Depuis quelques années, les injonctions ministérielles à évaluer tendent à prendre une place de plus en plus importante dans l’activité consistant à enseigner, même chez les plus jeunes. Des évaluations nationales en maternelles seraient même dans les tuyaux du ministère. Moi, j’agis au CP, je ne me mêle que de ce qui me regarde, et ce que je regarde, moi, ce n’est pas la maternelle, car la maternelle est un monde à part, mais sans pour autant la regarder, je l’ai vue la maternelle, pour y avoir rapidement enseigné, avec des fortunes diverses, passons. Je les ai suffisamment fréquentés, les petits bancs et les tables d’ateliers, pour estimer qu’asséner des livrets d’évaluation nationale à nos élèves débutants est une aberration, et je me demande où sont passés les pédopsychiatres. Ils ont en tout cas déserté les bureaux de l’Éducation nationale, à moins qu’ils en aient été chassés.

Le tsunami « Évaluations nationales »

Tenons-nous en au CP, puisque c’est au CP que j’enseigne. Impossible d’aborder le sujet de l’évaluation sans parler de la révolution qu’ont été les Évaluations nationales. En substance, et avec sang-froid, tentons de faire un bref bilan du dispositif. Les Évaluations nationales au CP, ça nous tombe dessus la deuxième semaine de septembre, sous la forme d’impressionnants livrets A4 sur la couverture desquels on peut lire « L’école de la confiance ». Dans ces cahiers d’évaluation, on évalue, sur un format papier auquel les élèves sont confrontés pour la première fois de leur existence, des compétences qu’ils n’ont pour la plupart pas encore acquises, en tout cas pas dans l’optique de les restituer dans un cahier. Il s’agit donc d’entourer des phonèmes soi-disant semblables, tantôt en fin de mot, tantôt en début de mot, dans un corpus aveuglant de dessins ambigus. Les consignes sont imposées au mot près. Les temps de passation également. Pour leur entrée dans « L’école de la confiance », les élèves doivent donc se soumettre à un QCM indigeste, transmissif, anxiogène et à la forme en tout point inadaptée aux modes d’apprentissage et de restitution qui leur ont été proposés pendant les trois années de maternelle. Ajoutons que lors de ces évaluations nationales, les élèves sont muselés et livrés à leur crayon : le langage oral, qui est pourtant l’enjeu premier des écoles maternelle et élémentaire, est absent, totalement inévalué car totalement inévaluable sous la forme de ces cahiers parachutés par le Ministère. Ca fait un peu mal quand ça tombe sur leur petite tête.

Chaque année, depuis six ans que j’enseigne au CP, des élèves pleurent pendant la passation des Évaluations nationales. C’est « L’école de la confiance ».

Les Évaluations nationales, on en fait quoi ?

Alors moi personnellement rien, je saisis les productions dans la base de données (quand elle fonctionne) et je les oublie rapidement pour faire enfin mon métier qui consiste à apprendre à mes élèves à parler, lire, écrire et compter.

Pour autant je ne nie pas l’intérêt de l’évaluation. Elle doit être au service de l’enseignant et des apprentissages. Elle permet également de présenter aux parents d’élèves un état des lieux du niveau atteint par leur enfant à des temps de passage semestriels ou trimestriels. Elle doit être explicite et constructive. Aussi, je n’évalue que les enseignements dits « fondamentaux » : en bref, le français et les mathématiques. Pour le reste, et je ne me prononce uniquement pour ce qui concerne le CP, je m’interdis d’évaluer méthodiquement car j’estime que l’éducation physique, les arts et les différents champs d’apprentissage contenus dans le « questionnement du monde » ne sont pas évaluables. Un élève court plus vite qu’un autre, bien. Et puis ? Un enfant n’a pas mémorisé le cycle des mois. Bon, et ? Celle-là ou celui-ci chante comme une chèvre. Alors ?

Ainsi, dans ma classe, les élèves sont évalués en lecture, en écriture, en numération et en calcul à l’approche des remises de bilans. Les évaluations me permettent de définir mes groupes de besoin et les élèves à qui je propose l’aide personnalisée. Je conçois des évaluations papier synthétiques sur lesquelles je m’appuie pour rédiger ces bilans, et qui me servent à présenter aux parents d’élèves les réussites et les difficultés de leur enfant dans les fondamentaux. Je crois bien pour le reste que la maman de Mehdi se fiche bien de savoir qu’il court de travers, et que le père de Jade a déjà remarqué qu’elle fait de jolis dessins.

Peut-on tout évaluer dans les fondamentaux ?

Oui, bien sûr. Pour autant, l’oral n’est pas évaluable sous la forme d’une fiche d’évaluation. Et c’est bien pour cela qu’il n’apparaît pas dans les Évaluations nationales. Pour ma part, je n’ai pas trouvé d’autre solution qu’une évaluation continue, quotidienne et parfois inconsciente de mes élèves à l’oral : au terme du trimestre, je sais le niveau de langage de chaque élève sans les avoir évalués de façon normative. Je crois d’ailleurs que c’est la partie la plus agréable du métier : parler avec les élèves, les faire parler, enrichir leur lexique, améliorer leur syntaxe, développer leurs habiletés langagières. On ne dit pas la mère à Saïna, et la mère à Saïna n’est pas au docteur, et d’ailleurs Saïna n’y est pas partie aux toilettes.

 

En résumé, l’évaluation dans les petites classes doit être transparente et constructive. Les élèves ne doivent pas se sentir pris au piège : il n’y a pas lieu d’institutionnaliser ni de sacraliser l’évaluation. Il conviendrait de la dédramatiser. Suivez mon regard.

 

Une chronique de Papalion

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