Romantisme et orientalisme

Romantisme et orientalisme

Voir exposition récente : Delacroix et l’aube de l’Orientalisme de Decamps à Fromentin à Chantilly.

http://www.latribunedelart.com/delacroix-et-l-aube-de-l-orientalisme-de-decamps-a-fromentin-peintures-et-dessins

I. Les premiers signes d’une fascination pour l’Orient : XVIIIe siècle.

La séduction ou du moins l’intérêt pour l’Orient apparait en Europe dès le XVe siècle (notamment à Venise) et se poursuit au XVIIe siècle. Mais les quelques oeuvres comme la tragédie de Racine Bajazet (1672) ou les Ballets turcs de Molière, le Carroussel des galants Maures (1685) ou encore les gravures de Callot commandés notamment par le Grand duc de Toscane Ferdinand Ier de Médicis (voir scène de bataille,  frontispice de la tragédie Soliman, portrait d’homme turc)  ou les déguisements de Rembrandt comme dans cet autoportrait du Petit Palais, ou ceux ou d’autres modèles en homme oriental ne restituent qu’une image anecdotique de l’Orient.

AU XVIIIe naît la mode des « turqueries ». Sous l’influence du faste des ambassades du Châh perse (1715) et de la Sublime Porte (1721) , on traduit les Mille et une nuits, Montesquieu écrit les Lettres persanes (1720), Voltaire Zaïre (1732), et Mozart compose L‘enlèvement au seraï (1780). Au Salon, des muftis et des sultanes apparaissent également mais là aussi on est dans le stéréotype vestimentaire de convention. Cependant, certains artistes vont plus loin et préfigurent l’orientalisme du XIXe siècle. Un des plus connus est le peintre valenciennois Jean Baptiste Vanmour, ou Van Mour (1671-1737), qui vivra de 1699 jusqu’à sa mort à Constantinople, dans le quartier des ambassades, à Galatasaraï, avec le titre honorifique de «peintre ordinaire du roi [de France] et en Levant».

Une exposition lui a été consacrée dans sa ville natale en 2009 – 2010 : http://www.herodote.net/La_Sublime_Porte_au_Siecle_des_Lumieres-article-1045.php

Vanmour peint des vues panoramiques des rives du Bosphore, des scènes de la vie quotidienne – rentrée des classes, mariages – et représente encore les principales communautés étrangères de la ville, Arméniens, Grecs, Français, Hongrois… Il nous livre ainsi une témoignage rare de la vie du chaque jour, dans cette cité ô combien cosmopolite. Mieux, il pénètre les rituels de la Cour du Sultan, nous offrant les portraits du sultan Ahmed III, de son Grand Vizir, des plus grands dignitaires, recevant à l’occasion de somptueuses réceptions les ambassadeurs venus d’Europe. Enfin, au-déla des moments protocolaires, Vanmour pénètre encore pour nous le secret des harems ou des repas des Derviches. Ses oeuvres ont connu une très large diffusion en Europe occidentale grâce à la gravure.

Ici le portrait du Grand Vizir conservé au Rijksmuseum d’Amsterdam :

« Grand Vizir Nevsehirli Damat Ibrahim Pacha »

D’autres artistes ont séjourné à Constantinople : le peintre portraitiste genevois Jean-Etienne Liotard 1702-1789) surnommé « le peintre turc ») , Hilair, Antoine de Favray.
Sur la mode des « turqueries » et le portrait déguisé en oriental(e) très prisé au XVIIIe en France et en Angleterre, sièclle voir une belle anthologie en ligne :

http://jeannedepompadour.blogspot.fr/2012/03/turquerie-in-portrait-paintings.html

Mme de Pompadour possédait une « chambre turque » au Château de Bellevue décorée de peintures et d’objets « orientaux » comme celles d’une Sultane buvant du café par Van Loo (vers 1752, Ermitage) :

http://chateaubellevue.wifeo.com/les-peintures.php

Cet engouement du XVIIIe  ne constitue pas pour autant  un véritable orientalisme. Cela relève davantage du rêve (pour ne pas dire du fantasme), de la fantaisie littéraire, prétexte à brosser des détails pittoresques et des nus langoureux.C’est le cas des sultanes de François Boucher (certains nus comme la fameuse Odalisque  du Louvre n’ont rien d’oriental si ce n’est un objet décoratif ici ou là).

Boucher illustre par des dessins tansformés en gravures l’ouvrage : Moeurs et usages des Turcs, leur religion, leur gouvernement civil …,  Jean-Antoine Guer :

http://www.bibliothequedesartsdecoratifs.com/cgi-bin/visu_vignettes.pl?M5053MA_ORNX02X0041#

Une gravure de Boucher extraite de l’ouvrage:

Cadeaux offerts au Sultan (remarquez les décors classiques totalement fantaisistes. Voir aussi deux gravures du metropolitan Museum de N. York. :

http://www.metmuseum.org/Collections/search-the-collections/90068922?rpp=20&pg=1&ft=Boucher+Sultana&pos=2

Ci-dessous dessin au vélin pour le même ouvrage :

François BOUCHER (Paris 1703 – 1770) Soldats turcs au repos. Crayon noir sur vélin 5,6 x 12,3 cm Insolé et taches Gravé en sens inverse dans « Moeurs et usages des Turcs » par Duflos (coll. privée).

Pithou Nicolas-Pierre, le Jeune La sultane donnant ses ordres aux Odalisques d’après Amédée Van Loo du musée Chéret à Nice. 1786 Porcelaine de Sevres 390 x 483 cm Versailles.

Les portraits à la turque et les images de la fameuse Mascarade des élèves de l’Académie de France à Rome,,  « mascarade turque donnée a Rome par Messieurs les pensionnaires de l’Academie de France et leurs amis au Carnaval de l’année 1748. Dediée à messire Iean Francois de Troy, ecuïer, conseiller sécrétaire du Roi, chevalier de l’Ordre de S. Michel, directeur de l’Academie roïale de France a Rome, ancien Recteur de celle de Paris, et ancien Prince de l’Academie de S. Luc de Rome &c … »  Illustrations de Joseph Vien.

