Limoges, une ville de la chaussure jusqu’au XXe siècle

L’industrie de la chaussure s’est également progressivement développée, alimentée par l’élevage des bovins en Limousin. Ses ouvriers sont de plus en plus nombreux dans une vingtaine d’entreprises, mais de moins en moins qualifiés au fur et à mesure que les machines augmentent – après 1900, la compagnie United Shoe loue ses machines contre une redevance calculée sur la production. L’usine Monteux, installée rue de Châteauroux par un industriel parisien, emploie 800 salariés en 1905. La société anonyme Gaston Monteux et Compagnie est au lendemain de la 1ère Guerre mondiale la plus importante usine de chaussures de Limoges, et le resta jusqu’à sa fermeture en 1933 – ses locaux forment alors la plus vaste usine de chaussures de la ville. Comme la plupart des autres usines de Limoges, celle-ci possède une horloge (du constructeur parisien Château Frères), à double cadran, l’un à l’intérieur, l’autre à l’extérieur : la ville est bien à l’heure industrielle, et les ouvriers soumis à sa cadence. En 1920, après avoir bénéficié en 1914-18 des commandes de l’Armée, Limoges compte 46 fabriques de chaussures – dont celle fondée en 1913 par Alfred Heyraud (quatre sites de production dont un à Paris).

Limoges, la ville de la porcelaine

David Haviland (1814-1879)

Site du Musée protestant

 

C’est sous le Second Empire que Limoges devient véritablement la cité de la porcelaine : les fournées ne cessent d’augmenter, de même que celui des ouvriers (10 000 en 1891). A cela diverses explications complémentaires : prospérité de l’économie française, arrivée du train, innovations techniques et conquête du marché américain, notamment par l’entreprise Haviland. Comme l’a écrit Lucie Fléjou dans sa thèse consacrée à Théodore Haviland : négociants new-yorkais, protestants, les Haviland développent le commerce de la porcelaine française aux États-Unis, avant de s’installer à Limoges au milieu du XIXème siècle, afin de produire des porcelaines spécifiquement adaptées aux goûts nord-américains. A leur suite, de nombreuses fabriques de porcelaine développent le commerce américain, ce qui entraîne une période de très grande prospérité de l’industrie porcelainière limousine. « La ville se spécialise dans les services de table haut de gamme, parvenant ainsi à ne pas être pénalisée sur les marchés extérieurs par le coût élevé de ses produits, mais restreignant ainsi ses débouchés. Au XIXe siècle, l’industrie de la porcelaine tend à devenir une mono-industrie, l’une des seules d’une région rurale en voie de dépeuplement. L’identité de Limoges se confond peu à peu avec la porcelaine, dont elle est la capitale française ». Pour renforcer leur image et développer leur clientèle, les porcelainiers présentent leurs productions aussi bien à l’occasion des expositions universelles qu’à Limoges-même, comme au Palais de l’Industrie de l’exposition industrielle, agricole et artistique du Centre de la France construit en 1858, au Champ de Juillet – c’est notamment le cas de l’entreprise Théodore Haviland, installée avenue de Poitiers (Emile Labussière). Celle-ci ne cesse de prospérer de 1895 à 1907 environ. C’est elle (et celles de Charles Haviland, avenue Garibaldi et au Mas-Loubier) qui commence à produire et à décorer en grande série (en utilisant la décalcomanie). Une évolution qui s’accompagne de conditions de travail plus difficiles pour les ouvriers et ouvrières au travail dans de grands bâtiments où sont installées les machines. Progressivement, certains métiers se déqualifient, en raison de la mécanisation et de la standardisation. Les femmes sont majoritaires dans les ateliers de décoration (21 % de la main-d’œuvre en 1905, avec des salaires inférieurs à ceux des hommes de 20 à 50%). Les employés sont menacés par les accidents du travail, la phtisie ou la silicose. A côté des grandes usines, il existe encore des petits ateliers, qui réalisent souvent des pièces uniques à la demande de certaines familles limougeaudes.

