Loi immigration : un texte, son parcours et ses enjeux décryptés

Loi immigration : un texte, son parcours et ses enjeux décryptés

Par Gaspard Fraboulet

Mardi 19 décembre 2023 a été adoptée la loi immigration du gouvernement Borne. Non sans embûche, elle a suscité de nombreuses réactions au sein de la classe politico-médiatique, au point de faire réapparaître l’immigration au sein du débat public, comme traditionnellement deux ou trois fois par an. La question de l’intérêt de l’immigration a divisé les plateaux télé, ici, nous allons tenter de vous éclairer sur cet épisode politique. Pour mieux comprendre pourquoi ce texte n’a pas été facilement adopté, il est important d’observer la situation parlementaire actuelle. Traditionnellement, le parti Présidentiel détient plus de 50% des sièges à l’Assemblée nationale, c’est la majorité absolue. Mais les élections législatives de 2022 sont sorties de ce cadre. En effet, Renaissance (le parti présidentiel) ne possède plus de la majorité absolue. Leur majorité est dite « relative » puisque leur groupe est le plus grand, mais ils ne possèdent pas 50% des sièges. Cette configuration laisse donc la place à des possibles alliances des oppositions, qui lorsqu’elles sont unies, représentent un plus grand poids que la majorité présidentielle, c’est ce qui s’est passé pour la loi immigration, on y reviendra. La nécessité de s’allier avec d’autres groupe apparaît donc comme nécessaire pour Renaissance.

L’Immigration et économie : deux notions liées

Que ce soit l’immigration européenne au XIXe siècle, où l’immigration algérienne post seconde guerre dans le bassin minier, l’immigration est souvent vu comme un apport économique. Elle offre une main d’œuvre moins cher, et dans une moindre mesure, moins exigeante. Aujourd’hui, selon l’INSEE un emploi sur dix est occupé par un immigré, représentant une proportion considérable des travailleurs. Enfin, la contribution des immigrés est estimée à 0,25 % du PIB selon l’OCDE en 2021, part non-négligeable. L’immigration permet donc d’occuper des métiers que les nationaux ne veulent pas, et donc d’assurer malgré tout le bon fonctionnement d’une nation. Cela s’illustre particulièrement au sein des métiers difficiles et mal rémunérés, comme les agents de propretés, qui compteraient 76 % d’immigrés dans leur rang (en Ile de France, selon l’INSEE en 2022).

Mais alors quel est l’intérêt de la loi immigration ?

La loi immigration intervient dans un contexte sécuritaire particulièrement tendu en France. Plusieurs attentats ont été récemment commis par des individus issus de l’immigration, à l’image d’Armand Rajabpour-Miyandoab, né en France de parents iraniens, ou encore d’Abdoullakh Anzorov, assassin tchétchène de Samuel Paty. Pourtant selon l’INSEE, seul 18% des personnes mises en cause se sont déclarés de nationalité étrangère, selon L’INSEE en 2021. Le Gouvernement a donc voulu réguler une immigration dite « incontrôlée », et éviter les différents délits et crimes commis par des étrangers. Toutefois, la motivation politique n’est jamais très loin. Les Présidentielles 2027 approchent, tout comme les Européennes au mois de juin. Renaissance, le parti présidentiel, semble en difficulté. La stratégie de grappiller des voix à gauche semble compliquée, notamment au vu de la fracture de l’épisode des Retraites. Le choix se porte donc à droite, où des électeurs traditionnellement Les Républicains (LR) pourraient se reporter vers Renaissance, refusant de voter pour le Rassemblement national (RN).

Contrôler l’immigration : un projet du second quinquenat

Lors de sa campagne pour un second mandat, Emmanuel Macron n’avait pas évoqué une loi d’ampleur sur l’immigration. Cela n’a pas empêché l’actuel ministre de l’Intérieur, qui l’était aussi en 2022, Gérald Darmanin, de réfléchir à une potentielle loi. En novembre 2022, le ministre du travail, Olivier Dussopt présente les grands axes d’un texte de loi sur l’immigration. C’est à l’époque le ministère du travail qui s’en occupe, l’immigration est réfléchie sous l’angle de la production, et de l’insertion. Toutefois, l’aspect politique et sécuritaire n’est jamais très loin, le ministre de l’Intérieur déclarera d’ailleurs au sujet de ce texte : « Être méchants avec les méchants et gentils avec les gentils ». Le Gouvernement se veut donc sévère avec les migrants délinquants, et conciliants avec ceux qui respecteraient le droit français.

