Le Livre noir des Juifs de Pologne (New-York, 1943)

The black book of polish jewry                Le Livre noir des Juifs de Pologne (1ère de couverture)

Ce texte est ma préface pour l’édition française du Livre noir des Juifs de Pologne chez Calmann-Lévy, 2013.

Dans son ouvrage L’Abandon des Juif, (1) l’historien américain David Wyman a rappelé une manifestation qui fut organisée dans la soirée du 21 juillet 1942, à New York, au Madison Square Garden. La veille de la fête de Tisha b’av, qui commémore la destruction du Temple, le Congrès juif américain (The American Jewish Congress), le B’nai B’rith et le Comité juif du travail (The Jexish Labor Committee) organisa un grand rassemblement pour protester contre les crimes commis contre les Juifs d’Europe par les Allemands et leurs alliés. Le président Roosevelt adressa un message aux 20 000 personnes réunies pour déclarer que les nazis avaient bien la volonté d’ « exterminer leurs victimes » (juives) et pour affirmer la sympathie du peuple américain pour « toutes les victimes des crimes nazis ». Dans son message lu aussi lors de cette soirée, le Premier ministre britannique, Winston Churchill, faisait référence à sa déclaration du 25 octobre 1941 dans laquelle il avait défini le châtiment des crimes de guerre commis par les Allemands contre les civils comme un des buts de guerre de la Grande-Bretagne. Le 22 juillet 1942, le lendemain de cette manifestation new-yorkaise, débutaient les déportations des Juifs du ghetto de Varsovie vers le centre de mise à mort de Treblinka.
Cette chronologie est révélatrice : les dirigeants occidentaux avaient une connaissance assez précise de l’assassinat des Juifs en Europe, depuis l’été 1941 ; ils le condamnaient ouvertement mais ne reconnaissaient pas une spécificité du crime contre les Juifs parmi toutes les victimes de la barbarie nazie et n’abordaient pas publiquement le sujet d’une intervention directe des forces militaires alliées pour l’empêcher. L’opinion publique américaine disposait d’informations nombreuses et répétitives sur ce sujet ; les cadres de la communauté juive américaine se mobilisaient pour alerter le reste de la population américaine, pour obtenir une réaction des autorités politiques et militaires. Mais le génocide continuait sans que les Alliés n’aient les moyens de l’interrompre à ce moment de la guerre.
Dés le mois de juillet 1941, les services secrets britanniques, grâce au décryptage des messages radio entre les unités de la Police d’ordre et de la SS et Berlin, avaient connaissance de « plusieurs dizaines de milliers d’exécutions » (2) à l’arrière du front de l’Est, et à partir de la fin août 1941 ils avaient confirmation que les Juifs étaient les victimes d’exécutions de masse spécifiques. Aux Etats-Unis, les journaux en yiddish de New York obtenaient des informations de sources soviétiques, polonaises ou hongroises et ils annoncèrent que les nazis avaient commis des assassinats de masse en Biélorussie et en Galicie orientale. La principale source d’informations était l’Agence télégraphique juive (Jewish Telegraphic Agency, JTA) qui avait son siège à New York et qui par son bulletin quotidien (le Daily News Bulletin) alimentait les périodiques juifs publiés en anglais, ainsi que la presse américaine non-juive. Le 26 octobre 1941, pour la première fois, le New York Times relayait ces informations (en page 6), qui, basées sur des récits de témoins de l’armée hongroise et de lettres parvenues en Hongrie, faisaient état de 15 000 Juifs galiciens et hongrois déportés en Galicie exécutés en août par les Allemands et les Ukrainiens. (3) Le New York Journal American reprenait un communiqué de l’Agence télégraphique juive du 25 novembre 1941 qui annonçait l’exécution de 52 000 hommes, femmes et enfants à Kiev. (4)
Fin mars-début avril 1942, alors que débutait sur le territoire du Gouvernement général de Pologne l’Aktion Reinhard, l’armée clandestine polonaise, l’Armia Krajowa, reçut l’information que des milliers de Juifs de Lublin avaient été expédiés à Belzec pour y être tués. Le 8 avril, le Delegat (le représentant en Pologne du Gouvernement polonais en exil à Londres) confirmait les informations concernant les exécutions massives en Galicie orientale, à Lublin, à Vilnius et en Biélorussie. (5) Malgré le codage renforcé d’Enigma en 1942, les Britanniques captèrent des messages radios entre Globocknik, le maître d’œuvre de l’Opération Reinhard, et l’administration économique centrale de la SS à Berlin (le WVHA) pendant l’été. (6) Dans son édition du 10 août 1942, le magazine Newsweek annonçait que des trains entiers de Juifs de Varsovie disparaissaient. Le 10 septembre 1942, l’Agence télégraphique juive annonça la déportation de 300 000 Juifs de Varsovie. D’après des informations du Département d’Etat américain, le New York Times publia (en page 10) le 25 novembre 1942 un article sur les camps de Belzec, Sobibor et Treblinka, faisant également mention des chambres à gaz et des fours crématoires d’Auschwitz et avançant le chiffre de 2 millions de Juifs déjà exterminés. (7) Le 25 novembre 1942, Jan Karski, courrier du Delegat, arrivait à Londres après avoir rencontré deux responsables de la résistance juive à Varsovie, vivant en dehors du ghetto : Léon Feiner, dirigeant du Bund à Varsovie et Menachem Kirschenbaum, leader sioniste. (8) Le microfilm de son «rapport » l’avait devancé de quelques jours en Grande-Bretagne ; il comprenait la copie de dix pages manuscrites rédigées par Léon Feiner à la fin août ou dans la première quinzaine de septembre, décrivant le processus de mise à mort dans un nouveau camp à Treblinka, à plus d’une centaine de kilomètres au nord-est de Varsovie. C’est ce texte qui allait constituer le chapitre IX du Black Book of Polish Jewry.
En 1942, le Ministère de l’Information et de la Documentation polonais avait publié à New York, l’ouvrage The Black Book of Poland, (9) qui bénéficiant déjà des mêmes filières d’informations, se voulait un martyrologue du peuple polonais depuis le début de l’occupation allemande jusqu’au déclenchement de l’offensive des puissances de l’Axe contre l’U.R.S.S. Les souffrances du peuple juif n’étaient pas oubliées, et toute la partie III de l’ouvrage leur était consacrée, évoquant surtout les enfermements et crimes commis dans les ghettos se multipliant entre 1939 et 1941. The Black Book of Polish Jewry a été publié en octobre 1943 (10) et est l’oeuvre collective de responsables politiques et d’intellectuels juifs polonais à New York et à Londres, exilés le plus souvent de leur pays depuis le début de la guerre. A cette date, l’Opération Reinhard touchait à sa fin, le camp de Treblinka finissait d’être démantelé (11) et le camp de Sobibor connaissait à son tour une révolte qui allait précipiter sa fermeture. (12) Et plus de 85 % des victimes de la Shoah avaient déjà été assassinées à la fin de l’année 1943. (13) L’initiateur principal de cette entreprise éditoriale était Jacob Apenszlak, publiciste, écrivain, traducteur et activiste sioniste, vivant à Varsovie avant la guerre. Il se réfugia à New York en 1940 où il collabora à plusieurs organisations juives polonaises et où il publia (jusqu’à sa mort en 1950) la Trybuna ?ydowska. (14) Son œuvre principale fut l’élaboration du Black Book of Polish Jewry. Ensuite, en 1944, il publia avec un des co-éditeurs de ce premier ouvrage, Moshe Polakiewicz, une compilation de témoignages sur la résistance juive en action en Pologne, Armed Resistance of the Jews in Poland. (15) Les deux ouvrages ont été édités par The American Federation for Polish Jews (AFPJ) qui a été fondée à New York en 1908 et qui oeuvrait comme organisme d’entraide pour les nouveaux immigrants et de bienfaisance pour les Polonais de New York. Cette association entreprit aussi dans les années 1930 d’apporter secours et aide économique aux Juifs polonais. (16)
Dans sa note introductive, le directeur du Institute of Jewisf Affairs, (17) Jacob Robinson présentait les principales sources d’informations pour l’élaboration du livre, tout en restant suffisamment vague pour ne pas compromettre des filières d’information encore opérationnelles. La législation anti-juive dans les territoires polonais faisait l’objet de publications officielles, dans le Gouvernement général, dans le Verordnungsblatt des Generalgouverneurs für die besetzten polnischen Gebiete, littéralement La Gazette du Gouverneur général pour les territoires polonais occupés, publication allemande officielle hebdomadaire du Gouvernement général ; les mesures antijuives étaient largement commentées et la propagande antijuive développée dans la presse locale sous contrôle du Gouverneur général et en langue allemande (le Warschauer Zeitung et le Krakauer Zeitung) ; entre juillet 1940 et juillet 1942, fut publié à Cracovie le seul périodique en yiddish autorisé dans le Gouvernement général, organe de propagande pour les Allemands, la Gazeta Zydowska, qui selon Jacob Robinson « contient des trésors d’informations ». Une autre source d’informations était les journaux clandestins, des rapports et des témoignages atteignant des pays libres depuis la Pologne, et parmi eux les dépositions réalisées par les réfugiés en Palestine, (18) via Vilnius ou la Hongrie. Et l’on constatait là une des contradictions des nazies dans leur gestion du secret de la Solution finale, où leur préoccupation de garder au mieux ce secret devenait secondaire face à la volonté de venir en aide à des membres de la Volksgemeinschaft prisonnier des Britanniques. La troisième source est l’information provenant d’observateurs de pays neutres. (19) Enfin, J. Robinson insistait sur « l’immense machinerie créée par le Gouvernement polonais en exil et ses agences », dont faisaient partie les bulletins quotidiens de l’Agence télégraphique polonaise, les périodiques du Ministère de l’Information et de la Documentation (Dziennik Polski et Polish Fortnightly Review). Les représentants juifs au Conseil national, Shmuel Zygielbojm (20) et Ignacy Schwarzbart, (21) pouvaient assurer la liaison des informations entre les Anglais et autorités polonaises, et les organisations juives. Dans son introduction pour le livre, le sioniste Schwarzbart affirmait que ce livre était « un acte d’accusation lancé sur le banc de la Cour qui sera un jour réunie pour le jugement des crimes commis par une nation de 80 000 000 de personnes » et demandait pour le peuple juif le « droit de vivre, comme l’une des plus anciennes – et non des moindres – parmi les nations ». Le livre reprenait dans son chapitre « Extermination » la déclaration de Schwarzbart du 15 novembre 1942 qui était la première en Occident sur le processus de mise à mort à Treblinka.
The Black Book of Polish Jewry contient extraits ou totalité des textes de documents parvenus en Occident, parmi ceux devenus les plus marquants de l’histoire de la révélation de la Solution finale mise en œuvre par les Allemands sur le territoire polonais : par exemple le rapport d’Emanuel Ringelblum de mai 1942 sur les gazages à Chelmno, le télégramme de Gerhartd Riegner, avocat allemand et représentant du Congrès juif mondial en Suisse, envoyé au ministère des Affaires étrangères britannique et au Département d’Etat américain, le 8 août 1942, qui révélait l’existence d’un plan général du quartier général de Hitler pour aboutir à l’extermination des Juifs d’Europe à l’Est, le rapport de Jan Karski, envoyé du Delegat à Londres, puis aux Etats-Unis, présenté fin 1942-début 1943 sur la liquidation du ghetto de Varsovie et sur les transports et la mise à mort des Juifs dans le district de Lublin, un compte rendu de la révolte du ghetto de Varsovie par Ignacy Schwarzbart d’après les informations fournies par un émissaire en Pologne du gouvernement britannique et du gouvernement polonais en exil. Le livre présente deux entrées principales, par une géographie régionale de la Shoah sur le territoire de la Pologne annexée ou occupée (Varsovie, Lodz, Cracovie, Lublin, Lwow, Vilnius) et par une distinction des étapes du génocide (l’entrée meurtrière des Allemands sur le sol polonais – le Blitzpogrom –, la ghettoïsation, les déportations et l’extermination). (22)
Le Livre noir des Juifs de Pologne marquait une rupture dans la révélation des informations avec Le Livre noir de la Pologne dont les informations étaient antérieures à l’offensive de l’Axe contre l’U.R.S.S., c’est-à-à-dire avant le début de l’extermination systématique des Juifs. Par ailleurs, ce projet du Livre noir des Juifs de Pologne, n’a pas de lien direct avec celui, plus connu du Livre noir sur l’extermination des Juifs en U.R.S.S. et en Pologne (1941-1945) du Comité antifasciste juif, projet dirigé en U.R.S.S. par Ilya Ehrenbourg et Vassili Grossman, dont l’idée originelle était venue d’Albert Einstein, et dont les premières publications (roumaine et américaine) ne datèrent que de l’année 1946. Il est à noter qu’Albert Einstein apporta aussi sa caution au projet du livre de J. Apenszlak. Les autres soutiens affichés du projet étaient des membres du Congrès américain, démocrates et juifs le plus souvent, engagés depuis des mois à Washington ou New York pour que l’administration Roosevelt affirme plus ouvertement une condamnation du génocide et pour qu’elle envisage surtout des opérations de sauvetage. L’épouse du président paraissait plus accessible aux organisations juives américaines, mais elle se garda bien de trop se démarquer de la position officielle définie par son mari.
Le livre reste bien-sûr lacunaire sur la réalité et l’ampleur du génocide commis par les nazis, et par exemple l’information des chambres à gaz de Majdanek n’y figure pas. La démarche de la compilation et du travail collectif expliquent aussi quelques approximations, voire des contradictions à quelques pages d’intervalle, comme par exemple sur les fonctions des camps de Belzec et de Treblinka. Mais, sans hésitation, les auteurs de l’ouvrage considéraient que la finalité des persécutions et des crimes commis contre les Juifs de Pologne et des régions avoisinantes était bien leur extermination totale, et qu’il s’agissait là d’une intention souvent déclarée et ô combien manifestée par des responsables nazis et les bataillons de tueurs sur le terrain. Les auteurs affirmaient que « le changement de tactique […] émanait de toute évidence des projets de Hitler en personne. » Ils avançaient même l’idée que l’entrée en guerre de l’Allemagne contre les Etats-Unis constituait bien l’événement déclencheur de l’extermination systématique et accélérée de tous les Juifs d’Europe.
La compilation des déclarations officielles sur les crimes nazis contre les Juifs d’Europe, regroupées dans le chapitre 17, avait pour fonction de rappeler à leurs paroles les gouvernements alliés et de les pousser à agir en faveur du sauvetage des victimes encore en vie. Enfin, une des intentions des auteurs, dont certains étaient directement attachés au Gouvernement polonais en exil, qui par ailleurs fournit une grande partie des informations publiées dans l’ouvrage, était de présenter au public et dirigeants américains la solidarité et l’esprit d’entraide des Polonais à l’égard des Juifs assassinés (à travers, par exemple, le récit de l’assassinat des enfants juifs du sanatorium de Medem, le manifeste des femmes de Pologne, la déclaration du clergé catholique polonais), et d’insister notamment sur des liens étroits entre la Résistance polonaise et la Résistance juive, que l’historiographie de la question a plus que remis en cause. Les auteurs se sont appesantis sur ce sujet lorsqu’ils ont développé le récit de l’insurrection du ghetto de Varsovie (chapitre 16). En 1943, pour le Gouvernement polonais en exil, comme pour bien des Polonais réfugiés aux Etats-Unis, y compris parmi les Juifs non sionistes, le soutien américain à la Pologne libérée du nazisme face à la menace soviétique prévisible était alors une question prioritaire. Et il ne s’agissait pas, par un tel ouvrage, de réaliser une condamnation morale contre les dirigeants et opinions publiques occidentales.
Finalement, la dernière phrase du livre illustrait avec pertinence la question de la difficulté de la réception en Occident des informations liées au génocide alors qu’il se déroulait : « Les Allemands estiment que le monde n’ajoutera pas foi aux appels lancés par les Juifs polonais parce que des êtres humains ne peuvent croire que des hommes soient capables d’un tel sadisme. Mais nous devons protester jusqu’à que le monde décide de prendre des mesures radicales pour faire cesser le massacre des Juifs et des Polonais. »

The black book of Poland

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(1) David Wyman, L’Abandon des Juifs. Les Américains et la Solution finale, pour l’édition française Flammarion, 1987, pp. 44-46.

(2) Formule utilisée par Winston Churchill dans son discours du 24 août 1941 diffusé sur les ondes de la B.B.C.

(3) Laurel Leff, Relégué en page 7. Quand le New York Times fermait les yeux sur la Shoah, éd. Calmann-Lévy/Mémorial de la Shoah, Paris, 2007, p. 160.

(4) Les massacres à Babi Yar ont débuté par une première vague fin septembre 1941 (33 771 victimes les 29-30 septembre 1941, environ 100 000 sur ce site jusqu’au printemps 1943).

(5) Walter Laqueur, Le terrifiant secret. La « Solution finale » et l’information étouffée, éd. Gallimard, Collection Témoins, Paris, 1981, pp. 137-138.

(6) Richard Breitman, Secrets officiels. Ce que les nazis planifiaient, ce que les Britanniques et les Américains savaient, éd. Calmann-Lévy/Mémorial de la Shoah, 2005, p. 133.

(7) Laurel Leff, op. cit., pp. 191-192.

(8) E. Thomas Wood et Stanis?aw M. Jankowski, Karski. How one man tried to stop the Holocaust, éd. John Wiley & Sons, New York, 1994, p. 117.

(9) The Black Book of Poland, G. P. Putman’s Sons, New York, 1942, 615 pages. Pour la présentation de l’ouvrage, non traduit en français, voir la Revue d’Histoire de la Shoah, n° 196 (janvier-juin 2012), Paris, Mémorail de la Shoah, pp. 663-665.

(10) C’est la date indiquée de l’avant-propos de l’éditeur Jacob Apenszlak (dans l’édition originale, 1943, p. X).

(11) Les derniers détenus chargés de démantelés le camp ont été transférés à Sobibór le 20 octobre 1943 pour y être exécutés, et le 17 novembre 1943, un dernier transport de matériaux du camp se rendait au camp de travaux forcés de Dorohucza, près de Trawniki.

(12) La dernière exécution de Juifs à Sobibor eut lieu le 23 novembre 1943 et le camp III du complexe fut aussitôt après démantelé.

(13) Selon les chiffres (a minima) avancés par Raul Hilberg (in La destruction des Juifs d’Europe, éd. Fayard, Paris, 1997, p. 1046).

(14) Né en 1894, Jacob Apenszlak a fait ses débuts littéraires avant 1914. Son poème Mowie polskiej (1915) fut un des premiers témoignages du retour des Juifs polonisés à leur culture juive. Avant la Première Guerre mondiale, il écrivait à la fois pour la presse polonaise et pour la presse juive polonaise (Kurier Warszawski, Izraelita), mais dans l’entre-deux guerres, il a contribué principalement à cette dernière. Il a été membre du bureau éditorial du quotidien de Varsovie Nasz Przegl?d, puis éditeur de l’hebdomadaire littéraire Lektura (1934). Ses feuilletons (sérialisés comme « Miedzy wierszami » dans Nasz Przegl?d sous le pseudonyme de Pierrot), des articles politiques, et d’autres écrits, reflètent son influence par le nationalisme juif moderne et son combat contre les manifestations de l’antisémitisme, comme les « bancs du ghetto » dans les universités polonaises. La nouvelle sioniste Pi?tra : Dom na Biela?skiej (1933) dépeint les circonstances historiques, sociales et psychologiques de l’émergence d’une nouvelle génération de sionistes entre 1914 et 1930. Il a été traducteur des œuvres de Théodore Herzl, Sholem Aleichem, et Sholem Asch. En tant que critique de théâtre, Apenszlak a ??montré un intérêt pour le théâtre polonais et juif et fut parmi les cofondateurs de la Société du théâtre juif (1923). Il fut président de l’Association juive pour l’avancement des Beaux-Arts et il a également écrit le scénario pour le film de Henryk Bojm, Shahar, yom ve-lailah shel Erets Yisra’el (1934). (Cf : The Yivo Encyclopedia of Jews in Eastern Europe sur le site du YIVO Institute for Jewish Research).

(15) Ed. The American Federation for Polish Jews, New York, 1944, 80 pages.

(16) Le nom originel de l’AFPJ fut The Federation of Russian-Polish Hebrews. Celle-ci créa à New York en 1912 l’hôpital Beth David pour ses membres. Elle participa en 1919 au Comité de secours pour les victimes de la guerre (People’s Relief Committee) et envoya la même année un délégué à la Conférence pour la Paix de Versailles. En 1920, le mot « russe » devait disparaître du nom de l’organisation, et en 1926, le mot « Hébreux » fut remplacé par le mot « Juifs ». En 1935, elle fonda The World Federation of Polish Jews pour pouvoir intervenir directement en Pologne. Pendant la guerre, elle ajouta donc à ses activités la récolte et la publication d’informations sur le sort des Juifs polonais. Pour la publication du Black Book of Polish Jewry, elle travailla avec The Association of Jewish Refugees and Immigrants from Poland. L’APFJ publia d’autres ouvrages-témoins pendant le conflit : Armed Resistance of the Jews in Poland (1943), Adam Czerniakow, Burgomaster of the Warsaw Ghetto (1943) et Peace for the Jews (1945) de Joseph Tenenbaum, l’actif président de l’AFPJ, entre 1929 et 1957. Après la guerre, l’AFPJ coordonna les activités de secours des Polonais de New York pour leurs villes et villages d’origine.

(17) L’Institut des Affaires juives avait été créé à New York sous les auspices de l’American Jewish Congress et du Congrès juif mondial, le 1er février 1941, à partir des propositions faites en 1939 et 1940 par le Dr. Jacob Robinson de l’American Jewish Congress. Son but était de mener des enquêtes approfondies sur la vie juive au cours des 25 années précédentes pour mieux établir les faits de la situation des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, cela afin de déterminer leurs causes et de suggérer comment les droits des Juifs pourraient être revendiqués dans un règlement d’après-guerre. En 1965, l’IJA s’est déplacé à Londres, et en 1996 il est devenu The Institute for Jewish Policy Research.

(18) Voir sur ce sujet le récit par Walter Laqueur de l’arrivée en Palestine de 69 rescapés échangés en novembre 1942 et des informations qu’ils transmirent à l’Agence juive (in Le terrifiant secret, ibid., pp. 231-236).

