Le récit dans l’art, du Moyen Âge à nos jours (2 ) : le récit dans les arts du XVIIIe au XIXe .

Loin de disparaître, le récit  reste très présent dans l’art non seulement dans l’art académique, mais aussi dans les mouvements artistiques qui portent la modernité dans la deuxième moitié du XIXe siècle le réalisme et l’impressionnisme. Les artistes perpétuent ou réinventent les procédés de narration. Ce fut déjà le cas comme nous l’avons étudié dans le néo-classicisme et le romantisme dans les premières décennies du XIXe siècle mais cela se poursuit jusqu’aux avant-gardes elles-mêmes au début du XXe siècle.

Le réalisme poursuit l’oeuvre de destruction des cloisonnements hiérarchiques entre genres commencée par les romantiques.

Gustave Courbet, L’atelier du peintre, 1855, huile sur toile, 359 × 598 cm, Musée d’Orsay, Paris.

Étude du tableau en classe. (voir ici : https://histoire-image.org/etudes/courbet-peintre-realiste-societe

Il ne s’agit pas à proprement parler de « récit » mais d’une allégorie du peintre ou de la peinture « réaliste ».

Nous avons fait un parallèle avec les Ménines de Velasquez auxquelles Daniel Arasse consacré une des ses émissions d’Histoires de peintures (France Culture 2003) 17 Les Ménines (éloge paradoxal de M Foucault)

Plus précisément, elle porte sur l’anachronisme. Son titre : « Éloge paradoxal de Michel Foucault ».

Diego Velasquez, Les Ménines, 1656, huile sur toile, 318 x 276 cm, Madrid, musée du Prado.

Dans  Courbet en 1860, le critique et défenseur du réalisme Champfleury compare Courbet et Velasquez en ces termes  : « Par la composition et l’arrangement des groupes, Courbet rompait déjà avec la tradition. Sans connaître les admirables toiles de Velasquez, il se trouve d’accord avec l’illustre maître, qui a placé des personnages les uns à côté des autres et ne s’est pas inquiété des lois posées par des esprits pédants et médiocres. Qui n’a pas l’intelligence de Velasquez ne saurait comprendre Courbet ».

Ce tableau mystérieux a fasciné le philosophe Michel Foucault qui en a fait le commentaire dans son ouvrage célèbre : Les Mots et les choses

Les Ménines sont un autoportrait du peintre dans son atelier. Un sujet très courant dans l’histoire de la peinture. En soi, il n’est pas narratif. Mais les artistes ont depuis très longtemps observé les oeuvres du passé et se les sont appropriées à leur manière écrivant eux-mêmes une historia de l’art. 

-> La reprise des Ménines de Velàsquez par Pablo Picasso. (voir cours ici)

À 75 ans, et trois siècles après la création du chef-d’œuvre de Diego Velazquez , Las MeninasPablo Picasso fait une série de 44 variations avec lesquelles il interprète la peinture barique espagnole la plus célèbre.

Pablo Picasso, Les Me?nines– vue d’ensemble (d’apre?s Velaazquez) Cannes, 17-Aout 1957 huile sur toile 194 x 260 cm Museu Picasso, Barcelona.

Comment expliquer que Picasso se lance en même temps dans l’exploration du tableau le plus célèbre et le plus mystérieux de la peinture espagnole, les Ménines de Velasquez ? Picasso a toujours été élogieux vis à vis du grand maître espagnol : « Velasquez nous a laissé sa vision des êtres de son époque. Sans nul doute étaient-ils différents de ce qu’il a peint, mais on ne peut concevoir Philippe IV autrement que tel que Velasquez l’a peint (…) On croit au portrait peint par Velàsquez car il nous convainc par la justesse de sa vision ».

En 1935 : « Les Ménines ! Quel tableau, quelle réalité ! Velasquez est le vrai peintre de la réalité. Que ses tableaux soient bons ou mauvais, celui-ci en tout cas, est admirablement, parfaitement réussi… »

Quelle est cette « réalité » dans les Ménines ?

