A propos dendromorphe

Professeur de Lettres classiques.

Petit parcours de lectures pour bien préparer sa classe de philosophie:

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       A tous les élèves de premières qui ont achevé leur cursus de Français et de Littérature, quelques conseils de lecture pour découvrir votre nouvelle matière, la Philosophie, bien préparer l’année de Terminale et se mettre à température de ces beaux esprits que vous allez découvrir avec votre professeur de « Philo » !      

      Je vous propose quatre titres d’auteurs différents et accessibles. Choisissez-en un, deux, trois ou quatre, au gré de votre courage et de vos affinités avec ces philosophes !    

      Gageons que l’effort que vous ferez en lisant ces oeuvres ne sera pas vain, loin de là !         Soyez courageux ! Explorez bien votre nouvel univers ! Vous en détenez les clés !

           Platon: Le Banquet                  Descartes: Les Passions de l’âme

             banquet                                                 Les passions                    

Nietzsche: Ainsi parlait Zarathoustra    Freud: Malaise dans la civilisation

                     Ainsi                                         Malaise                                

François Mauriac, extension: Le Romancier et ses personnages – Extrait.

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   L’humilité n’est pas la Vertu dominante des romanciers. Ils ne craignent pas de prétendre au titre de créateurs. Des créateurs ! les émules de Dieu ! A la vérité, ils en sont les singes. Les personnages qu’ils inventent ne sont nullement créés, si la création consiste à faire quelque chose de rien. Nos prétendues créatures sont formées d’éléments pris au réel; nous combinons, avec plus ou moins d’adresse, ce que nous fournissent l’observation des autres hommes et la connaissance que nous avons de nous-mêmes. Les héros de romans naissent du mariage que le romancier contracte avec la réalité. Dans les fruits de cette union, il est périlleux de prétendre délimiter ce qui appartient en propre à l’écrivain, ce qu’il y retrouve de lui-même et ce que l’extérieur lui a fourni.

  Je souhaiterais que ces lignes inspirassent à l’égard du roman et des romanciers un sentiment complexe, – complexe comme la vie même que c’est notre métier de peindre. Ces pauvres gens dont je suis méritent quelque pitié et peut-être un peu d’admiration, pour oser poursuivre une tâche aussi folle que de fixer, d’immobiliser dans leurs livres le mouvement et la durée, que de cerner d’un contour précis nos sentiments et nos passions, alors qu’en réalité nos sentiments sont incertains et que nos passions évoluent sans cesse. C’est aussi qu’en dépit de la leçon de Proust nous nous obstinons à parler de l’amour comme d’un absolu, alors qu’en réalité les personnes que nous aimons le plus nous sont, à chaque instant, profondément indifférentes et qu’en revanche, et malgré les lois inéluctables de l’oubli, aucun amour ne finit jamais tout à fait en nous.

  De l’homme ondoyant et divers de Montaigne, nous faisons une créature bien construite, que nous démontons pièce par pièce. Nos personnages raisonnent, ont des idées claires et distinctes, font exactement ce qu’ils veulent faire et agissent selon la logique, alors qu’en réalité l’inconscient est la part essentielle de notre être et que la plupart de nos actes ont des motifs qui nous échappent à nous-mêmes. Chaque fois que dans un livre nous décrivons un événement tel que nous l’avons observé dans la vie, c’est presque toujours ce que la critique et le public jugent invraisemblable et impossible. Ce qui prouve que la logique humaine qui règle la destinée des héros de roman n’a presque rien à voir avec les lois obscures de la vie véritable.

   Mais cette contradiction inhérente au roman, cette impuissance où il est de rendre l’immense complexité de la vie qu’il a mission de peindre, cet obstacle formidable, s’il n’y a pas moyen de le franchir, n’y aurait-il pas, en revanche, moyen de le tourner ? Ce serait, à mon avis, de reconnaître franchement que les romanciers modernes ont été trop ambitieux. Il s’agirait de se résigner à ne plus faire concurrence à la vie.

   Il s’agirait de reconnaître que l’art est, par définition, arbitraire et que, même en n’atteignant pas le réel dans toute sa complexité, il est tout de même possible d’atteindre des aspects de la vérité humaine, comme l’ont fait au théâtre les grands classiques, en usant pourtant de la forme la plus conventionnelle qui soit : la tragédie en cinq actes et en vers. Il faudrait reconnaître que l’art du roman est, avant tout, une transposition du réel et non une reproduction du réel.

   Il est frappant que plus un écrivain s’efforce de ne rien sacrifier de la complexité vivante, et plus il donne l’impression de l’artifice. Qu’y a-t-il de moins naturel et de plus arbitraire que les associations d’idées dans le monologue intérieur tel que Joyce l’utilise ? Ce qui se passe au théâtre pourrait nous servir d’exemple. Depuis que le cinéma parlant nous montre des êtres réels en pleine nature, le réalisme du théâtre contemporain, son imitation servile de la vie, apparaissent, par comparaison, le comble du factice et du faux; et l’on commence à pressentir que le théâtre n’échappera à la mort que lorsqu’il aura retrouvé son véritable plan, qui est la poésie. La vérité humaine, mais par la poésie.

   De même le roman, en tant que genre, est pour l’instant dans une impasse. Et bien que j’éprouve personnellement pour Marcel Proust une admiration qui n’a cessé de grandir d’année en année, je suis persuadé qu’il est, à la lettre, inimitable et qu’il serait vain de chercher une issue dans la direction où il s’est aventuré.

Après tout, la vérité humaine qui se dégage de La Princesse de Clèves *, de Manon Lescaut, d’Adolphe, de Dominique ou de La Porte étroite, est-elle si négligeable ? Dans cette classique Porte étroite de Gide, l’apport psychologique est-il moindre que ce que nous trouvons dans ses Faux Monnayeurs, écrits selon l’esthétique la plus récente? Acceptons humblement que les personnages romanesques forment une humanité qui n’est pas une humanité de chair et d’os, mais qui en est une image transposée et stylisée. Acceptons de n’y atteindre le vrai que par réfraction. Il faut se résigner aux conventions et aux mensonges de notre art.

  On ne pense pas assez que le roman qui serre la réalité du plus près possible est déjà tout de même menteur par cela seulement que les héros s’expliquent et se racontent. Car, dans les vies les plus tourmentées, les paroles comptent peu. Le drame d’un être vivant se poursuit presque toujours et se dénoue dans le silence. L’essentiel, dans la vie, n’est jamais exprimé.

