DU FINALISME, DE LA THEORIE DE L’EVOLUTION, DE LA NATURE DES SCIENCES … : POUR ALLER PLUS LOIN …

Actuellement, je corrige vos copies de DST # 1, et je m’aperçois dans la question de cours du finalisme que vous utilisez malgré les précautions que j’avais essayé d’initier avec vous sur ce sujet. Je peux le comprendre mais j’insisterai toujours sur ce point. Dans la nature, il n’y a ni but, ni valeur, ni morale.

Il n’y a pas un oeil pour voir, un cristallin élastique pour accommoder, des stratégies adaptatives évolutives, c’est-à-dire un animal qui s’adapte à son milieu …., une poisson ancestral qui a quitté les eaux en se dotant d’une patte pour échapper à ses prédateurs marins. aucun animal n’a organisé la « sortie des eaux ».

Il est difficile de s’extraire des tentations du finalisme mais il est nécessaire pour autant de s’en détacher totalement.

Chèr(e)s élèves, ce n’est pas moi qui vous le dit mais le grand spécialiste qu’est Guillaume Lecointre qui est à côté de nous au Museum D’Histoire Naturelle. Entendons le.

« Pierre-Henri Gouyon et Marc- André Sélosse  plaident pour une « vision unifiée du vivant » qui justifierait en Biologie l’emploi de termes issus du vocabulaire courant, tels que « gène égoïste » ou « stratégie tricheuse » d’une espèce, sans quoi nous encourrions le risque d’une surenchère de mots nouveaux et d’une dissociation maintenue entre les humains et les processus naturels, qualifiée par eux d’une « forme d’anthropocentrisme ». Cette question mérite qu’on s’y arrête parce qu’elle est au coeur de la compréhension qu’a le public de la Biologie et de l’enseignement de celle-ci. Leur plaidoyer élude la vraie question. Pour savoir si les métaphores telles que « stratégie adaptative », « honnêteté » ou « tromperie » sont légitimes ou pas en Biologie, il faut examiner les processus sous-jacents : sont-ils les mêmes ?

Les métaphores biologiques procèdent par analogie. Une analogie est une ressemblance de rapports. Supposons qu’un mécanisme A permette d’expliquer les relations entre les entités a, a’ et a’’. Par ailleurs, il se trouve que les rapports entre les entités b, b’ et b’’ressemblent à ceux qu’entretiennent a, a’ et a’’. Le mécanisme A est alors transposé métaphoriquement pour suggérer une explication des relations entre b, b’ et b’’, et cette transposition sert de justification pour supposer l’existence d’un mécanisme B similaire à A.

Le problème, c’est que l’analogie ne justifie jamais que la transposition de A sur b, b’ et b’’ soit adéquate, et ne peut alors pas avoir valeur de démonstration. Elle ne peut qu’être suggestive. Dès lors, une métaphore analogique sera légitime en tant que métaphore explicative si et seulement si, par coup de chance, le mécanisme B est vraiment le même que le mécanisme A. Car B ne provient pas d’une analyse approfondie des rapports entre b, b’ et b’’, mais de sa seule ressemblance avec A.

La métaphore analogique ne sera jamais autre chose qu’une superposition d’images destinée à suggérer des mécanismes similaires à deux phénomènes indépendants, ou à remporter l’assentiment. Elle restera dépourvue de valeur explicative. Si, par chance, il se trouve que l’on puisse démontrer que les mécanismes sont vraiment les mêmes, alors l’analogie se trouve être un bon moyen pédagogique. Dans ce cas seulement, le même mot peut et doit être gardé pour désigner le mécanisme commun. Sinon, l’usage d’un mot commun est pire que l’usage de mots différents, car au nom d’un rapprochement entre l’homme et la nature, nous laisserions le mot commun nous tromper, au moins potentiellement, sur ce qui rapproche vraiment de l’homme.