Celle de la cour, de l’apparat, des costumes, de la famille royale et de ses serviteurs peintre compris. Les Ménines accompagnent l’infante du trône avec des bouffons dont un tend son pied vers le chien. Le couple royal apparaît sur le miroir au fond du tableau. La monarchie est donc là, présente dans sa dignité glorifiée par le meilleur des peintres. Telle est la « réalité » de ce tableau appelé « La famille de Philippe IV » jusqu’au XIXe siècle, avant le changement de titre. Ce tableau tient du théâtre, de la parade, la présence des bouffons l’atteste.

Comment Picasso l’aborde-t-il ?

Il s’attache à la structure du tableau : la perspective des murs du salon, la porte et l’encadrement du miroir, les rectangles sombres des toiles accrochées au-dessus, les verticales de la partie droite – encadrements de fenêtres et tableaux encore-, les horizontales des robes et des marches de l’escalier.  En compartimentant, en traçant ces rectangles, en triangulant les figures, en surdimensionnant la porte, il crée un ordre géométrique parfait à l’image d’une monarchie toute puissante. Dans la version du 17 août 1962 (Museu Picasso Barcelone),

le couple de serviteurs à droite est réduit à des schémas, l’infante est géométrisée, le fond est rempli de rectangles, l’ordre géométrique monarchique serait parfait s’il n’y avait pas des éléments caricaturaux : le chien est transformé en teckel, une naine transformée en femme hurlante de 1937, la caricature de Philippe IV se substitue au couple royal dans le miroir. L’artiste lui même est transformé en géant peignant des crochets (ou des crocs de boucherie) au plafond, peut-être le symbole ironique de son ennoblissement.

Dans la version noire et rouge du 19 septembre,

Les Ménines- Vue d’ensemble (d’après Velazquez) Cannes, 19-Septembre 1957 huile sur toile 161 x 129 cm Museu Picasso, Barcelone.

Picasso poursuit et amplifie ici  la caricature du pouvoir politique, le même pouvoir qui ne se contente pas de se mettre en scène selon l’étiquette mais impose aussi sa volonté par la force et par la violence. Travailler d’après David, Poussin et Velàsquez dans les années 50 – 60 est une manière de montrer qu’il renonce pas à la peinture d’histoire à un moment où on ne lui reconnaît plus cette capacité après les échecs des Charniers ou de Guerre et Paix.

-> Le regard de Picasso sur les chefs d’oeuvre du passé.

Contexte :

Création de la collection de Malraux, L’Univers des formes dans les années ’50. (idée que l’art suit sa propre histoire cf. aussi Musée imaginaire)

Début du culte touristique des chefs d’oeuvres de la peinture.

Développement des politiques culturelles et des musées dans un esprit de démocratisation.

Les reproductions couleur mettent ces chefs d’oeuvre à la portée de tous (cf. théories de W. Benjamin sur l’aura des chefs d’oeuvre).

Dans ce contexte comment comprendre la démarche de Picasso ?

Il n’a jamais été un interprète de la peinture en termes d’histoire de l’art. Son approche suit deux directions : désacralisation par la caricature, et « modernisation », actualisation des oeuvres en montrant leur caractère universel, les Ménines comme  image du pouvoir absolu, L’enlèvement des Sabines comme crime de guerre planifié et le Massacre des Innocents comme sommet de l’abomination.

Picasso débarrasse ainsi les chefs d’oeuvres de la poussière muséale pour leur redonner leur puissance expressive et intellectuelle. L’oeuvre retrouve ainsi son pouvoir expressif, donne à sentir et à penser y compris en termes de morale de politique. Mais n’est-ce pas sur-interpréter ces tableaux ?

Picasso répond lui même (Propos sur l’art p. 118-119) : sorte de mise en récit de la gestation, puis de « l’accouchement » de l’oeuvre.

