EA les vieux vont ils sauver la croissance ?

pour les terminales Es en cours d’économie approfondie …lien entre démographie et croissance

sur le blog de Jean Gadrey  la silver économy ou comment les vieux vont sauver la croissance .

Ami-e-s et camarades en senioritude, oubliez les éventuelles petites douleurs liées à l’âge. Je sais que, comme moi, vous avez très mal vécu le débat sur les retraites, où vous n’apparaissiez jamais que comme un fardeau, un coût insupportable pour la société, celle des actifs, humains ou financiers. Mais nous tenons notre revanche économique ! Grâce à qui ? Grâce, d’abord, à Arnaud Montebourg. Grâce aussi aux économistes et experts du CGSP(*), pourtant assez jeunes eux aussi, mais qui ont su célébrer nos mérites avec le seul critère qui vaille : notre contribution au PIB et à la croissance.

Une contribution qui va croître et embellir compte tenu du dynamisme démographique de notre groupe, si toutefois nous parvenons ensemble à ce que notre expansion numérique comme consommateurs et « relanceurs » de l’économie ne soit pas annulée par le décrochage de notre niveau de vie, effet programmé des réformes des retraites. Mais nous devrions y parvenir, car là où les austères cerbères des finances publiques nous traînaient dans la boue pour notre improductivité supposée, le marché tout puissant va nous célébrer, Montebourg et CGSP à l’appui, comme le grand débouché du futur. Le marché compte sur nous, vieux et vieilles d’aujourd’hui et de demain, appuyons-nous sur lui pour exister !

Pour ceux et celles d’entre vous qui n’auraient pas fait d’anglais – mais on peut vivre très bien sans se vautrer dans les anglicismes – sachez d’abord que les merveilles de notre langue autorisent une traduction pleine de sens de cette « silver economy ». En anglais, cela veut dire tout bêtement : une économie destinée aux personnes aux cheveux gris ou aux tempes argentées, car « silver », c’est l’argent comme métal. Mais le français nous indique le bon sens : l’économie couleur de l’argent, l’argent que dépensent et vont dépenser les vieux argentés, cheveux gris ou pas..

Nous avions déjà le capitalisme vert comme perspective enthousiasmante pour les siècles des siècles, nous allons donc lui ajouter le capitalisme gris, et d’ailleurs il faudrait pacser ces deux capitalismes pour en faire le capitalisme vert-de-gris.

Nul doute que notre belle union européenne va s’y mettre à son tour, car nos amis allemands sont bien plus avancés que nous en senioritude. Que vive le couple franco-allemand, entraînant avec lui la vieillesse italienne, qui est énorme même sans Berlusconi, et bien d’autres. Le « pacte européen pour la croissance et l’emploi » dont notre valeureux président avait fait la condition pour que la France ratifie le traité de stabilité budgétaire en 2012, est un échec ? Qu’à cela ne tienne, lançons sans tarder un « pacte européen de croissance par et pour les vieux ». Nul doute qu’Angela signera des deux mains vu que, dans son pays, les sondages placent le sort des personnes âgées au premier plan des préoccupations.

Oui, chers compatriotes en âge avancé, nous en avons pris plein la tronche quand Valérie Pécresse a parlé du « fléau du vieillissement », mais elle ne l’emportera pas au paradis, quand bien même elle mettrait plus de temps que nous à en franchir les portes avant d’être refoulée pour erreur d’aiguillage.

Ah, ce rapport du CGSP (*), comme il est bon pour notre moral ! Au cas où certains d’entre vous manqueraient un peu de courage pour s’y plonger – pourtant, ça se lit aussi bien que « À la recherche du temps perdu », ce qui, d’ailleurs, aurait pu faire un très bon titre pour ce document – en voici quelques idées marquantes.

(*) CGSP, Commissariat général de la stratégie et de la prospective, en voie d’être rebaptisé commissariat général aux seniors profitables.