  Dans la vie, Tristan et Yseult parlent du temps qu’il fait, de la dame qu’ils ont rencontrée le matin, et Yseult s’inquiète de savoir si Tristan trouve le café assez fort. Un roman tout à fait pareil à la vie ne serait finalement composé que de points de suspension. Car, de toutes les passions, l’amour, qui est le fond de presque tous nos livres, nous paraît être celle qui s’exprime le moins. Le monde des héros de roman vit, si j’ose dire, dans une autre étoile, l’étoile où les êtres humains s’expliquent, se confient, s’analysent la plume à la main, recherchent les scènes au lieu de les éviter, cernent leurs sentiments confus et indistincts d’un trait appuyé, les isolent de l’immense contexte vivant et les observent au microscope.

  Et cependant, grâce à tout ce trucage, de grandes vérités partielles ont été atteintes. Ces personnages fictifs et irréels nous aident à nous mieux connaître et à prendre conscience de nous-mêmes. Ce ne sont pas les héros de roman qui doivent servilement être comme dans la vie, ce sont, au contraire, les êtres vivants qui doivent peu à peu se conformer aux leçons que dégagent les analyses des grands romanciers.

  Les grands romanciers nous fournissent ce que Paul Bourget, dans la préface d’un de ses premiers livres, appelait des planches d’anatomie morale. Aussi vivante que nous apparaisse une créature romanesque, il y a toujours en elle un sentiment, une passion que l’art du romancier hypertrophie pour que nous soyons mieux à même de l’étudier; aussi vivants que ces héros nous apparaissent, ils ont toujours une signification, leur destinée comporte une leçon, une morale s’en dégage qui ne se trouve jamais dans une destinée réelle toujours contradictoire et confuse.

  Les héros des grands romanciers, même quand l’auteur, ne prétend rien prouver ni rien démontrer, détiennent une vérité qui peut n’être pas la même pour chacun de nous, mais qu’il appartient à chacun de nous de découvrir et de s’appliquer. Et c’est sans doute notre raison d’être, c’est ce qui légitime notre absurde et étrange métier que cette création d’un monde idéal grâce auquel les hommes vivants voient plus clair dans leur propre cœur et peuvent se témoigner les uns aux autres plus de compréhension et plus de pitié.

  Il faut beaucoup pardonner au romancier, pour les périls auxquels il s’expose. Car écrire des romans n’est pas de tout repos. Je me souviens de ce titre d’un livre : L’Homme qui a perdu son Moi. Eh bien, c’est la personnalité même du romancier, c’est son « moi » qui, à chaque instant, est en jeu. De même que le radiologue est menacé dans sa chair, le romancier l’est dans l’unité même de sa personne. Il joue tous les personnages; il se transforme en démon ou en ange. Il va loin, en imagination, dans la sainteté et dans l’infamie. Mais que reste-t-il de lui, après ses multiples et contradictoires incarnations ? Le dieu Protée, qui, à volonté, change de forme, n’est, en réalité, personne, puisqu’il peut être tout le monde. Et c’est pourquoi, plus qu’à aucun autre homme, une certitude est nécessaire au romancier. A cette force de désagrégation qui agit sur lui sans répit, – nous disons : sans répit, car un romancier ne s’interrompt jamais de travailler, même et surtout quand on le voit au repos, – à cette force de désagrégation, il faut qu’il oppose une force plus puissante, il faut qu’il reconstruise son unité, qu’il ordonne ses multiples contradictions autour d’un roc immuable; il faut que les puissances opposées de son être cristallisent autour de Celui qui ne change pas. Divisé contre lui-même, et par là condamné à périr, le romancier ne se sauve que dans l’Unité, il ne se retrouve que quand il retrouve Dieu.

 * Note: respectivement romans de Madame de La Fayette (1680), de L’Abbé Prévost (1731), de Benjamin Constant (1816), et d’André Gide (1909 et 1925).

Documents complémentaires sur la pensée d’Albert Camus : une vision de l’Homme, de l’artiste, de la société et du monde.

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  • Camus et la pauvreté (Extrait de la Préface de L’Envers et l’Endroit, édition de la Pléiade pp 6-7)

  Chaque artiste garde ainsi, au fond de lui, une source unique qui alimente pendant sa vie ce qu’il est et  ce qu’il dit. Quand la source est tarie,  on  voit  peu  à  peu  l’œuvre  se  racornir,  se  fendiller.  Ce  sont  les terres ingrates de l’art que le courant invisible n’irrigue plus. Le cheveu  devenu  rare  et  sec,  l’artiste, couvert de chaumes, est mûr pour le silence, ou  les  salons, qui  reviennent au même.  Pour moi, je sais que ma source est dans l’Envers et l’Endroit, dans ce monde de pauvreté et de lumière où j’ai longtemps vécu et dont le souvenir me préserve encore des deux dangers contraires qui menacent tout artiste, le ressentiment et la satisfaction.

  La pauvreté, d’abord, n’a jamais été un malheur pour moi : la lumière y répandait ses richesses. Même mes révoltes en ont été éclairées. Elles furent presque toujours, je crois pouvoir le dire sans tricher, des révoltes pour tous, et pour que la vie de tous soit élevée dans la lumière. Il n’est pas sûr que mon cœur  fût naturellement disposé à cette sorte d’amour. Mais les circonstances m’ont aidé. Pour corriger une indifférence naturelle, je fus placé à mi-distance de la misère et du soleil. La misère m’empêcha de croire que tout est bien sous le soleil et dans l’histoire; le soleil m’apprit que l’histoire n’est pas tout. Changer la vie, oui, mais non le monde dont je faisais ma divinité. C’est ainsi, sans doute, que j’abordai cette carrière inconfortable où je suis, m’engageant avec innocence sur un fil d’équilibre où j’avance péniblement, sans être sûr d’atteindre le but. Autrement dit, je devins un artiste, s’il est vrai qu’il n’est pas d’art sans refus ni sans consentement.

  Dans tous les cas, la belle chaleur qui régnait sur mon enfance m’a privé de tout ressentiment. Je vivais dans la gêne, mais aussi dans une sorte de jouissance. Je me sentais des forces infinies : il fallait seulement leur trouver un point d’application. Ce n’était pas la pauvreté qui faisait obstacle à ces forces : en Afrique, la mer et le soleil ne coûtent rien. […] Mais, après m’être interrogé, je puis témoigner que, parmi mes nombreuses faiblesses, n’a jamais figuré le défaut le plus répandu parmi nous, je veux dire l’envie, véritable cancer des sociétés et des doctrines.