« Pour moi, peindre un tableau, c’est engager une action dramatique au cours de laquelle la réalité se trouve déchirée. Ce drame l’emporte sur toute autre considération (…) ce qui compte, c’est le drame de l’acte lui-même, le moment où l’univers s’échappe pour rencontrer sa propre destruction. »

L’autre raison, est en rapport avec le contexte de l’art contemporain d’après guerre de plus en plus tenté par l’abstraction. Or Picasso est extrêmement critique vis à vis de l’abstraction et ce dès les années 30 :

« L’art abstrait ce n’est que de la peinture. Et le drame ? » Dans les années 50 il renchérit : « Des traits de pinceau qui n’ont aucune signification ne feront jamais un tableau. Moi aussi je donne des coups de pinceau et parfois on dirait même que c’est de l’art abstrait…Mais ils signifient toujours quelque chose, un taureau, une arène, la mer, la montagne, la foule (…) La peinture non figurative n’est jamais subversive. C’est toujours une espèce de sac dans lequel le spectateur peut jeter tout ce dont il veut se débarrasser. « Imagine par exemple un chasseur qui serait abstrait. Qu’est-ce qu’il peut faire, le chasseur abstrait ? En tout cas il ne tue rien… » (Paroles extraites de propos sur l’art)

Picasso formule donc une accusation : les peintres abstraits sont incapables de heurter, de provoquer, leur peinture est de bon ton car elle ne dérange plus personne.  « Les abstraits son de trop bon ton. Du moment que tu ne touches pas à la vision des gens tu peux faire ce que tu veux. C’est seulement si tu touches au yeux que tu es coupable »

L’allusion aux abstractions lyrique, tachiste, matiériste ou expressionniste est évidente. Les galeries exposent de plus en plus ces tableaux, le Musée d’Art Moderne cherche plus à promouvoir Bazaine ou Manessier que Picasso qui s’est pourtant montré très généreux.

S’emparer des Ménines, de l’Enlèvement des Sabines c’est montrer que la peinture doit se saisir de la réalité et non pas la tenir à l’écart.

« On a l’impression que tout le monde a une peur horrible de la réalité. S’il y en a un tout petit peu on l’enlève avec horreur. »

Picasso fait le contraire, il s’en empare non seulement pour exprimer les drames de son temps mais pour réagir aux tendances en vogue à Paris et à New York. A la différence de Duchamp, les Nouveaux Réalistes sont plus proches de lui que des abstraits et les Combine paintings d’un certain Rauscheberg lui doivent beaucoup.

A côté des mises en scène du « sens négatif de la vie », du « thanatos », Picasso s’attache aussi à peindre le côté positif de l’existence, toujours assimilé au désir dont la force et la permanence s’affirment jusqu’aux derniers instants de la vie.

  • Revenons au Réalisme du XIXe sièclr : la scène de genre sans idéalisation classique.

Une des premières toiles « réalistes »de la peinture européenne :

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Gustave Courbet, L’Après-dînée à Ornans 1849 Huile sur toile (195 cm x 257 cm) Musée des Beaux Arts Lille

Courbet décrit cette scène comme une tranche de vie : 

« c’était au mois de novembre, nous étions chez notre ami Cuenot, Marlet revenait de la chasse et nous avions engagé Promayet à jouer du violon devant mon père».

 Vu comme un « Autoportrait par défaut », ce tableau nous plonge dans l’intimité du peintre dont on sent la présence sans le voir. Tableau remarqué (caravagisme, siècle d’or hollandais). Le critique Champfleury dit :

« Personne hier ne savait son nom, aujourd’hui il est dans toutes les bouches ».

Une fois le tableau acheté par le ministère, il est envoyé au musée de Lille (style nordique oblige) où le grand critique retourne le voir en 1860 pour « juger l’artiste plus sainement ».

La scène représentée frappe par son insignifiance, sa banalité quotidienne. Il essuie alors ses premières critiques de peintre du « grossier », du « trivial », de « l’immonde ». Le tableau ouvre toutefois à une forme de notoriété et de reconnaissance. Il lui vaut une médaille de seconde classe et est acheté 1 500 francs par l’État la même année.

Le réalisme selon Gustave Courbet dans son « Manifeste du réalisme«  (préface du catalogue de son exposition de 1855).

Le titre de réaliste m’a été imposé comme on a imposé aux hommes de 1830 le titre de romantiques.  Les titres en aucun temps n’ont donné une idée juste des choses ; s’il en était autrement, les oeuvres seraient superflues. Sans m’expliquer sur la justesse plus ou moins grande d’une qualification que nul, il faut l’espérer, n’est tenu bien comprendre, je me bornerai à quelques mots de développement pour couper court aux malentendus.

