châtier est-ce faire honneur au criminel?

29 décembre 2008 0 Par caroline-sarroul

Châtier est-ce faire honneur au criminel ?

I. OUI, Un châtiment est une punition, elle vient sanctionner un acte non conforme aux règles de la société. Il s’agit pour la société de sanctionner un comportement déviant dans un double objectif : éviter la récidive et empêcher les autres d’en faire autant. Donc, cela signifie qu’on présuppose :
– que le criminel mérite d’être sanctionné. Une punition est par définition le contraire d’une récompense, d’un hommage. Or au départ, le mot honneur, du grec « Honos », signifie un « hommage rendu aux dieux » après un combat. L’honneur était donc une marque de vénération, de considération attachée à la vertu et au mérite. Punir le criminel, c’est au contraire dire qu’il a démérité, qu’il est du côté sinon du vice en tout cas de l’interdit. Son démérite fait qu’il ne mérite que sanctions !
– que le criminel est potentiellement récidiviste, ce qui est une manière de dire qu’il n’est pas libre de ne pas recommencer. Il n’a pas su rester dans le cadre de la loi, il ne peut y rester, il ne pourra résister, il sera encore vaincu par les circonstances, par ses pulsions, par ses intérêts… Or, l’honneur est au départ une forme d’estime dont on jouit après le combat comme une récompense. Pour bénéficier de l’honneur, pour être qualifié d’honorable, il fallait donc avoir combattu et vaincu. L’honneur est du à l’homme d’action, au combattant. Mais on pourrait aussi dire qu’il est alors du à celui qui est sorti vainqueur d’un combat intérieur. Il est du à celui qui a vaincu ses impulsions, ses désirs, qui a su combattre par la réflexion la réaction, la pulsion, qui n’a pas sacrifié ses intérêts immédiats à ceux des autres et à ses intérêts réels. La punition atteste donc de sa défaite et de son incapacité à se vaincre, si on entend par là éviter la récidive.
– que le criminel est à présenter comme celui qui incarne qui ne doit pas être, ce qu’on ne doit pas faire. Il est un contre-modèle, un repoussoir à qui on attache la punition pour le rendre clairement repoussant. Personne ne veut être lui parce que personne ne veut être puni comme lui ! On jette sur lui le déshonneur plutôt qu’on lui fait honneur.
On le punit du coup pas pour lui mais pour la menace pour la conservation de la société, la vie en commun qu’il représente. On ne le punit par pour lui, mais pour nous ! Il est réduit à un danger, à une nuisance. Il n’a pas de valeur en lui-même, il n’a de valeur que relativement à la société. Ne pas lui reconnaître une valeur absolue comme fin en soi et par là une dignité, voilà ce qui est une marque d’irrespect profonde, il n’est traité que comme un moyen, une nuisance. C’est d’ailleurs pour cela que, à même crime, le récidiviste sera plus puni que celui qui commet son premier crime, parce qu’on va considérer que le dommage causé par le premier est plus important que le second et que le premier fait encourir un danger plus grand à la société que le second. Pourtant, on pourrait dire que le second devrait être davantage puni que le premier car son crime ne s’explique pas par une mauvaise habitude. Son existence exemplaire jusque là montre qu’il a vécu autrement, qu’il aurait pu continuer à se détourner du crime et il n’est que plus coupable de ce crime que le précédent.
TR : On peut donc en arriver à penser que la punition ne concerne pas le criminel mais la société seule, et on revient à l’idée que puni ou non, la société nous réduit à des moyens à valeur relative, elle ne fait alors honneur à personne. Faudrait-il alors renoncer à châtier ? Et est-ce en laissant le criminel impuni qu’on lui ferait honneur ?

II. NON, car ne pas le châtier, c’est même si c’est pour éviter la récidive, le tenir aussi pour responsable de son acte. -Et qui dit responsabilité dit aussi liberté. Et considérer l’homme comme liberté, c’est lui faire honneur. C’est dire que les circonstances, sa nature ne suffisent pas expliquer et excuser ses actes, il reste libre.
-Hegel poursuit dans cette perspective en disant que châtier le criminel, c’est le considérer comme un être rationnel, un sujet de droit, ayant le droit de bénéficier du droit. Le droit s’applique à ses actes, à lui. Il n’est pas hors droit, même si par ses actes il porte atteinte au droit. Ne pas le punir, ce serait dire soit qu’il n’est pas libre, soit qu’il est exclu du domaine du droit : le droit ne le concerne pas. Ce serait là une manière de le discriminer, mis au banc de la société et de l’Etat. C’est pourquoi Hegel critique dans ce sens le droit de grâce. Ce serait aussi une manière de dire que le criminel a gagné : il est parvenu à renverser le droit. Ne pas le punir, c’est laisser le non-droit triompher. C’est le retour à l’impunité, au cycle infernal de la vengeance. Ne pas châtier le criminel, c’est laisser la victime le soin de se venger, et la vengeance est arbitraire et subjective.
– enfin, on peut aussi voir le châtiment comme remède de l’âme du criminel. C’est ce que défend Platon dans leGorgias ( 475.481) : « L’homme qui se trouve puni subit quelque chose de bon ». Socrate va même soutenir que celui qui a commis l’injustice doit courir chez le juge, comme le malade irait chez le médecin, pour éviter que la maladie devient chronique et incurable. « si l’injustice commise mérite des coups, il faut se laisser frapper ; si elle mérite des chaînes, il faut se faire enchaîner (…) si c’est l’exil, qu’on s’exile ; si c’est la mort, qu’on meure, mais qu’on soit toujours le premier à s’accuser soi-même, à accuser ses proches ». Calliclès répondra à cela que Socrate ne peut pas parler sérieusement en disant cela ! Mais c’est pourtant ce que l’on attend des châtiments qu’ils ne soient pas seulement un moyen de se protéger du criminel, mais un moyen de l’aider à faire un meilleur usage de sa liberté, qu’ils ne soient pas seulement préventif ou curatif, mais pédagogique ! N’y a-t-il pas des châtiments plus honorifiques que d’autres et n’y a-t-il pas d’autres moyens que de punir ?

III. Certains châtiments font davantage honneur au criminel et aux hommes : ce sont ceux qui font déjà honneur à ceux qui les appliquent : le droit de punir doit être limité par le respect de la dignité de la personne humaine et du droit sacré à la vie ( refus de la torture, de la peine de mort, de conditions de détention inhumaine). Il ne doit pas être arbitraire et illimité.
Il faudrait que le châtiment subi la dette et le déshonneur soient effacées, comme une faute est lavée par l’expiation. Nous ne faisons pas honneur au criminel en continuant à payer son écart une fois sa peine effectuer, en le tenant exclu de la société, marqué au fer rouge par son écart.
Il faudrait un châtiment qui permette au criminel de retrouver maîtrise de soi et liberté, qui puisse lui faire comprendre l’utilité et le bien-fondé des lois. Punir seulement sans effort de compréhension, sans explication est stérile et ne fait pas honneur à la liberté, à la rationalité que possède le criminel comme tout homme.