  Le mérite de cette heureuse immunité ne me revient pas. Je la dois aux miens, d’abord, qui manquaient de presque tout et n’enviaient à peu près rien. Par son seul silence, sa réserve, sa fierté naturelle et sobre, cette famille, qui ne savait même pas lire, m’a donné alors mes plus hautes leçons, qui durent toujours. Et puis, j’étais moi-même trop occupé à sentir pour rêver d’autre chose. Encore maintenant, quand je vois la vie d’une grande fortune à Paris, il y a de la compassion dans l’éloignement qu’elle m’inspire souvent. On trouve dans le monde beaucoup d’injustices, mais il en est une dont on ne parle jamais, qui est celle de climat. De cette injustice-là, j’ai été longtemps, sans le savoir, un des profiteurs. J’entends d’ici les accusations de nos féroces philanthropes, s’ils me lisaient. Je veux faire passer les ouvriers pour riches et les bourgeois pour pauvres, afin de conserver plus longtemps l’heureuse servitude des uns et la puissance des autres. Non, ce n’est pas cela. Au contraire, lorsque la pauvreté se conjugue avec cette vie sans ciel ni espoir qu’en arrivant à l’âge d’homme j’ai découverte dans les horribles faubourgs de nos villes, alors l’injustice dernière, et la plus révoltante, est consommée : il faut tout faire, en effet, pour que ces hommes échappent à la double humiliation de la misère et de la laideur. Né pauvre, dans un quartier ouvrier, je ne savais pourtant pas ce qu’était le vrai malheur avant de connaître nos banlieues froides. Même l’extrême misère arabe ne s’y peut comparer, sous la différence des ciels. Mais une fois qu’on a connu les faubourgs industriels, on se sent à jamais souillé, je crois, et responsable de leur existence.  Ce  que  j’ai  dit  ne  reste  pas  moins vrai. Je rencontre parfois des gens  qui  vivent  au  milieu  de  fortunes que je ne peux même pas imaginer. Il me faut cependant un effort pour comprendre qu’on puisse envier ces fortunes. Pendant huit jours, il y a longtemps, j’ai vécu comblé des biens de ce monde : nous dormions sans toit, sur une plage, je me nourrissais de fruits et je passais la moitié de mes journées dans une eau déserte. J’ai appris à cette époque une vérité qui m’a toujours poussé à recevoir les signes du confort, ou de l’installation, avec ironie, impatience, et quelques fois avec fureur. Bien que je vive maintenant sans le souci du lendemain, donc en privilégié, je ne sais pas posséder. Ce que j’ai, et qui m’est toujours offert sans que je l’aie recherché, je ne puis rien en garder. Moins par prodigalité, il me semble, que par une autre sorte de parcimonie : je suis avare de cette liberté qui disparaît dès que commence l’excès des biens. Le plus grand des luxes n’a jamais cessé de coïncider pour moi avec un certain dénuement. J’aime la maison nue des Arabes ou des Espagnols. Le lieu où je préfère vivre et travailler (et, chose plus rare, où il  me  serait  égal  de  mourir)  est  la chambre d’hôtel. Je n’ai jamais pu m’abandonner à ce qu’on appelle la vie d’intérieur (qui est si  souvent  le  contraire  de la vie intérieure) ; le bonheur dit bourgeois m’ennuie et m’effraie. Cette inaptitude n’a du reste rien de glorieux ; elle n’a pas peu contribué à alimenter mes mauvais défauts. Je n’envie rien, ce qui est mon droit, mais je ne pense pas toujours aux envies des autres et cela m’ôte de l’imagination, c’est-à-dire de la bonté. Il est vrai que je me suis fait une maxime pour mon usage personnel : « Il faut mettre ses principes dans les grandes choses, aux petites la miséricorde suffit. » Hélas ! on se fait des maximes  pour combler les trous de sa propre nature. Chez moi, la miséricorde dont je parle s’appelle plutôt indifférence. Ses effets, on s’en doute, sont moins miraculeux. Mais je veux seulement souligner  que la pauvreté ne suppose pas forcément l’envie. […]

  Artiste, par exemple, j’ai commencé à vivre dans l’admiration, ce qui, dans un sens, est le paradis terrestre. (On sait qu’aujourd’hui l’usage, en France, pour débuter dans les lettres, et même pour y finir, est au contraire de choisir un artiste à railler.) De même, mes passions d’homme n’ont jamais été « contre ». Les êtres que j’ai aimés ont toujours été meilleurs et plus grands que moi. La pauvreté telle que je l’ai vécue ne m’a donc pas enseigné le ressentiment, mais une certaine fidélité, au contraire, et la ténacité muette. S’il m’est arrivé de l’oublier, moi seul ou mes défauts en sommes responsables, et non le monde où je suis né. […] « Il n’y a pas d’amour de vivre sans désespoir de vivre », ai-je écrit, non sans emphase, dans ces pages. Je ne savais pas à l’époque à quel point je disais vrai ; je n’avais pas encore traversé les temps du vrai désespoir. Ces temps sont venus et  ils ont pu tout détruire en moi, sauf justement l’appétit désordonné  de vivre.

  • Camus et le roman (Extraits de L’Homme Révolté, IV « Révolte en Art », « roman et révolte »)

  Qu’est-ce que le roman, en effet, sinon cet univers où l’action trouve sa forme, où les mots de la fin sont prononcés, les êtres livrés Albert Camus, aux êtres, où toute vie prend le visage du destin. Le monde romanesque n’est que  la  correction de ce monde-ci, suivant le désir profond de l’homme. Car il s’agit bien du même monde. La souffrance est la même, le mensonge et l’amour. Les héros ont notre langage, nos faiblesses, nos forces. Leur univers n’est ni plus beau ni plus édifiant que  le  nôtre.  Mais eux, du moins, courent jusqu’au bout de leur destin et il n’est même jamais de si bouleversants héros que ceux qui vont jusqu’à l’extrémité de leur passion, Kirilov et Stavroguine, Mme Graslin, Julien Sorel ou le prince de Clèves *. C’est ici que nous perdons leur mesure, car ils finissent alors ce que nous n’achevons jamais. Voici donc un monde imaginaire, mais créé par la correction de celui-ci, un monde où la douleur peut,  si elle le veut, durer jusqu’à la mort, où les passions ne sont jamais distraites, où les êtres sont livrés à l’idée fixe et toujours présents les uns aux autres. L’homme s’y donne enfin à lui-même la forme et la limite apaisante qu’il poursuit en vain dans sa condition. Le roman fabrique du destin sur mesure. C’est ainsi qu’il concurrence la création et qu’il triomphe, provisoirement, de la mort. Une analyse détaillée des romans les plus célèbres montrerait, dans des perspectives chaque  fois  différentes,  que  l’essence du roman est dans cette correction perpétuelle, toujours dirigée dans le même sens, que l’artiste effectue sur son expérience. Loin d’être morale ou purement formelle, cette correction vise d’abord à l’unité et traduit par là un besoin métaphysique. Le roman, à ce niveau, est d’abord un exercice de l’intelligence au service d’une sensibilité nostalgique ou révoltée.