(19) Walter Laqueur a insisté sur l’importance de la « filière suédoise », constituée de diplomates et d’hommes d’affaires faisant de Stockholm une plaque tournante de l’information vers Londres jusqu’en juillet 1942 (in Le terrifiant secret, ibid., pp. 129-131).

(20) Entre mars 1940 et avril 1942, Shmuel Zygielbojm, ancien membre du Comité central du Bund polonais, s’installa à New York où il travailla pour la branche américaine du parti de gauche, avant d’être appelé à siégé au Conseil national polonais à Londres.

(21) Avocat et journaliste, Ignacy Schwarzbart fut président de la Fédération sioniste de la Galicie occidentale et de la Silésie, puis choisi pour être délégué au Congrès sioniste chaque année dans les années 1920 et 1930. Il est devenu membre du Conseil général sioniste après 1933. Il contribua à la création à Genève du Congrès juif mondial (1936), puis il fut élu à la Diète polonaise (1938). Fuyant l’invasion allemande en septembre 1939, il participa à l’établissement d’un gouvernement polonais en exil en France, puis en Angleterre. En décembre 1939, il était nommé au Conseil national polonais où il fut un défenseur énergique des droits des Juifs dans la future Pologne libérée. A partir de 1942 il devint un personnage clé dans la transmission à l’Ouest des nouvelles concernant la Shoah et dans la promotion des opérations de sauvetage. Il faisait valoir que les dirigeants polonais devraient consacrer des ressources aux besoins de Juifs, à la fois parce les Juifs polonais constituaient une partie intégrante du corps politique polonais et parce que les Juifs du monde entier pourraient être des alliés importants dans la poursuite des objectifs politiques de la Pologne. Mais Schwarzbart était souvent exaspéré par la réticence polonaise d’inclure les Juifs. (Cf : The Yivo Encyclopedia of Jews in Eastern Europe sur le site du YIVO Institute for Jewish Research).

(22) Les centres de mise à mort de l’Aktion Reinhard sont tous évoqués, mais pas une seule fois le nom d’Auschwitz n’est cité dans le livre.

Les informations sur l’Aktion Reinhard parvenues aux Alliés

Cet article est paru dans la Revue d’histoire de la Shoah n° 197, octobre 2012. (1)

 

En 1942, les Alliés perdent sur tous les fronts.+ Une intervention militaire, de quelque nature qu’elle soit, sur les territoires annexés ou occupés de la Pologne, ou dans l’ouest de l’Union soviétique est alors inenvisageable. Mais cela ne voulait pas dire que des solutions de sauvetage pour des Juifs n’étaient pas possibles en Europe (via la Hongrie, la Turquie, la Suisse, en France).

En 1944, le bombardement des lignes de chemin de fer à destination d’Auschwitz est possible, mais il n’aurait certainement pas été d’une grande efficacité, et à Auschwitz même, c’est le complexe industriel de Monowitz qui est pris pour cible à quatre reprises entre août et décembre 1944 par des bombardements de l’US Air Force, et non les chambres à gaz de Birkenau. De plus, les SS et leurs auxiliaires ont alors déjà développé une expérience suffisante et variée pour continuer à mener en toutes circonstances leur projet génocidaire : par exemple, en deux journées (3-4 novembre 1943), l’Aktion Erntefest correspond à l’un des plus grands massacres dans l’histoire de la Shoah, et à l’été 1944, les camions à gaz utilisés à Chelmno en 1941-1942, sont remis en service pour liquider les survivants du ghetto de Lodz. Il est de toute façon trop tard. Entre ces deux dates, l’Aktion Reinhardt, débutée (en mars 1942) et achevée (en novembre 1943) a provoqué la mort de 1,5 à 2 millions de Juifs, polonais dans leur très grande majorité.
Les éléments essentiels de l’Aktion Reinhard selon ses concepteurs sont la rapidité de l’exécution et le secret de l’information en dehors des régions de l’est du Gouvernement général, où sont localisés les trois centres de mise à mort. Les phases de mise à mort sont intenses et brutales : un demi-million de Juifs des districts de Lublin et de Galicie orientale disparaissent en 1942 à Belzec en 8 mois et demi de fonctionnement des chambres à gaz dans ce premier centre ; 300 000 Juifs enfermés dans le ghetto de Varsovie sont assassinés dans celui de Treblinka entre juillet et septembre 1942. Comment a-t-il été possible de limiter, sinon d’empêcher, que ne se généralise la connaissance d’un assassinat d’une telle ampleur ? Comment son information pouvait-elle rester enfermée dans les limites du Gouvernement général de Pologne, véritable épicentre de la Shoah et gouffre pour le judaïsme européen ? Cela n’a pas été possible pour les génocidaires, qui en ont bien conscience et pour lesquels la rapidité d’exécution était un gage de pleine réussite de la Solution finale.
Et si ce qui se passe en territoire polonais, contre les Juifs d’Europe, est connu, qu’est-ce qui peut être fait ? Et pourquoi rien n’est fait, de façon significative, par les gouvernements alliés, avant le « sauvetage » des Juifs de Budapest durant la deuxième moitié de l’année 1944 ?
L’histoire des méthodes « ultra » utilisées par le renseignement britannique pour casser les codes des machines de cryptage allemandes, et celle du captage des informations sur les massacres de masse à l’Est, notamment ceux perpétrés par les Einstazgruppen, est à présent bien connue. (2) Pendant l’été 1941, au début de l’extermination systématique des Juifs soviétiques, le décryptage de comptes rendus d’exécutions par les unités de la police et de la SS est courant. Par exemple, entre les 23 et 31 août 1941, dix-sept comptes rendus dans les Ereignismeldungen UdSSR envoyés à Berlin par les unités de la police et de la SS à l’arrière du Groupe d’armées Sud (en Ukraine), fournissent des détails sur des fusillades contre des groupes de Juifs de tailles variables (allant de 61 à 4 200 personnes). Ces interceptions figurent dans les rapports du GC & CS, (3) service de renseignement britannique responsable de l’interception et du déchiffrage des communications allemandes, basé à Bletchley Park (dans le centre de l’Angleterre). Elles sont présentées dans des rapports résumés hebdomadaires au Premier ministre. Les activités des Einsatzgruppen en territoire soviétique sont connues au plus haut niveau en Grande-Bretagne et le 24 août 1941, dans une déclaration à la BBC, Winston Churchill annonce : « Des districts entiers sont massacrés. Des dizaines de milliers – littéralement des dizaines de milliers – d’exécutions de sang froid sont perpétrées par les unités de la police allemande contre les patriotes russes qui défendent leur terre natale. Depuis les invasions mongoles en Europe au XVIème siècle, il n’y a jamais eu de boucherie aussi méthodique, impitoyable, à une telle échelle, ou approchant une telle échelle. […] Nous sommes en présence d’un crime sans nom. » L’impératif de ne pas révéler aux Allemands le décryptage réussi des messages codés par leur machine Enigma, empêchait le Premier ministre britannique de mentionner les victimes juives particulièrement ciblées.

Les filières de l’information depuis le Gouvernement général

Le 25 juin 1942, le London Daily Telegraph rapporte que 50 000 Juifs ont été assassinés à Vilnius, que le ghetto de Varsovie est un mouroir et que des chambres à gaz mobiles sont en usage sur le territoire soviétique. Le 10 juillet 1942, le Times publie des informations extraites d’un rapport envoyé à Londres de la Pologne par l’Armée intérieure (l’Armia Krajowa – A.K.) sur le massacre des Polonais et l’assassinat en masse des Juifs du pays et le transport de ceux-ci vers des destinations inconnues. Le 10 août 1942, le magazine américain Newsweek annonce que des trains emplis de Juifs du ghetto de Varsovie disparaissent dans un « vide noir ». (4)
De telles informations sont reçues par le Gouvernement polonais en exil. Celui-ci possède un représentant clandestin en territoire polonais, le Delegat, qui est en liaison permanente avec lui, et il se dote, en octobre 1939, d’une armée secrète, Union de la lutte armée (Zwiazek Walki Zbrojnej), qui devient l’A.K. en février 1942. A Londres, l’état-major de l’armée polonaise passe par la section polonaise du Bureau des Opérations spéciales (Special Operations Executive – S.O.E.) pour établir le contact avec la Pologne, pour y acheminer du personnel et du matériel. Les envois de parachutistes en Pologne par le S.O.E. ont débuté en février 1941 et deviennent très fréquents à partir de l’été 1942. Les messages courts de ces agents en mission ou de la résistance sont transmis au S.O.E. par radio ; les messages plus longs sont émis, avec moins de risque, à l’extérieur des principales villes polonaises, ou sont acheminés par des courriers, sous la forme de microfilms. Passant par la Suède ou l’Europe de l’Ouest, ils mettent plusieurs semaines pour parvenir à Londres.
Entre 1941 et juillet 1942, le canal d’informations le plus important concernant le sort des Juifs du pays est le réseau que les Polonais constituent avec des sympathisants de leur cause parmi la communauté suédoise présente à Varsovie. Les Suédois expédient la documentation confiée, réunie sur des films de 35 mm, à Stockholm en utilisant le courrier de la Chambre de commerce du pays dans le Gouvernement général. Elle parvient ainsi à la base des services secrets polonais en Suède, dirigée pendant cette période par Mieczyslaw Thugutt, qui ensuite la transmet par le courrier hebdomadaire de la R.A.F. aux services secrets britanniques. Muté à Londres en 1942, Thugutt est alors devenu responsable des communications entre le Gouvernement en exil et son pays occupé. Mais la filière suédoise est découverte et liquidée par les Allemands à la fin de juillet 1942, quand débutent les déportations depuis le ghetto de Varsovie. La résistance polonaise reste quand même alors en contact radio avec Londres et, après une interruption de quelques mois, elle fait parvenir de nouveau des messages plus longs par ses bases en Suisse et en Turquie.
Un « sous-comité aux Affaires juives », au Bureau de l’information et de la propagande de l’A.K., n’est en fonction que pendant quelques semaines seulement (entre novembre 1941 et février 1942). L’une des difficultés pour les Juifs polonais est donc cette dépendance à l’égard de l’A.K. et du Delegat pour faire passer des informations à l’extérieur de la Pologne. Au début de la liquidation des Juifs des ghettos, des contacts s’établissent entre le mouvement de jeunesse de gauche sioniste, Hashomer Hatzaïr, et le mouvement des scouts polonais, dont l’un des dirigeants, Kaminski, est éditeur du Byuletin Informacyjny de l’A.K. La lettre du Bund et le rapport décrivant les gazages à Chelmno établi par Emanuel Ringelblum en mai 1942 est parvenu à l’ouest par cette voie, selon l’historien W. Laqueur. (5) Le lien le plus solide est celui établi entre le Bund, dirigé à Varsovie par Léon Feiner, et le P.P.S. (Polska Partia Socjalistyczna). Par les socialistes polonais, eux-mêmes liés à l’A.K., Feiner transmet des informations au représentant du Bund à Londres, Szmul Zygielbjom, installé en Angleterre à partir d’avril 1942. Celui-ci, après son exil d’un an et demi aux Etats-Unis, devient le porte-parole le plus actif des Juifs polonais à l’étranger.
A Londres, les informations concernant les Juifs ne sont pas particulièrement dissimulées. Zygielbojm n’a pas formulé ce genre de repoches. Le Delegat adresse ses communications au ministre de l’Intérieur, Stanislaw Mikolajczyk, et le commandant de l’A.K., le général Rowecki, directement au Premier ministre Wladislaw Sikorski. Le 9 juin 1942, dans une émission à la B.B.C., Sikorski déclare : « La population juive de Pologne est condamnée à l’anéantissement conformément à la maxime : « Il faut massacrer tous les Juifs indépendamment de l’issue de la guerre. » Cette année des dizaines de milliers de Juifs ont été massacrés à Lublin, Vilnius, Lwow, Stanislawow, Rzeszow et Miechow ». Le lendemain, il adresse aux gouvernements alliés une dépêche : « L’extermination de la population juive prend des proportions incroyables ». (6)

Wladyslaw Sikorski

Wladislaw Sikorski

Des citoyens du Reich, indépendamment les uns des autres, transmettent aussi des informations détaillées pendant l’été 1942, qui transitent par la Suisse. Ernst Lemmer, correspondant de plusieurs journaux étrangers à Berlin, évoque des chambres à gaz, mobiles et fixes, mais n’est pas pris au sérieux. Le 27 juillet 1942, un membre de la division économique de l’O.K.W., le commandement suprême des forces armées allemandes, transmet à Edgar Salin, un économiste helvète, le message suivant : « Dans l’Est, on prépare des camps dans lesquels l’ensemble des Juifs d’Europe et une grande partie des prisonniers de guerre russes seront gazés. Merci de faire parvenir cette information à Churchill et à Roosevelt personnellement. Si la B.B.C. dissuade quotidiennement et par avance d’allumer les fours à gaz, alors leur utilisation devrait s’en trouver empêchée ; parce que les criminels font tout pour que le peuple allemand n’apprenne pas ce qu’ils planifient et donc il est sûr qu’ils vont le mettre à exécution. » (7) Le message est transmis à un agent des services de renseignements américains, connaissance de Salin, mais il finit par passer inaperçu à Washington. Le troisième informateur, Eduard Schulte, directeur d’une importante entreprise minière en Silésie, rapporte les propos de Himmler tenus le 17 juillet 1942, lors d’une soirée. Il tient ses propos d’un de ses collaborateurs, Otto Fizner, un nazi proche du Gauleiter de Haute-Silésie, Fritz Bracht, l’organisateur de la soirée : un plan a été discuté à la Chancellerie du Führer pour la déportation et l’extermination des Juifs de l’Europe de l’Est, et pour y parvenir l’utilisation de l’acide prussique a été évoquée. Eduard Schulte rapporte ces propos à un collègue, Isidor Koppelmann, qui le met en contact avec Benjamin Sagalowitz, l’attaché de presse de la communauté juive suisse. L’information parvient ainsi au représentant en Suisse du Congrès juif mondial, Gerhart Riegner. Ce dernier enquête sur l’industriel allemand et le trouve absolument digne de confiance. Le 8 août 1942, Riegner remet au vice-consul américain à Genève, Howard Elting, un résumé du message et lui demande de lé télégraphier à Washington, aux autres gouvernements alliés et au rabbin Wise à New York. Elting fait parvenir à l’ambassade américaine à Berne les informations, précisant que Riegner lui paraît être « une personne sérieuse et équilibrée » et demandant que le rapport soit transmis au Département d’Etat. L’ambassadeur Leland Harrison télégraphie le message de Riegner à Washington le 11 août, tout en précisant qu’il n’a aucun moyen de le confirmer. (8)

Ernst Lemmer

Ernst Lemmer

Edgar Salin

Edgar Salin

Eduard Schulte

Gerhart Riegner

Gerhart Riegner

Riegner a remis aussi au consulat britannique à Genève le même résumé, demandant à ce qu’il soit télégraphié au Foreign Office et transmis à Samuel Sidney Silverman, membre du Parlement britannique et président de la section anglaise du Congrès juif mondial. Le Foreign Office reçoit le télégramme le 10 août. Il attend une semaine avant de le transmettre à Silverman, qui l’envoie au rabbin Wise à New York le 28 août. Celui-ci était écarté de cette information jusqu’alors par le Département d’Etat. Wise écrit alors au sous-secrétaire d’Etat Summer Welles le 2 septembre pour lui demander de communiquer la nouvelle au président Roosevelt. Puis, il adresse la même demande au juge de la Cour suprême Felix Frankfurter. Mais rien n’établit que le télégramme ait été remis alors au Président, et aucune déclaration publique n’est faite aux États-Unis concernant le contenu du télégramme jusqu’en novembre 1942.
Une autre source d’information est fournie par les récits de détenus juifs parvenus en Palestine dans le cadre d’échanges de prisonniers avec des ressortissants allemands arrêtés par les Britanniques. En décembre 1941, arrive un premier groupe de quarante-six femmes (mais ces personnes ne viennent pas des régions concernées alors par les exécutions par balles massives) ; le groupe le plus important est arrivé en novembre 1942, puis un troisième groupe, beaucoup plus petit, en février 1943, et quelques échanges supplémentaires ont eu lieu pendant l’été 1944, surtout via l’Espagne. La volonté de venir en aide à des membres de la Volksgemeinschaft semble l’avoir emporté chez les dirigeants SS sur la préoccupation de garder au mieux le secret des persécutions et massacres contre les Juifs. Un groupe de 137 personnes est ainsi autorisé à quitter la Pologne le 28 octobre 1942, puis Vienne, où il séjourne le 11 novembre, et son train arrive en Palestine, à la frontière syrienne, le 14 novembre. Ce groupe compte 78 Juifs (femmes, enfants, personnes âgées), dont 69 sont des ressortissants palestiniens. Ces arrivants proviennent de treize villes en Pologne (dont Cracovie, Bialystok, Sosnowiec, Kielce, Piotrkow et Sandomir,), de Berlin, de Hambourg, de Belgique, de Hollande, et ils ont rencontré le chef de la communauté juive de Vienne, Joseph Loewenherz, qui leur a expliqué la déportation vers l’Est de la communauté autrichienne pendant les mois précédents. Arrivés en Palestine, ils sont interrogés par des membres du service de sécurité de l’armée britannique, puis conduits à Athlit, près de Haïfa, et pris en charge par des membres du bureau de l’Agence juive en Palestine. Personne dans le groupe n’est passé par Varsovie, mais certains avaient rencontré des Juifs en Haute-Silésie qui leur avaient raconté que le ghetto avait été en grande partie vidé, ainsi que celui de Czestochowa. Les témoins sont incapables de fournir une information sur le sort des déportés et ils étaient restés sans nouvelles des disparus. Ces témoignages permettent une vision à l’échelle européenne du projet nazi et confirment les nouvelles de l’été en provenance de Genève.
Le 22 novembre 1942, le bureau de l’Agence juive communique sur ces témoignages en Palestine, et dans les jours qui suivent, la presse juive de Palestine publie les récits des rescapés et les nouvelles mentionnant l’existence, en Europe orientale, de bâtiments en béton abritant des chambres à gaz et un rapport affirmant que des trains emmènent les Juifs « vers de grands fours crématoires situés à Oswiecim, près de Cracovie. » C’est le déclenchement d’une vraie prise de conscience parmi les Juifs de Palestine. Le 3 décembre, Abraham Stupp de l’Agence juive, à Tel Aviv, envoie un câble au Congrès juif mondial qui contient les informations des réfugiés palestiniens. Le rapport est riche en informations. 70 000 Juifs ont été déportés de Lublin, 7 000 ont été envoyés à Majdanek, aucune trace ne reste des 63 000 autres, qui ont sans doute été assassinés. En mai 1942, seulement 6 000 Juifs restent à Cracovie, tous les autres habitants juifs de la ville ont été déportés vers une destination inconnue et on présume qu’ils ont été tués. 10 000 Juifs ont été déportés de Tarnow, puis une autre fois 7 000 de la gare. Les déportations de Varsovie ont commencé le 22 juin 1942 (en fait 22 juillet) à raison de 7 000 personnes par jour ; en octobre 1942, il ne restait que 36 000 personnes de la population juive de la ville ; les déportés ont été envoyés à Treblinka, où les Juifs « [sont] amenés [dans un] soi-disant bâtiment de bains qui [est] fermé hermétiquement. L’air de la chambre était pompé [de sorte que] les gens suffoquaient. D’autres rapports dirent [que les] Juifs [sont] tués par gaz-poison. » Le fait est que, quelle que soit la méthode utilisée, personne n’a quitté le « bâtiment des bains » en vie. Les cadavres sont continuellement incinérés. À compter de janvier 1942, les Juifs du Warthegau ont été expulsés vers le village de Chelmno (Chelmno Nad Nerem) et assassinés dans des camions à gaz. Le câble poursuit en décrivant d’autres atrocités, et conclut par une demande que les gouvernements alliés mettent fin à ces crimes. Une copie du câble est envoyée aux chefs des nations démocratiques. Il est signé par Anselm Reiss en tant que représentant de la communauté juive polonaise.
C’est aussi à la date du 23 novembre 1942 que le Département d’Etat américain reçoit de son ambassade en Suisse deux lettres de Varsovie et un télégramme révélant qu’un éminent citoyen helvète non juif (il s’agissait du Dr. Carl Burckhardt, haut fonctionnaire de la Croix-Rouge internationale) a appris de deux hauts responsables dans l’administration du Reich que l’ordre d’élimination physique des Juifs avait été donné par le quartier général de Hitler. Le 24 novembre, le sous-secrétaire d’Etat Summer Welles reçoit le rabbin Wise pour lui annoncer la terrible et dans la soirée, Wise donne une conférence de presse. Aux journalistes il dit avoir appris, grâce à des témoignages confirmés par le Département d’Etat, que 2 millions de Juifs ont été tués dans le cadre d’une « campagne d’extermination » dont le but est l’élimination totale des Juifs en Europe nazie. (9)

Carl Burckhardt

Dr. Carl Burckhardt

Sumner Welles

Summer Welles

Stephen Wise

Stephen Wise

Le 25 novembre 1942 est la date de l’arrivée à Londres de Jan Karski, qui a déjà effectué en 1940 deux missions de messager pour le Gouvernement de son pays en exil, jusqu’en France à l’occasion de la première. (10) A la fin de l’été 1942 précédent, il reçoit de deux membres de la Delegatura, le leader bundiste Léon Feiner et le leader sioniste Menachem Kirschenbaum, une déclaration adressée aux dirigeants alliés les appelant à informer la population allemande des crimes contre les Juifs ordonnés par ses dirigeants et à bombarder l’Allemagne explicitement en représailles contre la poursuite de ces crimes. Cette rencontre s’accompagne de deux entrées de Karski dans le ghetto de Varsovie, puis quelques jours après d’une visite dans la petite ville d’Izbica Lubelska, où se trouve un ghetto de transit. Cette ville se situe à mi-chemin entre Lublin et Belzec, et Karski assiste au chargement terrible d’un train à destination du centre de mise à mort. Arrivé à Londres, il s’entretient notamment avec Anthony Eden, le secrétaire aux Affaires étrangères, puis plus tard aux Etats-Unis avec le secrétaire d’Etat Cordell Hull, Felix Frankfurter de la Cour suprême, et il est reçu en entretien pendant une heure par le président Roosevelt le 10 août 1943 (presque un an après sa visite du ghetto de Varsovie).