Cliquer ci-dessous pour consulter l’historique de l’entreprise Haviland.

https://www.haviland.fr/lhistoire/

Et ci-dessous pour lire la présentation des Haviland sur le site du Musée protestant:

https://www.museeprotestant.org/notice/haviland-une-famille-de-porcelainiers/

La ville de Limoges dans la première moitié du XIXe siècle et son ancrage à gauche

Le théâtre municipal – Salle Berlioz

(actuelle place de la République)

 

C’est toujours le négoce et le commerce de détail qui occupent la première place dans la ville et en fournissent l’essentiel des notables (avec les hommes de Robe, il est vrai), tandis que le bâtiment accompagne le développement urbain.

Jusqu’à la moitié du siècle, l’industrie limougeaude est surtout celle du textile, dont les manufactures sont installées sur les bords de Vienne (notamment autour du pont Saint-Martial ou aux Casseaux) pour bénéficier de la force hydraulique. On tisse aussi beaucoup à domicile, parfois près de seize heures par jour. La production dépasse celles de Nantes et Cholet et s’exporte vers les Antilles. On vend des vêtements de coton et de laine, des couvertures, du calicot et du cachemire. Des teinturiers indépendants ou liés aux entreprises apportent leur contribution. Vingt-cinq fabriques de flanelles et droguets emploient en 1844 près de huit cents hommes, deux cents femmes et cinq cents enfants. La manufacture de chapeaux d’Etienne Jouhaud utilise une machine à vapeur. Mais l’activité, qui emploie des personnels peu qualifiés et peu payés, décline face à la concurrence du Nord, de l’Est et de Normandie. En 1852, mille huit cents ouvriers et artisans travaillent dans le secteur de la chaussure ; plus de cinq cents personnes dans la saboterie. D’autres sont employées par des brasseries, diverses fabriques, et même dans une usine à gaz. Vers la même époque, Limoges abrite près de quatre mille cinq cents ouvriers de la porcelaine, travaillant notamment dans les manufactures de François Alluaud (aîné), de la veuve Tharaud, de Michel & Vaslin, de Jean-Baptiste Ruaud et de Jean Pouyat. Le secteur des ateliers de décoration est en pleine expansion. Ainsi l’Américain David Haviland fait-il décorer ses propres modèles, inspirés du goût des Etats-Unis, principaux importateurs, avant de créer une entreprise assurant la totalité des phases de fabrication.

C’est le bois des flottages sur la Vienne (activité remontant au moins au XIIème siècle) qui alimente d’abord les fours : ceux-ci sont arrêtés en amont du pont Saint-Etienne, au Naveix, par un ramier. En 1855, les flottages atteignent 107 000 stères. La rivière est (en dehors de l’hiver et du plein été) encombrée en permanence et de multiples conflits apparaissent entre riverains et marchands de bois. Progressivement, le bois est remplacé dans les fours à porcelaine par le charbon, apporté par le train à partir de 1856. Le flottage du bois décline rapidement et prend définitivement fin en 1897.

Philippe Grandcoing – à qui l’on doit une très fine et essentielle étude de la ville au milieu du siècle : La Baïonnette et le Lancis, Crise urbaine et révolution à Limoges sous la Seconde République – note, à propos de la période : « ville ouvrière, Limoges l’est assurément […] mais ne conviendrait-il pas mieux de parler de ville où prédomine l’élément populaire ? ». Il indique également que la bourgeoisie est dominante mais socialement composite. La ville est en pleine croissance, attirant des migrants de diverses conditions sociales, issus des campagnes et de plus loin encore ; elle dépasse 40 000 habitants au milieu du siècle (55 000 en 1870). Tous les secteurs de Limoges voient d’ailleurs leur population augmenter. L’historien remarque encore que l’existence de quartiers singuliers « n’émerge guère des archives » – à part peut-être celui « des ponts » et de la Boucherie – et qu’un peu partout maisons bourgeoises et immeubles populaires se font face, sans que les deux « catégories sociales », par ailleurs elles-mêmes diverses, se connaissent véritablement.