Note : respectivement personnages des romans Les Possédés de Dostoïevski, Le curé de village de Balzac, Le Rouge et le Noir de Stendhal, La Princesse de Clèves de Mme de La Fayette.

  • Extrait de la nouvelle Entre oui et non de L’Envers et l’Endroit, écrite entre 1936 et 1937, publiée en 1958.

  S’il est vrai que les seuls paradis sont ceux qu’on a perdus, je sais comment nommer ce quelque chose de tendre et d’inhumain qui m’habite aujourd’hui. Un émigrant revient dans sa patrie. Et moi, je me souviens. Ironie, raidissement, tout se  tait  et me  voici  rapatrié.  Je  ne veux pas remâcher du bonheur. C’est bien plus simple et c’est bien plus facile.  Car de ces heures que, du fond de l’oubli, je  ramène  vers  moi, s’est conservé surtout le souvenir intact d’une pure émotion, d’un instant suspendu dans l’éternité. Cela seul est vrai en moi et je le sais toujours trop tard. Nous aimons le fléchissement d’un geste, l’opportunité d’un arbre dans le paysage. Et pour recréer tout cet amour, nous n’avons qu’un détail, mais qui suffit : une odeur de chambre trop longtemps fermée, le son singulier d’un pas sur la route. Ainsi de moi. Et si j’aimais alors en me donnant, enfin j’étais moi-même puisqu’il n’y a que l’amour qui nous rende à nous-mêmes. Lentes, paisibles et graves, ces  heures reviennent, aussi fortes, aussi émouvantes – parce que c’est le soir, que l’heure est triste et qu’il y a une sorte de désir vague dans le  ciel  sans  lumière.  Chaque  geste retrouvé me révèle à moi-même. On m’a dit un jour : « C’est si difficile de  vivre. »  Et  je  me  souviens  du ton. Une autre fois, quelqu’un a murmuré : « La pire erreur, c’est encore de faire souffrir. » Quand tout est fini, la soif de vie est éteinte. Est-ce là ce qu’on appelle le bonheur ? En longeant ces souvenirs,  nous revêtons tout du même vêtement discret et la mort nous apparaît comme une toile de fond aux tons vieillis. Nous revenons sur  nous-mêmes. Nous sentons notre détresse et nous en aimons mieux. Oui, c’est peut-être cela le bonheur, le sentiment apitoyé de notre malheur.

  • Extrait des Discours de Suède: 10 décembre 1957.

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  J’ai connu ce désarroi et ce trouble intérieur. Pour retrouver la paix, il m’a fallu, en somme, me mettre  en  règle  avec  un  sort  trop  généreux. Et, puisque je ne pouvais m’égaler à lui en m’appuyant sur mes seuls mérites, je n’ai rien trouvé d’autre pour m’aider que ce qui m’a soutenu, dans les circonstances les plus contraires, tout au long de ma vie: l’idée que je me fais de mon art et du rôle de l’écrivain. Permettez seulement que, dans un sentiment de reconnaissance et d’amitié, je vous dise, aussi simplement que je le pourrai, quelle est cette idée.

  Je ne puis vivre personnellement sans mon art. Mais je n’ai jamais placé cet art au-dessus de tout. S’il m’est nécessaire au contraire, c’est qu’il ne se sépare de personne et me permet de vivre, tel que je suis, au niveau de tous. L’art n’est pas à mes yeux une réjouissance solitaire.  Il  est  un  moyen  d’émouvoir  le  plus  grand  nombre  d’hommes en leur offrant une image privilégiée des souffrances et des joies communes. Il oblige donc l’artiste à ne pas s’isoler ; il le soumet à la vérité la plus humble et la plus universelle. Et celui qui, souvent, a choisi son destin d’artiste parce qu’il se sentait différent, apprend bien vite  qu’il  ne  nourrira  son  art,  et  sa  différence,  qu’en  avouant  sa  ressemblance avec tous. L’artiste se  forge dans cet aller retour perpétuel de lui aux autres, à mi-chemin de la beauté dont il ne peut se passer et de la communauté à laquelle il ne peut s’arracher. C’est pourquoi les vrais artistes ne méprisent rien ; ils s’obligent à comprendre au  lieu  de  juger.  Et,  s’ils  ont  un  parti  à  prendre  en  ce  monde,  ce  ne peut être que celui d’une société où, selon le grand mot de Nietzsche, ne régnera plus le juge, mais le créateur, qu’il soit travailleur ou intellectuel.

  Le  rôle  de  l’écrivain, du même coup, ne se sépare pas de devoirs difficiles. Par définition, il ne peut se mettre aujourd’hui au service de ceux qui font l’histoire : il est au service de ceux qui la subissent. Ou, sinon, le voici seul et privé de son art. Toutes les armées de la tyrannie avec leurs millions d’hommes ne l’enlèveront pas à la solitude, même et surtout s’il consent à prendre leur pas. Mais le silence d’un prisonnier inconnu, abandonné aux humiliations à l’autre bout du monde, suffit à retirer l’écrivain de l’exil, chaque fois, du moins, qu’il parvient, au milieu des privilèges de la liberté, à ne pas oublier ce silence et à le faire retentir par les moyens de l’art.

  Aucun de nous n’est assez grand pour une pareille vocation. Mais, dans toutes les circonstances de sa vie, obscur ou provisoirement célèbre, jeté dans les fers de  la  tyrannie ou libre pour un temps de s’exprimer, l’écrivain peut retrouver le sentiment d’une communauté vivante qui le justifiera, à la seule condition qu’il accepte, autant qu’il peut, les deux charges qui font la grandeur de son métier : le service de  la  vérité  et  celui  de  la  liberté.  Puisque  sa  vocation  est  de  réunir  le plus grand nombre d’hommes possible, elle ne peut s’accommoder du mensonge  et  de  la  servitude  qui,  là  où  ils  règnent,  font  proliférer  les solitudes. Quelles que soient nos infirmités personnelles, la noblesse de notre métier s’enracinera toujours dans deux engagements difficiles à maintenir : le refus de mentir sur ce que l’on sait et la résistance à l’oppression.