En ne rapprochant l’homme de la nature qu’analogiquement, nous reviendrions à des raisonnements pré-scientifiques. Or, nous sommes en droit de douter que ce que nous appelons « stratégie » chez un humain (il suffit de regarder un dictionnaire) corresponde, dans le processus même désigné par ce nom, à une stratégie adaptative d’une population ou d’une espèce. Sans entrer dans le détail, l’une des différences majeures est que la première est prospective, la seconde n’ayant un caractère prospectif apparent qu’à la lumière d’une reconstitution rétrospective. Cette métaphore, parmi d’autres, est vraiment trompeuse.

Enfin, il ne faut pas craindre les mots nouveaux, s’ils sont justifiés. C’est précisément le rôle des sciences : donner accès rationnellement à une foule d’objets et de mécanismes qui échappent à nos sens communs, et donc pour lesquels nous n’avons pas de mots disponibles dans la langue.

Notre pensée ne peut être précise qu’avec des mots précis, et cette précision a plus de valeur pour les scientifiques que l’évitement d’un éventuel « encombrement ». C’est en gagnant cette précision que l’homme se rattachera de la manière la plus exacte au reste du vivant.

« La métaphore de la “stratégie” trahit l’évolution »

En se replaçant dans l’histoire de la biologie, G. Lecointre explique une difficulté à comprendre le vivant dans sa dimension évolutive. C’est avec l’avènement de la théorie synthétique de l’évolution, qui intègre la génétique à l’évolution darwinienne, que le vivant est à nouveau perçu dans sa constance, son invariance (les chats font des chats, les chiens font des chiens), le rôle de la sélection naturelle étant alors d’expliquer comment peut changer ce qui nous apparaît constant. Cette conception stable du vivant est contraire à ce qui caractérise vraiment le vivant et que Darwin avait pourtant décrit : la variation comme caractère intrinsèque fondamental du vivant. Et c’est, justement, sur ces variations que s’exerce une sélection par l’environnement qui produit d’abord une constance, une régularité. En somme, la sélection explique d’abord pourquoi on a des régularités à partir d’une base de variations, avant que d’expliquer pourquoi et comment ça change quand le milieu change. Plusieurs obstacles à la compréhension de cette propriété évolutive du vivant sont identifiés, comme la conception « linnéenne » de l’espèce d’Ernst Mayr, un des fondateurs de la théorie synthétique, ou le déterminisme absolu associé à la métaphore du « programme » génétique.

G. Lecointre, très impliqué dans la formation des enseignants, est attentif aux mots utilisés pour décrire le vivant et ses propriétés. Il propose donc, ici, une mise au point sur un certain nombre de concepts diffus dans le public comme, par exemple, l’adaptation et la notion de « stratégie » appliquée à l’évolution du vivant. Les enseignants des Sciences de la Vie savent la difficulté à traiter de l’adaptation face à leurs classes. En établissant le constat d’un état de bonne adaptation de tel ou tel être vivant à son milieu de vie, car il possède des caractéristiques qui lui permettent d’y survivre, beaucoup d’élèves retiennent une action d’adaptation de l’être à son environnement (« être adapté » versus « s’adapter » : après tout, est-ce qu’on ne s’adapte pas dans le but d’être adapté aux conditions qui vont advenir ?). C’est la même implication finaliste qui est à l’œuvre dans la métaphore de la « stratégie d’adaptation », largement utilisée par nombre de scientifiques (en particulier écologues et généticiens des populations, note Guillaume Lecointre) dans leurs conférences devant un public pas nécessairement averti de cette subtilité de langage.

Comment se positionner vis-à-vis de l’évolution dans le cadre d’une croyance religieuse ? G. Lecointre rappelle qu’une théorie n’est pas une simple hypothèse à laquelle on devrait croire mais un cadre cohérent qui relie des faits,  mesures, et hypothèses testables… C’est un savoir qui a pu s’élaborer parce que la recherche scientifique s’effectue dans un contexte laïc : « les savoirs se distinguent des croyances religieuses et des opinions selon au moins 2 critères. […] Un savoir se justifie rationnellement. […] Il est légitime parce qu’il a résisté à de multiples tentatives de déstabilisation. […] D’autre part, les savoirs sont des productions collectives. […] Aucun résultat n’acquiert un statut de savoir s’il n’est corroboré par des équipes indépendantes, à plus ou moins long terme ».

