« L’homme est la mesure de toutes choses » Protagoras

14 septembre 2010 0 Par Caroline Sarroul

« L’homme est la mesure de toutes choses, de celles qui existent et de leur nature ; de celles qui ne sont pas et de l’explication de leur non-existence »

selon Protagoras dans La Vérité ou Discours destructifs ( V ème siecle avant JC)

 

 

Pour cette thèse , selon  Sextus Empiricus , dans  Contre les mathématiciens, VII, 60, « Protagoras a été rangé, lui aussi, par certains auteurs dans le choeur des philosophes qui ont détruit le critère de la vérité » puisqu' » il affirme, en effet, que toutes les représentations et les opinions sont vraies, et que la vérité est de l’ordre du relatif puisque tout ce qui est objet de représentation et d’opinion pour quelqu’un est immédiatement doté d’une existence relative à lui ».

Ainsi interprété comme remettant en question le caractère un et universel de la vérité, il est vu non comme le père de la relativité, de la  subjectivité et du subjectivisme  mais du relativisme.

Or on pourrait aussi en faire, à la simple lecture de cette phrase,  le père de l’humanisme contre l’obscurantisme religieux ( l’homme étant le centre et la mesure de la connaissance et non plus Dieu – même si pour certains  humanistes il y a de fait homme et Homme, ce dernier étant celui qui est un homme accompli par et dans les humanités) ou le grand-père de la révolution copernicienne et critique opérée par  Kant conduisant à la distinction entre phénomène/noumène, à l’idée que le monde n’est que représentation à travers les catégories et les cadres a priori (même si celle-ci étant relative à l’esprit humain n’est pas pour autant relativiste!) ou même un précurseur de l’immatérialisme de Berkeley ( « être c’est être perçu et percevoir »,  » Ce que je vois, j’entends et je touche existe réellement, c’est-à-dire ce que je perçois. Mais je ne vois pas comment le témoignage des sens pourrait être allégué comme preuve de l’existence d’une chose qui n’est pas perçue par les sens », donc pas un scepticisme mais une impossibilité de poser une substance matérielle séparée de l’esprit: « l’âme n’est pas dans le monde mais le monde est dans l’âme ») ou de l’existentialisme de Sartre qui ne réduit pas non plus subjectivité à relativisme dans L’existentialisme est un humanisme, ne réduisant pas la subjectivité à l’individuel mais l’associant « à l’impossibilité pour l’homme de dépasser la subjectivité humaine » p. 31.)

 En tout cas, sa  formule pourrait être aujourd’hui le mot d’ordre du relativisme  triomphant sous d’autres prétextes: principe d’égalité ( ou plutôt égalitarisme!), de liberté d’opinion, de diversité culturelle  et de tolérance.  

Aussi est-il d’actualité  de relire ce passage du Thééthète qui souligne simplement que le relativisme est soit un masque bien pensant, « politiquement correct », soit bien moins relativiste que ce que l’on croit, soit  un serpent qui se mord la queue, une position intenable!

 «  Eh bien, sais-tu, Théodore, ce qui m’étonne de ton camarade Protagoras ?

THÉODORE

Qu’est-ce ?

SOCRATE

En général, j’aime fort sa doctrine, que ce qui paraît à chacun existe pour lui ; mais le début de son discours m’a surpris. Je ne vois pas pourquoi, au commencement de la Vérité, il n’a pas dit que la mesure de toutes choses, c’est le porc, ou le cynocéphale ou quelque bête encore plus étrange parmi celles qui sont capables de sensation. C’eût été un début magnifique et d’une désinvolture hautaine ; car il eût ainsi montré que, tandis que nous l’admirions comme un dieu pour sa sagesse, il ne valait pas mieux pour l’intelligence, je ne dirai pas que tout autre homme, mais qu’un têtard de grenouille. Autrement que dire, Théodore ? Si, en effet, l’opinion que chacun se forme par la sensation est pour lui la vérité, si l’impression d’un homme n’a pas de meilleur juge que lui-même, et si personne n’a plus d’autorité que lui pour examiner si son opinion est exacte ou fausse ; si, au contraire, comme nous l’avons dit souvent, chacun se forme à lui seul ses opinions et si ces opinions sont toujours justes et vraies, en quoi donc, mon ami, Protagoras était-il savant au point qu’on le croyait à juste titre digne d’enseigner les autres et de toucher de gros salaires, et pourquoi nous-mêmes étions-nous plus ignorants, et obligés de fréquenter son école, si chacun est pour soi-même la mesure de sa propre sagesse ? Pouvons-nous ne pas déclarer qu’en disant ce qu’il disait, Protagoras ne parlait pas pour la galerie ? Quant à ce qui me concerne et à mon art d’accoucheur, et je puis dire aussi à la pratique de la dialectique en général, je ne parle pas du ridicule qui les atteint. Car examiner et entreprendre de réfuter mutuellement nos idées et nos opinions, qui sont justes pour chacun, n’est-ce pas s’engager dans un bavardage sans fin et s’égosiller pour rien, si la Vérité de Protagoras est vraie, et s’il ne plaisantait pas quand il prononçait ses oracles du sanctuaire de son livre ? »

Idem dans l’Euthydème (287 a) concernant Protagoras et les sophistes : « Si nous ne nous trompons point, ni dans nos actions, ni dans nos paroles, ni dans nos pensées, s’il en est bien ainsi, au nom de Zeus, qu’est-ce que vous êtes venus enseigner ? »