J’ai étudié, en dehors de tout esprit de système et sans parti pris, l’art des anciens et l’art des modernes. Je n’ai pas plus voulu imiter les uns que copier les autres ; ma pensée n’a pas été davantage d’arriver au but oiseux de l’art pour l’art. Non ! j’ai voulu tout simplement puiser dans l’entière connaissance de la tradition le sentiment raisonné et indépendant de ma propre individualité. Savoir pour pouvoir, telle fut ma pensée. Être à même de traduire les moeurs, les idées, l’aspect de mon époque, selon mon appréciation, en un mot, faire de l’art vivant, tel est mon but. »

Ce n’est pas ce que lui demandait le critique  à propos des Casseurs de pierre (tableau détruit au bombardement de Dresde en 1945)

Jean-Désiré-Gustave Courbet Les casseurs de pierre, 1849 65 cm x 56 cm, huile sur toile. Musée Oskar Reinhart « Am Römerholz »

Du Pays (critique d’art) fustige dans l’Illustration :

« Pour rendre son sujet plus maussade encore, l’artiste supprime les deux têtes des ouvriers, c’est à dire les seules choses capables de conserver de l’intérêt sur un sujet aussi vide. (…) Que reste-t-il donc à regarder dans ce tableau de grande dimension ? Des chemises et des gilets déchirés, des fonds de pantalon rapiécés, des talons qui passent à travers les trous de vieilles chaussettes, des sabots, une hotte, un marteau et des pierres concassées ».

Le réalisme de Courbet est poussé à l’extrême avec l’Origine du monde :

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Gustave Courbet, L’Origine du monde, 1866, huile sur toile, 46×55 cm, Musée d’Orsay.

Tableau peint et vendu d’abord à Khalil-Bey, ambassadeur turco-égyptien du Sultan à Paris, le même qui possédait aussi le Bain turc d’Ingres, grand amateur de jeux d’argent, d’art et de femmes ce qui lui valut de contracter la syphilis (le tableau est-il un ex-voto suite à sa guérison ?).

Tableau caché, longtemps disparu et réapparu dans les années 1980-90, il a appartenu au psychanalyste Jacques Lacan, avant de devenir propriété de l’État. Il est décrit par Maxime Du Camp, critique scandalisé par tant de réalisme :

 » Pour plaire à un très riche musulman,  (…) Courbet (…) dont l’intention pompeusement avouée était de renouveler la peinture française, fit un portrait de femme difficile à décrire.  Dans le cabinet de toilette du personnage étranger auquel je viens de faire allusion, on  voyait un petit tableau caché sous un voile vert. lorsque l’on écartait le voile, on demeurait stupéfait d’apercevoir une femme de grandeur naturelle, vue de face, extraordinairement émue et convulsée, remarquablement peinte, reproduite con amore, ainsi que disent les Italiens, et donnant le dernier mot du réalisme. Mais par un inconcevable oubli, l’artisan, qui avait copié son modèle sur nature, avait négligé de représenter les pieds, les jambes, les cuisses, le ventre, les hanches, la poitrine, les mains, les bras, les épaules, le cou et la tête. Il est un mot qui sert à désigner des gens capables de ces sortes d’ordures, dignes d’illustrer les oeuvres du marquis de Sade, mais ce mot, je ne puis le prononcer devant le lecteur, car il n’est usité qu’en charcuterie ».

Tableau voilé qui appelle le dévoilement par le propriétaire devant ses invités, censé provoquer un dérèglement des sens.

Mais Edmond de Goncourt qui le voit par hasard dans une galerie parisienne, derrière un paysage sans intérêt « Devant cette toile que je n’avais jamais vue, je dois faire amende honorable à Courbet : « Ce ventre, c’est beau comme la chair d’un Corrège ».

Mais que peut signifier le geste pictural si particulier de Courbet dans ce tableau?

Vu la manière de peindre très largement classique (Edmond Goncourt le confirme en le comparant à Corrège) et le titre donné à ce qui ne doit pas être vu ni nommé, Courbet semble pousser à l’extrême sa conquête du réel.

Il soulève les questions formelles fondamentales des limites de la représentation (sublime). Au-delà du sujet scandaleux, la focalisation sur le sexe féminin, la fragmentation du corps par le morcellement de la vision (cf. texte de Du Camp ci-dessus). Une représentaiton radicalement opposée au nu académique.

