Soft power, la notion

« Soft power »

Forgé en 1990 par l’analyste américain des relations internationales Joseph Nye, ce concept – pouvoir non violent de séduction et d’attraction – a changé de nature. La puissance n’est plus uniquement militaire ou économique, mais aussi idéologique et culturelle

HISTOIRE D’UNE NOTION

Pouvoir « mou », pouvoir « doux », pouvoir d’influence, voire simple « rayonnement » ? Omniprésente dans le débat public, la notion de soft power n’en reste pas moins floue. Le concept a été forgé en 1990 par Joseph Nye, professeur à la Kennedy School of Government de l’université Harvard (Massachusetts). Pour cet ancien sous-secrétaire d’Etat à la sécurité nationale de l’administration Carter, le soft power désigne le fait de « coopter au lieu de contraindre », résumait-il dans Soft Power. The Means to Success in World Politicics (PublicAffairs, 2004), « la capacité d’un pays à structurer une situation de telle manière que d’autres pays développent des préférences ou définissent leurs intérêts en harmonie avec les siens ».

Dans son livre Bound to Lead. The Changing Nature of American Power (Basic Books, 1990), Joseph Nye répondait à tous ceux qui, comme l’historien Paul Kennedy, évoquaient un inéluctable déclin de la puissance américaine face à la montée en puissance du Japon ou de l’Allemagne. Pour celui qui fut aussi l’ancien secrétaire adjoint à la défense de Bill Clinton, la puissance, en cette fin de XXsiècle, a changé de nature : la force militaire ou politique ne suffit plus pour qu’un Etat obtienne ce qu’il veut d’un autre Etat. Il faut désormais compter avec la force d’attraction : l’idéologie, la culture et le poids de l’imaginaire permettent d’atteindre ces buts sans aucune coercition, voire sans que l’autre Etat en soit conscient.

Le soft power existait bien avant qu’il ne soit formulé comme tel par Joseph Nye. De l’Antiquité grecque aux Etats-Unis du XXsiècle, en passant par la monarchie française du XVIIIsiècle ou la Grande-Bretagne du XIXsiècle, l’hégémonie, au-delà de la réalité crue des rapports de force, s’est toujours conjuguée avec la séduction. Mais Joseph Nye forge le concept dans une époque particulière, celle de l’effondrement de l’URSS et de la fin de la guerre froide, un monde où l’économie de marché et les valeurs démocratiques semblent s’imposer comme un référentiel quasi universel.

Dans un monde chaotique marqué par le retour des politiques de puissance, les limites du concept de soft power n’en sont pas moins évidentes. « Boire du Coca-Cola dans un McDonald’s ou en regardant la dernière superproduction d’Hollywood, pour caricaturer, n’est pas convertible en soutien à l’Amérique ou à sa politique », estime Pierre Buhler, dans La Puissance au XXIsiècle (CNRS, « Biblis », 2014). Soulignant que la toute-puissance des formes culturelles américaines suscite autant de rejet que de fascination, il montre que, à la différence du hard power, aisément identifiable et utilisable par le pouvoir politique, le soft power reste impalpable : il dépend de multiples facteurs, culturels, psychologiques et d’image.

Une définition assez floue

La définition du concept de soft power est d’ailleurs assez floue. « La notion recouvre deux choses très différentes, explique Hubert Védrine, ancien ministre français des affaires étrangères. Dans un cas, il s’agit de la sophistication d’une puissance militaire, économique, politique : le soft power vient alors s’ajouter aux instruments traditionnels. Dans l’autre cas, il s’agit d’un substitut : certains Etats ou certaines institutions ont renoncé aux instruments classiques de la puissance et ils cherchent à gagner de l’influence par d’autres moyens. »

Conscient des limites de son concept, Joseph Nye a inventé, au milieu des années 2000, le smart power (pouvoir intelligent). « Cette notion n’a pas eu la même percée conceptuelle que celle de soft power, explique l’historien Justin Vaïsse, ancien directeur du Centre d’analyse, de prévision et de stratégie (CAPS) du Quai d’Orsay et organisateur du Forum pour la paix, qui, chaque 11 novembre, réunit dans la capitale française des chefs d’Etat, des ONG et des dirigeants d’entreprise pour promouvoir une autre forme de gouvernance multilatérale. Pourtant, cette notion est beaucoup plus opérante : elle désigne le fait, pour un Etat, de savoir combiner à bon escient le hard et le soft power. »

La diplomatie d’influence à la française en est un exemple : elle utilise l’attractivité de sa culture et de son mode de vie, mais elle s’appuie aussi sur un réseau diplomatique puissant, le second ou le troisième au monde, et son siège de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies doté de la puissance nucléaire.

En ce début de XXIsiècle, marqué par la crise du multilatéralisme et de la coopération internationale, les puissances émergentes telles la Russie, la Chine ou la Turquie se font leur place en utilisant le hard power : la Russie utilise la force des armes en Ukraine, la Turquie fait de même dans le nord de la Syrie, la Chine utilise la puissance militaire en mer de Chine. Mais pour capitaliser ces succès, il leur est nécessaire de jouer aussi sur la séduction. D’où les discours de Pékin sur les « routes de la soie », ses efforts pour développer les instituts Confucius et son engagement croissant dans les organisations internationales. Le soft power a encore de beaux jours devant lui.

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