacroix, représentant le Dante et Virgile aux enfers. C’est là surtout qu’on peut remarquer ce jet de talent, cet élan de la supériorité naissante qui ranime les espérances un peu découragées par le mérite trop modéré de tout le reste. »
    « Le Dante et Virgile, conduits par Caron, traversent le fleuve infernal et fendent avec peine la foule qui se presse autour de leur barque pour y pénétrer. Le Dante, supposé vivant, a l’horrible teint des lieux ; Virgile, couronné d’un sombre laurier, a les couleurs de la mort. Les malheureux, condamnés à désirer éternellement la rive opposée, s’attachent à la barque : l’un l’a saisie en vain, et, renversé par un mouvement trop rapide, est replongé dans les eaux ; un autre l’embrasse et repousse avec les pieds ceux qui veulent aborder comme lui ; deux autres serrent avec les dents le bois qui leur échappe. Il y a là l’égoïsme de la détresse, le désespoir de l’enfer. Dans ce sujet, si voisin de l’exagération, on trouve cependant une sévérité de goût, une convenance locale, en quelque sorte, qui relève le dessin, auquel des juges sévères, mais peu avisés ici, pourraient reprocher de manquer de noblesse. Le pinceau est large et ferme, la couleur simple et vigoureuse, quoiqu’un peu crue. »
    « L’auteur a, outre cette imagination poétique qui est commune au peintre comme à l’écrivain, cette imagination de l’art, qu’on pourrait appeler en quelque sorte l’imagination du dessin, et qui est tout autre que la précédente. Il jette ses figures, les groupe et les plie à volonté avec la hardiesse de Michel-Ange et la fécondité de Rubens. Je ne sais quel souvenir des grands artistes me saisit à l’aspect de ce tableau ; je retrouve cette puissance sauvage, ardente, mais naturelle, qui cède sans effort à son propre entraînement. »
    Je ne crois pas m’y tromper, M. Delacroix a reçu le génie ; qu’il avance avec assurance, qu’il se livre aux immenses travaux, condition indispensable du talent ; et ce qui doit lui donner plus de confiance encore, c’est que l’opinion que j’exprime ici sur son compte est celle de l’un des grands maîtres de l’école. »
A. THIERS. article du Constitutionnel de 1822 sur Delacroix et La Barque de Dante 
Thiers parle de « l’avenir d’un grand peintre ». Gros parle du « Rubens châtié » et l’invite dans son atelier. Le tableau a été acheté pour le Musée du Luxembourg alors qu’Ingres devait attendre l’année suivante pour son premier tableau. Tableau hommage à la Méduse, il représente aussi une sorte de catastrophe maritime mais
 
Le deuxième tableau ce son Les Massacres de Scio (1824) a été plus dérangeant.
 

Eugène Delacroix, Sène des massacres de Scio, huile sur toile 419 cm × 354 cm. Paris. Musée du Louvre

Delacroix choisit un  sujet de type fait d’actualité comme Géricault, il s’inspire des Pestiférés de Jaffa qu’il a vus chez Gros, mais il subvertit le thème en détournant les principes de Gros (ce dernier ne s’est pas trompé en disant « Les Massacres de la peinture »).

Il met en scène un des plus sanglants épisodes de la guerre d’indépendance grecque (1822). Porté par ses illustres maîtres, par le sentiment philhellénique très partagé en France, admiratif de l’engagement de Byron, il fait une des premières peintures d’Histoire moderne. Car, dans sa rupture avec l’antique, au lieu de se perdre dans l’anecdotique du fait divers, il cherche à fair de la grande peinture d’Histoire : celle qui élève le transitoire vers l’éternel, dans le choix des personnages comme dans celui de la composition. Les corps ne sont pas idéalisés, la composition manque d’unité (le contraire des leçons de Gros), aucun épisode n’est privilégié et la touche au lieu d’être lisse elle grasse, visible.  Il n’y a ni traîtres ni héros ici. Les victimes semblent résignées et seul Baudelaire a saisi cet hymne à l’acceptation nonchalante de la souffrance irrémédiable et de la fatalité.

Ainsi l’homme qui refuse d’être affilié à aucune école, se trouve affublé de l’ étendard d’une nouvelle esthétique.

Ce malentendu arrive à son comble avec la Mort de Sardanapale au Salon de 1827. Delacroix l’appelait son « second massacre ». 

Eugène Delacroix  La Mort de Sardanapale. 1827, huile sur toile 392 cm × 496 cm × 0,55 cm. musée du Louvre, Paris

 Ce très grand format a concentré tous ses efforts de l’année, mais ne trouvera personne pour le défendre même chez les romantiques. Pourtant cette oeuvre illustre de manière paroxystique la subversion que le romantisme opère au sein des règles néo-classiques.

Lointainement inspirée d’une oeuvre de Byron (Sardanapalus 1820) le tableau, qui met en en scène la mort du roi assyrien préférant la mort au combat, met en scène les derniers instants du roi au milieu d’un chaos aux allures programmatiques pour le peintre.

A l’exigence de l’unité, à la séparation des genres et des styles il oppose le mélange, le désordre visuel.  Le premier plan est composé en frise à la manière néo-classique alors que le cadrage qui tronque les personnages est moderne et la diagonale qui structure l’ensemble baroque. Mélange des genres également entre scène de genre et peinture d’histoire.

Manifeste pictural et existentiel nous dit Pierre Wat dans le Dictionnaire, la figure de Sardanapale tranche avec les Grecs et les Romains de David. Ces derniers exaltaient le courage, les vertus, le renoncement civique à la vie au nom du patriotisme. Au lieu de l’exemplum virtutis, c’est un anti-héros qui est l’acteur de l’Histoire, une histoire inspirée d’une oeuvre littéraire. C’est un homme seul attiré par la mort qui quitte tous les biens matériels dont il a joui. Renversé par une insurrection il mourra au bucher (ce lit rouge feu en est d’ailleurs l’allégorie). Un homme qui souffre nous dit Pierre Wat du mal du siècle, du spleen.

Cependant, le Sardanapale de Byron est héroïque : il monte tout seul au bucher suivi par sa favorite de son plein gré.

La réception est unanime (sauf Hugo mais qui n’ose pas le défendre) : « Le plus mauvais tableau du salon ! », Delécluze (un davidien) parle « d’erreur de peintre ». mais romantiques aussi sont choqués. Et c’est peut-être ce que recherchait avant tout Delacroix. Se brouiller avec eux qui voulaient l’enrôler. Delacroix ne cessera pas par suite de faire effacer ces trois coups d’éclat de jeunesse.Le Jury conseilla au jeune artiste de « changer de manière ». 

S’il voulait faire carrière, il devait à la fois s’illustrer dans le grand genre de la peinture d’Histoire et s’assagir. Pour rentrer dans les bonnes grâces de la Monarchie de Juillet il exposé en 1831 la Liberté guidant le peuple.

Delacroix fut celui qui comprit mieux que tout autre, que le renouvellement de la peinture passait par le dépassement de la formation classique. II admirait plus que tout autre artiste Constable (exposé à paris en 1824) !!

Il finira par admettre lui même : 

« Si l’on entend par mon romantisme la libre manifestation de mes impressions personnelles, mon éloignement pour les types calqués dans les écoles et ma répugnance pour les recettes académiques, je dois avouer que…je suis romantique ».

 

One thought on “David, Gros, Delacroix et la peinture d’histoire à sujet moderne.

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