Jan Karski

Zdzislaw Jezioranski (plus connu sous un de ses surnoms dans la clandestinité, Jan Nowak) est un autre messager du Delegat, envoyé à Londres en 1943 et 1944, qui rapporte des informations sur le soulèvement du ghetto de Varsovie, et qui rencontre le chef du département central du Foreign Office et le secrétaire particulier de Churchill. Son témoignage est passé inaperçu. (11) Tadeusz Chciuk-Celt est un autre émissaire, parachuté deux fois en Pologne. A l’issue de son premier séjour (en Pologne entre décembre 1941 et juin 1942, puis à Budapest jusqu’en novembre 1942), de retour en Angleterre en juin 1943, il rapporte – tardivement – des informations sur les liquidations des ghettos de Radom et de Varsovie.

Jan Nowak Jezioranski

Jan Nowak Jezioranski

Tadeusz Chciuk-Celt

Tadeusz Chciuk-Celt

Les informations sur l’ Aktion Reinhard

En janvier 1942 arrivent à Varsovie les premières informations concernant les gazages dans des unités mobiles à Chelmno. Des collaborateurs d’Emanuel Ringelblum rapportent le témoignage de trois fossoyeurs qui ont réussi à s’évader de ce premier centre de mise à mort sur le territoire polonais (12) et qui est transmis à Londres et aux Etats-Unis où il est largement diffusé dans des publications de la communauté juive, (13) mais pas dans les grands organes de presse américains.
Avant la mi-mars, et le début de l’Opération Reinhardt, une longue lettre du Bund parvient à Londres et décrit le ghetto de Varsovie comme un « grand camp de concentration » où les Juifs, coupés du reste de la ville et du monde, mourraient de façon horrible. Puis, à la fin du mois de mars et au mois d’avril 1942, l’A.K. collecte des nouvelles des déportations des Juifs de Lublin, puis de Lwow, entamées les 17 et 18 mars. Ils sont acheminés à Belzec, la destination est vite localisée et, n’ayant plus de nouvelles des déplacés, la finalité est vite établie aussi. Mais l’A.K. ne dispose pas de données précises sur la façon dont sont tués les détenus de Belzec. A Londres, on demande des éclaircissements concernant les rumeurs sur les exécutions massives dans les territoires de l’Est, et la confirmation d’information sur les activités des Einsatzgruppen vient en même temps que les premières informations sur le démarrage de la liquidation des ghettos du Gouvernement général.
Une réponse du Delegat arrive le 8 avril et confirme les informations concernant l’assassinat de milliers de Juifs en Galicie orientale, dans la région de Vilnius, dans celle de Lublin et en Biélorussie. En mai 1942, le Bund de Varsovie fait parvenir un rapport au Gouvernement polonais en exil à Londres sur les activités des Einsatzgruppen, décrivant en détail les méthodes utilisées et avançant des bilans chiffrés précis et terribles : 30 000 personnes tuées à Lwow, (14) 15 000 à Stanislawow, (15) 5 000 à Tarnopol, (16) 2 000 à Zloczow, (17) 4 000 à Brzezany. Des massacres ont eu lieu dans toute la Galicie orientale, à Zborow, Kolomyja, Stryj, Sambor, Drohobycz, Zbaraz, Przemslany, Kuty, Sniatyn, Zaleszczyki, Brody, Przemysl et Rawa Ruska. Le 19 juin, le Jewish Chronicle de Londres informe que des « nouvelles ont filtré des récents massacres épouvantables de Juifs dans l’Europe nazie. Quelques 85 000 hommes, femmes et enfants sont mentionnés dans les rapports manuscrits. »
Le 18 mai 1942, le New York Times publie le reportage envoyé de Lisbonne d’un correspondant de l’agence United Press, Glen Stadler, qui a été arrêté en Allemagne fin 1941, et qui est libéré dans le cadre d’un échange de ressortissants détenus. Faisant la synthèse de plusieurs rapports, il affirme que les Allemands ont abattu plus de 100 000 Juifs dans les pays baltes et presque autant en Pologne.
Au cours du mois de mai, la lettre du Bund en Pologne transmise au Gouvernement polonais, déjà évoquée, établit une liste des massacres contre les Juifs sur le territoire national, ville par ville, mois après mois. Elle est accompagnée du rapport d’Emanuel Ringelblum sur le centre d’extermination de Chelmno et l’utilisation des camions à gaz. Grâce à la persévérance des deux membres juifs du Conseil national polonais à Londres – Szmul Zygielbojm, du Bund, et le Dr. Ignacy Schwarzbart, du groupe sioniste –, ces informations nouvelles sont diffusées par la BBC le 2 juin, qui reprend le chiffre estimé de 700 000 Juifs tués mais qui ne conclue pas à la mise en place d’un programme d’extermination. (18) Une semaine plus tard, le Conseil national polonais informe officiellement les gouvernements alliés du contenu du rapport. Le 25 juin, Zygielbojm communique à la presse le texte intégral du document et il en diffuse, le lendemain, un résumé sur les ondes de la BBC. A la fin du mois, Schwarzbart, pour la section britannique du Congrès juif mondial, donne des renseignements supplémentaires au cours d’une conférence de presse. Et le 8 juillet, le Conseil national polonais réitère son avertissement aux Alliés, ajoutant qu’il dispose de nouveaux éléments prouvant que se prépare la destruction systématique des Juifs de Pologne, mais aussi de Polonais non juifs.

Emanuel Ringelblum

 Emanuel Ringelblum

Szmul Zygielbojm

Szmul Zygielbojm

Ignacy Schwarzbart

Ignacy Schwarzbart

Puis, l’O.S.S. reçoit un rapport en date du 20 juin 1942, en provenance de Lisbonne, d’un officier britannique qui s’est échappé de captivité et s’est caché pendant un certain temps dans le ghetto de Varsovie, avant d’atteindre le Portugal. Le rapport commence par ces mots : « L’Allemagne ne persécute plus les Juifs. Elle les extermine systématiquement. » L’officier britannique affirme que Himmler a rendu visite à Hans Frank au printemps pour l’informer du mécontentement de Hitler de ne pas voir les Juifs polonais disparaître suffisamment vite, (19) et que des convois sont organisés à destination de la gare de Sobibor dans l’Est du district de Lublin, (20) et que les paysans ont quitté les fermes voisines en raison de la puanteur venant d’un nouveau camp.
Les télégrammes Riegner des 10 et 11 août 1942, envoyés respectivement au Foreign Office et au Département d’Etat, donnent l’information que Hitler a ordonné l’extermination des Juifs européens par le gaz : « Reçu rapport alarmant indiquant que dans quartier général du Führer un plan a été et est discuté selon lequel totalité des Juifs dans pays occupés contrôlés par Allemagne estimée à trois et demi à quatre millions de Juifs devrait après déportation et concentration dans Est être exterminée en un seul coup de manière à résoudre une fois pour toutes question juive en Europe – stop – On rapporte que action est prévue pour automne méthodes d’exécution toujours en discussion – stop – Acide prussique a été évoquée – stop – Transmettons information sous toutes réserves son exactitude ne pouvant être confirmée – stop – Informateur considéré comme ayant rapports étroits avec les plus hautes autorités allemandes et comme communiquant nouvelles en général fiables. ». (21) Le plan est déjà alors élaboré et est appliqué depuis le second semestre 1941. Les Alliés peuvent alors traduire sans erreur le sens de la formule « solution finale de la question juive en Europe ».
Le président de l’organisation juive orthodoxe Agudath Israel World Organization, Jacob Rosenheim, à New York, reçoit le 3 septembre un télégramme d’Isaac Sternbuch, le représentant en Suisse de l’organisation : « Selon nombreuses informations authentiques issues de Pologne autorités allemandes ont récemment évacué ghetto de Varsovie et bestialement assassiné 100 000 Juifs environ. Ces massacres continuent. Les corps des victimes servent à la fabrication de savon et d’engrais artificiels. Sort semblable attend les Juifs d’autres territoires occupés déportés vers la Pologne. Suppose que seules mesures énergiques prises par l’Amérique peuvent stopper ces persécutions. Faites tout votre possible pour causer une réaction américaine et arrêter ces persécutions. » Séparément, les époux Roosevelt reçoivent une copie du message, mais aucune réaction de leur part à cet envoi n’est connue. A la demande des dirigeants juifs, qu’il reçoit le 10 septembre, Welles diligente une enquête qui conclut à l’authenticité de la plupart des révélations de Sternbuch, confirmée par de nouveaux rapports venus de Pologne (sauf sur le sujet du savon produit à partir de restes humains). Sternbuch disposait de moyens de communication clandestins presque partout dans les territoires européens soumis aux pays de l’Axe.
A la fin de septembre 1942, le Jewish Morning Journal publie des informations provenant d’un homme d’affaires suédois qui a voyagé à travers la Pologne et est passé par Varsovie, Lodz, Cracovie et Lwow, et qui a appris que la moitié des Juifs des ghettos de ces villes ont été tués. Dans son numéro d’octobre, le National Jewish Monthly, magazine de l’organisation d’entraide communautaire B’nai B’rith, affirme : « Il est à craindre que les nazis n’aient choisi de recourir au massacre à grande échelle, préférant tuer les Juifs que de s’en servir comme main-d’œuvre. » Dans un numéro spécial, bordé de noir, paru en novembre 1942, le Jewish Frontier déclare : « On est en train de mettre en application, dans les pays européens occupés, une politique dont le but avoué est l’extermination de tout un peuple. C’est une politique d’assassinat systématique de civils innocents qui, par ses dimensions, sa férocité et son organisation, est unique dans l’histoire de l’humanité. »
On le sait, le mois de novembre 1942 fut par bien des événements militaires sur les différents fronts majeurs le mois-tournant de la Seconde Guerre mondiale. Concernant la connaissance de la Solution finale en cours, l’historien américain David S. Wyman écrit : «Le 24 novembre 1942 marqua un tournant dans l’histoire de l’Holocauste. A compter de ce jour-là, les renseignements concernant le plan de Hitler pour l’anéantissement des Juifs furent à la disposition de tous ceux qui, dans le monde démocratique, désiraient savoir. » (22) Le jour où le rabbin Wise reçoit du sous-secrétaire d’Etat Welles des documents assurant que c’est bien un plan d’élimination générale des Juifs qui est à l’œuvre dans l’Europe occupée par les nazis, le gouvernement polonais à Londres, d’après de nouvelles informations transmises par la résistance polonaise, affirme que Himmler a ordonné que la moitié des Juifs polonais soient tués avant la fin de l’année 1942. (23) Les informations reçues et rendues publiques à Londres comprennent des descriptions très concrètes des convois de wagons où les Juifs sont entassés, beaucoup mourant par manque d’eau et par suffocation, acheminés vers des « camps spéciaux » à Belzec, Sobibor et Treblinka où les survivants de ces voyages sont assassinés. Le lendemain, ces informations sont reprises dans le New York Times, et à Londres Ignacy Schwarzbart déclare à la presse qu’un million de Juifs polonais ont péri depuis le début de la guerre, que « les Juifs sont gazés et à Belzec sont tués par électrocution ». Le 27 novembre, Henryk Strasburger, ministre des Finances dans le Gouvernement polonais de Londres, déclare à New York qu’« au moins un million de Juifs polonais ont été tués ».
A Londres, Szmul Zygielbojm ne cesse de relayer les informations lui parvenant sur le sort des Juifs en Pologne. Pendant les derniers mois de 1942, il continue à recevoir des messages des membres restants du Bund à Varsovie. Daté d’août 1942, il reçoit un long rapport sur Treblinka I et II rédigé par Léon Feiner (24) ; un autre, daté du 2 octobre affirme que 300 000 Juifs de Varsovie ont été tués ; un autre du 15 décembre, qu’« il reste environ 40 000 Juifs dans le ghetto ». (25) En décembre 1942, à l’occasion de la révélation de l’appel lancé aux Alliés par les représentants du Delegat à Varsovie, et acheminé à Londres par Karski, Zygielbojm déclare sur la BBC : « Si l’appel à l’aide des Juifs de Pologne reste sans effet, Hitler aura atteint l’un de ses buts de guerre – détruire les Juifs d’Europe quel que soit le résultat militaire final de la guerre. »

Léon Feiner

Léon Feiner

Au début de l’année 1943, Washington et Londres reçoivent un nouveau télégramme de Gerhart Riegner, expédié de Suisse, écrit en collaboration avec Richard Lichtheim, de l’Agence juive pour la Palestine. Il donne les informations suivantes : en Pologne, ce sont 6 000 Juifs qui sont tués quotidiennement ; Vienne est pratiquement vidée de sa population juive ; de nouvelles déportations ont lieu à Berlin et à Prague ; en Roumanie, sur 130 000 Juifs déportés vers la Transnistrie, 60 000 sont morts et les survivants sont dans le plus grand dénuement.

La réception des informations à Londres

A Londres, en septembre 1942, un député libéral, Geoffray Mander, demande au gouvernement anglais de se positionner sur l’information de l’utilisation de procédés de gazage par les Allemands contre les Juifs sur le territoire polonais. Au Foreign Office, les nouvelles parvenant de Pologne pendant l’année 1942 suscitent le scepticisme. On sait bien que les Juifs des pays de l’Axe et des pays occupés sont maltraités, mais les annonces de l’élimination physique systématique (26) rencontrent en général l’incrédulité, voire la méfiance face à des informations qui peuvent paraître comme des tentatives de manipulations des responsables occidentaux, comme celle de la fabrication de savon et d’engrais à partir des cadavres. (27)
Frank Savery, de l’ambassade de Grande-Bretagne auprès du Gouvernement polonais en exil, mène une enquête en septembre 1942 sur le témoignage des trois fossoyeurs de Chelmno évadés au mois de janvier précédent, qui a été consigné à Varsovie par le groupe de Ringelblum, et retient dans son rapport le commentaire d’un fonctionnaire du ministère de l’Information polonais qui se dit « très sceptique quant à la vérité de l’histoire tout en avouant ne pas être en mesure d’en vérifier l’authenticité ». De plus, les Polonais se plaignent de la question formulée par le député, car sa publicité peut mettre en danger les filières d’information du gouvernement polonais de Londres. L’ambassade de Grande-Bretagne auprès du Gouvernement polonais en exil en conclut qu’il faut demander au député de retirer sa question, car le gouvernement ne saurait lui donner qu’une « réponse très réservée ».
Pour Walter Laqueur, la réaction du Gouvernement britannique soulève un certain nombre de questions. Il y avait eu de nombreux autres rapports de sources polonaises et juives sur l’extermination massive menée dans toutes les régions de Pologne. En fait, le fait de pousser le député à retirer sa question traduit bien que l’on considère comme exact ces informations, mais W. Laqueur estime que les doutes portent sur le procédé des assassinats, et qu’un blocage psychologique gêne bien des responsables pour accepter de croire que les victimes étaient bien asphyxiées. (28)
Le 3 décembre 1942, le Foreign Office reçoit, par son ambassade auprès du Gouvernement polonais, du ministre de l’Intérieur, Stanislaw Mikolajczyk, un rapport traduit très détaillé sur la liquidation du ghetto de Varsovie venant d’un policier polonais en poste dans le ghetto, un autre du Delegat, sur le ghetto de Varsovie encore et sur le camp de Belzec (en fait le camp de transit d’Izbica Lubelska). (29) Tous ces documents ont été publiés en anglais et en polonais par le Gouvernement polonais en exil dans sa publication officielle, Polish Fortnigntly (1er décembre 1942). F. Savery, qui transmet le dossier au Foreign Office, annote : « J’estime que nous pouvons tenir pour vrai tout ce qui est dit dans le rapport sur les événements survenus à Varsovie et dans les localités voisines. » Mais il émet des doutes sur les informations concernant Belzec où il est évoqué que les victimes sont électrocutées. Une grande publicité a été donnée à ces informations dans la presse britannique et sur les ondes de la BBC, dans toutes les langues, pendant la semaine qui a suivi la déclaration des Nations alliées sur les crimes nazis contre les Juifs européens.
Le 7 décembre 1942, le secrétaire au Foreign Office, Anthony Eden informe l’ambassadeur britannique à Washington qu’il a à présent « peu de doute qu’une politique d’extermination progressive de tous les Juifs, sauf pour les travailleurs hautement qualifiés, soit menée par les autorités allemandes. Le gouvernement polonais a récemment reçu des rapports qui tendent à confirmer ce point de vue. Il considère ces rapports comme fiables. »

Aux Etats-Unis, les réserves du Département d’Etat et la discrétion de la Maison Blanche