  Pendant plus de vingt ans d’une histoire démentielle, perdu sans secours, comme tous les hommes de mon âge, dans les convulsions du temps, j’ai été soutenu ainsi par le sentiment obscur qu’écrire était aujourd’hui un honneur, parce que cet acte obligeait, et obligeait à ne pas écrire seulement. Il m’obligeait particulièrement à porter, tel que j’étais et selon mes forces, avec tous ceux qui vivaient la même histoire, le malheur et l’espérance que nous partagions. Ces hommes, nés au début de la première guerre mondiale, qui ont eu vingt ans au moment ou s’installaient à la fois le pouvoir hitlérien et les premiers procès révolutionnaires, qui ont été confrontés ensuite, pour parfaire leur éducation, à la guerre d’Espagne, à la deuxième guerre mondiale, à l’univers concentrationnaire, à l’Europe de la torture et des prisons, doivent aujourd’hui élever leurs fils et leurs œuvres dans un monde menacé de destruction nucléaire. Personne, je suppose, ne peut leur demander d’être optimistes. Et je  suis même d’avis que nous devons comprendre, sans cesser de lutter contre eux, l’erreur de ceux qui, par une surenchère de désespoir, ont revendiqué le droit au déshonneur, et se sont rués dans les nihilismes de l’époque. Mais il reste que la plupart d’entre nous, dans mon pays et en Europe, ont refusé ce nihilisme et se sont mis à la recherche d’une légitimité. Il leur a fallu se forger un art de vivre par temps de catastrophe, pour naître une seconde fois, et lutter ensuite, à visage découvert, contre l’instinct de mort à l’œuvre dans notre histoire.

  Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne  sait  pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. Héritière d’une histoire corrompue où se mêlent les révolutions déchues, les techniques devenues folles, les dieux morts et les idéologies exténuées, où de médiocres pouvoirs peuvent aujourd’hui tout détruire mais ne savent plus convaincre, où l’intelligence s’est abaissée jusqu’à se faire la servante de la haine et de l’oppression, cette génération a dû, en elle-même et autour d’elle, restaurer, à partir de ses seules négations, un peu de ce qui fait la dignité de vivre et de mourir. Devant un monde menacé de désintégration, où nos grands inquisiteurs risquent d’établir pour toujours les royaumes de la mort, elle sait qu’elle devrait, dans une sorte de course folle contre la montre, restaurer entre les nations une paix qui ne soit pas celle de la servitude, réconcilier à nouveau travail et culture, et refaire avec tous les hommes une arche d’alliance. Il n’est pas sûr qu’elle puisse jamais accomplir cette tâche immense, mais il est sûr que, partout dans le monde, elle tient déjà son double pari de vérité et de liberté, et, à l’occasion, sait mourir sans haine pour lui. C’est elle qui mérite d’être saluée et encouragée partout où elle se trouve, et surtout là où elle se sacrifie. C’est sur elle, en tout cas, que, certain de votre accord profond,  je voudrais reporter l’honneur que vous venez de me faire.

  Du même coup, après avoir dit la noblesse du métier d’écrire, j’aurais remis l’écrivain à sa vraie place, n’ayant d’autres titres que ceux qu’il partage avec ses compagnons  de lutte, vulnérable mais entêté, injuste et passionné de justice, construisant son œuvre sans honte ni orgueil à la vue de tous, toujours partagé entre la douleur et la beauté, et voué enfin à tirer de son être double les créations qu’il essaie obstinément d’édifier dans le mouvement destructeur de l’histoire. Qui, après cela, pourrait attendre de lui des solutions toutes faites et de belles morales ? La vérité est mystérieuse, fuyante, toujours à conquérir. La liberté est dangereuse, dure à vivre autant qu’exaltante. Nous devons marcher vers ces deux buts, péniblement, mais résolument, certains d’avance de nos défaillances sur un si long chemin. Quel écrivain  dès  lors  oserait,  dans  la bonne conscience, se faire prêcheur de vertu ? Quant à moi, il me faut dire une fois de plus que je ne suis rien de  tout  cela. Je n’ai jamais pu renoncer à la lumière, au bonheur d’être, à la vie libre où j’ai grandi. Mais bien que cette nostalgie explique beaucoup de mes erreurs et de mes fautes, elle m’a aidé sans doute à mieux comprendre mon métier, elle m’aide encore à me tenir, aveuglement, auprès de tous ces hommes silencieux qui ne supportent dans le monde la vie qui leur est faite que par le souvenir ou le retour de brefs et libres bonheurs.

  • Extrait des Discours de Suède: L’Artiste et son temps, 14 décembre 1957.

   Mais pour parler de tous et à tous, il faut parler de ce que tous connaissent et de la réalité qui nous est commune. La mer, les pluies, le besoin, le désir, la lutte contre  la  mort,  voilà  ce  qui  nous  réunit  tous. Nous nous ressemblons dans ce que nous voyons ensemble, dans ce qu’ensemble nous souffrons. Les rêves changent avec les hommes, mais la réalité du monde est notre commune patrie. L’ambition du réalisme est donc légitime, car elle est profondément liée à l’aventure artistique.

  Soyons donc réalistes. Ou plutôt essayons de l’être, si seulement il est possible de l’être. Car il n’est  pas sûr que le mot ait un sens, il n’est pas sûr que le réalisme, même s’il est souhaitable, soit possible. Demandons-nous d’abord si  le  réalisme  pur  est  possible  en  art. À en croire les déclarations des naturalistes du dernier siècle, il est la reproduction  exacte  de  la  réalité.  Il  serait  donc  à  l’art  ce que la photographie est à la peinture : la première reproduit quand la deuxième choisit. Mais que reproduit-elle et  qu’est-ce que la réalité ? Même la meilleure des photographies, après tout, n’est pas une reproduction assez fidèle, n’est pas encore assez réaliste. Qu’y a-t-il de plus réel, par exemple, dans notre univers, qu’une vie d’homme, et comment espérer la faire mieux revivre que dans un film réaliste ? Mais à quelles conditions un tel film sera-t-il possible ? À des conditions pure ment imaginaires. Il faudrait en effet supposer une caméra idéale fixée, nuit et jour, sur cet homme et enregistrant sans arrêt ses moindres mouvements. Le résultat serait un film dont la projection elle-même durerait une vie d’homme et qui ne pourrait être vu que par des spectateurs résignés à perdre leur vie pour s’intéresser exclusivement au détail de l’existence d’un autre. Même à ces conditions, ce film inimaginable ne serait pas réaliste. Pour cette raison simple que la réalité d’une vie d’homme ne se trouve pas seulement là où il se tient. Elle  se  trouve dans d’autres vies  qui  donnent  une  forme à la sienne, vies d’êtres aimés, d’abord, qu’il faudrait filmer à leur tour, mais vies aussi d’hommes inconnus, puissants et misérables, concitoyens, policiers, professeurs, compagnons invisibles des mines et des chantiers, diplomates et dictateurs, réformateurs religieux, artistes qui créent des mythes décisifs pour  notre conduite, humbles représentants, enfin, du hasard souverain qui règne sur les existences les plus ordonnées. Il n’y a donc qu’un seul film réaliste possible, celui-là même qui sans cesse est projeté devant nous par un appareil invisible sur l’écran du monde. Le seul artiste réaliste serait Dieu, s’il existe. Les autres artistes sont, par force, infidèles au réel.