Voir la totalité des illustrations en ligne :

http://www.archive.org/stream/caravannedusulta00vien#page/n5/mode/2up

Toute cette imagerie (qui n’est pas seulement composée de « turqueries » mais aussi de « chinoiseries ») relève du divertissement comme d’ailleurs les portraits en travestis mythologiques. Lointain ou exotique, fascinant par les fantasmes érotiques de harems et d’odalisques, attrayant sur le plan décoratif ou bien un ailleurs qui permet de voir autrement le chez soi (Lettres persanes) l’Orient fascine toujours à la fin du XVIIIe siècle

II. L’émergence de l’Orientalisme du XIXe siècle

La campagne d’Egypte (1797), l’insurrection grecque (1821) et la prise d’Alger en 1830 marquent un tournant qui voit l’Orient devenir « une préoccupation générale » comme le dit V. Hugo dans les Orientales (1829). Mais il ne s’agit assurément pas d’un Orient mais plutôt des « Orients ». L’Orient de la littérature des arts, celui du rêve et des ateliers d’artistes qui n’y ont jamais mis les pieds (c’est la tradition des siècles passés), mais de plus en plus aussi celui de la réalité vérifiée sur place grâce au voyage.

Delacroix incarne cette dualité  Son Sardanapale illustre jusqu’au paroxysme l’Orient rêvé : prince cruel, femmes nues, esclaves noirs, trésors, alliance du pittoresque de l’amour et de la mort (rien de bien nouveau depuis le Bajazet de Racine si ce n’est la fougue baroque de l’artiste qui étale sur la toile par une couleur flamboyante la violence et le luxe).

Femmes d’Alger (voir analyse dans Histoire par l’image) dans leur appartement relève plutôt de la deuxième catégorie, celle du témoignage de l’artiste voyageur d’après une étude sur le motif. De facture plus classique, cette oeuvre efface le pittoresque et montre la véritable révélation que fut pour l’artiste le voyage initiatique au Maroc et à Alger en 1832 qui est aussi un nouveau type de retour à l’antique (au sens d’une tradition ancienne), mais débarrassé des scories néo-classiques de l’idéalisme de Winckelmann et de Lessing. Au voyage à Rome à la recherche du Beau idéal des statues grecques, Delacroix substitue le voyage chez les Arabes dont la noblesse d’allure lui semble être le vrai témoignage des temps anciens. « Rome n’est plus dans Rome », « L’Antique, n’a rien de plus beau » écrit-il dans ses carnets.

Un aperçu limité de son carnet de voyage au Maroc ici :

http://carnet-escale.chez-alice.fr/Celebres/LITTERATURE/Delacroix/MarDLCX.htm

La quasi totalité des pages de ses carnets de voyage en Orient qur le Site de la RMN : ce lien vous donne accès aux 200 premières vignettes (cliquez sur les vignettes pour agrandir l’image et pour avoir les informations). Pour avoir la totalité des images, faites une nouvelle recherche avec les termes associés : Carnet dans texte libre et Eugène Delacroix dans Auteur.

http://www.photo.rmn.fr/cf/htm/CExpT.aspx?E=2K1KL5U0YD5&o=THT

Eugene Delacroix, dessin de l’album de voyage aau maghreb et en Espagne Aquarelle crayon 1832 19 x 13 cm Chantilly Musée Condé.

D’autres images ici : http://commons.wikimedia.org/wiki/Category:Carnets_de_voyage_au_Maroc_de_Delacroix?uselang=fr

Voir aussi Chasseriau Juives d’Alger :

http://www.histoire-image.org/site/oeuvre/analyse.php?i=754

Cette fascination pour l’Orient a des répercussions majeures sur la production artistique du XIXe. Parallèlement à l’engouement pour le médiéval, elle contribue à la remise en cause du modèle néo-classique et académique en proposant un contre-modèle thématique et esthétique : palette des couleurs chatoyantes plus lumineuse conformément  à l’atmosphère  des terres du sud baignées par le soleil, ligne arabesque, motifs décoratifs. Ce qui n’était que mode au XVIIIe, devient une véritable révolution esthétique . La thématique évolue aussi : tyrans cruels, érotisme du harem, pittoresque d’un ailleurs qui n’est pas touché par la modernité ce qui attire. Decamps, Horace Vernet, Chasseriau font le voyage et puisent dans ces images de quoi irriguer l’ensemble de leur oeuvre. L’Orient libère l’artiste, introduit la fantaisie là où l’héritage classique imposait une norme. Et de Pierre Wat de finir son article sur l’orientalisme artistique par une référence aux nus d’Ingres, qui, quoique n’ayant jamais fait le voyage en Orient, a introduit l’arabesque dans les codes du beau idéal.

A. De la campagne d’Egypte à l’insurrection grecque et aux combats coloniaux.

Vivant Denon (1747-&825) ici portraituré par Robert Lefèvre, (huile  sur toile, 1808, Versailles)

qui avait accompagné Bonaparte rapporta beaucoup de croquis de ruines pharaoniques et de costumes égyptiens. Ecrivain, dessinateur, graveur, homme du monde bien introduit dans les cercles de la création, Vivant Denon s’attèle sous l’aile protectrice de l’Empereur à la constitution du plus grand musée de France, à l’image de la ville qui l’accueille, Paris, la plus grande capitale du monde. Pour constituer un fonds digne du musée idéal qu’il envisage, Vivant Denon ouvre de nouvelles salles au Louvre pour y exposer les œuvres rapportées de toute l’Europe par les armées napoléoniennes. Elles seront restituées à leurs propriétaires après la chute de l’Empire. La publication en 1802 de son récit illustré de ses dessins et croquis Voyages dans la basse et haute Egypte, suivie par celle de La Description de L’Egypte (1809-1828) – monumentale encyclopédie dédiée au pays des Pharaons et du fleuve roi, le Nil – pousse un certain nombre de peintres et d’écrivains à se rendre dans ces régions alors presque inconnues. Ces voyageurs appliquent à leur façon le conseil de Bonaparte qui suggérait à la jeunesse ambitieuse de l’Art et du Commerce de faire carrière en Orient.