D’abord le titre, remarquable et efficace : « La silver économie, une opportunité de croissance pour la France ». Puis la longue préface conjointe d’Arnaud Montebourg et de Michèle Delaunay, où l’homme qui redresse même les vieux et la femme chargée de s’en occuper une fois redressés, attaquent bille en tête ainsi : « La Silver Économie est une opportunité inédite pour la croissance de la France. Nous l’affirmons ».

Ils ajoutent – c’est ici la femme qui tient évidemment la plume – que « la Silver Économie peut entraîner 300 000 créations d’emploi dans le secteur de l’aide à domicile d’ici 2020 ». Mais surtout – on reconnaît la plume de l’homme qui parle à l’oreille des vieux – qu’il s’agit « d’une nouvelle filière industrielle ». Car « Avec la production d’appareillages de domotique et de dispositifs d’assistance, la Silver Économie sera aussi génératrice d’emplois industriels et techniques (vente, installation, maintenance de ces instruments). De nombreux secteurs seront largement impactés : le tourisme, les loisirs, le BTP (adaptation des logements), et plus largement tout ce que l’on appelle la « e-autonomie » (téléassistance active ou passive, géoassistance, vidéovigilance, télémédecine, chemin lumineux, etc.) ». Oui mes ami-e-s, c’est un « chemin lumineux » qui nous est promis, comme dans les avions pour nous guider vers l’issue de secours en cas d’avarie extrême.

Ajout important, par le redresseur productif : « Certaines de nos entreprises sont déjà très bien positionnées vis-à-vis de leurs concurrentes étrangères. La France dispose a priori d’un avantage comparatif. ».

Deuxième ajout, encore plus décisif : « les technologies pour l’autonomie ne sont qu’une porte d’entrée pour la Silver Économie. La révolution de l’âge… fera des plus de 60 ans des acteurs majeurs de l’économie française, européenne et mondiale. Les technologies pour l’autonomie ne sont donc pas les seules constituantes de la Silver Économie. Celle-ci englobe aussi les transferts intergénérationnels, la consommation des seniors, ou encore les placements des âgés dans des produits d’épargne plus productifs et davantage orientés vers l’industrie. »

Que ces mots sont doux à nos oreilles, équipées ou non de sonotones ! Nous voici plus ou moins à la tête d’une nouvelle filière industrielle compétitive, tournée vers l’exportation ! Nous voici reconnus comme « des acteurs majeurs de l’économie », des consommateurs décisifs, des détenteurs de produits d’épargne hautement productifs !

Car vous l’avez compris, frères et sœurs argentés, ce n’est pas d’abord avec l’aide à domicile, avec le « care », ce truc de nanas qui confondent bons sentiments et bonne économie, que nous accèderons à la dignité productive et compétitive. L’avenir, c’est la e-autonomie vantée par notre jeune et sémillant Ministre, l’autonomie branchée et équipée, la solitude appareillée, l’assistance high-tech. La France ne se redressera pas avec les mirages du « care ». Prendre soin, on a déjà assez de femmes dans nos familles ou dans le voisinage pour y pourvoir. D’accord, un peu d’emplois ici ou là serait utile : quand les femmes font défaut autour de nous, en payer d’autres au Smic pour suppléer peut rendre service. Mais cela n’améliorera pas nos performances à l’export, non ?

C’est de l’industrie que dépend le salut de la France, donc le nôtre. Et nous savons désormais que sa croissance repose sur la décroissance de notre forme physique. Peu importe que notre dos se voûte un peu si la production industrielle se redresse.

J’entends déjà le chœur des pleureuses : oui mais, les vieux désargentés, surtout des vieilles, la domotique, la e-autonomie, ce n’est pas pour eux ? Mes amis, la politique consiste à faire des choix. Celui de la compétitivité industrielle a certes de petits inconvénients, mais il est incontournable. Il y va de l’intérêt supérieur de la France.