   Dès lors, les artistes qui refusent la société bourgeoise et son art formel, qui veulent parler de la réalité et d’elle seule, se trouvent dans une douloureuse impasse. Ils doivent  être réalistes et ne le peuvent pas. Ils veulent soumettre leur art à la réalité et on ne peut décrire la réalité sans y opérer un choix qui la soumet à l’originalité d’un art.

« Menace », texte prophétique de Jacques Bertin, en 1977.

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L’immense Jacques Bertin avait enregistré cette longue diatribe poétique et prophétique en 1977. Je pense que, face au pauvre choix quant au modèle de société et à la place de l’Humain dans celle-ci, que propose le second tour aux électeurs français, son texte prend un relief magnifique et saisissant.

[youtube]https://youtu.be/V02DAd-aUK8[/youtube]

MENACE – Texte de Jacques BERTIN, extrait de « Domaine de joie » – 1977

Dans un bureau conditionné, peut être, il y aura eu

Une défaillance dans le calcul du compte des denrées

Ou une maladie balancée dans la chaîne alimentaire

Par un comptable sans pouvoir

Il suffira d’une avarie presque minime pour que se casse

Une extrêmement flexible tige ou un miroir

Il suffira d’un signe dans le ciel, un oiseau immobile

Ou trois fois rien de différent dans l’intime de l’air

Ce sera vers midi et se fera un grand silence

Et tout de suite on entendra un cri de femme long

Comme sorti d’une voiture accidentée dans un décor de pluie

On vous aura annoncé votre mort à la télévision

 

Il sera aussitôt et simplement trop tard

Trop tard pour tout, pour la colère et pour le cri

Trop tard pour la fuite et trop tard pour la révolte

Trop tard pour le dernier bateau et pour la lutte et pour la vie

La lumière s’éteint partout, des téléphones sonnent

Il souffle un joli vent vénéneux dans les hôpitaux déserts

Vous vous trouvez atteint par grappe et vous mourrez

Une réaction incontrôlable propage un gaz dans le ciel vert

La misère lève son mufle et vous vous jetez sur les routes

Pour la grande scène de l’exode qui cette fois finira mal

Il n’y a plus de refuge au bout de la route, plus de route

Plus de sens de la marche, plus de marche à suivre, plus de sens

 

Vous allez de plus en plus vite, certainement

A Lyon ou à New York, dans de grands avions impassibles

Que lancent depuis des chapelles aseptiques des voix fabriquées

La misère, vous la visitez en club dans des pays exotiques

Dans les appartements bourgeois qui ont l’allure des scènes de théâtre

Ou tout passe par le filtre du velours et de la convention

On manie l’argenterie, le mot d’esprit, le capital

Et le concept et surtout sans jamais presque hausser le ton

La bourgeoisie règne en papier crépon sur son royaume

Sûre d’elle même, de sa technologie, de ses oreilles de coton

On ne sait pas trop où l’on va mais qu’importe,

Quand on accroche sur le rôle, on improvise et à Dieu vat

 

Les mots sont vides que vous récitez, le théâtre

Donnent dans les gréements sur le ciel peint en haut

C’est une sorte de bateau-fantôme qui a dans ses cales

Quelques petits milliards de nègres qui ont peur

Monde factice, O monde sans raison, monde fragile

O, qui vit follement de sa fragilité

Qui trouve dans sa fuite un certain relatif équilibre

Et l’abîme comme un ventre attire les fous qui vont s’y damner

Monde captif, O monde sans amour, monde fragile

Brave gens qui vous êtes laissé drainer

Je veux répandre la terreur comme une marée patiente

Il reste peu de temps pour sauver le monde et vous sauver

 

Il reste peu de temps pour la sainte colère

Je vous vois comme un cheval aux jambes brisées

Les yeux fous qui cherchent à se lever, qui cherchent une aide

Dans le ciel vide autour de lui qui tourne et dans sa tête emballée

Peuple, ah vous ne croyez plus beaucoup à l’amour ni à l’insolence

Si je dis peuple pourquoi derrière vous, vous vous tournez

Quel est celui que par ce vocable suranné je désigne ?

La révolte vous semble affaire de maniaque ou d’enfant gâté

 

Mais il y a comme une sale maladie dans la joie

Comme une crise de confiance den la qualité de l’eau du robinet

Peut être que les fruits du cœur sont traités, il y aura toujours un doute

Tout d’un coup le soupçon s’installe et vous voilà parcouru par la frousse

Terreur, je veux, Terreur, je veux répandre

Comme un apport de sang dans l’organisme fatigué

Guerres saintes partout, on vous avait confié des armes

Qu’en avez-vous fait, souvenez-vous, qu’en avez-vous fait ?

Dîtes, qu’avez vous fait de la parole qui est une braise ardente

On la prend à pleine main, on porte le feu

Dans les terres épuisées, dans les mauvaises blessures

Dans les mauvais sommeils ou sur les yeux des gens qu’on veut aimer

Je vais porter la guerre dans les journaux, chez le vieil humanisme

Là qui s’avachit dans l’eau stagnante des chroniques et des marais

Des petits féodaux, le parapet vous n’y passez surtout jamais la tête

On trahit gentiment derrière les sacs du courrier des lecteurs entassé

Il nous faut des porteurs de paroles avec des chenilles d’acier dans la tête

Pour conduire dans les vallées ce peuple hagard de jeunes gens

Dieu les protège et Dieu les guide et Dieu les aime

Ils ont ployé le vieux monde corrompu d’un buisson brûlant

Parole, pour porter des coups, parce qu’il est grand temps de parole

La vérité, la vérité, comme si la vie en dépendait

Parole, pour ouvrir un territoire avec des blessures fertiles

O Paroles, avant que ne s’avance la saison

 

Demain, il y a un virus fabriqué par hasard,

Les bateaux qui n’arrivent plus

Une ampoule qui claque à la régie finale

Une bombe de trop dans le magma central

 

Je vous dis qu’il est temps, ce monde est dans ce carnet qu’on referme

D’un geste las et qu’on écrase comme un cœur

Regardez s’envoler votre dernier bel avion magnifique

Il s’en va errer dans la banlieue des pourquoi-comment

Ce monde, on l’oubliera, dites-vous bien, très vite

Comme dans un éphéméride, un chiffre parmi cent

Ce monde est déjà rien de plus qu’un graphisme misérable

Dans quoi, l’œil et la raison cherchent ce qu’on pouvait y trouver

Maintenant que le livre se ferme, sentez ce vide capital

Le ciel est désert, la terre bruit de cris désaccordés

Que se lèvent ici, ceux qui ont de l’esprit pionnier dans la tête

Il va falloir dès ce soir tout recommencer

Petite histoire d’une lettre de l’alphabet grec – Lettre providentielle aux élections présidentielles ?