Puis commence un complexe parcours de la loi

Au Sénat, traditionnellement à droite, l’aide médicale d’état (AME) est supprimée. Cette aide permet aux étrangers en situation irrégulière de bénéficier d’un accès aux soins en France, sous certaines conditions. Considérée comme un « appel d’air migratoire » par la droite, sa suppression est le symbole d’une volonté de durcissement de l’immigration par une partie de la classe politique. Entre temps, la réforme des retraites vient repousser l’examen parlementaire de la loi, qui est mise sur le côté.

Le temps passe, et à la rentrée le Gouvernement est pris entre deux étaux. À droite, la volonté d’un durcissement des règles migratoires, à gauche, la demande de facilité d’insertion dans la société, des immigrés. 

Début novembre commence le chemin parlementaire du texte. Les débats au Sénat s’ouvrent, le texte final est largement durci par les sénateurs, et adopté huit jours plus tard. Indépendamment de la version du Sénat, le texte arrive en commission des lois à l’Assemblée nationale. Cette dernière conserve l’AME, et tente d’élaborer un texte qui plaît à tout le monde, à la fois au LR, et à la fois aux députés à gauche de la majorité présidentielle. C’est véritablement ça la clé de compréhension des stratégies politiques autour de cette loi. Le Gouvernement sait qu’elle peut difficilement convaincre la gauche. Pour éviter une alliance des oppositions, il tente de plaire aux LR, et de constituer une alliance avec eux. Mais coup de théâtre, une motion de rejet est adoptée le 11 décembre. Cette dernière est rarissime et permet, le rejet d’un texte sans débat préalable. C’est à l’époque un coup dur pour le Gouvernement, et particulièrement pour Gérald Darmanin. Les oppositions se sont alliées contre un texte qui leur déplaisait. On en parlait au début, cette situation était redoutée des membres de Renaissance. Le fait de n’avoir qu’une majorité relative a pénalisé ici l’exécutif. Adoptée de peu, a cinq voix près, l’écrasante majorité des oppositions ont voté ensemble contre un texte qui ne leur allait pas, trop à gauche pour la droite, trop à droite pour la gauche. Face à cela, le ministre de l’Intérieur soumet sa démission le soir même au président de la République, qui la refuse.

L’adoption de la motion de rejet / Ludovic Marin (AFP)

Confronté au désaccord entre le Sénat, qui a adopté un texte, et l’Assemblée nationale, qui n’a pas adopté de texte, le Gouvernement peut abandonner son projet. Une autre solution s’offre à eux : déclencher une commission mixte paritaire (CMP). La CMP réunit sept sénateurs et sept députés qui, en cas de désaccord entre les deux chambres, doivent se mettre d’accord sur un texte final.

Le Gouvernement ne veut pas s’arrêter là

Dans une volonté de s’affirmer et de montrer sa stabilité face aux chocs politiques, notamment après un épisode douloureux des Retraites, le Gouvernement décide de déclencher dans la foulée la CMP.

Un jour plus tard, le 19 décembre, les quatorze parlementaires s’accordent sur une version, adoptée dans la foulée par le Sénat. Mais l’étape de l’Assemblée s’annonce plus compliquée. Le RN a fait savoir qu’ils voteront le texte, considéré comme une « victoire idéologique », car instaurerait une « préférence nationale ». Le Gouvernement se trouve alors en mauvaise position, avoir un texte adopté grâce aux voix du RN serait servir de « tremplin à l’extrême-droite ». Face à ce soutien inattendu, la Première ministre fait savoir qu’elle ne comptera pas les voix du RN, pariant sur son groupe et sur les LR. Mais dans la foulée, certains députés de la majorité menacent de ne pas voter leur propre texte, car trop à droite. Dans une atmosphère pesante et pleine d’enjeux pour le Gouvernement, le texte est présente aux députés le soir du 19 décembre. Finalement, Le texte est adopté avant minuit par les députés. Les voix de la majorité présidentielle et des LR suffisent à obtenir une majorité absolue, sans compter sur les votes du RN. Victoire pour le Gouvernement, le texte est adopté, sans avoir servi de « tremplin au RN », malgré les nombreuses invectives à ce sujet sur les réseaux.