Cette dualité du voilement de l’identité du modèle et du dévoilement de ses parties intimes, renvoie à des sources particulières, les photographies obscènes contemporaines du tableau caractérisées par la pilosité, les parties génitales exposées. Mais Courbet évite l’exhibition obscène.

Certains ont souligné que l’Origine du monde présentait des incohérences anatomiques, notamment l’emplacement discutable du nombril et le sein gauche curieusement absent sans même un effet de bombé du drap. Peut-être aussi que l’effet de perspective du corps est trop accentué. On sait que Courbet peignait beaucoup de mémoire, ceci constitue peut être une explication de ces quelques approximations. Elles peuvent aussi relever d’une volonté du peintre qui aura travaillé ce corps pour donner une prépondérance visuelle forte à la sensation que provoque la vue de cette position, plutôt que de s’attacher à une vérité anatomique. Ce n’est pas la première fois que Courbet prend des libertés avec la réalité.

D’autres ont pu rapprocher l’Origine du monde de la Madone Sixtine (voir ici) de Raphaël, montrant un autre dévoilement, celui du Dieu fait homme.

Ainsi, par ce geste pictural audacieux associé au geste du dévoilement par le propriétaire probablement prévu dès la commande, Courbet s’en prend aux conventions et aux normes et devient même iconoclaste en détournant le dispositif du dévoilement, habituellement associé à la religion, au profit d’un autre culte, celui de la peinture.

Bref rappel du début d’un mouvement moderne vers l’antique avec Vien précurseur du néo-classicisme

Vien n’invente pas, ses oeuvres procèdent plutôt de la mode du moment mais il ouvre un nouveau retour à l’antique, aux antipodes du rococo, qu’accomplira ensuite la génération de David en revenant à Poussin.

La vendeuse d’amours : premier tableau néo-classique ou tableau rococo ? Ce tableau, montre que les imites entre styles et genres sont difficiles à trancher  (Rosenblum).

Les débuts du néo-classicisme  sont en effet situés dans les premiers sujets « à la grecque » de Vien encore marqués par la frivolité du rococo  : une des oeuvres considérées parfois comme la première du néo-classicisme en France.

Joseph-Marie Vien, « La Marchande d’Amours », 1763. Huile sur toile. (122 x  98 cm), Château de Fontainebleau.

Joseph-Marie Vien La Marchande d’Amours, 1763, détail.

Inspirée directement d’une des peintures découvertes à Gragnano dans les faubourgs de Naples et diffusés par la gravure de Carlo Nolli.

La Marchande d’amours, fresque 1e moitie? du Ier sie?cle, Villa Arianna de Stabiae, Muse?e arche?ologique de Naples.

Carlo Nolli, Vendeuse d’amours, 1762, gravure extraite de Le Antichita? di Ercolano vol 3.

Mais peut-être aussi d’un tableau de la marchande dans Le matin de François Boucher qui semble avoir été le modèle pour la Marchande d’Amours :

François Boucher, Le Matin ou la marchande de mode, 1746, huile sur toile, 64×53 cm, Stockholm.

Une version en porcelaine  du même sujet inspiré de la peinture romaine initiale, par le maître de la porcelaine Meissen : voir ici :

Artiste inconnu : Qui achète des dieux de l’amour ? 2e moitié du 19e siècle, aquarelle sur papier d’après porcelaine Meissen du XVIIIe siècle.

Finalement, composition d’ensemble, le rendu des figures et la présence des amours sont plus proches du rococo que d’un quelconque « classicisme ». Cependant, l’austérité primitive du style, l’épure géométrique de l’espace dans le tableau de Vien ont plutôt choqué au début (ce qui dénote du caractère novateur des  tendances néo-classiques rejetées par les tenants du style « français, c’est à dire rococo) avant de devenir le style dominant. En réalité, le « retour » à l’antique de 1750-1760 n’a pas éliminé la peinture et la décoration rococo et ce en dépit de l’indignation des critiques du Salon et des antiquaires (Cochin) qui dénonçaient le « mauvais goût » et appellaient au retour du « Grand goût », c’est à dire du style Charles Le Brun et de la peinture d’histoire.