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  • Vingt et unième lettre de l’alphabet grec, la lettre phi < ? >, qui correspond à notre son F ou PH, est une lettre hautement symbolique.
  • Dans le système de numération grecque antique, phi vaut 500 ; par exemple ‹ ?’ › représente le nombre 500.
  • Comme la plupart des autres lettres grecques, le phi est parfois utilisé en dehors de son contexte alphabétique grec dans les sciences. Par exemple, en mathématiques, elle note traditionnellement le nombre d’or (1+?5)/2 (soit environ 1,618) cher aux pythagoriciens qui avaient trouvé en lui le vecteur d’harmonie universelle.
  • Le symbole ? note la consonne fricative bilabiale sourde dans l’alphabet phonétique international.
  • Le ? / PHI est également le symbole de la Philosophie et de la sagesse (????-?????).
  • Récemment la «France insoumise», mouvement citoyen créé pour la candidature de Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle française de 2017 a choisi cette lettre comme chiffre, symbole et logo: les initiales FI sont ainsi transformées en phi, ce symbole ayant été choisi pour la référence à l’harmonie avec la nature, la philosophie et la sagesse, comme cité ci-dessus mais aussi, comme le dit Jean-Luc Mélenchon, pour un hommage à la nation qui a inventé la démocratie : « Cette France insoumise, FI, nous la disons en grec, Phi, par affection pour ceux qui nous ont appris la démocratie. »

La Guerre des graines & Graines de rebelles

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  Je vous propose deux précieux documentaires sur le présent et l’avenir de notre alimentation végétale, dont les graines sont la base incontournable. Le premier, La Guerre des graines, 52 minutes, réalisé par Stenka Quillet et Clément Montfort, évoque les périls qui menacent une alimentation naturelle et saine; le second, Graines de rebelles, 30 minutes, réalisé par Emmanuel Chartoire, évoque la lutte vigilante de « résistants » qui ont entrepris de sauver et de perpétuer des cultures sans tenir compte des diktats des grandes multinationales et du productivisme. Des documents et des témoignages aussi édifiants qu’exaltants: Jean Giono aurait été très heureux de les visionner !

La Guerre des graines:

[youtube]https://www.youtube.com/watch?v=vGtGSFneI7o[/youtube]

Graines de rebelles:

[dailymotion]https://www.dailymotion.com/video/x3krdmb_graines-de-rebelles_school[/dailymotion]

Enfants du terril, vivre malgré la misère…

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   Le documentaire de Frédéric Brunnquell, dans la très belle collection Infrarouge, décrit de l’intérieur et sans artifices la douloureuse réalité sociale et culturelle d’une partie de notre population qui a tendance à s’accroître si l’on en croit les statistiques.

    Sans misérabilisme, mais sans filtre, nous découvrons le quotidien de Loïc, 15 ans, qui souffre de phobie scolaire et peine à terminer sa classe de troisième et de Théo, son frère, encore protégé par l’innocence de ses 10 ans, qui transforme les ruines de son quartier en vaste terrain de jeux. Tous deux habitent au 12-14, une petite cité minière délabrée de la ville de Lens. A quelques mois de ses 16 ans, Loïc se cherche et se demande s’il va définitivement quitter l’école. Patricia, leur mère, se bat pour maintenir la cohésion familiale et assurer un avenir à ses fils. Entre représentations allégoriques et détresse du quotidien, ce documentaire est une réflexion sur les effets dévastateurs de la pauvreté et sur la perte de confiance dans l’avenir qui menace les deux frères.

« La vie , c’est l’ascenseur », mais en l’occurrence il est en panne depuis longtemps, « c’est les montagnes russes », dit Loïc, « y a toujours des barrières qui t’empêchent  d’avancer dans la vie »…

Ce documentaire nous fait découvrir la stratification de nombreux et douloureux échecs: échec de la famille, d’abord, puisque tout se déclenche lorsque le couple de parents se sépare, échec de l’institution scolaire ensuite, qui ne parvient pas à réinsérer Loïc, non faute de bonne volonté, mais en raison de moyens et de procédures inadaptés; échec de la municipalité qui laisse des zones d’habitat à l’abandon, la cité des 12-14 ressemblant à un no man’s land… Au bilan, échec de la société à protéger ceux qui perdent pied, et de la civilisation moderne, qui ne propose aux plus vulnérables que des mirages débilitants, de la téléréalité au football, et propage un langage et des structures de pensée en déliquescence.

  « Le collège, c’est cruel… en fait, c’est l’enfer, pour moi, c’est l’enfer », nous confie Loïc, confirmant les dires d’Alain Bentolila, sur notre système éducatif, qu’il juge « complaisant et cruel », complaisant parce qu’il laisse les élèves franchir les niveaux sans garantir les bases ni les apprentissages, et cruel parce que précisément, ceux-là mêmes qui progressent sans apprendre sont voués à un douloureux échec, une impasse en fin de parcours.

  Je vous invite à ce visionnage, à la fois émouvant et révoltant, mais toujours très sensible, en ces temps où comme l’a expliqué Michel Houellebecq dans une conférence en Argentine, « les élites méprisent le peuple »…

(cf https://www.valeursactuelles.com/societe/michel-houellebecq-les-elites-haissent-le-peuple-67809)

[youtube]https://www.youtube.com/watch?v=cPkeva_FgGI[/youtube]

En marge de « Voyelles » d’Arthur Rimbaud, le sonnet d’Ernest Cabaner, dédié à « Rimbald »…

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cabaner-par-manet.jpg

Ernest Cabaner, peint par Manet.

Le sonnet d’Ernest Cabaner, inspirateur de Rimbaud ou inspiré par Rimbaud ?

  Jean de Cabannes ou Ernest Cabaner, musicien d’origine catalane qui mettait en musique des textes poétiques, était un adepte de la méthode d’apprentissage du piano basée sur les couleurs. Une touche, une couleur. Selon certaines sources, il paraît que Rimbaud en fut informé ; d’ailleurs, selon certains, il en fut même formé, du moins aurait-il pris quelques leçons de piano avec Cabaner probablement d’après cette méthode, lorsque Cabaner l’hébergea à Paris, Madame Verlaine ne voulant pas du jeune poète à son domicile…

   Cabaner avait-il déjà composé ce sonnet, par jeu, ou l’a-t-il composé plus tard, après le séjour de Rimbaud ? Le texte n’étant pas daté, le mystère est voué à demeurer: qui des deux a inspiré l’autre ??