Une victoire amère, et des réactions disparates.

L’adoption de ce texte semble être une victoire pour l’exécutif. En réalité, lorsqu’on observe l’impact de ce texte, il a divisé la classe politique, au point de les faire s’accorder au début contre la majorité. La droite ressort satisfaite de ce texte final, jusqu’à se l’attribuer « ce texte est celui que nous avons installé » dira Eric Ciotti, député et Président des LR. La gauche rejette profondément ce texte qu’elle considère comme une barrière à l’intégration et surtout comme une alliance entre l’extrême droite, la droite et le centre. Jean-Luc Mélenchon, Président de LFI dira qu’ « un nouvel axe politique s’est mis en place ». Dans un même tweet, le soir de l’adoption, il parle d’une « écœurante victoire ». Le rejet est tellement fort que certains départements de gauche ont annoncé ne pas vouloir respecter la loi, dans les domaines qui les concerne.

En plus de cela, au sein de la majorité, des divisions ont éclos. Au moment de voter le texte, vingt-sept députés Renaissance, MoDem et Horizons ont voté contre, fragilisant encore plus une majorité relative à l’Assemblée.

Résultat du scrutin sur la TV de l’hémicycle / Olivier Faure sur X

Un texte au contenu qui durcit les conditions d’immigration


Le parcours législatif de ce texte relève donc d’un processus très complexe. En plus du symbole qu’il représente, son contenu fait débat, notamment pour son aspect de restriction de l’immigration. En témoigne notamment l’instauration de quotas, à savoir le vote du Parlement d’un nombre précis de titres de séjour, sans possibilité de dépasser la limite.
Le délit de séjour irrégulier est rétabli, il avait été supprimé en 2012 sous le mandat de François Hollande. Cette mesure, issue de la version du Sénat, instaure une peine encourue à 3 750 euros d’amende en cas de séjour irrégulier.
Les conditions pour avoir la nationalité française se durcissent. Avant, n’importe qui naissait en France avait la nationalité française. Maintenant, les enfants d’immigrés nés en France devront attendre leurs 16 ans et ne commettre aucun délit pour pouvoir faire une demande de nationalité. En ce qui concerne les mesures permettant d’aider les migrants sur place, elles ont été durcies. Plusieurs allocations sont désormais plus ou moins faciles à obtenir en fonction de son statut d’activité, comme les allocations familiales, ou encore les Aide personnalisée au logement (APL).
Dernière mesure phare de la loi, la régularisation des travailleurs étrangers dans les métiers en tension. Les Préfets pourront désormais plus facilement régulariser la situation des migrants s’ils travaillent dans des domaines qui ont du mal à recruter, comme dans le BTP ou dans le secteur de l’agriculture.

Le passage devant le Conseil constitutionnel

Le Conseil constitutionnel se prononcera en janvier sur le texte. Saisi par la gauche et par le président en personne, certains articles de la loi seraient anticonstitutionnels. Les textes concernés sont souvent ceux qui ont été instaurés pour plaire aux LR, à la façon des quotas. Emmanuel Macron veut donc faire censurer ces articles après avoir eu l’aide des LR, afin d’avoir son propre projet de loi.

Bien que pas encore promulgué, ce texte aura fait couler beaucoup d’encre et suscité de vives polémiques. Il aura divisé la classe politique française, jusqu’au camp présidentiel, marquant pour certains un « tournant » dans ce second quinquennat.

Sources :

    • INSEE (Sécurité et société Édition 2021)
    • INSEE (Actifs immigrés en Ile-de-France)
    • OCDE (Perspectives des migrations internationales 2021)
    • Ekrame Boubtane (Immigration: quels effets économiques?)
    • Public Sénat (Loi immigration: retour en cinq actes sur le parcours chaotique de ce texte polémique)
    • Europe 1 (Loi immigration: retour en cinq actes sur le parcours chaotique de ce texte polémique)
    • Le Monde (Le projet de loi « immigration » adopté par la Commission des Lois de l’Assemblée nationale dans une version remaniée)
    • Sud Ouest (Loi immigration: que va faire le Conseil constitutionnel?)
    • Franceinfo (Les immigrés coutent moins a l’État qu’ils ne contribuent par l’impot et les cotisations)
    • 20minutes (Quatre idées recues sur l’immigration et son « poids » dans l’économie)

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