Vous trouverez plusieurs dessins et gravures extraites des Voyages de Denon sur le site du British Museum : (saisir « Denon » et « Egypt »)

http://www.britishmuseum.org/research/search_the_collection_database.aspx

Un bel exemple de dessin :

Dominique Vivant Denon, Arabe vers 1802, (fait partie d’une série de têtes d’Arabes), crayon sur papier, 14x12cm. British Museum.

D.V. Denon, Assemblée de Cheikhs, vers 1802, 6 x 9 cm.Plume et encre grise avec lavis gris.

Ce type de dessins ethnographiques préfigure l’orientalisme du XIXe siècle.

D.V. Denon. Temple Monolithe, vers 1802. Une porte décorée avec des disques solaires ailés, au-dessous le plan. Plume et encre noire, lavis gris. British Museum.

La découverte de l’Egypte est indissociable du développement de l’archéologie amorcée à Pompéi et à Herculanum dans les années 1740-1750 et qui s’accélère au tournant du XVIIIe au XIXe siècle avec la multiplication des voyages en Italie et de plus en plus en Grèce (cf. Conférence de Christine Peltre).

Napoléon Bonaparte, conscient de l’intérêt que la peinture pouvait avoir pour consacrer sa gloire, établit à partir de 1804, un concours sur les sujets d’Histoire qu’il divise en deux thèmes. Celui des « sujets d’Histoire » à proprement dits, c’est à dire classiques et celui, nouveau, des « sujets honorables pour le caractère national », c’est à dire tirés de l’actualité immédiate. Vivant Denon profite de cette disposition impériale pour faire appel à des peintres alors en vogue, plus ou moins officiels, tels le baron Gros, Girodet, Gérard ou Guérin, pour célébrer, même s’ils n’y ont pas participé, les hauts faits du général Bonaparte en Egypte – cet événement qui ouvre l’antiquité égyptienne à l’histoire des connaissances. L’administration fournissait toutes les informations (cartes, rapports d’ambassades et de marchands, dessins, croquis, esquisses ou tableaux de peintres militaires) susceptibles d’aider les artistes dans la réalisation de leur travail. Ces peintres, à partir des commandes de l’Etat, élargissent le champ pictural français à la thématique orientale en l’intégrant dans la peinture d’histoire. Même s’ils n’éprouvent pas le plaisir charnel de la découverte in situ, que procure l’éloignement géographique, ils veulent inventer un nouveau langage pictural pour exprimer l’altérité et rendre compte de la confrontation de leurs propres connaissances avec d’autres horizons culturels.

Gros s’en est servi pour les Pestiférés de Jaffa (1804, Louvre) et pour des scènes de combats comme La Bataille de Nazareth (esquisse pour un tableau présentée au Salon de 1801, MBA de Nantes, voir ici).

Vous trouverez un très bon dossier sur l’expédition d’Egypte sur Histoire par l’image :

http://www.histoire-image.org/site/rech/album.php?album=17420

Si Girodet (voir Révolte du Caire) et Guérin (choisissent le mode épique de leur maître David, Géricault préfèrera une manière toute en ardeur dans les représentations de Mamelouks.

Anne-Louis Girodet-Trioson, La révolte du Caire, 1810 365 cm x 500 cm  Huile sur toile Musée national du Château de Versailles.

Tableau spectaculaire par l’intensité du mouvement des corps inspiré du massacre des Innocents de Poussin et de l’Enlèvement des Sabines. la mise en parallèle des deux corps à droite est un bekl exemple de syncrétisme entre l’esthétique néo-classique du nu académique et le guerrier oriental mourant.

Géricault Théodore (1791-1824), Mameluck retenant son cheval, crayon noir, gouache, lavis, papier brun 28 x 25 cm. Paris, musée du Louvre, Dép.Arts.Gr.
Théodore Géricault, Portrait d’un Turc (Mustapha) vers 1820, Craie noire et aquarelle, Louvre Dép. Arts. Gr.
La Guerre d’indépendance grecque devait confronter la génération  romantique avec des paysages et des types nouveaux. Delacroix domine dans la peinture le traitement de cette thématique de choc à l’image de Victor Hugo (Orientales, 1829) et surtout de Lord Byron pour la poésie. Le mouvement de libération grec a constitué une succession d’épisodes sanglants, héroïques, mais aussi s’atermoiements des puissances européennes malgré l’immense élan de sympathie qu’a suscité le combat des Grecs dans les opinions publiques occidentales. Le vif intérêt archéologique qu’ont provoqué la découvertes des sculptures de l’Acropole et d’autres sites du territoire grec et l’engagement philhellène d’écrivains, de poètes et d’artistes comme V. Hugo, Delacroix, Byron, Charles Eastlake ou Constantin Guys, joune artiste qui rejoint Byron en Grèce avant de revenir en France pour devenir le chroniqueur de la vie moderne pour Illustrated London News ou le Figaro dans de véritables reportages dessinés que des graveurs d’interprétation traduisent sur bois (il voyage aussi dans le Levant d’où il apporte plusieurs carnets de croquis.
Delacroix est un des premiers à consacrer une grande toile sur ce thème : les Scènes des massacres de Scio (1824, Louvre). Il a consigné quelques notes concernant les massacres de Scio

« Mon tableau acquiert un mouvement énergique qu’il faut absolument y compléter.Il y faut ce bon noir cette heureuse saleté et de ces membres comme je sais et comme peu les cherchent. le mulâtre fera bien. Il faut remplir. Si c’est moins naturel ce sera plus fécond et plus beau. Que tout ça se tienne. Ô sourire d’un mourant ! Coup d’oeil maternel ! étreintes du désespoir, domaine précieux de la peinture ! Silencieuse puissance qui ne parle d’abord qu’au yeux et qui gagne et s’empare de toutes les facultés de l’âme ! Voilà l’esprit, la vraie beauté qui te convient belle peinture, si insultée, si méconnue, livrée aux bêtes qui t’exploitent ; mais il est des coeurs qui t’accueilleront encore religieusement ; de ces âmes que les phrases ne satisfont point, pas plus que les inventions et les idées ingénieuses. Tu n’as qu’à paraître avec ta mâle et simple rudesse, tu plairas d’un plaisir pur et absolu. Avouons que j’y ai travaillé avec la raison. Je n’aime point la peinture raisonnable. Il faut, je le vois, que mon esprit brouillon s’agite, défasse, essaye de cent manières, avant d’arriver au but dont le besoin me travaille dans chaque chose. Il y a un vieux levain, un fond tout noir à concentrer. Si je ne me suis pas agité comme un serpent dans la main d’une pythonisse, je suis froid ; il faut le reconnaître et s’y soumettre, et c’est un grand bonheur. Tout ce que j’ai fait de bien a été fait ainsi ».