Dans son édition du 1er juin 1942, le Seattle Times annonce en manchette : « Le total des Juifs assassinés s’élève à 200 000 ! ». C’est un des rares cas, pendant la Seconde Guerre mondiale, où une information concernant la destruction des Juifs d’Europe bénéficie d’un titre majeur en première page d’un journal. Les informations du rapport du Bund de mai 1942 sont reprises dans le Boston Globe, dans son édition du 26 juin, avec un titre sur trois colonnes (« Les massacres de Juifs en Pologne dépassent la barre des 700 000 morts. »), mais en bas de la page 12. Le 27 juin, le New York Times consacre cinq centimètres au rapport du Bund, reprenant les informations d’une déclaration de Zygielbojm sur la BBC la veille, et reprise par la station de radio CBS aux Etats-Unis. La conférence de presse que le Congrès juif mondial tient à Londres le 29 juin pour dresser un bilan, pays par pays, des actions menées contre les Juifs par les nazis, est couverte, pour les médias américains, par les agences Associated Press et United Press International qui en fournissent des comptes rendus complets. Mais, les journaux américains publient au plus de brèves notes. En fait, seule une petite partie des nouvelles concernant les crimes contre les Juifs atteint le public américain et les médias ne les signalent que de manière épisodique et sans développer presque toujours. Quelques revues abordent le sujet (30) et les publications chrétiennes n’en disent presque rien. Les massacres des Juifs sont présentés dans le cadre général des crimes commis par les nazis contre les populations civiles en Europe.
Dans la presse juive américaine (à New York, Day, Forward, Jewish Morning), la catastrophe est au contraire abondamment traitée évidemment. Des organisations, telles que le Congrès juif américain, le B’nai B’rith et le Jewish Labor Committee, organisent le 21 juillet 1942 (31) au Madison Square Garden, à New York, une grande manifestation pour exprimer l’indignation face aux massacres, pour sensibiliser l’opinion publique américaine et pour obtenir ouvertement un soutien des responsables politiques. L’opération est une réussite médiatique. La salle accueille 20 000 personnes, et des milliers d’autres restent à l’extérieur. Les principaux intervenants sont le rabbin Stephen Wise, le gouverneur Herbert Lehman, le maire Fiorello La Guardia, l’évêque méthodiste Francis McConnell et William Green, le président de la grande centrale syndicale AFL. Le président Roosevelt fait parvenir un message dans lequel il déclare que le peuple américain « ferait en sorte que la responsabilité des auteurs de ces crimes soit très strictement pesée au jour du jugement qui ne manquerait pas d’arriver ». Winston Churchill fait parvenir aussi un message dans lequel il affirme que « les Juifs étaient les premières victimes de Hitler ». Mais lors de cette soirée personne n’aborde le sujet d’opérations de sauvetage à entreprendre. Mais cette réunion est suivie d’autres dans le pays, à Chicago, à Los Angeles, à Milwaukee, à Cincinnati,… bien couvertes par les médias locaux. Ces manifestations contribuent à mettre fin à l’ignorance presque totale de la population américaine sur le sort des Juifs d’Europe. Devant cette montée de la prise de conscience, le président Roosevelt cependant avertit une nouvelle fois les puissances de l’Axe, le 21 août 1942, que les auteurs de crimes de guerre seront traduits en justice après leur défaite (mais sans faire aucune allusion aux victimes juives), et les gouvernements américain et britannique travaillent au projet d’une commission des Nations unies pour enquêter sur les crimes de guerre. En octobre, Roosevelt fait une nouvelle déclaration sur ce sujet, et précise que les Alliés n’auront pas recours à des représailles massives contre les populations civiles des pays de l’Axe. (32) Mais jusqu’à la fin de 1943, à l’occasion de ses conférences de presse bihebdomadaires, Roosevelt n’a jamais été interrogé sur le sort des Juifs européens et il ne l’évoqua jamais.
A la suite des révélations du 24 novembre 1942, le quotidien non juif qui informe le plus les lecteurs américains est le New York Times, mais toujours en page intérieure, à l’exception d’un article en première page sur la déclaration des Nations unies du 17 décembre. Parmi les magazines, seuls le Reader’s Digest et l’American Mercury rendent compte de l’extermination, contrairement aux grands magasines d’information comme Time, Newsweek et Life. Pour la seule fois pendant toute la durée de la Seconde Guerre mondiale, le président Roosevelt reçoit le 8 décembre 1942 (pendant une demi-heure) un groupe de dirigeants juifs américains : Stephen Wise, Henry Monsky (B’nai B’rith), le rabbin Israel Rosenberg (Union of Orthodox Rabbis), Maurice Wertheim (American Jewish Committee) et Adolph Held (Jewish Labor Committee). Le contenu des échanges est connu grâce aux notes de Held qui confirment que le président est pleinement conscient de l’existence du programme de destruction des Juifs d’Europe. La Maison Blanche autorise la publication suivante d’un communiqué de presse du groupe : « Le président est profondément bouleversé d’apprendre que deux millions de Juifs ont péri par suite de la domination et des crimes nazis […] Le peuple américain fera en sorte que la responsabilité des auteurs de ces crimes fût très rigoureusement pesée au jour d’un jugement qui ne manquera pas de venir. » Mais la perspective d’une opération de sauvetage n’est toujours pas abordée.
A l’initiative du gouvernement britannique, sous la pression de la presse, des parlementaires, des groupes juifs, de l’Eglise anglicane et du gouvernement polonais en exil, les gouvernements des Alliés publient, le 17 décembre 1942, la première reconnaissance officielle collective des rapports sur les atrocités commises en Pologne et en Europe de l’Est, spécifiquement contre les Juifs. Le pays alliés – la Grande-Bretagne, les Etats-Unis, l’Union soviétique, la Belgique, la Tchécoslovaquie, la Grèce, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Norvège, la Pologne, la Yougoslavie et le Comité national français – dénoncent « l’intention d’exterminer la communauté juive d’Europe » du gouvernement allemand et condamnent « dans les termes les plus énergiques possible cette bestiale politique d’extermination sans pitié ». Ils s’engagent à punir les responsables. Mais les partisans d’une assistance aux Juifs restent déçus, car rien sur ce sujet n’est abordé. Malgré les interventions du Département d’Etat pour limiter la portée de la déclaration, celle-ci constitue la plus vigoureuse que les Alliés aient publiée durant la Seconde Guerre mondiale au sujet des crimes commis contre les Juifs d’Europe. A la Chambre des communes le jour même, Anthony Eden fait lecture de la déclaration, énumère les crimes connus commis par les nazis contre les Juifs, assure que les coupables seront pourchassés, puis, fait exceptionnel dans l’histoire du Parlement britannique, deux minutes de silence sont respectées par les députés.
La presse américaine relaie largement la déclaration des Nations unies, en faisant l’information sur la question juive la plus couverte depuis le début de la guerre. Et comme pour appuyer la portée de cette déclaration, deux jours après, le bureau d’information des Nations unies établi à New York publie un rapport qui résume les informations les plus sûres et les plus terribles concernant le génocide en possession des Alliés : des preuves concernant les centres d’extermination de Chelmno et de Belzec, une analyse pays par pays des persécutions subies par les Juifs.
Rares sont les sondages aux Etats-Unis qui abordent pendant la guerre la question des violences faites aux Juifs européens. Une enquête Gallup du 7 janvier 1943 pose la question suivante : « On dit que 2 millions de Juifs ont été tués en Europe depuis le début de la guerre. Pensez-vous que cela est vrai ou qu’il s’agit seulement d’une rumeur ? » 47 % des personnes interrogées estiment que c’est la vérité, 29 % une rumeur et 24 % sont sans opinion. On peut estimer que dans ce dernier quart figure un grand nombre de personnes n’ayant pas connaissance des nouvelles de l’extermination, et la proportion de trois quarts des personnes interrogées ayant une opinion montre que les efforts de communication, surtout des organisations juives, avant et après la déclarations des Nations unies, n’ont pas été vains.
Au printemps 1943, des manifestations publiques comme celle de l’été 1942 se multiplient dans le pays. Le Congrès juif américain, associé aux deux grands syndicats américains (AFL et CIO), organise le 1er mars un grand rassemblement, de nouveau au Madison Square Garden, sur le thème et avec le slogan « Arrêter Hitler maintenant ! » 20 000 personnes sont présentes dans la grande salle new-yorkaise, des dizaines de milliers à l’extérieur (75 000 participants au total selon la police), pour entendre les discours de William Green, président de l’AFL, de Fiorello La Guardia, maire de New York, et de plusieurs autres personnalités non juives, ainsi que ceux de Stephen Wise et de Chaïm Weizmann (chimiste de réputation mondiale et futur premier président de l’Etat d’Israël). Un programme en onze points d’actions à mener pour des sauvetages est adopté ; le sujet est enfin ouvertement abordé.
Le 9 mars, toujours au Madison Square Garden, c’est le Committee for a Jewish Army qui présente un spectacle, (33) mêlant théâtre, récitations, musique, intitulé « Nous ne mourrons jamais », qui entend honorer la mémoire des Juifs européens assassinés, et qui bénéficie de l’engagement de professionnels renommés. Le producteur est Billy Rose, l’auteur du scénario Ben Hecht, le metteur en scène Moss Hart, le compositeur de la musique originale Kurt Weil et les principaux récitants sont les acteurs Paul Muni et Edward G. Robinson. La manifestation réunit 40 000 personnes, car les organisateurs décident de doubler la représentation le même soir, et le spectacle est retransmis en direct à la radio. D’une durée de 90 minutes, il se présente en trois temps : la contribution des Juifs à l’histoire de l’humanité, de Moïse à Einstein ; le rôle des Juifs dans les forces armées alliées ; une vision d’un monde pacifié dans lequel des Juifs morts de la main des nazis viennent raconter leur anéantissement et demander aux vivants de se souvenir d’eux. Dans tout le pays, les médias (presse, stations de radio et actualités cinématographiques) traitent largement cet événement et le spectacle est unanimement salué. Il est donné Washington, à Philadelphie, à Chicago, à Boston et à Hollywood. A Washington, il réunit plus de 100 000 spectateurs et est donné en présence d’Eleanor Roosevelt, de six juges à la Cour suprême, de membres du gouvernement, de quelque trois cents membres du Congrès, de nombreuses personnalités militaires et de diplomates étrangers.
La cause pour pousser le gouvernement américain à entreprendre des opérations de sauvetage progresse. Le 15 mars, huit organisations juives (34) créent un Comité d’urgence, le JEC (Joint Emergency Committee on European Jewish Affairs) qui se donne comme première tache d’organiser dans tout le pays de grands rassemblements comme celui du 1er mars à New York. Au cours du printemps 1943, une quarantaine de manifestations sont organisées dans vingt Etats différents, avec le soutien des sections locales des huit organisations affiliées, et souvent avec celui des Eglises chrétiennes et des sections locales des syndicats AFL et CIO. Si le succès populaire est au rendez-vous, la couverture médiatique reste limitée.
Alors que le JEC se fixe comme second objectif de pousser le Congrès à voter des mesures en faveur d’opérations de sauvetage, en Grande-Bretagne, les nouvelles concernant la destruction des Juifs et les appels aux actions de secours sont plus énergiques qu’aux Etats-Unis. C’est aussi pour diminuer cette pression que le gouvernement britannique a entamé le processus qui mène à la déclaration du 17 décembre. Mais cette déclaration, par sa réalisation, autorise en fait les partisans d’un sauvetage des Juifs d’Europe à se manifester encore plus ouvertement. En janvier, l’épiscopat anglican demande au gouvernement de prendre des mesures immédiates afin de sauver les Juifs et d’offrir un sanctuaire à tous ceux qui peuvent quitter l’Europe nazie. Un appel identique est lancé conjointement par le cardinal Hinsley, la plus haute autorité catholique du pays, le grand rabbin d’Angleterre J. H. Hertz et John Whale, le président du Free Church Federal Council. Les preuves continuent à s’accumuler.
Là encore, c’est pour lever cette pression, que les gouvernements britannique et américain acceptent d’organiser une conférence internationale sur la question des réfugiés de guerre dans les pays occupés par l’Allemagne. Mais celle-ci ne doit pas être spécifiquement consacrée au cas des Juifs européens. Elle s’ouvre à Hamilton aux Bermudes le 19 avril 1943, (35) et sans que les membres du Congrès juif mondial puissent y assister. Les discussions ne mènent à rien : les Américains insistent sur l’utilisation de l’expression « réfugiés politiques », ce qui masque la vraie nature du problème, et ils refusent d’augmenter leurs quotas d’immigration pour les réfugiés juifs (qui de plus sont loin d’être atteints depuis le début de la guerre) ; les Britanniques refusent l’ouverture de la Palestine à une nouvelle immigration juive et sont assurés du silence américain sur cette question. Toute discussion avec les Allemands sur la libération des Juifs, tout échange de prisonniers de guerre allemands contre des détenus juifs sont exclus. Les discussions portent sur la réactivation de la commission internationale pour les réfugiés, créée lors de la conférence d’Evian en 1938, mais comme toute discussion avec les Allemands est impensable, cette décision ne sert à rien et la conférence ne débouche sur aucune décision concrète. La conférence des Bermudes apparaît comme le point culminant des manœuvres dilatoires, en particulier du bureau des affaires européennes du Département d’Etat américain, sur le sujet des opérations de sauvetage pour les Juifs européens. (36)
Le désastre de la conférence des Bermudes a en fait desservi les tenants de l’inaction sur la question des sauvetages. En mai, a lieu en réaction face à l’échec de la conférence le débat officiel le plus complet sur le problème de l’extermination des Juifs jamais organisé au Congrès pendant la seconde Guerre mondiale, à la suite de la parution d’une large annonce dans le New York Times achetée par le Committee for a Jewish Army (CJA) qui accuse la conférence d’avoir été « une parodie et une cruelle plaisanterie ». Le CJA, en désaccord avec le Congrès juif américain, convoque une conférence, dite d’urgence (Emergency Conference to Save the Jewish People of Europe), à New York en juillet 1943. 1 500 personnes assistent aux séances qui ont lieu à l’hôtel Commodore entre le 20 et le 25 juillet, se répartissant dans des groupes de travail consacrés aux transports, aux négociations diplomatiques, aux affaires militaires, à la publicité, au rôle des Eglises, et la conférence profite des interventions de personnalités (La Guardia, Herbert Hoover). La conférence conclut que beaucoup peut être entrepris sans gêner l’effort de guerre des Alliés, et que la priorité est la création d’une agence gouvernementale américaine spécialement chargée du sauvetage des Juifs. Elle est transformée, avant sa clôture, en un Comité d’urgence pour sauver la population juive d’Europe (Emergency Committee to Save the Jewish People of Europe) qui reçoit le soutien ouvert du magnat de la presse William Randolph Hearst pour sa publicité. Mais malgré un contact ponctuel avec Eleanor Roosevelt, en août, la Maison Blanche reste fermée aux demandes d’entrevue du Comité d’urgence, de même qu’à la pétition de 400 rabbins du pays, qui se réunissent à Washington le 6 octobre, et qui ne peut être remise au Président.
En fait, le salut des partisans du sauvetage est venu de Suède : au mois d’octobre 1943, Danois et Suédois parviennent à sauver presque l’ensemble des 8 000 Juifs du Danemark qui sont acheminés vers la Suède, montrant au reste du monde que les sauvetages sont possibles. La conférence de Moscou, ce même mois, qui réunit pendant deux semaines les ministres des Affaires étrangères américain, britannique et russe, et qui est conclue par une sévère mise en garde contre les criminels de guerre, ne fait aucune mention de la question des Juifs européens pendant ses débats. La « contre-attaque » du Comité d’urgence intervient alors le 9 novembre, avec le dépôt simultané de la même résolution au Sénat (par le sénateur Guy Gillette) et à la Chambre des représentants (par Will Rogers et Joseph C. Baldwin) qui réclame du Président la création d’une « commission d’experts diplomatiques, économiques et militaires » chargés de faire des propositions d’actions immédiates pour sauver les Juifs encore en vie en Europe.
Dans le Gouvernement général de Pologne, cela fait quelques jours que Himmler et Globocnik viennent de clore l’Aktion Reinhard.
En janvier 1944, Roosevelt accepte de créer, au sein du ministère des Finances, un Bureau des réfugiés de guerre chargé de faciliter l’aide aux réfugiés en péril. Des Juifs de Hongrie, dans ce pays où se trouve alors la dernière grande communauté juive en Europe, ont pu bénéficier de son action.

Au-delà de l’argument répété par les gouvernements américain et britannique de garder prioritaires les objectifs militaires et de considérer que le sauvetage des Juifs le plus sûr dépendait de la rapidité de la victoire, et de l’argument moins facilement avoué de ne pas prêter le flanc à la propagande allemande accusant les Alliés de faire la guerre pour la « juiverie internationale », le facteur expliquant sans doute le mieux l’insensibilité des Alliés relève des personnes et de la culture collective. Il se trouve dans l’attitude commune de nombreux politiciens, fonctionnaires, diplomates et personnels militaires américains et britanniques, allant de l’incrédulité à l’apathie, manifestant opportunisme de groupe ou préjugés. N’oublions pas que les pensées et les propos antisémites étaient communs dans le monde d’avant la Shoah.

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(1) Ce texte propose la synthèse d’informations tirées des ouvrages de référence sur ce que les Britanniques et les Américains savaient de l’exécution de la « Solution finale » (ce sont les éditions françaises qui sont citées ici quand elles existent) : Arthur D. Morse, Pendant que six millions de Juifs mouraient, Paris, Robert Laffont, 1968, 368 pages ; Bernard Wasserstein, Britain and the Jews of Europe, 1939-1945 (second edition), Leicester University Press et Jewish Policy Research, 1999, 352 pages (1979 pour la première edition par Oxford University Press et l’Institute of Jewish Affairs) ; Walter Laqueur, Le terrifiant secret. La « solution finale » et l’information étouffée, Paris, Gallimard, collection Témoins, 1981, 290 pages ; David S. Wyman, L’abandon des Juifs. Les Américains et la solution finale, Paris, Flammarion, 1987, 468 pages ; David Engel, In the shadow of Auschwitz. The Polish Government-in-Exile and the Jews, 1939-1942, The University of North Carolina Press, 1993, 342 pages ; David Engel, Facing a Holocaust. The Polish Government-in-Exile and the Jews, 1943-1945, The University of North Carolina Press, 1987, 320 pages ; Richard Breitman, Secrets officiels. Ce que les nazis planifiaient, ce que les Britanniques et les Américains savaient, Paris, Calmann-Lévy/Mémorial de la Shoah, 2005, 368 pages ; Laurel Leff, Relégué en page 7. Quand le New York Times fermait les yeux sur la Shoah, Paris, Calmann-Lévy/Mémorial de la Shoah, 2007, 464 pages ; Les informations du site Aktion Reinhard Camps (ARC – www.deathcamps.org) ont aussi été utilisées.

(2) Cf : R. Breitman, op. cit., 2005.

(3) Government Code and Cypher School, ancêtre du service de renseignement électronique britannique.

(4) Par ailleurs, le 20 août 1942, The New York Times, rapportant des informations publiées dans l’édition de la veille du quotidien France Soir, déclare que les Juifs de France sont déportés en Silésie polonaise. A cette date, 21 convois étaient déjà partis de France, depuis mars 1942, tous à destination d’Auschwitz-Birkenau.

(5) W. Laqueur, op. cit., p. 134.

(6) W. Laqueur, op. cit., p. 93.

(7) Florent Brayard, Auschwitz, enquête sur un complot nazi, Paris, Le Seuil, 2012.

(8) Au Département d’Etat, la section des Affaires européennes ne retient pas les révélations de Riegner car elles sont jugées comme totalement incroyables.

(9) David S. Wyman, op. cit., p. 79. L’historien américain écrit plus loin : « Le 24 novembre 1942 marqua un tournant dans l’histoire de l’Holocauste.

(10) Karski est arrêté et torturé par la Gestapo pendant sa deuxième mission, en juin 1940.

(11) Jan Nowak a publié ses mémoires à Londres en 1979. Pour l’édition française : Jan Nowak, Courrier de Varsovie, Paris, collection « Témoins », Gallimard, 1983.

(12) Sur le territoire du Warthegau, annexé au Reich.

(13) Dans un numéro spécial, le 5 août 1942 du périodique du Jewish Labour Bund, The Ghetto speaks, puis dans le quotidien new yorkais Jewish Frontier, et plus tard dans l’ouvrage réalisé par The American Federation for Polish Jews, The Black Book of Polish Jewry, publié en octobre 1943 (pp. 115-119).

(14) Ces bilans chiffrés de victimes intègrent en fait les déportations vers Belzec quand elles ont déjà concerné ces villes au printemps 1942 Pour Lwow, le chiffre est exact. Les pogroms répétés du mois de juillet 1941 (menés par des nationalistes ukrainiens, à l’arrivée des Allemands et avec la collaboration d’une unité de l’Einsatzgruppe C dans la ville, et à la fin du mois à l’occasion des « journées de Petlioura ») ont fait 6 000 victimes environ, puis le transfert des Juifs dans la ville vers le quartier du ghetto s’est accompagné de 5 000 nouveaux assassinats sur le pont de la rue Peltewna, et entre le 16 mars et le 1er avril, 15 000 personnes ont été raflées et envoyées à Belzec. Soit, à la fin du printemps 1942, un total d’environ 26 000 victimes juives à Lwow depuis le début de l’occupation allemande, onze mois auparavant (sur 160 000 Juifs présents dans la ville avant l’offensive de juin 1941).

(15) Ce chiffre semble exact : sur une population juive avant l’été 1941 d’environ 40 000 personnes, les Allemands exécutent environ un millier parmi les élites sociales de la communauté en août 1941, puis la grande action du 12 octobre 1941 consiste en l’exécution de 10 000 personnes dans le cimetière juif de la ville, et la deuxième grande action du 31 mars 1942 entraîne la mort de 5 000 autres Juifs (envoyés à Belzec pour la plupart, tués dans le ghetto ou noyés dans la rivière Bystrzyca).

(16) A l’arrivée de la Wehrmacht, les Allemands et les Ukrainiens massacrent dans Tarnopol 5 000 Juifs entre le 4 et le 11 juillet 1941. Le 23 mars 1942, 700 Juifs sont emmenés dans la forêt de Yanovka et y sont exécutés.

(17) Les Allemands sont arrivés à Zloczow le 2 juillet, et à partir du 4 juillet, pendant trois jours, les Ukrainiens massacrent 3 000 personnes parmi la population juive de la ville qui compte de plus de 7 000 personnes.

(18) Dans son journal, Emanuel Ringelblum, à Varsovie, note que pour la première fois la BBC a évoqué des massacres de Juifs de grande ampleur en Pologne et a mentionné le nombre des victimes : 700 000.

(19) C’est lors de sa visite à Krüger et à Globocnik du 19 juillet 1942, que Himmler donne l’ordre d’accélérer la destruction des Juifs dans le Gouvernement général et de la terminer pour la fin de l’année. Selon son agenda, sa précédente visite à Cracovie et à Lublin date du 14 mars 1942, soit juste avant le démarrage de l’Aktion Reinhardt. Cf : Der Dientskalender Heinrich Himmler 1941-1942, éd. Christians, Hamburger Beiträge zur sozial- und Zeit-Geschichte, 1999.

(20) Le premier convoi à destination du centre de mise à mort de Sobibor est parti de Komarow (au sud-est de Zamosc), avec 2 000 personnes, le 3 mai 1942.

(21) Florent Brayard reprend le texte du télégramme reproduit dans l’article de Christopher Browning, « A Final Hitler Decision for the « Final Solution »? The Riegner Telegram Reconsidered », in Holocaust and Genocide Studies, vol. 10, n° 1, automne 1996, p. 3.

(22) David S. Wyman, op. cit., p. 90.

(23) Son ordre du 19 juillet 1942 porte en fait sur la totalité des Juifs polonais.

(24) Le texte de Feiner décrivant Treblinka II (le centre de mise à mort) a été reproduit, sous l’anonymat, dans The Black Book of Polish Jewry, op. cit., 1943 (chapitre 9 du livre). Fin juillet 1942, après seulement une semaine de fonctionnement, la nature exacte et les détails du fonctionnement du centre de Treblinka étaient connus dans le ghetto de Varsovie et de la résistance polonaise.

(25) 50 à 60 000 avant l’insurrection du printemps 1943.

(26) En mai le message du Bund sur Chelmno, en juillet l’information de l’Agence télégraphique juive sur les déportations des Juifs du ghetto de Varsovie, et en août le télégramme Riegner sur le plan d’extermination et les gazages.

(27) Information figurant dans télégramme de l’Agudath Israel reçu à Londres le 11 septembre 1942.

(28) W. Laqueur, op. cit., p. 268.

(29) Il s’agit des informations récoltées par Karski qui ont précédé de quelques jours son arrivée à Londres.

(30) De façon régulière pendant toute la guerre pour les périodiques libéraux Nation et New Republic

(31) Choisie pour des motivations différentes de part et d’autre de l’Atlantique, cette date, qui était cette année-là la veille de la commémoration de la destruction du Temple de Jérusalem, est celle où les Allemands annoncent à Adam Czerniakow le début de la déportation des Juifs du ghetto de Varsovie vers l’Est.

(32) Ce qui répond – avant l’heure – à la demande formulée par les deux membres de la Delegaturat rencontrés par Karski dans l’enceinte du ghetto de Varsovie.

(33) Mais en désaccord avec les dirigeants juifs qui avaient préparé la soirée du 1er mars 1943.

(34) L’American Jewish Committee, l’American Jewish Congress, le B’nai B’rith, le Jewish Labor Committee, le Synagogue Council of America, l’Agudath Israel of America, l’Union of Orthodox Rabbis (une organisation très proche de l’Agudath Israel), et l’American Emergency Committee for Zionist Affairs (un groupe de pression politique représentant plusieurs organisations sionistes). Non reconnu par les grandes organisations communautaires, le Committee for a Jewish Army (CJA) n’est pas inclus dans ce Comité d’urgence, bien qu’il ait demandé d’en faire partie.

(35) Le hasard fait qu’il s’agit aussi du premier jour de l’insurrection du ghetto de Varsovie.

(36) Le suicide de Szmul Zygielbojm à Londres, le 12 mai 1943, est la conséquence directe de l’inaction des délégations à la conférence des Bermudes et le geste ultime et désespéré de ses propres efforts pour alerter le reste du monde depuis près d’un an alors.