En cette époque d’interrogation sur la place de la laïcité dans notre société et de débats sur la façon de l’affirmer ou de la réaffirmer, en particulier à l’école, ce petit livre est un incontournable, utile et agréable.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voici un résumé que j’ai préparé il y a quelques années niveau lycée des principes de base de l’évolution 

L’évolution est naturellement contre l’intuition parce qu’elle est hors de nos sens, d’ampleur supérieure et sur des durées qui nous dépassent par rapport à l’échelle de notre vie.

? Constat 1 :

Il existe une variabilité naturelle parmi les individus d’une espèce se reconnaissant comme partenaires sexuels potentiels (physique, génétique, d’aptitude …) : c’est la racine, le point de départ de l’évolution.

? Constat 2 :

Dès les débuts de la domestication, l’homme a toujours modelé les êtres vivants à ses besoins par des croisements sélectifs (plantes, élevages animaux ..) : il existe pour une espèce une capacité naturelle à être sélectionnée : la sélectionnabilité. C’est parce que les variations sont héritables que cette capacité existe.

? Constat 3 :

Tant que les ressources sont disponibles (alimentation, autres conditions optimales d’habitat), il y a reproduction des espèces. Les limites sont l’épuisement de ces ressources ou la prédation =>

Il y a donc une capacité naturelle au surpeuplement.

exemple : lorsque l’homme a par le passé introduit une espèce dans un certain milieu et qu’elle s’y est trop bien adaptée, elle est devenue envahissante et appauvrissante pour les effectifs des autres espèces : exemple : le lapin en Australie, certains rats, l’écrevisse américaine dans les cours d’eau

? Constat 4 :

Une espèce est donc une limite pour les autres car elle peut les parasiter ou les consommer (prédation) ou consommer les mêmes ressources (compétition); donc les autres sont un agent sélectif biologique.

? Constat 5 :

Il existe des facteurs physico- (luminosité,température,humidité,pression …) chimiques (pH, molécules odorantes …) qui jouent aussi sur la capacité de croissance et la reproduction des individus : ce sont aussi des agents sélectifs.

Remarques

1/ il reste toujours des variants « non optimaux » ou désavantagés par les conditions du milieu à un moment donné donc un individu n’est pas le plus adapté car l’adaptation est le résultat des sélections agissant sur les variants.

2/ il existe des variants « neutres », c’est-à-dire que la sélection naturelle n’agit ni positivement ni négativement sur leur nombre. Leur devenir est aléatoire selon la dérive génétique vue en séance 8. (exemple des groupes sanguins)

3/ dans la théorie de l’évolution, on essaie d’expliquer une réalité biologique, il n’y a ni destinée, ni but, ni valeur, ni morale, ni espoir : c’est une théorie scientifique.

exemple : un animal ne s’adapte pas à son milieu de son plein gré, ne se dote pas d’une carapace, un poisson n’a pas décidé pas de sortir de l’eau pour échapper à son prédateur un beau jour, un moustique de résister à un insecticide ou une bactérie à un antibiotique : il exprime une génétique en interaction avec son environnement, sans volonté

En dehors des grandes crises biologiques qui font disparaître un grand nombre d’espèces marines et continentales et qui restent des événements exceptionnels, ou des actions humaines (voir 6è, 3è et la partie « action de l’Homme sur la biodiversité »), les évolutions sont lentes et à l’échelle d’un être vivant, il n’y a pas de volonté de changement : il y a des caractéristiques héritées, des expériences acquises au cours de la vie, plus ou moins transmis à la descendance et des comportements dirigés par les hormones et les instincts. C’est tout : c’est individuel et propre à l’espèce.

C’est le maintien des variants de l’espèce dans les populations qui assure son avenir et non la « surdominance » des plus aptes à la survie et la reproduction.

 

 

Laisser un commentaire