E. Delacroix, Correspondances

Eugène Delacroix Scènes des massacres de Scio, 1824 huile sur toile 419 cm × 354 cm. Musée du Louvre.

Le tableau est remarqué au Salon, il obtient un prix de 2e classe mais il essuie des critiques assez vives, dont le fameux « C’est un massacre de la peinture » de Gros. Stendhal (sans signer son texte) lui reproche de vouloir représenter une « peste, dont l’auteur sur le récit des Gazette l’a transformé en massacre ». Et il ajoute « Tableau médiocre par la déraison au lieu d’être médiocre par l’insignifiance… ». Pour Stendhal, le public est tellement lassé du genre académique des grandes toiles et des « copies de statues classiques à la mode il y a dix ans », sans intérêt exposées au Salon, qu’il s’arrête devant les cadavres livides et à demi terminés que ne offre le tableau de Delacroix ». Le chromatisme étrange dont témoigne le recours aux couleurs vives et les tonalités chaudes dominantes  déplaît aux académiques (Delécluze) mais il soulève l’enthousiasme des romantiques. La torsion des corps et l’amoncellement des chairs renforcent la violence de la scène alors que les vêtements et les traits appuyés de certaines figures entretiennent l »image d’un Orient chatoyant, violent, conforme au goût orientaliste.

La Grèce sur les ruines de Missolonghi ( dont la figure annonce la Liberté de 1830) est une allégorie (genre plutôt académique que V. Hugo n’apprécie par tout en concédant à l’accepter pour ce sujet au nom de la solidarité et de la force du message) qui s’inscrit dans le contexte d’enthousiasme romantique pour la lutte du peuple grec incarnée dans le voyage de George Byron qui mourra (malade) lors du siège de la ville par les Turcs.

Eugène Delacroix, La Grèce sur les ruines de Missolonghi, 1826, Huile sur toile 209 cm × 147 cm, Musée des Beaux-Arts, Bordeaux.

Delacroix Etude pour la Grèce à Missolonghi et la liberté guidant le peuple, vers 1826, encre brune, mine de plomb, Musée Delacroix.

Présenté à l’exposition de la galerie Lebrun en 18é6, surnommée « La Salon des Grecs » car il n’ay a pas eu de Salon oficiel cette année là. Hommage à la fin tragique du long et héroïque siège de Missolonghi (1925-26), qui, comme le montrent les dessins préparatoires, devait surgir d’un amoncellement désordonné de cadavres et de mourants. le tableau final la place sur des ruines de gros blocs de pierre sous lesquels on distingue des cadavres et en particulier un avant bras qui n’est pas sans rappeler le radeau de la Méduse et les fragments anatomiques de Géricault. Le choix de l’allégorie inspirée semble émerger progressivement à partir d’allusions à la statuaire antique. Le choix du manteau bleu couvrant une longue chemise blanche n’est pas fortuit. il s’agit d’émouvoir le public dans un contexte de la politique de neutralité suivie par Charles X. Le soldat « turc » (mais qui est probablement un janissaire noir) est présenté dans une posture triomphante plantant le drapeau sur le sol de la Grèce.

Le Salon de 1827 retrouve les mêmes accents avec le tableau d‘Ary Scheffer Les Femes souliotes, rappelant le sacrifice d’une soixantaine de femmes qui se jetèrent du haut d’un rocher pour échapper à la soldatesque d’Ali Pacha en 1803 qui lui valent gloire et reconnaissance.

Ary Scheffer, Les femmes souliotes, titre intégral Les femmes souliotes, voyant leurs maris défaits par les troupes d’Ali, pacha de Janina, décident de se jeter du haut des rochers, 1827, huile sur toile, Paris, Musée du Louvre

Dans ce même esprit, François Emile de Landsac achève en 1827 l’Episode de l’exode de Missolonghi où une mère se donne la mort après avoir tué son enfant :

François Emile de Landsac, Épisode du siège de Missolonghi. présenté au Salon des artistes français, Paris 1827. Missolonghi Pinacothèque.

Mais à partir de la révolution de 1830, l’intérêt pour la Grèce s’estompe en France. Prosper Marilhat fait le voyage à deux reprises 1831 et 33 et revient déçu, la Grèce est un pays  certes avec des « paysages d’une grandeur et d’une beauté magnifiques » mais aussi dangereux, aride et sauvage.

Prosper Marilhat (1811 – 1847), L’Erechtheion d’Athènes 1841 huile sur toile  72.2 x 90.5 cm; Wallace collection Londres.

Avec l’instauration du Royaume de Grèce dont la couronne est attribuée à une famille bavaroise, ce sont les peintres allemands qui prennent le relais, comme Peter von Hessqui séjourne pendant trois mois en Grèce et compose plusieurs scènes historiques dans un style Biedermeier :

Peter von Hess, Pallikares d’Athènes, 1829, huile sur toile Berlin Altesnationalgalerie.

Aves la conquête de l’Algérie, de nouveaux sujets de combats prennent le relais iconographique de l’Expédition napoléonienne et de la guerre d’indépendance de la Grèce.Le déclin de la dynastie des Osmanlis affaiblit l’Empire ottoman que s’empressent d’envahir les puissances européennes pour rétablir le commerce en Méditerranée. Des peintres sont invités à accompagner l’armée française dans le Maghreb pour rendre compte des faits d’armes.