L’Aktion Reinhard en Galicie orientale à la lecture des rapports des commissions d’enquête soviétiques

 

Cet article est paru dans la Revue d’histoire de la Shoah n° 197, octobre 2012.005

 

 

Les commissions d’enquête (CES), outil du projet judiciaire des Soviétiques

Le 2 novembre 1942, le gouvernement soviétique créa par décret la Commission d’État extraordinaire pour enquêter sur les crimes et délits commis par les Allemands, leurs alliés et leurs auxiliaires sur le territoire envahi de l’URSS. L’annonce en fut faite le 4 novembre dans la Pravda. Le nom officiel de cette commission était : « Commission gouvernementale extraordinaire pour l’établissement et l’investigation des crimes commis par les occupants fascistes allemands et par leurs complices, et des dommages provoqués par eux à l’encontre des citoyens, des paysans, des organisations sociales, des entreprises d’État et des administrations de l’URSS ».
C’est dès 1941 que l’idée de créer une telle commission avait émergé parmi les dirigeants du Parti communiste d’Union soviétique (PCUS). Il s’agissait à la fois d’alimenter la propagande en faisant connaître le plus largement possible les crimes commis sur le territoire soviétique, et d’entamer des investigations pour des procès que l’on comptait bien entreprendre une fois la guerre finie. L’idée était aussi de préparer, à partir de faits avérés, de futures demandes de réparations. À ce propos, les dirigeants soviétiques se souvenaient des fins de non recevoir après la Première Guerre mondiale. Cette création s’inscrivait aussi dans le contexte de réflexions et de déclarations des Alliés depuis le début de l’année 1942 pour juger, une fois le conflit achevé, les criminels de guerre.
Nathalie Moine (1) rappelle qu’en URSS, « la commission [n’était] pas seule sur ce terrain ». En décembre 1941, le Comité du Parti de la ville de Moscou créa une commission pour l’Histoire de la défense de la ville, et, en 1943, le département de la Propagande du Comité central institua la commission pour l’Histoire de la Grande Guerre patriotique auprès du praesidium de l’académie des Sciences. Par ailleurs, depuis le début de la guerre, la direction politique de l’Armée rouge collectait les informations qu’elle transmit, à partir de novembre 1942, à la Commission d’État extraordinaire. Et à partir de 1943, Ilya Ehrenbourg et Vassili Grossman commencèrent leurs travaux à la tête de la commission littéraire du Comité antifasciste juif, composé d’une quarantaine de collaborateurs, pour l’élaboration du Livre noir.
La Commission d’État extraordinaire était dirigée par Nikolaï Chvernik, président du Conseil central des unions syndicales, et l’on trouvait parmi ses membres surtout des universitaires et des académiciens, comme Nikolaï Bourdenko (neurochirurgien et chirurgien en chef des Armées), Boris Vedeneiev (spécialiste en énergie hydroélectrique), Trofim Lyssenko (directeur de l’académie des Sciences agronomiques de l’URSS), le juriste constitutionnaliste Iliia Trainin, l’historien Evgueni Tarle, ainsi que des personnalités comme Andreï Jdanov, responsable de l’idéologie au sein du Bureau central du Parti, le pilote de chasse Valentina Grizodoubova (décorée du titre d’Héroïne de l’URSS), l’écrivain Alexis Tolstoï et le métropolite de Kiev et de Galicie. La structure de la Commission était pyramidale et hiérarchique : sous le contrôle de la Commission d’État extraordinaire se trouvaient des commissions d’enquête au niveau des Républiques soviétiques, puis des régions (oblasts), enfin des districts, des villes et des soviets ruraux. Au niveau local, elles se créèrent au fur et à mesure de la reconquête et se composèrent des nouveaux cadres du Parti désignés, des responsables de soviets ou de kolkhozes.
Les commissions d’enquête soviétiques devaient intervenir rapidement après la libération des territoires pour établir des actes à partir des dépositions des témoins oculaires, de l’analyse de preuves matérielles, des ouvertures et inspections des fosses communes localisées, d’autopsies de cadavres, et même d’interrogatoires de prisonniers de guerre. Des listes nominatives de responsables parmi les Allemands et, parmi la population, de collaborateurs, devaient être établies aussi. Cette documentation servirait à l’accusation dans le cadre de futurs procès. Elle fut aussi rendue largement publique pendant la guerre, dans la presse à grand tirage (les Izvestia et la Pravda), sous la forme de brochures, afin de jouer son rôle de contre-propagande. Ainsi les commissions produisirent-elles plus de 4 millions d’actes officiels, comptabilisant plus de 10,6 millions de victimes civiles et prisonniers de guerre sur le territoire soviétique, environ 4 millions de personnes déportées dans le Reich pour y travailler, 76 264 criminels de guerre originaires du Reich, 41 749 alliés du Reich, et 34 525 collaborateurs soviétiques. (2) Ce sont elles qui ont alimenté en documents les services du procureur soviétique devant le Tribunal militaire international de Nuremberg.
Les comptes rendus de la Commission d’État extraordinaire ont souffert de l’utilisation mensongère et des falsifications qu’en firent les autorités soviétiques, comme dans le cas du massacre des officiers polonais à Katyn, pour lequel la Commission fut directement saisie. Mais les travaux des commissions locales sont certainement à regarder avec moins de suspicion, car en recherchant au plus vite les coupables et en identifiant les victimes, ils participent du projet prioritaire de rétablir le pouvoir soviétique. Nathalie Moine affirme qu’« au-delà des apories du travail de la Commission, elle a permis au niveau local l’expression à chaud d’un récit beaucoup plus riche et contrasté de l’occupation que ne le laissèrent filtrer les synthèses officielles publiées par le pouvoir. Ainsi, la destruction des communautés juives, la collaboration, les dénonciations et compromissions des uns et des autres, les conflits ethniques internes à la population soviétique sont autant de thèmes qui affleurent volontiers dans les documents locaux de la Commission ». (3)

La Galicie orientale dans la Shoah

Province de l’empire austro-hongrois avant la Première Guerre mondiale, la Galicie orientale avait été intégrée à la Pologne par le traité de Riga de 1921, puis envahie par les troupes soviétiques en septembre 1939 et intégrée à la République socialiste soviétique d’Ukraine le 1er novembre 1939. Selon le recensement polonais de 1931, 778 000 Juifs vivaient dans la partie sud-est du pays qui allait être intégrée à la RSS d’Ukraine huit ans plus tard, (4) et face à l’avancée des troupes allemandes en Pologne, ce sont environ 300 000 Juifs polonais qui se réfugièrent à l’Est, dans les territoires envahis par les Soviétiques à partir du 17 septembre 1939. La Galicie orientale comptait entre 500 000 et 600 000 Juifs lors de l’invasion allemande de juin 1941. (5) Lwow et ses environs avaient vu arriver environ 100 000 Juifs polonais des régions du pays passées sous contrôle allemand, et le nombre de Juifs à Lwow même était passé d’environ 110 000 en 1939 à 160 000 en 1941. (6) Après le passage du Heeresgruppe Süd de von Rundstedt (le 9 juillet 1941, la XVIIe Armée de von Stülpnagel se trouvait à 70 km à l’est de Tarnopol), les voïvodies polonaises de Lwow, Tarnopol et Stanislawow passèrent sous administration civile allemande et furent intégrées au Gouvernement général de Pologne, constituant un cinquième district administratif, celui de Galicie, avec Lwow comme capitale. Karl Lasch, un proche de Hans Frank, en fut nommé gouverneur, et le SS-Grupenführer Friedrich Katzmann prit le commandement de la SS et de la Police du district, après avoir occupé le poste de SSPF dans le district de Radom où il avait supervisé l’expulsion et l’asservissement des Juifs, le pillage de leurs biens et l’établissement de deux ghettos à Radom. (7)
À la fin des trois années de l’occupation allemande, on ne comptait plus que 15 000 Juifs environ en Galicie orientale, soit 3 % de la population juive du district de 1941. (8) Les victimes juives de cette région représentent environ un dixième des victimes de la Shoah. Si l’on reprend les chiffres retenus par Dieter Pohl, qui affirme que 126 000 Juifs de Galicie orientale furent acheminés à Belzec pour y être tués, (9) le territoire du district de Galicie fut un tombeau pour environ 400 000 Juifs, essentiellement exécutés par balles en marge des agglomérations, dans les cimetières juifs des communes, dans les ghettos lors des Aktionen menées contre ceux-ci, dans des camps de concentration (comme celui de Janowska qui évolua en lieu d’extermination systématique), ou encore dans de nombreux camps de travaux utilisés par des industriels allemands et par la SS (comme les 21 camps sur la route stratégique DG4 qui traverse le district d’ouest en est, que Katzmann cite dans son rapport envoyé au HSSPF Krüger le 30 juin 1943). (10) Yitzhak Arad, qui a comptabilisé les Juifs galiciens transportés à Belzec, arrive à l’estimation haute d’environ 280 000 déportés, ce qui porte son estimation à environ 320 000 Juifs tués sur le territoire du district de Galicie. (11)

Un schéma type pour la destruction des communautés juives

La Galicie orientale fut libérée par l’Armée rouge entre mars et juillet 1944, (12) et les commissions d’enquête y travaillèrent dans la seconde moitié de l’année 1944 et au début de 1945. Notre étude (13) porte sur les rapports des commissions d’enquête soviétiques locales dans dix des quatorze arrondissements (Kreise) établis par les Allemands dans le district de Galicie. (14) Le corpus retenu totalise 231 dépositions faites par des citoyens soviétiques, des Ukrainiens le plus souvent, des Polonais, quelques étrangers (un Français et un Américain…) ; il comprend les témoignages de 55 Juifs survivants, souvent les plus précis sur la Shoah. Si la date de naissance et le lieu de résidence du témoin interrogé sont presque toujours mentionnés ; plus rares sont les informations sur sa profession, son milieu social, voire sur le nombre de ses années d’études et de ses emplois avant et pendant l’occupation allemande (la profession est indiquée dans 73 cas seulement). Il apparaît qu’assez peu de paysans ou ruraux furent interrogés (quatre journaliers, un forestier, un cantonnier), et que les témoins résident dans les principales villes du district (Lwow, Tarnopol, Stanislawow, Stryj, Czortkov, Rawa Ruska, etc.). On compte moins d’artisans (13) et d’ouvriers (8) que de directeurs d’usines, d’ateliers ou de services d’État locaux (14) ou encore d’ingénieurs ou de cadres travaillant dans des usines ou dans des institutions (11). Des employés de services d’administrations ou d’usines (5), des étudiants (3) et des personnels du secteur de la santé (7) furent aussi interrogés. On peut lire les dépositions de collaborateurs du NKVD (3), de femmes au foyer (2) et d’un prêtre orthodoxe. La non appartenance au Parti est parfois indiquée (par la formule « sans parti »), mais il semble que les enquêteurs aient délibérément choisi d’entendre de nombreux responsables et cadres économiques ou administratifs locaux ; ils allaient trouver avec ces témoins l’assurance d’un récit des faits conforme à certaines attentes. Par ailleurs, le faible nombre de ruraux dans ce panel traduit-il une méfiance à l’égard des populations rurales polonaises ou ukrainiennes de la région, jugées parfois accommodantes avec l’occupant allemand ? Ces populations hostiles sont celles qui attendaient alors de subir la nationalisation et la collectivisation de leurs exploitations dans cette région qui repassaient sous contrôle soviétique après l’épisode de son intégration à la RSS d’Ukraine pendant vingt mois avant l’offensive de l’Axe de juin 1941.
Cette sélection des témoins est à rapprocher du constat que, pour une même commune, et donc pour une même commission d’enquête, les récits sont structurés de façon similaire : ils répètent le plus souvent les mêmes chiffres de victimes, les mêmes noms de collaborateurs et d’auxiliaires des nazis. Ils diffèrent parfois sur le décompte des actions locales menées contre les Juifs entre l’été 1941 et l’été ou l’automne 1943. Mais en les associant, les enquêteurs aboutissent à une « première » histoire des violences et massacres perpétrés contre les communautés juives de Galicie qu’ils synthétisent dans des actes datés, présentés à la suite de la série des témoignages locaux. Se dessine ainsi un schéma général, propre à la Galicie orientale, où l’arrivée des Allemands (fin juin ou tout début juillet 1941) fut juste précédée ou immédiatement suivie de pogroms importants pouvant durer jusqu’à trois jours, perpétrés par des Ukrainiens antisoviétiques, nationalistes, antisémites, désireux de se venger des judéo-bolcheviques, après la découverte de très nombreux morts dans les cours et les prisons des locaux abandonnés du NKVD (à Lwow et à Tarnopol, par exemple). Des dépositions mettent au jour des pogroms jusque dans les petits villages, motivés avant tout par le pillage. À Opoka (à 10 kilomètres à l’ouest de Borislav), le témoin Dourbak raconte :

« En juin 1941, lors de l’invasion des fascistes allemands, des familles juives sont allées se cacher dans la forêt. Une bande de nationalistes ukraino-allemands dirigés par Ivan Grigorievitch Kholmine et Grin Vassilievitch Doub ont cherché les Juifs qui se cachaient dans la forêt et, en un jour, ils en ont fusillé 40. Ensuite, ils se sont partagé leurs vêtements et leurs biens entre bandits. » (15)

À Bistritsa, à une cinquantaine de kilomètre à l’est d’Uzhorod (en Ruthénie subcarpartique, c’est-à-dire en dehors des limites de l’ancien Gouvernement général, région intégrée à l’Ukraine officiellement en juin 1945 aux dépens de la Tchécoslovaquie), un témoin rapporte :

« [Les nationalistes ukraino-allemands] ont enfermé les Juifs arrêtés dans une grange en bois et ils y ont mis le feu. La grange appartenait au citoyen Berchtein. Quand [elle] a été entièrement saisie par les flammes, une fillette de 12 ans s’en est échappée, en sautant. Mais l’un des bandéristes nationalistes ukraino-allemands, Stéfan Vassiliévitch Piliak, lui a tiré dessus avec son fusil et l’a blessée. Il a saisi la fillette et l’a jetée dans le brasier. Huit personnes ont péri dans l’incendie. » (16)

Début juillet 1941, plusieurs personnes appartenant à l’élite sociale des communautés sont regroupées dans le cimetière juif de la ville, dans des entrepôts ou des usines désaffectées, ou souvent encore dans un champ ou une clairière à quelques kilomètres à la sortie de la commune, pour y être assassinées. Les unités allemandes (non identifiées dans les rapports) sont les Kommandos de l’Einsatzgruppe C, qui opèrent par exemple à Lwow (Lemberg), à Tarnopol, à Dobromil. (17) À Rudky (au sud-ouest de Lwow), un survivant juif, Laïb Samouïlevitch Teil, raconte :

« Les Allemands sont arrivés à Rudky le 27 juin 1941. Cinq ou six jours plus tard – je ne me souviens pas exactement de la date –, tous les hommes juifs ont été rassemblés sur la place centrale et mis en rang par deux. Un major de la Gestapo de Rudky, dont j’ignore le nom, est arrivé. Son rôle était de faire ôter à ces hommes les vêtements qui correspondaient à ses goûts et de les tuer. Le major de la Gestapo a regardé le rassemblement et il a dit en allemand : « Que ceux qui sont de l’intelligentsia lèvent la main. » Environ 100 personnes ont levé la main, mais le major en a choisi seulement 39, ceux qui étaient bien habillés, c’est-à-dire ceux qui portaient un complet et des chaussures. Le major a demandé à ces 39 personnes de sortir du rang. Quand ils sont sortis, on les a fait monter dans des véhicules, il y en avait 2, et on les a conduits au village de Gochany, dans le district de Rudky. À l’ouest de Gochany, il y a un petit bois que les gens du lieu appellent « Béréziny ». Ils y ont été fusillés, puis on les a dépouillés de leurs vêtements. On a pris aussi les montres, les bagues en or, l’argent si c’était de l’or, et on a arraché les dents en or à ceux qui en avaient. Le raisonnement du major [nom illisible] de la Gestapo était que ceux qui sont bien habillés sont des gens très qualifiés, des avocats, des juges, etc. Leurs employés sont tombés eux aussi dans le groupe des 39 fusillés parce qu’ils étaient eux aussi correctement habillés. Ce fut le cas, par exemple, d’un cordonnier de Rudky nommé Markous. » (18)

L’acte établi pour la ville de Kalusz le 14 mai 1945 rapporte :

« Les 23-25 août 1941, une Aktion a été menée à Kalusz. Un groupe d’hommes de la Gestapo dirigé par le chef de la Gestapo de Stanislawow, Kriguer, sont arrivés de Stanislawow. Avec l’aide de leurs complices, à savoir de la police de la ville de Kalusz dirigée en ce moment par [nom illisible] – fils du prêtre du village de Nistow –, ils ont raflé la plupart des habitants aisés et des représentants de l’intelligentsia de la ville de nationalité juive : 1. Le Dr. Pemlikh, 2. Le Dr. Guefel, 3. L’avocat Finkelchtein, 4. L’avocat Sokal, 5. L’ingénieur Finkel, 6. L’instituteur Chpats, 7. Le Dr. Vasserman, 8. Le Dr. Aïzenbroukh, 9. Le Dr. Nadel, 10. L’instituteur Chtraoussova et beaucoup d’autres, avec leurs familles, 380 personnes au total. Après les avoir complètement pillés, frappés et leur avoir fait subir d’autres humiliations, ils les ont chargés, à peine vêtus, dans des camions et les ont emmenés vers la fosse qu’ils avaient préalablement préparée. La fosse se trouvait à 3 km de la ville, dans un bois, en contrebas du chemin de fer, près [du lieu-dit] « Berezina ». Là, ils les ont tous fusillés. » (19)

Par ailleurs, dès juillet, des Judenräte furent organisés par les Allemands dans les communes. Au mois d’août, quand l’administration civile du Gouvernement général commença à assurer la direction du nouveau district, les premières restrictions furent édictées : recensement des Juifs, port obligatoire du brassard blanc marqué de l’étoile de David en bleu, déménagement des Juifs. Elles affectèrent, dans le cas des principales communes, un nombre restreint de rues, sans qu’il ne s’agisse à chaque fois déjà de la mise en place des ghettos fermés. Ceux-ci ne furent constitués et clos le plus souvent qu’entre août et décembre 1941, mais aussi en 1942, pendant les opérations de déportation vers Belzec. Des camps de travaux, véritables réservoirs de main d’œuvre pour des entreprises allemandes qui commençaient à s’installer, furent créés pendant la même période (le camp de la rue Janowska à Lwow, ouvert en octobre 1941). Des massacres ponctuels, mais déjà d’envergure eurent lieu par fusillade, toujours sur les mêmes sites (deux ou trois le plus souvent), entre l’automne 1941 et le début du printemps 1942. (20)
Au mois de mars 1942, avec le début de l’Aktion Reinhard et l’organisation des premiers convois pour Belzec, les premières grandes opérations furent menées dans les principales villes du district (Lwow, Stanislawow, Drohobycz, Rawa Ruska). Des milliers de Juifs furent brutalement arrachés à leurs habitations, rassemblés et amenés à la gare où on les entassa dans des wagons – 80 à 200 personnes par voiture, selon les témoignages. Les enquêtes révélèrent que les principales opérations de « déplacement », et les plus meurtrières, eurent eu lieu entre août et novembre 1942, plus rarement en décembre, c’est-à-dire pendant la deuxième phase de fonctionnement du centre de mise à mort de Belzec. (21) Ces jours-là, la majorité des victimes furent déportées, mais des groupes importants furent menés sur les sites habituels pour y être assassinés. Pendant cette période, ces sites étaient toujours utilisés entre deux Aktionen pour organiser des convois à destination de Belzec. Les populations juives venant de localités moins importantes, quand elles n’étaient pas exécutées sur place, furent alors déplacées vers les principaux ghettos pour être déportées, lesquels étaient alors conçus avant tout comme des enclos pour faciliter les opérations telles qu’elles étaient menées à cette époque. Par ailleurs, tous les témoignages confirment les épidémies qui y ravageaient la population enfermée. De nouvelles exécutions, par balles, eurent lieu dans tout le district en janvier 1943, avant qu’ait lieu la liquidation finale des ghettos et des communautés juives, entre mai et juillet 1943. Les rapports de ces comités d’enquête soviétiques témoignent aussi des opérations de dissimulation entreprises par les bourreaux, notamment dans le cadre de l’opération 1005. Favel Gergovitch Ach, un survivant juif, explique que

« lorsque les Allemands sont arrivés à Lwow en 1941, le général de la police a donné l’ordre que toute la population juive soit envoyée dans un camp rue Janowska. […] Après m’être enfui, j’ai vécu dans le camp de la rue Zamarstynivska. […] J’ai été à nouveau envoyé au camp de la rue Janowska, le 15 avril 1943. J’y suis resté jusqu’au 17 juin 1943. J’avais été condamné à être fusillé mais finalement, on m’a chargé de faire brûler des corps de victimes. » (22)

Les rapports révèlent aussi qu’il existait de nombreux documents photographiques sur les liquidations des ghettos et des communautés juives qui appartenaient aux habitants, qui avaient disparu à l’arrivée des troupes soviétiques ou avaient été réquisitionnés par elles. Dans sa déposition du 2 décembre 1944, à Drohobycz, le survivant Issak Ioudovicth Liber rapporte :

« À Drogobytch vivait un photographe juif du nom de Valtberg. Il était en camp avec moi. Il m’a raconté qu’il a fait des copies de photographies et de films de différentes exécutions et atrocités commises par les Allemands sur les populations civiles. J’ai moi-même vu chez lui une photo où l’on voit des scènes de pendaisons et des exécutions, environ 500 personnes entièrement nues, et toute une série d’autres clichés. Il m’a dit qu’il en avait environ 1 000 et qu’il les avait donnés à garder à quelqu’un de sûr. Il ne m’a pas dit de qui il s’agissait. Il a ajouté que les photos seraient entières et qu’on pourrait les reprendre à n’importe quel moment. » (23)

Informations et limites des rapports des commissions d’enquête

Les récits et les actes rédigés fixent pour chacune des communes inspectées que nous avons étudiées une chronologie générale et des bilans ponctuels du nombre des victimes, plus rarement un chiffre global pour une municipalité. Les rapports donnent les chiffres des victimes par milliers. Lorsque des divergences apparaissent dans des témoignages, ce peut être parce que l’événement concerné a été omis par les rédacteurs dans la synthèse des investigations. (24) Les termes ou formules employés sont parfois imprécis : les unités de tuerie sont les « fascistes allemands » et les victimes juives ne sont que des «civils ». (25) Assez rarement, les récits généraux sur le devenir des communautés font une place à la présentation de destins individuels ; l’enquêteur s’attarde alors un peu sur l’évocation par quelques survivants du génocide de la disparition de leurs proches. Parmi les dépositions enregistrées le 9 décembre 1944 à Drohobycz, Samouïl Davidovitch Rozenberg, âgé de 44 ans, raconte :

« Je suis né dans une famille ouvrière du district de Medinitchi. Je suis agronome. J’ai d’abord travaillé au village, puis après avoir épousé une jeune femme de la ville, je suis allé m’établir à Drohobycz où ma femme avait un logement. Je travaillais comme vendeur dans un magasin. En 1941, les Allemands ont envahi Drohobycz. Ils ont procédé à des purges sommaires à l’encontre des civils, en particulier les Juifs. Je suis juif moi-même. Pour cette raison, sans aucun autre motif, les Allemands ont fusillé ma femme et mon fils âgé de trois ans en 1942. Ma famille a été conduite à Bronitsa et y a été fusillée. J’ai ainsi perdu vingt-neuf membres de ma famille. » (26)

Parmi les dépositions enregistrées le 8 janvier 1945 à Truskavets (27) (région de Drohobycz), Helena Moïseevna Fousseva, âgée de 39 ans, rapporte :

« Je ne peux rien dire d’autre à propos des exactions qui ont eu lieu à Truskavets. Quand ma famille était à Drohobycz, j’ai vu les massacres barbares des gestapistes à l’encontre des civils innocents. Ma famille, comme toutes les familles juives, a été transférée au ghetto. Avec ma fille âgée de 13 ans, je travaillais aux bâches. C’est sans doute ce qui nous a sauvé la vie, à ma fille et à moi, alors que mon mari a été embarqué au moment de la liquidation du ghetto et que nous ne l’avons jamais revu. De toute évidence, il a été fusillé à Bronitsa comme tous les autres. Tous les jours, on faisait sortir les gens du ghetto par groupes entiers pour les fusiller. » (28)