Comme ce sera probablement mon dernier billet de l’année, j’en profite, amis et camarades consommateurs, vieux et vieilles, pour vous rappeler que cette période est particulièrement propice à une autre relance où vous avez toute votre part. Arnaud vous le dirait mieux que moi : notre filière industrielle des jouets et jeux, ou celles du foie gras et du champagne, doivent elle aussi se redresser. Pour le Père Noël, pensez en particulier à ces e-jeux qui développent chez l’enfant une e-autonomie telle qu’on ne les voit plus de la journée si on s’y prend bien. C’est en quelque sorte le rêve d’e-care.

ANNEXE SÉRIEUSE
Je quitte dans cette annexe le rôle atroce que je joue dans ce billet, dont le mauvais humour cache mal l’accablement devant les délires techno-industriels et la primauté accordée aux grandes entreprises. Il est pathétique que des élus de gauche, au demeurant respectables, mais enfermés dans un rôle sectoriel, oublient à ce point les valeurs humanistes du socialisme dont ils se réclament. Redresser l’industrie, mais pour quelles finalités humaines ? Ces gens-là ont-ils jamais passé quelques heures avec de vrais retraité-e-s et personnes âgées pour tenter de comprendre ce qu’ils et elles attendent d’une vie digne et heureuse à la retraite et au grand âge, ou avec des associations d’aide à domicile et de gestion de lieux de vie dans une philosophie d’accompagnement humain et pas d’abord d’équipement techno ?

On vient d’organiser une conférence citoyenne sur le droit de mourir dans la dignité. Il en faudrait une autre sur le droit de bien vivre sa retraite. Il faudrait y prévoir une majorité de retraité-e-s de tous âges et des deux sexes. Ses conclusions, j’en suis certain, ruineraient l’orientation Montebourg/CGSP.

Je ne me suis pas référé dans ce billet au contenu du rapport. Mais je l’ai lu. C’est en fait une étude de marché, essentiellement orientée vers l’émergence d’une filière destinée aux plus aisés des vieux, prise en charge par de grands opérateurs privés pouvant devenir nos champions à l’international. Tout y passe, y compris les produits financiers, crédits et viagers à créer pour les vieux argentés, les assurances dépendance, les résidences haut de gamme exportables, etc. Le monde associatif est y systématiquement occulté ou dévalorisé, y compris dans ce passage d’un économisme extrême, qui aurait pu être écrit sous la dictée des grands opérateurs privés : « L’économie sociale et solidaire, les associations, se sont naturellement investies sur le thème de la dépendance et du vieillissement et ont perturbé plus encore le « signal prix » envoyé aux personnes âgées. » (p. 10).

Les personnalités auditionnées, citées en page 111, sont elles aussi très haut de gamme, ciblées entreprises privées. Il n’y a que cinq pages sur les services dits à la personne sur les 122 pages du rapport, et l’enthousiasme n’est pas de mise. Michèle Delaunay avance le chiffre de 300 000 créations d’emplois dans l’aide à domicile d’ici 2020, soit 50 000 par an. C’est un chiffre qu’elle peut atteindre sans rien faire ! Selon plusieurs sources (citées dans une note de l’Idies de juillet 2009 que l’on doit à Florence Jany-Catrice), ce secteur aux contours flous (d’où la marge d’incertitude des chiffres) a créé en moyenne, entre 2004 et 2007, plus de 50 000 emplois par an selon l’OFCE, plus de 100 000 selon l’ANSP, agence nationale des services à la personnes. Mais, en équivalent temps plein, selon l’OFCE, ces chiffres doivent être divisés par près de trois !

QUELQUES BILLETS ANTÉRIEURS EN RAPPORT AVEC CELUI-CI, CERTAINS SÉRIEUX, D’AUTRES NON

SUR LE CARE
Portée et limites du care, 18 avril 2010
Les anti-care, 28 avril 2010
Le care, les petits soins et l’efficacité infirmière, 10 juin 2010

SUR LES CADEAUX DE NOËL
Le calamiteux bilan carbone du père Noël

SUR LES RETRAITES ET LES VIEUX
Retraites : quand on veut noyer ses vieux…

UNE « ODE A LA CROISSANCE ET A LA PRODUCTIVITÉ »

About GhjattaNera

prufessore di scienze economiche e suciale a u liceu san Paulu in Aiacciu

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