Voir Peintures sur la conquête ici : http://www.histoire-image.org/site/etude_comp/etude_comp_detail.php?i=171

La Prise de la Smalah d’Abd El Kader : une image empreinte d’orientalisme.

http://www.histoire-image.org/site/oeuvre/analyse.php?i=610&d=1&a=66

La vision romanesque de la bataille menée par le duc d’Aumale, fils de Louis Philippe (image de propagande pour redorer le blason de la famille royale contestée), contraste avec la réalité : un épisode secondaire de la guerre, un échec de la tentative de capturer l’émir. De plus, la glorification donne l’impression d’une bataille décisive alors que la conquête fut cruelle, longue et difficile, loin des clichés orientalistes. Vernet s’appuie sur des croquis faits par des artistes sur place mais aussi sur ses carnets  lors de son voyage en Algérie. Remarquez les détails ethnographiques comme les palanquins, ces sortes de tentes posées sur des chameaux pour cacher les femmes.

B. Le Voyage en Orient, source d’inspiration des orientalistes.

– Un nouveau genre littéraire : le « Voyage en Orient ».

La vogue du Voyage en Orient dans la littérature et les arts est une particularité française. Même si Orientreise existe en allemand, avec un sens beaucoup moins fort qu’en France, le terme n’existe pour ainsi dire pas en anglais. Pourtant le récit de voyage en Orient naît en Angleterre dans les années 1740-45 avec l’ouvrage A description of the East de R. Pococke traduit en français sous le terme Voyages en Orient en 1772. C’est avec L’itinéraire de Paris à Jérusalem de Chateaubriand (1811) que le genre gagne ses lettres de noblesse. C’est Lamartine qui à la suite de Chateaubriand lance une nouvelle appellation du récit de voyage dans ces régions musulmanes : « Voyage en Orient 1831-1833 ».
Jusqu’à la fin du XVIIIe on appelait ces ouvrages souvent Description …à intention scientifique et ce depuis le XVIIe, et les illustrait avec des gravures. Au XIXe siècle, les récits et descriptions était accompagnés également de textes poétiques (méditation, confession) alors qu’apparaissent aussi les premiers guides touristiques (Baedecker etc.) qui connaissent u développement spectaculaire grâce à l’essor du voyage en bateau – vapeur vers Constantinople, Alexandrie…

Là où Chateaubriand et Lamartine ne s’intéressaient guère au quotidien des habitants cherchant surtout à retrouver l’ambiance du passé historiques des régions traversées : pour Chateaubriand Grèce antique, l’Orient des croisés, d’autres comme Byron ou Nerval résident dans des quartiers populaires s’habillent à l’orientale (cf. Porttrait de Byron en costume albanais par Thomas Phillips voir ici) , pas tant par volonté d’intégration mais comme un travestissement  qui rappelle les turqueries du XVIIIe. Pour autant, le voyageur romantique va plus loin que les aristocrates du XVIIIe et le phénomène prend de l’ampleur.

Le Giaour, poème de Byron (1813) inspire deux tableaux à Delacroix : http://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Giaour

E. Delacroix. Combat du Giaour et du Pacha 1835 huile sur toile 74 x 60 cm, Musée du Petit Palais, Paris

Nerval, Dumas, Dauzats vont jusqu’à la fascination pour la vie dans la ville : foules, cafés, rues, bazars… Les artistes suivent plus ou moins la même tendance. Le Voyage en Orient prend de plus en plus des allures d’itinéraire initiatique tant pour les écrivains que pour les artistes comme le montrent les fameux carnets de dessins de Delacroix issus de ses voyages au Maroc et Alger. Les écrivains, comme les artistes notent leurs impressions et mettent ensuite en forme une fois rentrés. Le genre littéraire, d’ailleurs ambigu (entre récit, essai et correspondance) est donc loin d’avoir la spontanéité qu’on lui prête.

– Le « cas » Delacroix.

Pour Delacroix, le voyage au Maghreb prend en effet des allures de voyage initiatique, notamment sur le plan plastique puisqu’il invente une nouvelle manière pour s’adapter à l’atmosphère locale). L’artiste entretient avec l’Orient une relation passionnelle bien avant d’entreprendre ce voyage. Comme nous l’avons vu, cette relation puise ses sources dans les événements historiques de la guerre d’indépendance grecque dans les années 1823 – 1827 qui lui fournissent l’occasion de parfaire son style personnel. Elle s’alimente aussi par le coup de théâtre de la Mort de Sardanapale, préparée pour le Salon de 1827 et qui s’inscrit dans la lignée des tableaux macabres depuis La Révolte du Caire de Girodet au Radeau de la Méduse et La Mort de Priam ou La dernière nuit de Troie, 1830-1832 de Pierre-Narcisse Guérin (sur ce tableau lire absolument l’article de la Tribune de l’Art sur une exposition récente, c’est ici).

Sur la Mort de Sardanapale :

http://www.louvre.fr/oeuvre-notices/la-mort-de-sardanapale

Ouvrage cosnacré au Voyage de Delacroix en Afrique du nord : vous y trouverez plusieurs dessins et aquarelles extraits des carnets du peintre.

Ce qui est certain, c’est que Byron initie Delacroix à l’orientalisme. Le poème du Giaour (: chrétien amoureux de Laïla prisonnière du harem) l’émeut particulièrement.L’amour tragique du Giaour pour l’esclave leïla, que son puissant maître Hassan fait enfermer dans un sac est jette dans la mer, hante Delacroix pendant des années. Il écrit dans une lettre « rappelle-toi, pour t’enflammer éternellement certains vers de Byron : ils me vont bien. La fin de la fiancée d’Abydos, la Mort de Sélim, son corps roulé par le flot qui vient mourir sur le rivage. Cela est bien sublime…) Je sens ces choses-là comme la peinture les comporte ».