Certains témoignent de martyrs individuels dans leur ville. Parmi les dépositions enregistrées le 8 décembre 1944 à Borislav, Siguismount Adolfovitch Moussial, un citoyen polonais de 38 ans, directeur du dispensaire municipal, raconte :

« Pendant toute la durée de l’occupation allemande, dès 1941, le typhus a fait des ravages dans la ville. Deux hôpitaux furent organisés pour les personnes infectées, l’un pour les Juifs, l’autre pour le reste de la population. L’hôpital pour Juifs était situé au n° 5 de la rue de Drohobycz : en 1942 les gestapistes dirigés par Guidebrand et Gabriel ont fait irruption, complètement ivres, dans l’enceinte de l’hôpital et ils se sont mis à tirer sur les Juifs malades du typhus qui étaient hospitalisés. Les plus jeunes et le personnel médical se sont éparpillés en courant et les malades qui pouvaient marcher se sont enfuis, mais ceux qui étaient gravement atteints ont été fusillés dans leur lit. Je ne sais pas combien ils étaient. Les gens de la Gestapo ont raflé le docteur Taïsser à Drohobycz et l’ont fusillé. Le docteur Rouderfer Esthera était pédiatre, elle a été emmenée à Belzec où elle a été fusillée. Le docteur Dorfeld a été embarqué en même temps que le docteur Rouderfer. Le docteur Virzberg a été fusillé à Podbouj. Le docteur Masser a été emmené vers une destination inconnue. Le docteur [nom illisible] Maxim a été conduit à Plaszow, près de Cracovie. C’était le médecin le plus âgé de Borislav, il avait 75 ans. […] Au début de l’occupation, en juillet 1941, le pouvoir allemand a dressé les Ukrainiens contre les Juifs. Ils ont rassemblé les Juifs sur la grand-place et ils se sont mis à tuer ces citoyens désarmés à coups de bâtons. Parmi les Juifs tués, il y avait des Polonais, dont un militant clandestin, le communiste polonais Drefits et le komsomol Tynnianski. » (29)

L’un des principaux objectifs des enquêtes était de dresser des listes des criminels, allemands tout d’abord. Les corps des unités de répression citées sont la Gestapo, l’Ordnungspolizei ou la Schutzpolizei. Pour une même localité, les mêmes noms reviennent presque systématiquement dans les témoignages, comme si la consigne donnée aux témoins par les enquêteurs était de s’efforcer de nommer le plus grand nombre d’Allemands présents lors des exactions, et avant tout les officiers. Les actes rédigés font ensuite la synthèse des noms livrés. Parmi les actes rédigés par la commission d’enquête de Rawa Ruska, on trouve entre les 24 et 30 septembre 1944 une longue liste d’officiers de différents corps de police et de la SS :

« La commission de district a établi que l’envahisseur a exterminé dans le district de Rawa Ruska : 17 500 civils, 18 000 prisonniers de guerre (Stalag n° 328, Feldpost n° 08409), 6000 personnes déportées de Rawa Ruska vers Belzec. Les coupables des crimes sont :
le Kreishauptman Hager
le Burgemaster-Stadtkomissar Liaski
le chef de la Gestapo et Kommandant du « ghetto », l’Oberscharführer Schpeït
le chef de la gendarmerie, Kommandant de la ville de Rawa Ruska, Klein
l’Obersturmführer SS Gildebrand
l’Obersturmführer SS Wilghaus
l’officier de gendarmerie Trigner
l’officier de gendarmerie Feldwebel Maert
l’officier de gendarmerie Freintok
l’Obersturmführer Gremikita
le Kommandant du camp de Kamenka-Lipnik, le Scharführer Gjimyk
le Komissar allemand aux affaires juives Holtz
le Komissar allemand aux affaires juives Schtruchgoltz
l’Obersturmführer SS Rokita
le Kommandant de la police ukrainienne Ossidacht
le Kommandant du camp des prisonniers de guerre, le commandant Hassiner
le Kommandant du camp des prisonniers soviétiques, le commandant Fischer
le vice-Kommandant du camp de prisonniers de guerre, le commandant Bem
le Kommandant du camp de prisonniers de guerre, le commandant Fleker
le chef de la Gestapo du camp de prisonniers de guerre, Novarro
le chef du service policier, l’officier Broer
le [médecin] du camp de prisonniers de guerre, le lieutenant Neiman. » (30)

Dans le cadre de la mission d’épuration légale à laquelle contribuaient les commissions, les enquêteurs s’attachèrent tout particulièrement à connaître les noms des complices ukrainiens ou polonais, au sein des autorités municipales et de la police ukrainienne. Des témoins indiquaient parfois où trouver ces personnes, en 1944 ou 1945, quand elles ne se s’étaient pas enfuies avec les Allemands. Là aussi les actes rédigés font la synthèse des noms donnés. À Drohobycz, le témoin Stanislav Kazmirovitch Chpterli, un ouvrier polisseur de 38 ans, rapporta aux enquêteurs, début de décembre 1944 :

« Je ne peux pas dire combien de gens ont été envoyés aux travaux forcés en Allemagne, mais il y en a eu au moins 2 000. Les Allemands exécutaient d’abord les Juifs, ensuite les Ukrainiens et les Polonais. Le commandant en chef de la Gestapo était un Allemand du nom de Gabriel. Le commandant de la police [ukrainienne] Kolinko travaillait à la police noire ; il a quitté Drohobycz aujourd’hui ; selon des données non officielles, il se cache à Truskavets, où il doit avoir sa famille. […] Un certain Kapoustianski travaillait à la police criminelle. En 1944, je ne me rappelle plus quel mois, il accompagnait, soi-disant, des personnes arrêtées au tribunal, mais en chemin, il a tiré de sa propre main sur 3 ou 4 personnes. Kapoustianski s’est enfui quand les Allemands se sont retirés, mais sa famille habite à Drohobycz, 14, rue Franko. Je sais cela parce que je l’ai vu moi-même et je sais que Kapoutianski accompagnait les personnes arrêtées au tribunal et ensuite, sous le faux prétexte de tentative de fuite, Kapoutianski a fusillé des citoyens soviétiques. Je crois savoir que Brakinrod, qui habite Drohobycz, a tenu un journal dans lequel il décrit toutes les atrocités commises par les Allemands. L’habitant de Drohobycz Fleïcher, qui travaille à la centrale électrique, peut lui aussi confirmer les exactions commises par les Allemands parce qu’il travaillait comme serrurier-électricien à la Gestapo et qu’il a été témoin de toutes les atrocités. Je n’ai rien d’autre à ajouter. » (31)

Les rapports des commissions d’enquête soviétiques qui retranscrivent les questions posées soulignent cette volonté de connaître le plus grand nombre de collaborateurs des occupants au sein de la population. Par exemple, à Rohatyn (à mi-chemin entre Lwow et Stanislawow), l’enquêteur a cet échange avec le dénommé Tsil Izraïlevitch Blek, un rescapé juif né en 1915 :

Question : Pouvez-vous nommer les participants et leurs complices de la fusillade atroce des habitants civils du district de Rohatyn que vous connaissez ?
Réponse : Je connais les personnes suivantes :
1. Striiska – l’épouse de l’avocat Striiski – travaillait à l’administration du district en tant qu’adjointe du Landkommissar – s’est enfuie avec les Allemands.
2. Grabova – je ne sais pas où elle travaillait – s’est enfuie avec les Allemands.
3. Grabov – je ne sais pas où il travaillait – s’est enfui avec les Allemands.
4. Boudinski – Volksdeutsch – travaillait comme directeur du magasin où on vendait les affaires juives – s’est enfui avec les Allemands.
5. Konopada – travaillait dans le [même] magasin comme adjoint de Boudinski. Actuellement, il est dans la ville de Gdynia en Pologne.
6. Ivan Ilkiv – habitait rue Zavodova. Travaille [actuellement]. Aidait les Allemands à trouver les Juifs pendant les actions.
7. Guebes – travaillait à [illisible]. Actuellement, travaille comme simple employé au moulin de Rohatyn. Aidait les Allemands à trouver les Juifs pendant les actions et maltraitait les Juifs.
8. Stefan Tchervinski – actuellement travaille comme forgeron. Aidait les Allemands à trouver les Juifs pendant les actions. A personnellement tué un Juif – Roubine Brodbar – et lui a pris une montre en or et de l’argent.
9. Baliouk – l’épouse de l’horloger. Dénonçait les Juifs aux Allemands – Saïa Blek. Ce fait peut être confirmé par Pedoïma qui travaille à [illisible]. (32)

Pour Tarnopol,

« la Commission régionale présume que les responsables des crimes commis sur les citoyens soviétiques sont les hommes de la Gestapo suivants : Tsahal, Kelner, Rousske, Rimpler, Gilderbrat, ainsi que les traîtres à la patrie : Monastyrski Ilia, le commandant de la police, et les policiers Gavrichkin, Zabolotny Roman, Skap, Starovski et Zloty. » (33)

Les maires et autres responsables municipaux collaborateurs sont recherchés, comme l’illustre cet échange du 14 janvier 1945 entre un enquêteur de la commission à Turka, près de la frontière sud-ouest du district, et Omelian Ioulkovitch Matkovski, un citoyen ukrainien né en 1900, signalé comme travailleur non qualifié au comité du district :

Question : Que faisiez-vous avant l’occupation de Turka en 1941 ?
Réponse : J’étais gardien dans un magasin à Turka.
Question : Que faisiez-vous durant l’occupation allemande ?
Réponse : J’étais gardien d’immeuble. L’été, je balayais la ville, l’hiver je coupais le bois.
Question : Que faites-vous aujourd’hui ?
Réponse : Je suis concierge au comité du district.
Question : Que savez-vous des tueries de citoyens soviétiques par les occupants fascistes allemands ?
Réponse : On m’a fait creuser des fosses environ 5 fois, j’ai creusé les fosses pour ces citoyens soviétiques que les Allemands et les policiers faisaient sortir du village et fusillaient dans les cimetières par groupe de 5 ou 6. Des hommes, des femmes et des enfants ont été tués en masse. Je creusais les fosses et je les comblais. Les fusillades étaient effectuées à des moments divers, le jour ou la nuit. Durant l’hiver 1942, j’ai vu 40 ou 50 Juifs creuser une fosse au cimetière juif. J’ai vu faire ça à trois reprises. À ce moment-là, j’étais en train de balayer la rue et on y voyait bien. Après, quand ils ont eu fini de creuser la fosse, les Allemands et les policiers leur ont ordonné de se déshabiller complètement et de sauter un par un dans la fosse ; dans la fosse les Allemands leur tiraient dessus au fusil. Quand les Allemands et la police ont eu fini de les fusiller, le bourgmestre Pyssantchik Klymko, Sovarine Iouzef et Doulniavka Vassili ont réuni les gens et les ont conduits là où les Allemands et la police avaient effectué la fusillade. Ils leur ont ordonné de combler la fosse. J’y suis allé moi-même à trois reprises. J’ai vu des scènes horribles. On arrive à la fosse et à l’intérieur, il y a encore beaucoup de gens vivants qui grimpent pour essayer de sortir. Les Allemands leur tiraient dessus pour les immobiliser, ils les enfouissaient. Parmi ces citoyens soviétiques il y avait des hommes, des femmes, des enfants. J’ai vu de mes yeux une mère tuée ; dans la fosse, son petit enfant essayait de s’enfuir et un Allemand lui tira dessus.
Question : Où se trouvent aujourd’hui Pyssantchik Klymko, Sovarine Iouzef et Doulniavka Vassili ?
Réponse : Pyssantchik K. a fui avec les Allemands ; Sovarine Iouzef est en prison. Doulniavka Vassili habite rue Srednaïa à Turka.
Question : Qui connaissez-vous parmi les assassins de citoyens soviétiques ?
Réponse : Je connais un policier, Vovtchik, de Stari Sambor. Il fusillait les citoyens soviétiques.
Question : Pouvez-vous donner les noms de citoyens soviétiques fusillés ?
Réponse : Dans la fosse, il y en a un que j’ai reconnu, son nom est Netchesny. Les autres, il était très difficile de les reconnaître dans la mesure où on leur tirait dans la nuque.
Question : Connaissez-vous les endroits où les citoyens soviétiques étaient tués et pourriez-vous les montrer ?
Réponse : Oui, aux cimetières juifs je connais les endroits et je peux les montrer. (34)

Certains témoins, simples civils, avouent leurs crimes et semblent poussés à donner des noms supplémentaires. À Borislav, le 26 décembre 1944, Vassili Grigorovitch Bykhov dépose devant la CES :

« En juin 1941, sous l’occupation allemande de la région de Drohobycz, durant 3 jours, je suis sorti du travail et j’étais ivre ; je me suis arrêté là où l’on tuait les Juifs – la rue Kostouchko à Borislav – et j’ai regardé les Juifs se faire tuer. Il y avait beaucoup de gens. Je ne connais pas le nom de ceux qui tuaient les Juifs, mais je sais que les soldats allemands leur tiraient dessus, tandis que les Ukrainiens et les Polonais de Borislav les tuaient avec des bâtons. J’ai participé à ces massacres. […]
« À ce même massacre de la rue Kostiouchko à Borislav, qui s’est déroulé le même jour, vers le 3 juillet 1941, a participé Pristanets, prénommé Ivan je crois, qui habite actuellement le village de Poustanovitchi (je ne connais pas le district). Y a également participé [nom illisible]-Rogoun, Miroslav Dmitrovitch, habitant du village de Popéli-Khatiouts. Je ne sais pas où il vit actuellement, il faudrait le demander à Kalatoun’ Yourko Grigorovitch. Y a aussi pris part Vinar Lioubomir Aleksandrovitch, habitant de Borislav, district Bania-Kotivska. Y a également participé Grichko, je ne connais pas son prénom mais son patronyme est Mikhaïlovitch ; il habite à Borislav et il m’a dit qu’il avait habité rue Goering, je ne me rappelle pas le numéro. Je connais Kalatoun’ Yourko Grigovitch et j’ai entendu dire que lui aussi a participé aux massacres de Juifs, mais je ne l’ai pas vu faire personnellement.
« Je n’ai pris part aux tueries de Juifs qu’une seule fois ; après, je n’y ai plus jamais pris part. Je n’étais pas membre de la police noire ukrainienne et j’ignore si une telle police existait. » (35)

Plusieurs témoins racontent comment ils furent réquisitionnés, le plus souvent par des responsables municipaux, pour creuser les fosses d’exécution puis les combler une fois le crime commis, pour acheminer les victimes dans des véhicules ou ramener en ville leurs affaires. À Medinitchi (région de Drohobycz), un charron raconte comment « le protégé du staroste allemand » (36) vint, avec cinq autres personnes, le chercher en juin 1943 pour enterrer les corps d’une vingtaine de victimes juives fusillées à la sortie de la ville. (37) À Turka, en janvier 1942, les treize ouvriers de la carrière de la ville furent emmenés par des Allemands pour creuser une fosse ; le lendemain, on les rappela pour recouvrir les cadavres déjà enterrés d’une couche de neige supplémentaire. (38) À Turka encore, en janvier 1943, à l’aube, un chauffeur de la centrale électrique de la ville fut mobilisé par l’un de ses chefs pour effectuer trois ou quatre transports d’une vingtaine de Juifs à chaque fois, sous l’escorte d’un Allemand, entre le marché et la briqueterie. (39) En janvier 1943, dans le village de Melnichne (région de Turka), le staroste du village demanda à un travailleur agricole ukrainien d’aller enterrer les cadavres de 23 Juifs tués dans un bois à coups de bâtons. (40)
Lorsque les rapports abordent le sort des Juifs, les responsables de dénonciations, les profiteurs des biens volés aux Juifs sont stigmatisés. Dans sa déposition du 4 janvier 1945, S. D. Rozenberg, interrogé à Drohobycz, accuse : « Je connais le scélérat qui a “donné” le coiffeur Guermann à la Gestapo. Guermann a été fusillé. Ce scélérat s’appelle Nikolaï Plichtch, il habite à [illisible]. Il travaille comme manœuvre à l’usine » (41) À Borislav, dans sa déposition du 16 janvier 1945, Lina Moïsséiévna Rozenbaum, une pharmacienne juive rescapée, raconte :

« Je suis née à Borislav et j’y réside encore aujourd’hui. Pendant l’occupation par les bourreaux allemands, j’habitais à Borislav. Les enfants de mon frère, qui ont été emmenés à Cracovie par les Allemands, étaient cachés chez l’habitant de Borislav, Sidor. Sidor n’a pas pris d’argent pour cela, il les nourrissait gratuitement. Un voisin de Sidor, je ne sais pas son nom, a remarqué que mon frère allait souvent chez Sidor. Il a prévenu la police, qui est venue perquisitionner chez Sidor et a découvert les Juifs. Ils étaient au nombre de six ; ils ont tous été emmenés à Drohobycz. Quand l’Armée rouge est arrivée, le voisin en question s’est pendu. (42)
« Je connais Skichpets Yosef, qui habite rue Kostiouchko ; il a livré des Juifs : la mère et les filles Borman et Lerner, que les Allemands ont fusillées en 1944.
« Kostik, de la rue Goubitchi, a livré Regaouvt, Aberbakh, Dikhchtermav, Parnis. Kostik est parti avec les Allemands. » (43)

Toujours à Drohobycz, Séverin Markoussovitch Kamerman, collaborateur au bureau des archives du NKVD d’Ukraine, âgé de 24 ans, livre dans sa déposition du 21 décembre 1944 une dizaine de noms de personnes présentées comme complices des Allemands, des criminels, ainsi que d’autres accusés d’être des dénonciateurs et des profiteurs, et parmi eux un membre de la police juive :

« Goltsman, actuellement chef comptable au service financier de la ville, s’apprête à passer en Pologne. Sous l’occupation allemande, il travaillait à la police juive qui aidait les Allemands à tuer les Juifs. Goltsman percevait des pots-de-vin [de ceux] qui étaient au ghetto, soi-disant pour les faire sortir. Mais une fois le pot-de-vin empoché, il partait ; quelqu’un d’autre arrivait, de la police noire, et emmenait les Juifs à l’exécution. Il a pris part au pillage des biens des Juifs avec les Allemands. » (44)

Des dirigeants de Conseils juifs sont eux aussi mis en cause. À Zbarazh (au nord de Tarnopol), le témoin Sharian Fravski dénonce devant la commission d’enquête :

« Riman, de la Gestapo […], a fait venir à lui le brigand juif Pinkas Grinfeld et lui a ordonné de former un Conseil juif de 12 membres qui serait responsable de l’exécution de tous les décrets concernant la population juive. C’est ainsi qu’a commencé le pillage systématique et incessant des biens juifs. En 2 ans, les « contributions », les taxes [prélevées de différentes façons] et sous différents prétextes, ont rassemblé un total de plus de 100 millions de roubles-or. Le Conseil juif que l’on appelait Judenrat recevait quotidiennement de son président, l’agent de la Gestapo Grinfeld, l’ordre de fournir des sommes d’argent énormes, de l’or, des meubles, des literies, des chevaux, des chariots, des vêtements… Ce traître de Pinkas Grinfeld était reconnu au sein de la Gestapo pour ses talents de maître chanteur, ainsi que pour sa conception de la morale qui convenait très bien aux envahisseurs allemands et aux représentants de la Gestapo. » (45)

Des Ukrainiennes, maîtresses d’Allemands, sont également dénoncées. À Zbarazh encore, Fravski accuse : « Galia Feshka, la maîtresse du gendarme allemand Grunwald a invité chez elle son “héros” et lui a livré le pharmacien German Shliakhet, sa femme et son enfant. » (46) À Drohobycz, Makari Fiodorovitch Gaïvoronski, né en 1902, coiffeur auprès du comité régional du Parti communiste d’Ukraine, déclare le 18 décembre 1944 : «L’habitante de Drohobycz Maria Atamantchoukova, qui travaille comme commissionnaire au comité de ville du Parti, vivait avec les Allemands. Elle a accumulé beaucoup de choses prises aux civils fusillés. » (47) Des Polonais ou des Ukrainiens profitèrent de la détresse des Juifs qui essayaient de se cacher. Dans sa déposition du 4 décembre 1944 devant la CES de Drohobycz, Ida Youdievna Felzine, née en 1906, raconte :

« En 1942, quand les opérations contre les Juifs ont commencé, nous sommes allés nous établir à Borislav avec mon mari et mon enfant. Nous avons demandé à une Polonaise du nom de Kchistolska Guéllia et à son mari Iozef, rue Moroznitskaïa, je ne me rappelle pas le numéro, de nous héberger. Nous y sommes restés 6 semaines, puis ils nous ont expulsés en confisquant nos affaires. Nous avons dû les payer [en] roubles. Kchistolska a déclaré qu’elle avait eu peur de nous. Avant guerre, [elle] était députée au Soviet suprême de la RSS d’Ukraine. Après, on nous a mis au ghetto, et du ghetto, on nous a envoyés au camp pour Juifs de Borislav.
« En mai 1943, mon mari [illisible] a été fusillé et je suis restée au camp seule avec mon enfant. En juillet 1943, étant donc en camp, j’ai décidé de cacher mon petit garçon de 3 ans, Marian, à l’extérieur. J’ai rencontré une habitante de Borislav, une Polonaise du nom de Demien, qui habitait rue Tserkovna, n° 15. Elle a recommandé de confier mon enfant à Falda Yadviga et Chtchenska Guéllia, qui étaient ses locataires et qui étaient dans le besoin. J’ai remis mon enfant en garde à cette Falda et j’ai immédiatement payé 8 500 zlotys ; nous avons convenu la somme de 1 000 zlotys par mois et je lui ai tout de suite remis 1 500 zlotys d’avance. Au bout de 4 semaines, j’ai cherché à savoir ce que devenait mon fils et comment il était gardé, mais comme il était difficile aux Juifs de quitter le ghetto, j’ai utilisé tous les moyens pour rencontrer cette Falda, son amie Chchenska et leur logeuse Demien ; elles ne m’ont pas montré l’enfant ; elle m’ont raconté des bobards, comme quoi l’enfant était bien gardé, qu’on l’avait envoyé pour le mettre à l’abri chez une sœur de Falda qui s’appelle Guiziak, habitant à Borislav, rue Granitchna, n° 4. En fin de compte j’ai appris – et Falda l’a reconnu –, que mon fils avait été remis à la police. De plus, à cette époque, on m’a dit à la police polonaise que cette Falda prenait spécialement en garde les enfants des Juifs, qu’elle touchait de l’argent et des affaires en échange, et qu’après, elle les remettait à la police qui les tuait. Falda escomptait que tous les Juifs seraient fusillés, y compris moi, et qu’elle resterait impunie. Maintenant qu’elle sait que je suis toujours vivante, elle est sur le point de fuir en territoire polonais. J’ai raconté tout cela au NKVD de Borislav, mais jusqu’à présent, il n’y a eu aucune suite.
« À Borislav vit un Polonais dénommé Varkhalovski (Warchalowski), je ne connais pas son prénom. Au moment des actions contre les Juifs, il recevait d’eux de l’argent et des affaires, et ensuite il les donnait à la police. Varkhalovski (Warchalowski) devait donner 500 Juifs, mais il n’en a donné que 324. Il est actuellement détenu au NKVD pour ça. » (48)