Néanmoins, la ville change : agrandissement du champ de foire, aménagement du Champ de Juillet et de l’avenue du même nom, ouverture d’un abattoir, construction du Pont-Neuf et de l’avenue le reliant à Limoges, nouvelle route d’Aixe (aujourd’hui Baudin), avenue du Crucifix (Garibaldi) reliant la place Tourny à la route de Paris, avenue de la Gare, théâtre place Royale (de la République), Palais de Justice néo-classique de Vincent-Marie Boullé (1846), halle place de la Motte (1852). En 1806, le cimetière de Louyat est mis en service à l’extérieur de la ville, ce qui permet la fermeture de treize des quinze cimetières urbains. Dans leur très bel et opportun ouvrage Des funérailles de porcelaine, Jean-Marc Ferrer et Philippe Grandcoing ont évoqué la particularité de l’art de la plaque funéraire en porcelaine de Limoges au XIXème siècle – époque où l’on processionne toujours pour la fête des morts ou les obsèques et qui voit l’apogée de la tombe individuelle – : « dans sa richesse et sa diversité, l’art des porcelainiers limougeauds reflète non seulement une attitude collective […] mais aussi le rapport personnel que chacun entretient avec la mort et les disparus. » Le maire François Alluaud (1778-1866), porcelainier et franc-maçon, prend une part active aux modifications urbanistiques.

C’est toujours Philippe Grandcoing qui analyse et montre comment Limoges accueille avec joie la révolution de février 1848, comment aussi la bourgeoisie, notamment l’avocat démocrate socialiste et franc-maçon Théodore Bac, prend les choses en mains. Progressivement un antagonisme social oppose cependant les ouvriers (qui se regroupent notamment dans la Société populaire) à cette bourgeoisie et la ville entière bascule dans l’émeute le 27 avril, au lendemain des premières élections au suffrage universel qui se déroulent sous tensions et confèrent la victoire en dehors de Bac, à des républicains modérés élus par les paysans du département. L’essentiel du peuple qui se révolte et cherche à s’armer est néanmoins encadrée par les leaders socialistes – même si certains éléments populaires plus violents échappent à leur influence, en particulier les Naveteaux armés de leurs gaffes, qui ne sont pas sans rappeler les piques des sans-culottes de 1793 et effraient les bourgeois. Le comité qui se met en place ne l’est que très temporairement puisque le 18 mai, trois mille hommes de troupe entrent dans la ville pour mater la rébellion. La répression judiciaire frappe ensuite les émeutiers, à l’exception notable de Théodore Bac. A partir de ce moment, semble-t-il, et à l’occasion de divers scrutins locaux et nationaux, deux camps s’opposent désormais à Limoges : républicains conservateurs face aux républicains plus avancés ; de plus, la ville s’ancre nettement à gauche, en élisant des représentants démocrates socialistes. C’est parmi les porcelainiers que sont recrutés les principaux cadres du mouvement (milieu où se sont développé l’action syndicale et le mouvement coopératif).

La résistance au coup d’Etat de Louis-Napoléon Bonaparte, en décembre 1851, est pourtant quasi nulle à Limoges, même si, durant le Second Empire, la contestation sociale et politique réapparaît régulièrement, jusqu’à 1871 qui voit l’apparition d’une éphémère « commune de Limoges » (au cours de laquelle un officier est tué). Philippe Grandcoing écrit fort justement que « Limoges « ville rouge » n’est pas simplement une construction mentale forgée de l’extérieur […] Il s’agit aussi d’une image intériorisée par une grande partie des habitants […] devenue réalité politique, les amenant à conformer leurs attitudes à cette représentation de leur cité. »

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