En avril 1824 Delacroix fait une remarque ironique pour l’engouement du Voyage en Orient : « Aller en Egypte ? Ils se mettent tous à sauter de joie. Et si ce n’était rien de plus que d’aller à lLondres ? » Quand le roi Louis-Philippe décide d’envoyer une délégation auprès du sultan du Maroc, il fait appel en premier lieu à Eugène Isabey qui refuse. Delacroix en profite pour se proposer et le voilà qu’il s’embarque en 1832 pour Tanger. A partir de là, tout attise la curiosité de l’artiste : « Tout Goya palpitait autour de moi (…) Tanger(…) un lieu fait pour les peintres(…) le beau y abonde, non le beau si vanté dans les tableaux à la mode (…) A chaque pas il y a des tableaux tout faits qui feraient fortune et la gloire de vingt générations de peintres (…) Le  sublime vivant et frappant court ici dans les rues ».

pendant les six mois qu’il passe au Maroc, il remplit sept gros carnets de croquis, un grand album de dix-huit aquarelles qu’il offre au comte de Mornay, l’envoyé de Louis-Philippe. Pourtant, il reconnaît qu’il fait ses croquis « au vol » « à cause des préjudices des musulmans à l’encontre des images ».

Quoi qu’il en soit, à chaque occasion, chaque étape de son parcours initiatique il profite pour fixer des images : le 21 février 1832 il assiste à un mariage juif. Une myriade de détails sont consignées dans son carnet et lui serviront pou  la toile de 1841 La noce juive au Maroc acceptée au Salon.

Lire analyse :

http://www.histoire-image.org/site/oeuvre/analyse.php?i=1231

Voici un exemple de dessin qui a pu servir à la réalisation du tableau :

E. Delacroix. Mariée Juive de Tanger – 1832 , aquarelle – 28.8 x 23.7 cm. Musée du Louvre, Paris.

Dans le Journal des Débats, Delécluze affirme que lorsque’n regarde de près le tableau « tout devient confus et vague » et que l’oeul est désagréablement préoccupé par des coups de pinceau roses, jeunes, bleus qui lui paraissent aller dans toutes les directions.. C’est précisément là que réside l’intérêt artistique de la démarche de Delacroix : l’artiste veut introduire une nouvelle relation entre la lumière et l’épanouissement des couleurs des étoffes et des objets. Si le cadre spatial de la cour était à peu près fixé dans son carnet, le clair obscur est travaillé directement sur la toile car ces murs sont en réalité tout blancs.

L’artiste passe ensuite plusieurs jours sur la route vers la ville sainte de Meknès où siège le sultan. Il en tire des dizaines de sujets dans son carnet dont il se servira plus tard. Le 22 mars l’ambassadeur extraordinaire de la France, comte de Mornay est reçu devant les murs de la ville. Pour exécuter cette toile treize ans après la rencontre il se sert des dessins, dont celui de la rencontre que nous connaissons, mais qu’il ne reprend pas puisqu’il se focalise sur le sultan et sa suite.

 

E. Delacroix, Mulay Abd Al-Rahman, sultan du Maroc, sortant de son palais de Meknès, entouré de sa garde et de ses principaux officiers, 1845, huile sur toile, 377x340cm. Toulouse. Musée des Augustins.

En 1845, Delacroix expose au Salon (n° 438) cette grande toile historique, Moulay Abd er-Rahman, sultan du Maroc, sortant de son palais de Meknès, entouré de sa garde et de ses principaux officiers (Toulouse). La scène évoque une audience à laquelle le peintre a assisté le 22 mars 1832, pendant son voyage au Maroc en compagnie de Charles de Mornay, envoyé par Louis-Philippe en mission diplomatique. Une esquisse pour ce tableau (Dijon, musée des Beaux-Arts), fidèle aux événements, a probablement été conçue peu après le retour du Maroc. Quinze ans plus tard, en 1844-1845, à la faveur de meilleures relations entre le Maroc et la France, le sujet est modifié : l’épisode de la rencontre des diplomates français et du sultan est gommé au profit de celui, plus anodin hors de son contexte, de la sortie du sultan accompagné de sa garde et de ses officiers. L’oeuvre est d’une remarquable unité chromatique : le rouge et le vert, couleurs complémentaires, sont subtilement répartis selon les indications données par le parasol ; les ombres colorées dérivent directement de l’étude des maîtres vénitiens que Delacroix affectionnait.

(Notice Base Joconde)

Eugène Delacroix (Charenton-Saint-Maurice, 1798 ; Paris, 1863), 1832. Le Sultan du Maroc Mulay-Abd-Er-Rahman recevant le comte de Mornay, ambassadeur de Francehuile sur toile  31 x 40cm.

Cette esquisse se rattache au séjour que Delacroix effectua en Afrique du Nord, de janvier à juillet 1832, en compagnie du comte de Mornay, envoyé par Louis-Philippe en mission diplomatique. De ce voyage, qui renouvela radicalement sa perception de la couleur et de la lumière, Delacroix ramena une moisson considérable de croquis et de notes, dans laquelle il puisa les sujets de ses peintures orientalistes. Souhaitant fixer le souvenir de l’audience de la délégation française par le sultan du Maroc devant les murailles de Meknès, à laquelle lui-même assista le 22 mars 1832, l’artiste conçut le projet d’une ambitieuse composition (Toulouse, musée des Augustins) qu’il fit précéder de nombreuses études. Celle de Dijon correspond sans doute à la première pensée, exécutée peu après le retour en France. Fidèle à l’événement décrit par le peintre dans ses « Carnets », elle diffère de la composition définitive, centrée sur la figure équestre du sultan sortant de son palais. L’audace du coloris, qui fit l’admiration de Baudelaire au Salon de 1845, est encore mesurée dans l’esquisse, toute empreinte de la chaude harmonie des tonalités ocres de l’Orient. Toutefois, par la liberté de sa facture et la vigueur de sa touche, cette étude constitue, au-delà du simple reportage historique, un véritable chef-d’oeuvre de sensibilité romantique.

(Notice Base Joconde)

Sur le chemin du retour, Delacroix fait une escale à Alger au mois de juin. Est-ce là qu’il imagine la toile qu’il exécutera en 1834, Femmes d’Alger dans leur appartement et qui est un de ses chefs d’oeuvre ?