Les rapports des CES révèlent aussi des actes de sauvetage de Juifs en fuite. Le 7 décembre 1944, Bernard Yossifovitch Ficher, un rescapé juif originaire de Drohobycz qui avait vécu à Vienne entre 1922 et 1930 avant de revenir dans sa ville natale, raconte qu’« avant la retraite des Allemands, fin 1943 et début 1944, quarante-sept civils furent cachés par le citoyen Iv. Pissak. Nous étions cachés dans la cave qu’il avait aménagée sous sa maison ». (49) Nikolaï Konstantinovitch Lichtchinski raconte, le 11 décembre 1944, devant la commission d’enquête de Stryj : « La dernière chose que je peux raconter concerne le sauvetage des enfants juifs. Pour sauver les enfants des Juifs, on les rejetait pour faire croire qu’ils étaient abandonnés ; ensuite, on les mettait dans des maternités après les avoir baptisés à l’église. Mais les gestapistes ont découvert le pot-aux-roses et le résultat est que sur 20 enfants, 7 furent arrêtés et tués dans notre église. » (50) Léon Solomonovitch Guirch rapporte le fait suivant, survenu dans sa commune d’origine, Dobromil (au sud-ouest de Lwow), le 16 décembre 1944 : « Après m’être retrouvé au camp de Przemysl avec mon fils, j’ai dû m’enfuir en août 1941. Tout le temps que j’ai passé à Przemysl, j’étais chez la citoyenne Podourskaïa qui nous a cachés de la Gestapo, mon fils et moi. Ainsi, j’ai été à Przemysl jusqu’au moment de la libération de la région par l’Armée rouge.» (51) Une aide tardive fournie aux Juifs faisait suspecter son auteur de vouloir soigner sa réputation avant la reprise en main par le régime soviétique. Izraïl Bernardovitch Guirchon, un artisan horloger juif rescapé, âgé de 41 ans, raconte, le 3 janvier 1945, devant la CES de Borislav :

« Ma famille était persécutée, alors je me suis mis d’accord avec un habitant de Borislav, Sidor – je ne me rappelle ni son prénom ni son patronyme, mais il habite rue Tserkovnaïa, il est forgeron –, pour qu’il cache ma famille, soit ma femme et mes deux filles. Guirch, qui travaille au magasin spécialisé de Borislav a aussi fait cacher ses deux filles chez lui. J’ai payé à Sidor 1 500 zlotys par mois. (52) Ma famille y a été de novembre 1943 à décembre 1943. Puis, la propriétaire m’a fait savoir qu’elle pouvait garder les gens qui se cachaient des autorités allemandes jusqu’au 23 novembre 1943. Mais c’était juste pour qu’on ne les accuse pas, ensuite, de les avoir livrés aux Allemands.
« Voici comment ça s’est passé : le 1er décembre 1943, à 18 heures, huit personnes qui se cachaient chez Sidor sont sorties pour aller dîner. La police est arrivée juste à ce moment et elle les a tous arrêtés et conduits à Drohobycz. Je suis allé à la Gestapo de Drohobycz, j’y ai vu ma femme ; elle m’a dit que c’est le propriétaire qui les avait trahis, c’est-à-dire Sidor. Une femme apparentée à Guirch qui travaillait à la teinturerie des Allemands a pu faire libérer les deux enfants Guirch de la Gestapo. J’ai entretenu la famille de Sidor sans compter ; j’ai vendu tout ce qui me restait. Ma femme était une bonne institutrice. Une de mes filles était komsomol, (53) l’autre était encore petite. Toutes deux allaient à l’école primaire. Je dois dire que 90 % de la population d’ici, Ukrainiens comme Polonais, nous étaient hostiles. À l’arrivée de l’Armée rouge plusieurs d’entre eux ont été arrêtés. […] Je demande que Sidor soit puni pour avoir livré huit personnes aux Allemands. » (54)

Des Juifs parvinrent à trouver refuge auprès des partisans particulièrement actifs en Galicie orientale à partir de 1943. Ida Davidovna Dlougatch, Juive rescapée née en 1903, raconte : « Le 9 juillet 1943, des partisans sont passés par Skalat [à l’est de Tarnopol]. Nous sommes partis dans la forêt avec eux, puis je suis partie vivre dans des souterrains pour que les Allemands ne me trouvent pas, et y suis restée jusqu’à la libération. » (55) On rapporte aussi des actes de résistance de la part des Juifs, gestes de révolte désespérés. Guenrik Arnoldovitch Volfinker, pharmacien juif à Stryj, né en 1903, explique le 14 décembre 1944 comment il se sauva d’une exécution au bord de la fosse :

« À la prison, on m’avait ôté mes vêtements de dessus et mes chaussures. À Holobutiv, on nous a déshabillés de la tête aux pieds. La fosse où ils fusillaient était située sur une hauteur ; on se déshabillait en bas, ensuite on était conduit tout nu à la fosse. Le bois autour de la fosse était encerclé par la police ukrainienne. Quand on m’a amené, nous étions huit véhicules venant de la prison, tous remplis. On m’a déshabillé et conduit dans un groupe de dix ; lorsqu’il ne resta plus que la moitié [du chemin] avant d’arriver à la fosse, j’ai décidé de fuir. Je me suis jeté sur un policier qui était perdu dans ses pensées, je l’ai saisi à la gorge et j’ai commencé à l’étrangler. Sa carabine s’est retournée et elle lui a tiré une balle dans le pied ; un gestapiste a couru à son secours, mais je l’ai attrapé par le bras et je me suis dégagé ; quand il a laissé tomber sa mitraillette, je l’ai paralysé en m’en servant pour lui donner des coups sur la tête et j’ai couru. Ils ont ouvert le feu et ils ont lâché les chiens sur moi ; j’ai riposté. Parvenu dans le bois, j’ai frappé un des chiens à la tête avec la mitraillette et je l’ai tué. Je suis arrivé à Holobutiv dans cet état. Je suis allé chez un habitant, Vassia Kil[ ?], natif de Niéjoukhov, et je lui ai demandé des vêtements. Il m’a donné une veste et un pantalon de travail. Et c’est ainsi que j’ai réussi à échapper à l’exécution. » (56)

Shinon Pinkassovitch Tenster, ouvrier juif survivant, raconte devant la CES de Rawa Ruska :

« En 1942, au mois de juillet, est arrivé de Lwow le représentant de la Gestapo, Katzman, qui a ordonné à Struchgoltz de la Gestapo de mener la 2e Aktion. Cette dernière s’est déroulée en deux jours. La ville a encore été entourée par la Gestapo, qui a arrêté 2 500 personnes et les a envoyées en train à Belzec. Certains Juifs ont demandé d’eux-mêmes que l’on ne les envoie pas à Belzec et qu’on les fusille immédiatement. Ces personnes ont été fusillées par la Gestapo ; cependant, les corps ont été chargés dans les wagons avec les autres Juifs qui étaient en vie et ont été emmenés à Belzec. Lorsque l’on a arrêté la komsomol Fleïscher, celle-ci a montré de la résistance et a crié « Mort à Hitler, vive Staline ». Elle a été fusillée sur place. » (57)

Lhaïa Shelmovna Altshuler, née en 1925, rescapée juive résidant à Rawa Ruska rapporte une scène fréquente sur les voies ferrées au passage des trains pour Belzec :

« Pendant l’occupation de la région de Lwow par les troupes allemandes, au mois de décembre 1942, lors d’un convoi d’extermination de 2 500 Juifs de Lwow vers Belzec, via Rawa Ruska, sur le chemin, au niveau de la gare de Kamenka Voloska, les Juifs ont cassé la porte d’un wagon et 150 personnes se sont enfuies. J’ai vu de mes propres yeux les gendarmes rattraper les Juifs fugitifs. Un Juif d’une trentaine d’années a été retenu par des gendarmes et un officier allemand, Grunwald, l’a frappé à coups de crosse de mitraillette sur la tête puis, à coups de talon dans le ventre et dans la tête. Sur ordre de Grunwald, les gendarmes ont traîné le malheureux dans la gendarmerie où ils l’ont tué. » (58)

Vérités et rumeurs concernant le centre de mise à mort de Belzec

Les rapports des commissions d’enquête soviétique, par les imprécisions ou inexactitudes qu’ils contiennent, montrent quelles informations tronquées et les rumeurs circulaient encore en Galicie orientale en 1944-1945 – par exemple sur le sort des Juifs embarqués dans les trains pendant l’année 1942 et emmenés au centre de mise à mort de Belzec. Le plus souvent, c’est « la ville de Belzec » qui apparaît comme destination, et non un camp ou un centre de mise à mort – ce qui ne change rien au fond. Un rapport sur Belzec, rédigé par l’Armia Krajowa, destiné au gouvernement polonais en exil à Londres et publié dans la presse clandestine en mai 1942, indique dans quel genre d’endroit étaient conduits les convois provenant des districts de Lublin et de Lwow. En Galicie orientale, les informations commencèrent aussi à circuler dès le printemps, mais c’est surtout pendant la seconde vague de déportations, à partir d’août 1942, qu’elles parvinrent aux populations locales et aux Juifs enfermés dans les ghettos, essentiellement communiquées par le personnel des chemins de fer. (59) Citons aussi le cas de quelques poignées de déportés qui, dans les heures suivant leur arrivée à Belzec, réussirent à sortir et retournèrent dans le ghetto de leur commune où ils racontèrent ce qu’ils avaient vu dans le centre de mise à mort. C’est ce que fit le rabbin de Blazowa (district de Cracovie, canton de Sanok, à la frontière avec le district de Galicie), déporté en octobre 1942 à Belzec depuis le camp de Janowska, à Lwow, et affecté au tri des vêtements. Au bout de quelques jours, il se joignit à l’escorte d’un train de vêtements à destination de Lwow ; arrivé là, il put s’échapper et se cacha dans le camp de Janowska. (60)

Gersh Savliévitch Bliasberg, un Juif rescapé de Rawa Ruska né en 1912, est interrogé le 27 septembre 1944 par le capitaine Tchiornyï, chargé d’enquête auprès du département du contre-espionnage, et évoque une évasion :

« Le 19 mars 1942, le chef de la gendarmerie de Rawa Ruska, Klein, a rassemblé 2 000 habitants de la ville, à qui il a été annoncé qu’ils allaient être installés dans un nouveau lieu de résidence et qu’ils devaient emporter leurs objets de valeur et de la nourriture. Ces 2 000 Juifs ont été chargés dans un train et envoyés dans le petit village de Belzits [Belzec], dans la région de Lwow. Une fois à Belzits, le train entrait dans un bois où l’on procédait au déchargement, les Juifs étaient déshabillés entièrement, mis dans des « bains-douches » où ils étaient tués par courant électrique.
Question : D’où le savez-vous ?
En mars 1942, Gromedonko [prénom illisible], habitant à Rawa Ruska, dans la rue Grountvoinskaïa, j’ignore à quel numéro, me l’a personnellement raconté car elle était présente pendant l’assassinat de ces 2 000 Juifs par les Allemands à Belzits. Elle a été fusillée au mois de juillet 1942 dans la ville de Rawa Ruska. » (61)

L’extermination par gazage à Belzec est mentionnée dans bien des dépositions faites devant les commissions, par des civils de profils sociaux et politiques divers. À Lwow, Mark Oziachvitch Tratner, assistant à l’université Franko raconte :

« Jusqu’en 1941, je travaillais comme instituteur à l’école élémentaire 31 de Lwow, qui se trouvait rue Zigmoundovskaïa. […] Je suis resté chez moi, sans sortir, pendant un mois et demi, afin de ne pas être emmené dans un camp de travail qui avait été organisé à Sokolniki, trois mois après l’arrivée des Allemands.
« En 1942, entre le 5 et le 20 août, un très grand pogrom juif a commencé. (62) […] Ensuite, les gens ont été envoyés au camp de Janowska, créé un mois après celui de Sokolniki, sur des plates-formes de tramway. Parmi ces personnes se trouvaient des Juifs, des Ukrainiens, des Polonais, des Russes et même des Tsiganes. À leur arrivée dans le camp de Janowska, les prisonniers ont été sélectionnés : les hommes en bonne santé sont restés dans le camp, les autres ont été réunis dans la gare de Klendovskaïa, où on les a forcés à enlever leur manteau et chargés dans des wagons. Ensuite, le train est parti pour Belzec où ils ont été gazés. » (63)

Mais l’on rencontre des approximations quant à la localisation du centre de mise à mort qui, pour les habitants de Drohobycz, se situait à Rawa Ruska et non à Belzec. Le témoin Dotsnev, un Juif qu’un certain Pissak cacha dans la ville avec d’autres personnes, déclare dans sa déposition du 5 décembre 1944 : « Il y avait à Rawa Ruska, dans le district de [illisible] de la région de Lwow, une chambre où on asphyxiait les gens au gaz. » (64) Naphtali Izraïlévitch Bakinrot, ingénieur agronome né en 1905, rapporte le 6 décembre 1944 qu’« en mars 1942, 1 000 Juifs furent conduits à Rawa Ruska pour y être asphyxiés dans une chambre spéciale ». (65) Albina Amalia Braer, une Polonaise née en 1911, raconte le 8 décembre 1944 qu’« un nombre important de civils étaient expédiés à Rawa Ruska, dans la région de Lwow, où ils étaient tués dans des chambres d’asphyxie par le gaz ». (66) Certains avancent que l’asphyxie avait lieu dans des tunnels, voire des grottes. Anna Mavrétsivna Liber, une Juive rescapée (née en 1918), affirme le 1er décembre 1944 : « Je sais qu’à Rawa Ruska, les Juifs ont été asphyxiés avec du gaz dans des tunnels. » (67) Son mari, Issak Ioudovitch Liber (né en 1907), témoigne le 4 décembre 1944 : « Le 7 ou le 8 août 1942 […] furent arrêtés environ 5 ou 6 000 Juifs. Ils furent tous conduits à la gare de chemin de fer et expédiés à Rawa Ruska. J’ignore ce qu’ils sont devenus. Par des gens qui s’étaient échappés de ce convoi et dont j’ignore les noms, j’ai entendu dire qu’ils avaient été asphyxiés au gaz dans des grottes. » (68)
La mise à mort par électrocution dans le centre de Belzec est souvent évoquée. Les récits d’artisans polonais ayant travaillé sur les deux chantiers des installations de gazage à Belzec (à la fin de l’année 1941, puis au début de l’été 1942 pour l’agrandissement du bâtiment), de même que celui du serrurier de Belzec, Stanislaw Kozac, qui a été retranscrit après la guerre, ont rapporté que « le plancher et les murs [du bâtiment des chambres à gaz – ici celui de la première période du centre de mise à mort, qui comprenait trois pièces] étaient recouverts de tôles de zinc jusqu’à 1,10 mètre de hauteur» (69). L’information se répandant, l’on en vint à imaginer dans la population des exécutions par électrocution collective, rumeurs que l’on retrouve deux à trois ans plus tard dans les dépositions devant les enquêteurs à Drohobycz, à Tarnopol et dans l’est du district de Galicie (à Zborov, Tovste, Rohatyn et Horodenka).
Nombreuses aussi sont les rumeurs et les fausses informations concernant l’utilisation des restes humains. Le rapport de la CES de Tovste (à une centaine de kilomètres au sud de Tarnopol) rapporte que « d’après les dépositions des témoins du district de Tovste et d’autres districts, à Belzec, on ne se contentait pas fusiller des citoyens soviétiques : on les brûlait à l’aide de courant électrique. Leurs cadavres étaient utilisés par les Allemands pour faire du savon qu’ils vendaient à la population ». (70) Abram Iermovitch Kouper, paysan juif rescapé (né en 1898), habitant à Horodenka (au sud de Tovste) raconte comment les nazis ont réuni, le 15 octobre 1942, 150 Juifs, travailleurs « spécialisés », et les ont enfermés pendant plusieurs jours dans un domaine agricole. Il poursuit : « Cinq jours plus tard, ils ont été envoyés dans la ville de Belzec – région de Lwow – où on les a tués à l’aide du courant électrique dans des pièces spécialement aménagées possédant un sol en fer. On les faisait entrer par groupes de 50 personnes, puis on faisait passer le courant électrique. Puis, on retirait le gras de leurs entrailles avec lequel on faisait du savon pour l’armée allemande. Quant aux cadavres, on en faisait des conserves pour des prisonniers de guerre détenus dans des camps. Je l’ai appris de quelques Juifs qui s’étaient enfuis et qui, une fois rentrés chez eux, en avaient parlé. Eux aussi ont été fusillés lors de l’Aktion suivante. » (71) Le témoin Dotsnev, à Rawa Ruska, ajoute : « Après, on transformait les corps ; avec la graisse, on fabriquait du savon, et avec les os, on faisait de l’engrais. Les cheveux aussi étaient coupés pour être utilisés. » (72)
Mais la destination de Belzec n’est pas toujours connue des personnes qui font état des déportations, même en 1944-1945. L’Ukrainien Vladimir Nikolaevitch Kobzdaï, habitant à Dobromil (né en 1903), raconte : « En 1942, vers le mois de juin, sur ordre de la Gestapo, environ 3 000 Juifs de Dobromil et des villages alentour furent emportés en chemin de fer par convois spéciaux. J’ignore ce qu’ils sont devenus, mais aucun n’est revenu. Ils ont tous été fusillés. » (73)

Des déportés juifs français en Galicie orientale

Une information apparaît dans une déposition devant la commission d’enquête de Lwow : des Juifs venant d’Europe de l’Ouest, et notamment de France, auraient été convoyés jusque dans le district de Galicie. (74) Le Polonais Favel Gergovitc Ach (né en 1897) affirme que « des Juifs d’autres pays, de Hollande, de France, ont été amenés à Janowska : dans le camp, j’ai vu des costumes où se trouvaient leurs papiers d’identité montrant qu’ils étaient de nationalité juive, ainsi que des vestes avec une étoile juive jaune cousue dessus. Il y en avait tellement que l’on ne pouvait pas les compter ». (75) Il est avéré que des prisonniers de guerre de différentes nationalités furent déportés dans ce camp, (76) mais il est difficile d’expliquer pourquoi des déportés juifs d’Europe de l’Ouest passant par Belzec ou à proximité auraient été acheminés jusque dans le district de Galicie, sinon pour intégrer des camps de travaux forcés. Le camp de travail de Janowska, qui évolua en camp de transit, fut un lieu d’extermination pour les Juifs de Galicie dont les convois pour Belzec passaient par Lwow. À partir de 1943, des Juifs enfermés dans des camps de tout l’ouest du district y furent envoyés pour y être tués.
Cependant, la déposition du témoin Ach trouve un écho dans les propos du rescapé de Belzec, Rudolf Reder, qui affirme dans son témoignage devant la Commission historique provinciale de Cracovie en 1946 qu’à Belzec « il n’y avait pas seulement des Juifs polonais, il y avait aussi des convois de Juifs étrangers. Parmi ceux-ci, les plus nombreux étaient les Juifs français ; il y avait des Hollandais, des Grecs, même des Norvégiens ». (77) Il semblerait bien que des Juifs d’Europe de l’Ouest aient été acheminés jusqu’en Galicie orientale.

Pour une histoire des communautés juives de Galicie orientale sous l’occupation allemande

Les dépositions retranscrites dans les rapports des commissions d’enquête et les actes établis par celles-ci permettent de présenter les principales étapes de l’invasion et de la destruction des communautés juives du district de Galicie. Les approximations ou les divergences sur des dates, des bilans de victimes ou des noms d’assassins sont à souligner, pour ne pas retenir les informations incertaines de ces documents. L’histoire de ces communautés a déjà été faite et trouve sa place principalement dans le projet mené par Yad Vashem à partir des années 1970 : il s’agit de la Pinkas Hakehillot: Encyclopedia of Jewish Communities, qui présente les histoires des communautés depuis leurs origines jusqu’à la période de la Seconde Guerre mondiale, collectant des écrits littéraires, des chroniques, des photographies, des documents personnels et des listes. (78) Dans son livre de référence sur la Shoah en URSS, Yitzhak Arad présente les histoires des principales villes du district de Galicie orientale sur lesquelles nous ne reviendrons pas ici. (79) Les rapports des CES permettent de connaître l’histoire de plus petites communautés.

L’arrondissement de Lemberg (Lwow)

Avant la création du ghetto d’Iavoriv (à 50 km à l’ouest de Lwow), à l’automne 1942, 1 200 personnes furent amenées au centre de mise à mort de Belzec, 200 autres exécutées sur place. (80) Le 16 avril 1943, les Allemands mirent le feu au ghetto et 4 400 Juifs furent conduits en forêt, sur le site d’un ancien camp de prisonniers de guerre, pour y être fusillés. (81)
À Rudky (à une soixantaine de kilomètres au sud-ouest de Lwow), les Allemands exécutèrent dès leur arrivée, le 27 juin 1941, trente-neuf membres de l’intelligentsia juive dans un bois (« Béréziny ») proche du village de Vyshnya (au nord-ouest de Rudky) (82). En novembre 1942, 830 personnes furent envoyées à Belzec (83) ; aussitôt après, un ghetto entouré de fil de fer barbelé fut organisé, dans lequel 2 200 Juifs environ furent détenus jusqu’à sa liquidation, le 9 avril 1943 : 1 700 personnes furent alors fusillées dans le bois de « Béréziny ».
Les Allemands arrivèrent à Dobromil (proche de la frontière avec le district de Cracovie) le 30 juin 1941. Dès le lendemain, des hommes de la Gestapo venant de Przemysl réunirent 200 à 250 personnes (il est précisé qu’il y avait parmi eux des enfants et des vieillards), fusillées dans l’usine de sel. En juillet, 3 à 4 000 Juifs furent regroupés ; près de 300 furent retenus et envoyés dans un camp de travail à Przemysl, les autres exécutés au pont de chemin de fer à côté de la scierie de la ville. En juin 1942, 800 Juifs furent tués au même endroit. Les autres sites d’exécution dans la ville étaient l’usine de sel et le cimetière juif. On estime à 4 000 le nombre de « citoyens soviétiques » qui y auraient été tués pendant l’occupation. Toujours en juin 1942, 3 000 Juifs de Dobromil et des environs auraient été emmenés en train vers une destination inconnue. (84) Pendant l’été 1944, les Allemands fouillèrent et déterrèrent les cadavres des fosses du cimetière pour détruire les restes humains.

