Peut-on affirmer que la force de l’Etat fait la liberté des citoyens ?

9 juin 2010 0 Par Caroline Sarroul

Peut-on affirmer que la force de l’Etat fait la liberté des citoyens ?

I. L’idée de force renvoie à celle de puissance physique. On peut penser cette puissance de l’Etat comme la capacité à soumettre aux lois par l’usage de la force de coercition.

– la coercition, c’est la contrainte et elle s’oppose logiquement à la liberté qui est pour chacun associée à l’idée d’indépendance, qui est justement l’absence de contrainte.

– un Etat fort, c’est souvent un état autoritaire, tyrannique qui cherche par la force à imposer un ordre, qui n’est donc pas librement choisi sans quoi l’usage de la force serait superflu : donc cet Etat ne peut que porter atteintes aux volontés et désirs des citoyens. C’est en ce sens qu’Alain disait qu’il valait mieux « obéir en résistant » que désobéir, car la désobéissance entraîne la le renforcement de l’Etat, la tyrannie pour tuer la critique et dès lors la liberté est perdue.

– cette coercition peut aussi être psychique, menace pour les dissidents, manipulation idéologique, omniprésence paternaliste de l’Etat  (parfois à la demande des citoyens eux-mêmes)mais le résultat est le même, un atteinte au libre-arbitre, à la liberté de choix

Mais cet usage de la force et l’autoritarisme ne peuvent-ils pas être un aveu de faiblesse  et la liberté se réduit-elle à l’indépendance et à une somme de libertés individuelles?

II.   Réduire la force de l’Etat à la force de coercition, c’est en effet être victime des apparences :

Diderot dans L’encyclopédie distingue 2 formes de puissance ou d’AUTORITE : « La puissance qui s’acquiert par la violence n’est qu’une usurpation, et ne dure qu’autant que la force de celui qui commande l’emporte sur celle de ceux qui obéissent ; en sorte que si ces derniers deviennent à leur tour les plus forts et qu’ils secouent le joug, ils le font avec autant de droit et de justice que l’autre qui le leur avait imposé. La même loi qui a fait l’autorité, la défait alors : c’est la loi du plus fort. Quelquefois l’autorité qui s’établit par la violence change de nature, c’est lorsqu’elle continue et se maintient du consentement exprès de ceux qu’on a soumis ; mais elle rentre par là dans la seconde espèce dont je vais parler ; et celui qui se l’était arrogée, devenant alors prince, cesse d’être tyran. »

En somme ce qui fait qu’un Etat est réellement fort, c’est que justement il n’a pas besoin de faire usage de la force (cet usage étant en réalité un aveu de faiblesse, d’absence d’autorité), parce qu’il a su obtenir librement le consentement de ceux qui lui obéissent et cela parce qu’il apparaît comme légitime.

Un Etat est véritablement  fort parce qu’il incarne une autorité incontestée et légitime, et cela

– soit parce qu’il est l’incarnation de la volonté du peuple et dans ce cas en y obéissant, le peuple ne perd pas sa liberté.

– Certes il perd son indépendance, mais l’indépendance n’est qu’une liberté précaire et illusoire, le masque du caprice, de la soumission aux pulsions et de l’hétéronomie, mais il gagne l’autonomie : l’obéissance à la loi à laquelle il a consentie ou même mieux qu’il s’est lui-même prescrite (contrat de Rousseau à développer)

– soit parce qu’il remplit bien avec compétence ses missions qui ne se réduisent pas à assurer l’ordre pour lui-même mais pour  permettre la coexistence des libertés et que chacun puisse faire librement son bonheur en corrigeant les inégalités, en donnant une égalité des chances.

III. cependant on peut penser que la liberté ne se réduit pas à la liberté politique (exercice du pouvoir souverain : Benjamin Constant et la liberté des Anciens distincte de celle des Modernes, avec chacune leur péril), que  ce n’est pas à l’Etat de faire la liberté des citoyens mais simplement de lui permettre d’être  en maintenant l’ordre, qui n’est que la condition de la liberté. Il serait dangereux de laisser aux mains de l’Etat la liberté des citoyens. C’est au contraire à eux de la préserver et de la développer.

Ce qui fait la liberté des citoyens, c’est leur force, au sens latin de « virtù », de force de la volonté, de courage face au danger ou aux difficultés. Un citoyen faible, c’est un citoyen qui se décharge sur l’Etat de ses responsabilités, qui entre dans une servitude volontaire par passion de l’égalité, par confort ou par un aveuglement pour un matérialisme médiocre…. Ce qui fait la liberté des citoyens, c’est un citoyen actif et vigilant donc fort ou même une société civile forte face ou dans l’Etat (Tocqueville qui prône une démocratie locale, un pouvoir corporatif, une vie associative pour raviver le goût de l’engagement public et le sens de l’intérêt général)