Les dessins au crayon et à l’aquarelle ci-dessous montrent des femmes prenant des poses similaires à celles des femmes du tableau. Delacroix prend soin de noter les nuances des couleurs

Moûni Bensolltane

Femme allongée, pastel.

Delacroix, Femmes d’Alger dans leur appartement, 1834, huile sur toile, 180×229 cm, Musée du Louvre.

http://www.histoire-image.org/site/oeuvre/analyse.php?i=753

« Elles ont (…) et c’est leur principal attrait, de petits pieds nus et blancs, chaussés à peine dans les mules pointues qui ouvertes par derrière laissent voir leurs talons roses et mignons. Quand elles sont chez elles, elles laissent là cette chaussure et ces pieds charmants se posent en liberté sur des tapis ou des nattes. Le bas de la jambe est orné d’un bracelet d’argent fort large qui orne cette nudité et la relève d’une manière très gracieuse »

E. Delacroix. Souvenirs d’un voyage au Maroc. 1832

 Delacroix a finalement composé le tableau en traduisant un équilibre parfait entre tradition classique à la manière des coloristes vénitiens et un traitement chromatique rendant la douce clarté de la pièce charge de tons chaleureux dans une atmosphère douce et sensuelle.  Les classiques comme Dlécluze sont troulés par les « excès romantiques » du tableau, mais Delacroix récidive en y ajoutant encore dans la deuxième version des femmes d’Alger (1849, Montpellier)

E. Delacroix, Femmes d’Alger dans leur intérieur, 1849, huile sur toile, 84 x 111 cm. Montpellier, Musée Fabre.

Ici, les détails de l’ameublement sont à peine esquissés, mais la lumière magnifie les rouges et les jaunes qui flamboient dans cette atmosphère chaleureuse et languissante.

Le travail des carnets de Delacroix et les toiles qui en  résultent sont une véritable réflexion sur un renouvellement esthétique qui annonce celle des carnets de Gauguin dans les îles ou  de Picasso à Gosòl. Une véritable philosophie de l’art est ainsi exposée qui fait de l’Orient la source d’un renouveau du classicisme, plus que d’une rupture avec celui-ci. « C’est comme au temps d’Homère ! » « Rome n’est plus dans Rome! » « les Romains et les Grecs sont là à ma porte…J’ai bien ri des Grecs de David (…) je les connais, « des Catons, des Brutus…aussi satisfaits que cicéron le devait êytre sur sa chaise curule…Tout cela en blanc comme les Sénateurs à Rome et les Panathénées à Athènes ». 

L’Orient devient ainsi pour Delacroix la manifestation d’un pur classicisme moderne. cette conception va faire école même si les artistes qui vont le suivre n’adopteront pas son colorisme et sa matérialité  incandescents. Après le Maroc, sa peinture constitue une véritable seconde nature artistique. Il réalise plus de quatre-vingt tableaux orientalistes dont plusieurs chasses imaginaires et des scènes de chevaux (ces « cavalcades qui me font un plaisir infini »).

Sur ce tableau et le thème dit des « Galanterie mauresques »de la « Fantasia » (fête militaire et religieuse du Laab el baroud – le jeu de la poudre)  lire une fiche explicative du Musée Fabre de Montpellier où il est conservé : Delacroix exercice militaire.qxd – Musée Fabre

Mais Delacroix sait aussi fixer des moments plus calmes dont se dégage un sentiment de grande vérité malgré la fougue de sa palette et de son pinceau.

Marocain sellant son cheval, 1855, huile sur toile, 56×47 cm, Saint-Pétersbourg, Ermitage.

Delacroix. Arabes jouant aux échecs (dit les Joueurs d’échecs de Jérusalem), 1847, huile sur toile, 46x 55cm, Edimbourg. National Gallery of Scotland.

ici, Delacroix transforme une scène de genre e un tableau presque classique en donnant une grande dignité aux personnages. Certains ont vu en la figure de la porteuse d’eau Rebecca rentrant du puits et ainsi situé la scène à Jérusalem.

Dans ce même esprit de variation, je finirai en mentionnant un tableau surprenant tant pas son sujet que par la manière dont Delacroix l’a traité entre sujet d’Histoire médiéval et orientalisme , L’entrée des croisés à Constantinople ou La Prise de Constantinople par les croisés en 1204  :

E. Delacroix, Entrée des croisés à Constantinople dit aussi Prise de Constantinople par les croisés Huile sur toile 411 x 497 cm Louvre, Paris.
Une analyse lumineuse de Michel Butor à lire ici :

http://www.cineclubdecaen.com/peinture/peintres/delacroix/entredescroisesdansconstantinople.htm

 

La vogue de l’orientalisme en France

Si le voyage en Orient n’a pas vraiment remplacé le pèlerinage en Italie, il est devenu le rêve de beaucoup d’artistes en quête de nouvelles sources d’inspiration. L’orientalisme comme genre devient pour beaucoup d’entre eux incontournable mais pas toujours à portée de main. A Paris, le cercle romantique de la rue du Doyenné où règnent Nerval et Gautier devient un lieu de rendez-vous d’artistes orientalistes comme Narcisse Diaz de la Pena, un coloriste et paysagiste fasciné par Delacroix et par l’Orient :

Ici, une vue du Seraï dans une atmosphère de douceur très colorée, aux effets vaporeux, évanescents accentués par les rappels de blanc au ciel, sur les vêtements et dans leurs reflets sur l’eau.

 Dès son premier voyage en Afrique du Nord en 1833 (il s’y rend après avoir quitté la direction de la Villa Médicis), Horace Vernet avait gardé une fascination pour la population arabe (voir tableaux de batailles plus haut). Dans leurs coutumes, leurs attitudes, il voit, comme Delacroix la survivance d’un temps immuable remontant à l’Antiquité biblique. Dans son enthousiasme, il n’hésite pas à considérer les bédouins du désert comme les héritiers des peuples  la Bible. Mais la facture de Vernet n’a rien à voir avec celle de Delacroix. Si la lumière de ses tableaux et la vivacité des couleurs sont d’un illusionnisme impressionnant, il  reste attaché à la précision du dessin à la manière des académiques.