Pour avoir une idée du style rococo et des raisons de la réaction « néo-classique » qu’il finit par provoquer voici le traitement d’un sujet dramatique mettant en scène la douleur psychique provoquée par le conflit intérieur entre devoir politique et sentiment culpabilité familiale..

Carle Van Loo, Sacrifice d’Iphigénie, 1757, , huile sur toile 426 x 613 cm, Berlin Château de Potsdam Sans-Souci. (voir ici et cours sur la Douleur) 

https://utpictura18.univ-amu.fr/notice/5971-sacrifice-diphigenie-carle-vanloo

Ces limites on les retrouve également dans l’autre succession stylistique, du néo-classicisme vers le romantisme. Et cela très tôt également.

Un artiste allemand fascinant :

 Jacob Carstens, peintre danois (1754 dans le Schelswig et mort à Rome en 1798) (voir ici) qui a joui en Allemagne d’une grande renommée, égale à celle d’un Thorvaldsen, comme représentant dans les arts du dessin, du retour à l’antique selon les préceptes de Winckelmann.

Jacob Carstens, La mélancolie d’Ajax avec Termessa et Eurysakes, vers 1791. Aquarelle et mine de graphite sur papier, 22×33 cm, Weimar, Kunstsammlungen.

Autres oeuvres ici :

http://www.bildindex.de/ete?action=queryupdate&desc=%22carstens,%20asmus%20jakob%22%20&index=obj-all

Si son voyage à Rome a été financé par son mécène le roi de Prusse, il a refusé de rentrer à Berlin estimant que son travail était d’abord destiné à l’humanité et à l’art. L’artiste semble désormais être plus conscient de son génie, de son savoir par rapport à des élites sociales ignorantes.

David constitue un jalon décisif dans la modernité classique (d’où le préfix « néo ») :

Il provoque un véritable scandale en organisant lui même la présentation de L’intervention des Sabines du Louvre avec une entrée payante de 1,80 F. Dans le livret il précise sa position « L’art doit se soutenir par ses seules ressources » 

Les Sabines, sont un tableau qui appelle à la réconciliation grâce à l’intervention des femmes. A l’observer attentivement, l’oeuvre combine plusieurs temporalités.

http://www.louvre.fr/oeuvre-notices/les-sabines

J-L David, Les Sabines ou L’Intervention des Sabines, 1799 huile sur toile, 385 x 522 cm. Musée du Louvre.

C’est un des épisodes de l’histoire légendaire de la fondation de Rome.

Regardez les détails des deux personnages masculins du premier plan : Romulus à droite contre Titus Tatius, roi des Sabins à gauche.

Sur le plan plastique, David semble se tourner vers les dessins de Flaxman, d’où la disposition en frise,  et vers le style « grec » loué par Winckelmann d’où la nudité sculpturale des guerriers. L’Institut ne lui pardonna pas cette prise de liberté esthétique, ni d’ailleurs son esprit d’indépendance qui le poussa à exposer le tableau, non pas au Salon, mais dans son atelier du Louvre avec une entrée payante. Il voulait aussi marquer sa désapprobation vis à vis de ses élèves du courant des « Primitifs » qui prônaient un retour à l’archaïsme.

David reprend ici le double thème du conflit et de la réconciliation. 

Dans les Horaces les femmes subissaient de manière passive l’Histoire. Mais la Révolution avait créé un personnage féminin : l’allégorie de la Liberté et celle de la République militante, figure de combat. Ici la figure féminine devient médiatrice, ce qui annonce les futurs compromis napoléoniens.

David donne à sa composition trois registres rompant ainsi avec l’unité classique. 

A l’arrière plan la lutte tumultueuse continue dont. Au premier plan se  détachent Hersilie et les deux guerriers (nus !!) : Romulus et Titus Tatius (père d’Hersilie) père qui constituent le deuxième niveau avec les mères affligées et leurs enfants. Ici a lieu l’événement – clé : l’interposition de la jeune Sabine Hersilie :  

https://fr.wikipedia.org/wiki/Hersilie

Voir une oeuvre d’art contemporain dans le genre du récit queer de l’art. (cf. conférence de Damien Delille) sa vidéo :

https://drive.google.com/file/d/1bi1NN8kWj0ZBqdxEQxcaR1ymgmU1MbPC/view?usp=sharing

https://www.brooklynmuseum.org/exhibitions/dinner_party/

https://www.brooklynmuseum.org/eascfa/dinner_party/home

https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_femmes_mentionn%C3%A9es_sur_The_Dinner_Party

Détail qui rappelle le Massacre des Innocents :

Cette partie concentre la valeur symbolique de la scène.

