Elargir ses horizons de lecture – Confronter les textes…

Classe de 1° ES/S

La question de l’Homme dans les grands genres de l’argumentation

Prolonger la compréhension du texte 1 (Céline) et de sa lecture complémentaire (Paul Valéry) par une lecture actuelle : une réflexion sur le temps, la société, la vie et la place de l’homme dans la société en 2014.

– Extrait de l’essai de Jean-Luc Mélenchon, L’Ere du peuple – 2014  (Editions Fayard – passim pages 79-88 )

«  Le temps de la société dans un monde paysan, c’est celui des saisons et des repères de l’activité agricole : quand préparer la terre, quand semer, quand récolter et ainsi de suite. Et aussi il y a ce que l’on fait « quand on n’a rien d’autre à faire », c’est-à-dire en dehors des temps contraints de l’agriculture. Tout le calendrier y est soumis. Et la République s’y plie aussi quand elle instaure les vacances scolaires aux dates clefs pour que les jeunes puissent aller donner le coup de main aux champs. Dans les sociétés du passé, les temps religieux et politiques, toujours confondus, étaient également directement liés au cycle économique. Pharaon va faire se lever l’étoile de Sirius qui déclenche la crue du Nil dont les alluvions déforment les parcelles cultivées et justifient un nouveau calcul de l’impôt. Ici, le religieux, l’économie et le politique ne font qu’un. Ils sont en harmonie, c’est-à-dire en synchronie.

Cette synchronie est l’enjeu caché des sociétés. Quelle activité donne le rythme et qui en décide ? Ainsi le temps est une propriété de l’univers social. Alors, comme toute réalité sociale, il est un enjeu de lutte de pouvoir. Aujourd’hui il y a un temps dominant : le temps court. Tout le pouvoir dans notre société est à ce qui fonctionne « en temps réel », c’est-à-dire en temps zéro, et à tout ce qui s’en approche. Le temps zéro, c’est celui de la transaction financière réalisée à la nanoseconde entre ordinateurs. C’est celui de l’« information » immédiate qui subjugue et tient en haleine. Pour inverser cette domination du temps zéro et reprendre le pouvoir sur le temps, on doit affronter tout le système qui l’a produite. C’est-à-dire à la fois ceux qui en bénéficient et les moyens par lesquels leur temps s’impose.

Par exemple interdire la cotation en continu des valeurs boursières, interdire le trading automatisé, c’est frapper le cœur de la machine à imposer le règne du temps court dans l’économie, et tous les domaines en cascade.

Où trouver le temps dominé ? Cherchez les dominés ! Tout le monde sait ce qu’est un temps contraint, par exemple. C’est celui d’un horaire de travail qu’on ne choisit pas mais auquel on est soumis. Ou bien quand les horaires de travail et ceux de l’école ne correspondent pas et que nul ne s’en préoccupe à part ceux qui subissent cette situation. La synchronie des temps sociaux est un enjeu social déterminant. Qui en est maître ? Quand la production à flux tendu impose son rythme, les horaires de travail font exploser en miettes la vie de famille. Car les temps contraints sont différents. Ici on voit que l’harmonisation des temps sociaux à partir des personnes plutôt que des marchandises constituerait le début du « bien vivre ».

De plus, la gestion du temps commande aussi la mesure de l’espace. Faute de moyens de transport collectif, celle-ci dépend de la circulation automobile, laquelle dépend des horaires des bureaux et des entreprises, des allers et retours de la main-d’œuvre, des entrées et sorties des camions de livraison. Une distance peut varier du simple au double selon la circulation. Ainsi ceux qui fixent les règles du temps social en sont les maîtres. Comme ils en usent et abusent selon leurs besoins, on peut dire qu’ils en sont les propriétaires. Les dominés nomment de façon significative « temps libre » celui dont ils ont la maîtrise. Ils en sont propriétaires. Le sont-ils pour longtemps ? On voit que l’exigence de rester connecté a étendu le domaine du temps asservi ! La propriété du temps est invisible mais elle n’en est pas moins réelle.

Bien sûr, la fixation de ce temps contraint et son imposition au corps social ne se font pas toutes seules. Il y faut une caste qui en profite et des lois qui l’imposent. Bref, le temps social c’est de la politique. Le temps est-il une propriété publique ou une marchandise privée ? […]

La reconquête du droit au temps long est le premier acte d’une gestion écologique de la société. Elle se traduit de deux façons. D’abord ralentir la vie, c’est-à-dire inverser tout ce qui est accéléré sans raison. C’est la synchronie des temps sociaux qui est en cause. Quel est alors le temps dominant ? Celui de la production et de l’échange ou bien celui de la personne ? […]

Notre présent est envoûté par l’appel du futur de façon aussi violente que le désir s’accroît à mesure que son objet s’éloigne. La transe du futur est permanente. C’est un phénomène intimement ancré en chacun d’entre nous. Au cours de leur existence, tous les humains doivent à présent changer sans cesse profondément leurs usages et les connaissances qui vont avec à propos du quotidien le plus banal ! Rares sont à présent les moments où l’utilisateur sait dire « comment ça marche ». Et quand il le sait on est déjà passé à autre chose. »

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