Dans cette scène il représente des chefs arabes en conseil  :

Horace Vernet, Chefs arabes en conseil, 1834, huile sur toile, 98 x 137 cm, Chantilly Musée Condé.

La toile a été exécutée à Rome à la demande du comte de Gourieff. Le rendu atmosphérique, la clarté de la lumière et le jeu d’ombres préfigurent le réalisme. L’arrivée des soldats français sur la gauche vient menacer la vie ancestrale des nomades.

Horace Vernet La Chasse au lion, 1836, huile sur toile, 57×82 cm, Wallace Collection Londres.

Ayant été témoin d’une scène de chasse, Vernet peint d’après ses souvenirs cette petite toile qui saisit l’action sur le vif au moment où la lionne attaque après avoir vu son compagnon mâle se faire abattre et tandis qu’un esclave noir sur un chameau vient de s’emparer de ces deux lionceaux. le rythme et le jeu d’ombre et de lumière accentuent l’aspect dramatique de la scène.

Alexandre Gabrier Decamps a fait le Grand Tour mais une commande le fait repartir pour la Grèce pour réaliser une grande toile sur la bataille de Navarin (victoire de la flotte alliée franco-anglo-russe contre la flotte turco-égyptienne en 1827 qui scelle l’indépendance de l’ Grèce). Il prolonge ce voyage vers l’Asie Mineure et Constantinople et installe un atelier à Izmir. Avec ses connaissances directes de la vie des villes d’Anatolie, il produit dès son retour un livre avec des lithographies dont vous pouvez avoir un aperçu  sur le site de l’Ecole des Beaux Arts :

http://www.ensba.fr/ow2/catzarts/rechcroisee.xsp?f=Ensemble&v=&f=Auteur_field&v=Decamps%2C+Alexandre-Gabriel&e=

Il peint en 1828 Patrouille de nuit :

Tableau du Metropolitan Museum of Art, N. York. 1828.Huile sur toile, peinte à Izmir en 1828.

Sa manière est très particulière, il applique la couleur de manière appuyée et en insistant sur les contraste de clair-obscur à la Rembrandt. Son goût le porte vers les scènes de la vie quotidienne qui rendent l’Orient accessible.

Entre orientalisme et ingrisme : Théodore Chassériau, un romantique original.

remarqué dès l’âge de 17 ans au Salon de 1836, Chassériau, élève d’Ingres puis de Delacroix, interprète à sa manière à la fois les valeurs du romantisme et celles du néo-classicisme. S’il reçoit des commandes pour décorer des églises, son audace romantique apparaît surtout avec la grande toile de la Toilette d’Esther (1841, Louvre)

Théodore Chassériau, La toilette d’Esther, 1841, huile sur toile 455 x 355 cm, Paris Musée du Louvre.

Voir analyse ici :

http://www.histoire-image.org/site/oeuvre/analyse.php?i=1232

Le sujet biblique de la toilette de la reine Esther est un topos de la peinture occidentale. Né à Saint-Domingue d’une mère probablement métisse, l’artiste avait certainement le goût de l’exotisme. Célèbre pour sa beauté, la reine apparaît ici sous les traits d’une jeune femme parée de bijoux dans une pose langoureuse et dans une ambiance exotique exprimée surtout par les deux personnages la servante métisse et l’esclave noir ainsi que par les luxueuses étoffes. Transportées dans ce décor oriental, ces figures lascives risquaient moins de heurter le public conservateur.

Dans un tout autre registre, Chassériau, écoeuré par l’échec de la mort de Cléopâtre au Salon de 1845 il peint la même année un portrait du Calife Ali ben Hamet qui fut apprécié du public mais il rivalisa difficilement avec le Sultan du Maroc de Delacroix, l’artiste que Chassériau admirait le plus. Si ce tableau ne rivalise pas avec celui de Delacroix, il a été tout de même repéré par Baudelaire qui reconnaissait des « débuts prometteurs » et « l’audace naïve de grands maitres » dans « cette enfilade de chevaux et ces grands cavaliers ».

Th. Chassériau, portrait du Calife Ali ben Hamet dernier Calife de Constantine, chef des Aractas suivi de son escorte, 1845, huile sur toile 325-259 cm, Versailles.

Portrait peint à paris où le Calife était très en vue, il apprécia le tableau et invita l’artiste à Constantine en 1846. Chassériau est ébloui, « Le pays est très beau et très neuf. Je vis dans les Mille et une Nuits. Je vais pouvoir en tirer un vrai parti. Je travaille et je regarde ». Les paysages et la lumière le font chavirer « Le ciel d’un bleu exquiis. Les montagnes ordinairement comme du lapis. le jour: l’air-poudré d’or, ce qui donne une vapeur splendide : le petit bois extrêmement bleu et lumineux près d’une eau verte d’émeraude et ça et là des trous éclatants de soleil ». 

Il remarque aussi les couleurs chatoyantes, les étoffes de velours,  des vêtements, les coiffures colorées bleu vif, vert, rouge mauve, noir, et rêve de rentrer pour pouvoir peindre tout cela sur ses toiles. De même pour les paysages d’Alger : la mer bleue, la ville comme du stuc ou du marbre blanc, l’horizon rose et bleuâtre des vieillards à faces orientales et singulières vigoureusement peintes sur les murs blancs les enfants d’une beauté pure, le fond du teint rose pâle les maisons blanches souvent dans des demi teintes avec des reflets argentés et dorés. rentré à paris, Chassériau ne vit plus qu’à l’heure orientale. Théophile Gautier décrit sa maison en la visitant après la mort de l’artiste comme une sorte de cabinet de curiosités orientales : pistolets, fusils, yatagans, vieilles lames de Damas, armes à feu enjolivés d’argent et de corail, burnous, vestes brodées d’argent, caftas etc. Plus de cinquante toiles orientalistes sont peintes par l’artiste à partir de 1848.

Chasseriau Théodore (1819-1856) Danseuses marocaines. La danse des mouchoirs. 1849  huile sur bois 32 x 40 cm.. Paris, musée du Louvre

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