Puis, l’emblème du bouclier de Romulus constitué de la Louve, symbole de civilisation et d’éternité, est l’image centrale autour de laquelle gravite la narration.

A droite un personnage quitte la scène comme si la paix avait déjà été conclue :  

Un des élèves de David revisite le sujet de la Calomnie d’Apelle :

Jean Broc, L’École d’Apelle, 1800, huile sur toile, Jean Broc (1771–1850), 375 x 480 cm, musée du Louvre.

https://histoire-image.org/etudes/jean-broc-ecole-apelle

C’est un nouveau sujet qui apparaît en ce début du XIXe siècle montrant également les tendances nouvelles issues de l’atelier de David tant sur le plan iconographique que sur le plan esthétique. L’influence du maître David et de Raphaël sont bien sûr faciles à comprendre, mais  Jean Broc semble dépasser les leçons des grands maîtres de l’art classique pour exprimer les préoccupations de la jeune génération d’artistes.

En plaçant une sorte de « tableau dans le tableau » anachronique avec le dessin de Raphaël La Calomnie d’Apelle montré par le grand artiste de l’Antiquité, Broc transforme ce tableau d’académie aux accents davidiens, et qui a reçu les encouragements du jury, en oeuvre originale par le coloris assez froid plus proche de la fresque que la peinture claire au dessin net de son maître, par le jeu d’ombre et de lumière très contrasté, il revendique sa manière tout en  donnant des gages au membres du jury.

Les artistes dits « pompiers ».

Tout en se déployant puissamment e réalisme et le romantisme (prolongé par le symbolisme) n’ont pas éliminé tout forme de classicisme. Tout au long du XIXe siècle et au début du XXe, le Salon regorge d’oeuvres d’inspiration classique. Mais cette inspiration n’a plus que peu à voir avec l’exemplum virtutis néo-classique de la fin du XVIIIe.

Les peintres académiques de la deuxième moitié du XIXe (appelés ironiquement « pompiers » au XXe siècle) délaissant l’iconographie narrative de la peinture d’histoire classique,  préfèrent une Antiquité représentée dans des scènes de genre  soit à grand spectacle (érotique ou violent) soit inversement dans l’intimité d’un foyer.

Aux sources de l’art pompier, les Néo-grecs qui appliquent une sorte « réalisme » à l’antique.

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Jean-Léon Gérôme, Un combat de coqs 1846, huile sur toile, 143×204 cm, exposé et primé au Salon de 1847, Musée d’Orsay.

Les néo-grecs sont des jeunes artistes qui tentent de renouveler la peinture d’histoire en remettant en cause, comme les romantiques, la hiérarchie des genres. Selon Théophile Gautier c’est bien de la peinture d’histoire grâce, outre le grand format, au motif « grec », à la primauté du dessin sur la couleur, au nu idéalisé des corps, au traitement stylistique à l’antique.

Ainsi la puissance de l’idéalisation transforme une scène de genre en reconstitution archéologique et gracieuse en évacuant toute trivialité propre au réalisme et à la scène de genre.

L’art pompier, c’est avant tout un goût très marqué de l’anecdote. Les sujets représentés en peinture reprennent la plupart du temps des histoires ou des anecdotes. Presque tous les tableaux sont traités en scène de genre, comme des instantanés. Cela piège le spectateur en lui donnant l’impression d’être un voyeur involontaire..

Victor biennoury_mort de messalina Musee de Grenoble  

ou la Mort de l’empereur Geta de Georges Rochegrosse :

L’Assassinat de l’empereur romain Geta en 211 (gravure d’après le tableau de Rochegrosse, Georges (1859-1938). Collection privée.

Autre tableau aussi spectaculaire de Rochegrosse  : 

Rochegrosse, Georges, La mort. de Messaline. 1916. Coll. privée.

https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Derni%C3%A8re_Pri%C3%A8re_des_martyrs_chr%C3%A9tiens

On a ici des images dignes des « péplums » du XXe siècle !