SONNET DES SEPT NOMBRES.

                       à Rimbald

                        Nombres des gammes, points rayonnants de l’anneau
                        Hiérarchique, – un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept –
                        Sons, voyelles, couleurs vous répondent car c’est
                        Vous qui les ordonnez pour les fêtes du Beau.
 
                        La OU cinabre, Si EU orangé, Do O
                        Jaune, Ré A vert, Mi E bleu, Fa I violet,
                        Sol U carmin – Ainsi mystérieux effet
                        De la nature, vous répond un triple écho,
 
                        Nombres des gammes ! Et la chair, faible, en des drames
                        De rires et de pleurs se délecte. – O L’Enfer,
                        L’Aurore ! La Clarté, La Verdure, L’Ether !
 
                        La Résignation du deuil, repos des âmes,
                        Et La Passion, monstre aux étreintes de fer,
                        Qui nous reprend ! – Tout est par vous, Nombres des gammes !

   Le texte malmène un peu les règles strictes de la métrique… Notons évidemment les diérèses à « hi-érarchique », « mystéri-eux », « résignati-on », « passi-on » ; « t » muet à «  sept » ; puis évidemment « voye-lles », « ri-res-z-et », etc. On y retrouve un goût prononcé de l’auteur pour les correspondances, les provocations, les associations d’idées… Mais les correspondances fonctionnent selon un code différent de celui de Rimbaud. Amusez-vous à l’identifier en relisant le poème et en complétant le tableau amorcé ci-dessous. Ne reste plus qu’à constater les choix différents opérés par Cabaner…

Complète la Table des correspondances chez Ernest Cabaner :

 

 

 

« Rase Campagne »

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   Il est toujours intéressant de lire et d’entendre d’autres voix que celles des médias à propos de l’actualité. La perception qu’en ont certains auteurs et artistes est souvent toute autre que celle des journalistes et présentateurs formatés par un système qui tourne en rond et ne promeut que ce(ux) qui lui ressemble(nt)… Ce texte de Luc Valsezel appartient à ces exceptions qui oxygènent nos horizons. Je le soumets de bon cœur à votre lecture, en espérant qu’il vous divertira et fera pétiller vos idées !

Rase campagne, petite chronique de Luc Valsezel.

  « Triste est la campagne, désolée, où la terre ne porte pas de moisson, où ne sont en quête de fructifications que ces tristes paladins qu’on nomme candidats et qui s’exhibent sans pudeur dans les lices des médias… « Candidats »? Donc revêtus de blanc et purs devant l’élection ?? On entend au loin dans la plaine le ricanement inquiet des corneilles… Qui eût imaginé que l’immoralité et la corruption revêtiraient certains d’entre eux de pied en cap, chevalier, chevalière à la triste figure, âpres aux gains personnels, qui vont pourtant clamant exemplarité et ascèse pour les autres ? Soutenus essentiellement par des hordes de prétendus catholiques, nostalgiques du Moyen-âge, sans doute, intolérants et homophobes, ils prônent un ordre moral qu’ils ne respectent pas eux-mêmes…

  Triste est la campagne où, comme un exode de vergogne, pullulent et grouillent les reniements. Qui eût imaginé tant de traîtres ou de renégats, rats de tous poils quittant le radeau socialiste pour aller s’enivrer de grains fermentés dans les auges des lobbys patronaux, industriels et financiers ? Souhaitons que l’avenir n’oublie jamais leur forfaiture qui insulte à la loyauté, à l’honneur.

  Triste est la campagne où les pantins des médias, les gourdes télévisuelles, se pâment devant un béni oui-oui, un ravi de la crèche avec des airs d’enfant Jésus, sauf que sa crèche était d’un tout autre standing que la maigre étable de Bethléem… Candidat de pub, promu et vendu comme un produit high-tech, tout en façade et sans contenu, gageons que les médias s’en lasseront dès qu’ils en auront constaté l’inanité, la vacuité, mais en attendant, cette baudruche attire et aimante les enveloppes vides… Les rats et les corbeaux se regroupent, qu’ils viennent de Lyon ou du Béarn, tous attirés par le grain, moulu ou à moudre… La soupe chauffe, après, ils se serviront et feront bombance… Qui peut accepter une telle farce se jouant aux dépens du peuple et de sa crédulité ?

  Triste est la campagne où résonnent les cantiques de la haine, proférés par une égérie dont le nom rime avec ce mot… Des chants qui disent la xénophobie, le rejet de l’autre, de la différence et le refus du partage, des vindictes qui ressassent le repli sur soi, la stratégie stupide du hérisson… Ces imprécations se répercutent et ricochent de villes en campagnes, colportant des vents aux remugles nauséabonds, réveillant des images qui torturent encore les consciences et insultent à l’Histoire…Qui peut comprendre que le peuple oublie à ce point les leçons amères du passé ? Comment cela se peut-il ?

  Que reste-t-il aux yeux du voyageur pour reprendre souffle, renouer avec l’Homme, ses valeurs et retrouver l’espoir ? Un coin de ciel au loin, qui dit « Insoumission », des éteules redressées dans la plaine qui hurlent « Résistance », des idées et des mots qui célèbrent l’Homme, la veine humaniste et l’harmonie d’un monde, d’un écosystème où il prendra toute sa place. Une aube saine se lève sur cette rase campagne, une aube claire qui respire et se nomme, «  je suis France Insoumise et je vous invite à me suivre ». Pense-s-y, Peuple de France, il n’est pas trop tard ! »

FUKUSHIMA, chronique d’un désastre

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  En complément des documents présents sur ce site et relatifs à la catastrophe de Tchernobyl (Séquence 1, étude analytique 3 – voir Archives octobre 2016), pour actualiser vos connaissances, ce documentaire très précis et efficace sur un autre désastre nucléaire, plus récent encore, celui de Fukushima au Japon, en mars 2011. Le réalisateur, Steve Burns, oeuvrant pour la chaîne nippone NHK, reconstitue les conditions du sinistre et en explique méthodiquement les causes et conséquences.

[dailymotion]http://www.dailymotion.com/video/x1idftc_fukushima-chronique-d-un-desastre_webcam[/dailymotion]

   Pour rappel, le documentaire visionné sur Tchernobyl en début d’année scolaire:

[youtube]https://www.youtube.com/watch?v=I6QS9VDUnIA[/youtube]