A l’inverse, Thomas Couture (1815 – 1879)  s’intéresse au déclin des civilisations dans son tableau Les Romains de la décadence de 1848.

On arrive vraisemblablement au beau milieu d’une orgie, donc quelque chose de très anecdotique, puisqu’elle n’est le lieu d’aucun événement historique ou mythologique. 

Thomas Couture (1815-1879) Romains de la décadence 1847 Huile sur toile H. 472 ; L. 772 cm (Musée d’Orsay).

Saluée avec enthousiasme au Salon de 1847, cette toile monumentale (trois ans de travail !) assura la renommée de Thomas Couture.. Le spectaculaire banquet inspiré de la sixième satyre de Juvenal est conçu non pas comme une reconstitution historique comme le tableau de Schinkel mais plutôt comme une allégorie des vices.

Au centre du tableauCouture a placé le groupe des débauchés, épuisés, désabusés ou buvant et dansant encore. Au premier plan, se tiennent trois hommes qui ne participent pas à cette bacchanale : à gauche, un garçon mélancolique assis sur une colonne et à droite deux visiteurs étrangers qui posent sur la scène un regard réprobateur. Enfin, au-dessus de l’ensemble, des statues antiques semblent condamner également l’orgie.

Les personnages représentés dans des poses lascives symbolisent la décadence morale de la Rome antique tout en faisant implicitement référence aux moeurs de la cour de Louis Philippe. Le sens moral de l’oeuvre est explicité par Couture lui-même, qui cite dans le livret du Salon de 1847, où le tableau est exposé, deux vers de Juvénal, un poète romain (v. 55-v. 140 ap. J.C.) :

« Plus cruel que la guerre, le vice s’est abattu sur Rome et venge l’univers vaincu ».

L’oeuvre témoigne du goût éclectique de la fin du romantisme : si l’artiste ne dissimule pas les emprunts à Véronèse ou à Poussin, il s’autorise des audaces qui préfigurent le réalisme même si certains détails plus crus traités de manière grandiloquente rappellent le style de Delacroix

Au-delà de l’illustration d’un texte ancien, Couture fait allusion à la société française de son temps. Jacobin, républicain et anticlérical, il critique la décadence morale de la France de la Monarchie de Juillet, dont la classe au pouvoir avait été discréditée par une série de scandales. Ce tableau est ainsi une « allégorie réaliste », d’ailleurs, les critiques d’art de 1847 voyaient dans ces romains « Les Français de la décadence ».

Ce goût de l’anecdote induit un goût du détail, qui est souvent très poussé : dans l’Intérieur grec (ou le « Gynécée »)de Gérôme, les carreaux au sol présentent chacun un motif différent. 

Ici on observe uen autre caractéristique de l’art pompier : l’érotisme

Jean-Léon Gérôme, Intérieur grec ou le Gynécée 1850 64,5x89cm New York coll particulière.

De plus, cet intérêt pour le détail, l’anecdotique, entraîne une recherche du sensationnel, c’est-à-dire les petites histoires de l’Histoire.

Le réalisme est une autre facette de l’art pompier. Suivant les préceptes de l’école des Beaux-Arts, il tend vers le plus de réalisme possible, comme tous les autres courants picturaux avant lui, qui ont cherché à retranscrire la nature dans leurs œuvres. En cela, les peintres pompiers ont beaucoup utilisé la photo, qui commençait à apparaître.

L’hyperréalisme qui caractérise l’art pompier en fait un art de trompe-l’œil ; ainsi, les artistes donnent souvent l’impression de l’espace grâce à la composition de leur tableau. Par exemple, La dernière prière des martyrs chrétiens présente une arène de cirque antique dont on mesure la profondeur par l’alignements de croix où brûlent des suppliciés. Ce réalisme poussé fait de l’art pompier un art ambigu, qui présente tout à la fois la grandeur et la misère de l’homme.

Ces nouvelles thématiques répondent au goût des élites sociales, cad de la bourgeoisie qui est friande de peinture d’histoire.

Auteur/autrice : Emmanuel Noussis

Professeur agrégé chargé de l'option Histoire des Arts en CPGE, Lycée Fustel de Coulanges, Strasbourg

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