L’arrondissement de Rawa Ruska

À Rawa Ruska (à 14 km au sud-est de Belzec, sur la ligne ferroviaire Lwow-Lublin), on comptait 6 à 7 000 Juifs avant la guerre. Il est difficile de connaître le nombre de cette population à l’époque de l’occupation soviétique car beaucoup de réfugiés juifs vinrent de l’ouest de la Pologne. (85) Les Allemands envahirent la ville dès le 22 juin 1941. Des pogroms, menés par les soldats allemands et les nationalistes ukrainiens eurent lieu dans les petites villes voisines de Niemirow, Magierow, Kulikow et Sokal. 380 personnes – des membres du Parti, des komsomols et des employés travaillant pour des institutions soviétiques – furent tuées dans la forêt de Volkovitsy début juillet 1941. On imposa les brassards avec l’étoile de David et le travail forcé, et le 15 juillet, un Judenrat fut créé à Rawa Ruska. En août, les Allemands exigèrent une contribution monétaire des Juifs de Rawa Ruska, prenant en otages quinze membres de l’intelligentsia juive. Le 20 mars 1942 fut organisée la première Aktion qui envoya au camp de Belzec, tout juste entré en activité, un millier de personnes. (86) L’Aktion suivante eut lieu le 27 juillet 1942, rassemblant 2 000 personnes. Le ghetto fut créé en août 1942, dans le quartier le plus pauvre de la ville (les rues Lwowskaïa, Motemkina, Tserkovnaïa), regroupant aussi les Juifs des villes et villages environnants de Lubycza Krolewska, Uhnow, Potylicz, Magierow et Niemirow – au total 15 000 personnes. (87) Les exécutions avaient lieu au cimetière juif et dans la forêt de Borovy (à un kilomètre à l’ouest de Rawa Ruska). Entre le 7 et le 11 décembre 1942, le ghetto fut ratissé, 14 000 Juifs auraient été victimes de cette Aktion, dont 2 000 envoyés à Belzec. (88) 800 policiers et gendarmes auraient pris part à l’Aktion, encadrés par les Obersturmführer-SS Gildebrand et Wilghaus (commandant du camp de Janowska de Lwow), le Sturmführer Rokita, et les nommés Schpeït, Klein, Hager, Holtz, Schtruchgold, Liaski, Gromikita. 10 000 personnes auraient été tuées dans la forêt de Siedliska, 2 000 dans le cimetière juif et un millier dans le ghetto (les corps furent ensuite transportés dans le cimetière juif). 630 hommes et des femmes aptes furent envoyés dans des camps de travail, à Kamionka et Rata, et dans celui de Janowska à Lwow. En avril 1943, 1 200 Juifs du camp de la ville de Velyki Mosty furent amenés à Rawa Ruska. Le 8 juin 1943, les Allemands réussirent à faire croire aux derniers Juifs du ghetto qu’ils pouvaient acheter leur survie, et le lendemain, ils furent rassemblés et exécutés dans la forêt de Borovy. Environ 1 500 Juifs se trouvaient dans le camp de Lypnyk (au sud-est de Rawa Ruska, sur la route de Lwow), et furent fusillés dans la forêt de Siedliska.
Le rapport de la CES de Rawa Ruska insiste beaucoup sur la présence de l’ancien camp de prisonniers de guerre soviétiques (10 à 12 000 y auraient péri), occupé à partir de juin 1942 par des prisonniers de guerre français et belges (10 000 environ, dans le Stalag 325, camp de représailles), et sur la localisation des différentes fosses d’inhumation dans la ville et dans ses environs.

Actes (89)
24-30 septembre 1944

Bilan effectué par la Commission de district chargée de l’enquête et de l’étude des crimes des envahisseurs germano-fascistes dans le district de Rawa Ruska.

De très grandes fosses d’inhumation de cadavres ont été trouvées dans les lieux suivants:

dans le cimetière juif de Rawa Ruska
plus de 5 000 cadavres
dans la forêt de « Borové », à 250 m du village de Borové
1 500 cadavres
à côté du cimetière juif de Rawa Rouska
plus de 4 000 cadavres
à la lisière de la forêt de Volkovitskii, un cimetière français avec 23 fosses individuelles dans la forêt de Volkovitskii, à 20 m de l’hôpital
plus de 8 000 corps de prisonniers de guerre soviétiques
dans la forêt de Volkovitskii, à 100 m de l’hôpital
plus de 7 000 corps de prisonniers de guerre soviétiques
dans la forêt de Sedliskii, près du village de Sedlisko, à 4 km de Rawa Ruska
plus de 11 000 cadavres

À Jovka (à 27 km au nord de Lwow), les Allemands arrivèrent le 29 juin 1941. Il y avait alors 8 000 Juifs dans la ville (3 500 avant la guerre). Le 15 juillet, un décret ordonna que les Juifs portent un brassard marqué de l’étoile de David. Le 24 mars 1942, les SS vinrent de Lwow et, avec l’aide de la police ukrainienne, envoyèrent entre 600 et 800 Juifs à Belzec. (90) Le 22 novembre 1942, la principale Aktion se solda, dans la ville, par la mort de 600 personnes et la déportation de 1 200 à 3 000 autres, le 25 novembre, à Belzec. (91) La création du ghetto fut ordonnée le lendemain de cette Aktion : le 1er décembre, 5 000 personnes furent enfermées dans un périmètre comprenant les places Dominikanskii et Guénila, et les rues Tourinteskaïa, Shniterskovo et Peretz. À la mi-mars 1943, 600 à 700 Juifs furent envoyés dans le camp de Janowska à Lwow, et le 25 mars, pendant toute la journée, 4 000 Juifs de Jovka furent fusillés dans une forêt à proximité du village de Bor. De nouvelles exécutions eurent lieu à Bor le 6 avril 1943. (92) Le 10 juillet 1943, une soixantaine de personnes gardées pour nettoyer le quartier du ghetto furent exécutées à leur tour.

L’arrondissement de Drohobycz

Ce sont 13 000 Juifs de Borislav qui auraient été assassinés ou envoyés à la mort à Belzec. Entre 200 et 280 Juifs furent victimes d’un pogrom mené par des Ukrainiens et des Polonais pendant l’été 1941. Le 28 novembre suivant, 700 à 900 Juifs furent rassemblés et assassinés sur deux sites, hors de la ville, à Tustanowice (à l’est) et à Mraznitsa, tous deux consacrés à l’exploitation pétrolière . Entre les 3 et 5 août 1942, 6 000 Juifs furent rassemblés et amenés à la gare de la ville par groupes pour être conduits à Belzec. (94) Une nouvelle Aktion fut organisée en octobre 1942, à la suite de laquelle un ghetto fut créé dans la ville. En novembre, 150 Juifs furent amenés à Bronitsa, site d’exécution en périphérie de Drohobycz. Le 16 février 1943, 700 autres personnes furent raflées, puis fusillées deux jours plus tard à la sortie de la ville, près des abattoirs. Entre le 25 mai et le 2 juin, 700 autres personnes furent abattues sur le même site, puis 1 500 Juifs environ furent encore exécutés à Mraznitsa pour rendre la ville « judenrein ». (95)
À Opaka, petit village à l’ouest de Borislav, 40 Juifs qui se cachaient dans un bois à l’arrivée des Allemands furent assassinés par des Ukrainiens en juin 1941. (96)
À Medenyci (à une vingtaine de kilomètres au nord-est de Drohobycz), les humiliations contre les Juifs commencèrent dès l’arrivée des Allemands, et dans les villages voisins, les populations locales se livrèrent à la chasse aux Juifs et aux cadres soviétiques (à Ripchytsi, à Letnya). Au printemps 1942, tous les Juifs du village de Dobrivliany furent exécutés sur place par des policiers allemands et ukrainiens. Dans la nuit du 5 au 6 août 1942, toute la population juive de Medenyci fut regroupée dans l’ancien cinéma de la ville, puis, le 8 août, conduite à la gare de Drohobycz. Il restait, à Opory, au sud-ouest de Medenyci, un camp de travail avec quelques dizaines de Juifs internés, qui furent liquidés en juin 1943. Medenyci fut libérée le 6 août 1944. (97)
Les Allemands arrivèrent à Turka (au sud-ouest de Drohobycz, près de la frontière hongroise de la Ruthénie subcarpathique) le 28 juin 1941. Cinquante « civils » furent exécutés à l’extérieur de la ville le 12 octobre 1941. Entre le 8 et le 11 janvier 1942, 880 autres furent fusillés dans un champ des alentours. Le 5 août, la police douanière emmena 115 « citoyens » de Turka à Drohobycz. (98) Le 15 septembre 1942, 355 « citoyens » de Turka furent conduits à Stryj, où ils auraient été fusillés en masse. Le 7 janvier 1943, environ 500 Juifs furent regroupés à la briqueterie de la ville et emmenés sur la route du village de Borynia (vers le sud) pour y être assassinés.

L’arrondissement de Stryj

À Stryj, les Allemands ordonnèrent le port du brassard marqué de l’étoile juive le 26 août 1941. Le 1er septembre, ceux qui étaient venus de Drohobycz vinrent rafler des Juifs, (99) des hommes surtout. Ils les emmenèrent à Drohobycz, où ils furent fusillés. Un ghetto fut organisé à la fin de l’année 1941, et resta ouvert tout au long de l’année 1942. À l’automne, les Aktionen s’enchaînèrent contre les Juifs de la ville : du 3 au 5 septembre, 5 000 personnes furent envoyées à Belzec ; les 17-18 octobre, 4 à 5 000 personnes furent arrêtées (le nombre de déportés à Belzec n’est pas précisé) ; le 15 novembre, 1 300 personnes furent envoyées à Belzec. (100) Des Juifs de villages voisins furent regroupés dans le ghetto de Stryj. Le 28 février 1943, près de 3 000 d’entre eux furent tués, puis de nouveau 3 000 autres le 20 mai 1943. Les lieux d’exécution étaient le cimetière juif de Pomiarky (où 18 fosses ont été repérées), l’hôpital juif et les forêts de Holobutiv (à l’ouest de Stryj). (101) Un groupe de 75 personnes fut fusillé à Holobutiv le 5 juin 1943.
À Bolekhiv, la première Aktion eut lieu les 28-29 octobre 1941 : 750 Juifs furent exécutés à proximité de la briqueterie située sur la route du village de Taniava (au nord-ouest de Bolekhiv). Une deuxième Aktion fut menée à la mi-avril 1942, au cours de laquelle 450 Juifs furent fusillés près du cimetière juif ; puis ce fut une troisième Aktion, du 3 au 5 septembre 1942, au cours de laquelle 650 personnes furent exécutées au même endroit et 450 envoyées à Belzec. (102) Une quatrième eut lieu en juillet 1943 contre 2 000 Juifs qui furent fusillés. Selon l’acte établi, 4 230 Juifs auraient été abattus à Blolekhiv. (103)

L’arrondissement de Kalusz

À Kalusz, les 23-25 août 1941, une Aktion fut menée par des Allemands venus de Stanislawow contre des membres l’intelligentsia juive de la ville et leurs familles ; 380 personnes furent fusillées en un lieu sis à 3 km en dehors de la ville. Le 23 novembre 1942 débuta une Aktion de plus large ampleur, qui dura trois jours : environ 3 000 Juifs furent arrêtés et chargés dans un train de vingt wagons pour être envoyés à Belzec. 4 000 auraient été tués en tout dans le cimetière juif de la ville. (104)

L’arrondissement de Brzezany

Dans la ville de Brezany (à une cinquantaine de kilomètres à l’ouest de Tarnopol), au mois de juillet 1942, 600 Juifs furent exécutés en bordure de la forêt de Litiatine, à 2 km au sud de la ville, c’est-à-dire sur l’un des deux sites d’exécution (l’autre se trouvait à 1,5 km de la ville). (105)
À Bursztyn, selon l’acte établi par la CES, (106) 1 806 Juifs furent emmenés sur la route du village de Bukachivtsi (au nord-ouest) pour y être soit fusillés, soit emmenés à Rohatyn avant d’être convoyés vers Belzec. (107)
À Podhajce (à une quarantaine de kilomètres au sud-est de Brzezany), le 31 octobre 1942, les Allemands, arrivés de Tarnopol, rassemblèrent 3 000 Juifs du ghetto et les amenèrent à la gare de la ville pour qu’ils soient envoyés à Belzec. (108) Le 6 juin 1943, le ghetto fut liquidé, et 2 000 Juifs exécutés à proximité du village de Stare Misto (au nord-ouest de Podhajce) ; deux jours plus tard, 2 000 autres furent abattus de la même manière à la sortie du village de Zahaïtsy (au nord-est de Podhajce). (109)
À Rohatyn, un ghetto fut créé au début d’août 1941 pour y enfermer la population juive, forte d’environ 3 500 personnes. Il comprenait les rues Ivana Franko, Stalanova, Torgovaïa, Roupaleva et Novoïé Mesto ; une palissade le ceinturait. En janvier 1942, les Allemands confisquèrent aux Juifs toutes leurs denrées alimentaires, qui furent transportées hors de la ville par train. Tous les métaux non-ferreux furent confisqués aussi. Pendant l’année 1942, 5 000 Juifs de Bursztyn et de Bukachivtsi furent acheminés jusqu’à Rohatyn. Le 20 mars 1942, des unités allemandes et ukrainiennes venues de Stanislawow fusillèrent 3 000 personnes près de la gare, sur le site de l’ancienne briqueterie. Les 21-22 septembre, un millier de personnes furent prises, et 300 fusillées à proximité de l’hôpital, tandis que les 700 autres étaient envoyés à Belzec. Le 8 décembre, ce sont 1 500 personnes supplémentaires qui furent conduites à Belzec, (110) et pendant la préparation de ce convoi, 200 personnes, essentiellement des enfants et des personnes âgées, furent tuées. La liquidation du ghetto de Rohatyn eut lieu le 6 juillet 1943, au cours de laquelle plusieurs milliers de Juifs furent éliminés à proximité de l’hôpital. (111)

L’arrondissement de Tarnopol

À Skalat (à une trentaine de kilomètres au sud-est de Tarnopol), l’armée allemande arriva dans la nuit du 5 au 6 juillet 1941. Dès le 6 juillet, 180 hommes juifs furent fusillés derrière l’enclos de l’église catholique de la ville. La population juive dut acquitter une contribution de 600 roubles et de 3 kilos d’or. Pendant l’automne et l’hiver, les Allemands procédèrent à des rafles pour envoyer des hommes et des femmes dans un camp de travail, dans le village de Maksymivka (au nord, proche de la ville de Zbarazh) et sur des chantiers, dans la petite ville de Velyki Byrki (à l’est de Tarnopol) et à Novosilka (à 3 km au nord-est de Skalat). Le 1er septembre 1942, des unités allemandes arrivèrent de Tarnopol et envoyèrent un premier groupe de Juifs par le train à Belzec. (112) Durant la première moitié d’octobre 1942, les Juifs des communes proches de Hrymailiv et de Pidvolochys’k, et de leurs environs, furent rassemblés à Skalat. Le 20 octobre, les Allemands regroupèrent ainsi 3 000 Juifs de la ville dans le quartier de la synagogue ; deux jours plus tard, ils furent acheminés à la gare. Le 9 novembre, de nouveau, un millier de personnes furent chargées sur des camions pour être menées à la gare de Tarnopol. (113) Le 7 avril 1943, le ghetto de Skalat fut encerclé par les Allemands et environ 700 personnes exécutées à proximité du village voisin de Novosilika. (114) Le 9 juin, 500 autres personnes furent regroupées pour être exécutées au même endroit. Un camp fut formé à l’extérieur de la ville, où 500 Juifs furent regroupés ; plusieurs s’en évadèrent et rejoignirent les résistants ukrainiens ; les derniers détenus du camp furent exécutés en juillet 1943.
À Tovste, 6 000 personnes auraient été tuées dans le cimetière juif de la ville et 1 800 envoyées à Belzec. (115) Des camps réservés aux Juifs furent construits dans la région et, en juin 1943, 3 000 Juifs furent fusillés. L’Armée rouge libéra la ville en mars 1944. (116)
Les Allemands entrèrent dans Zbarazh (à une dizaine de kilomètres au nord-est de Tarnopol) le 4 juillet 1941. Le 28 juillet 1941, le comité national ukrainien local ordonna aux Juifs de verser à la ville une « contribution » de 350 000 roubles. Le 6 septembre, des SS venant de Tarnopol assassinèrent dans la forêt voisine de Lubianki 75 membres de l’intelligentsia juive. Pendant l’hiver 1941-1942, la population juive de Zbarazh dut livrer pour deux millions de roubles de manteaux de fourrure, de vêtements et de chaussures. Dans la nuit du 31 août au 1er septembre 1942, 560 Juifs, des personnes âgées et des malades, furent rassemblés dans les bains-douches de la ville ; le lendemain, elles furent emmenées à la gare de Tarnopol pour être conduites à Belzec. (117) Le 30 septembre, l’opération se répéta pour plusieurs centaines d’autres personnes . Une troisième Aktion de ce type eut lieu le 21 octobre, menée contre un millier de personnes (118) ; le reste de la population fut enfermé, le lendemain, dans un ghetto. Une quatrième Aktion organisée dans cette ville en novembre envoya à Belzec un millier de Juifs. Le 7 avril 1943, des SS de Tarnopol, des gendarmes allemands et la police ukrainienne rassemblèrent un millier de Juifs du ghetto et les emmenèrent à la raffinerie locale pour y être assassinés ; leurs vêtements furent envoyés à Tarnopol afin d’être expédiés en Allemagne. Le 9 juin 1943, le ghetto fut liquidé, et 500 à 600 personnes furent tuées au cours de l’opération.

L’arrondissement de Kolomyja

À Horodenka, une Aktion (probablement la troisième) eut lieu le 17 septembre 1942, rassemblant 3 000 personnes sur la place publique. La Gestapo et la police ukrainienne en fusillèrent environ 200 sur place. Le témoin Aron Solomovitch Fridman affirme que 230 Juifs furent embarqués dans un train à la gare de Horodenka à destination de Belzec. (119) Le 15 octobre, 300 Juifs furent rassemblés sur la place publique ; plusieurs furent abattus sur place, les autres menés dans un grand domaine agricole, avant d’être envoyés à Belzec quelques jours plus tard. (120)

L’arrondissement de Czortkow

Les Allemands arrivèrent à Czortkow le 6 juillet 1941. Pillages, assassinats de petits groupes d’hommes, réquisitions de personnes envoyées dans des camps de travail (à Kamionka-Strumilowa, dans le nord du district de Galicie, à Tarnopol) se multiplièrent. Des membres de l’intelligentsia juive de la ville furent assassinés hors de la ville. Le 1er avril 1942, les quelque 8 000 Juifs de Czortkow durent s’installer dans un ghetto comprenant les rues Torgovaïa, Riznitskaïa, Podolskaïa et Chkolnaïa, qui fut encerclé le 26 août suivant. Le lendemain, il fut procédé, sur la place du marché, à une sélection de la population juive du ghetto, au cours de laquelle 350 personnes furent tuées. 2 120 Juifs furent enfermés dans la prison, puis amenés à la gare le jour même pour monter dans un train (à raison de 120 personnes par wagon) à destination de Belzec. (121) Le 6 octobre, une seconde Aktion regroupa 500 personnes à la prison, conduites à Belzec le lendemain. Le ghetto de Czortkow fut liquidé entre le 18 et le 30 juillet 1943 – le site des exécutions se trouvait à 5 km en dehors de la ville.
Le récit de Zonia Maïerovna Berkovitch (née en 1925) devant la CES relate le convoi du 27 août 1942 au départ de Czortkow pour Belzec :
« Dans la nuit du 26 au 27 août 1942, des gendarmes et des policiers sont arrivés sur le territoire où étaient installés les Juifs. Ils ont encerclé tout le territoire, se sont mis à tirer sur les maisons. Les gens sortaient en courant de chez eux et tombaient sous les balles. Beaucoup de gens sont morts cette nuit-là. Les assassins sont les hommes de la Gestapo, la police criminelle, la gendarmerie, les Sonderkommandos, et les policiers.
Nous avons également été sortis de chez nous et emmenés sur la place du côté du marché. Sous la lumière, on pouvait distinguer des tables sur lesquelles se trouvaient des zakouski et des bouteilles de vin. Derrière ces tables étaient assis les hommes de la Gestapo et leur chef. Un homme de la Gestapo a donné des feuilles à Kelner [le responsable SS de l’Aktion]. Ce dernier les a regardées, a dit qu’il y avait 2 000 personnes et que ce n’était pas assez. Il y avait également 35 voitures.
« Ensuite, à 4 heures du matin, les 2 000 personnes ont été emmenées à la prison. Sur le chemin, beaucoup ont tenté de s’enfuir. Les Allemands ont ouvert le feu, si bien qu’il y avait beaucoup de cadavres dans les rues. Lorsque nous sommes arrivés dans la cour de la prison, d’un côté, celui où nous étions avec ma mère et ma sœur, se tenaient 800 personnes, de l’autre il y avait d’autres personnes dont j’ignore le nombre. Par la suite, j’ai appris par le Conseil juif que, cette nuit-là, 300 personnes avaient été assassinées.
Le 27 août 1942 à 14 heures, nous avons été mis en rangs par 10 et convoyés jusqu’à la gare. Nous n’avions eu ni vivres ni eau dans la prison. Les enfants pleuraient, demandaient à boire. Il y avait des cris, des pleurs, beaucoup de gens étaient blessés. Les gendarmes et les hommes de la Gestapo passaient parmi les gens et les maltraitaient. Des petits enfants étaient pris des bras de leurs mères, amenés jusqu’à un balcon et jetés sur la place. Les mères pleuraient, suppliaient qu’on leur rende leurs enfants, en vain.
« Il s’agissait du premier pogrom dans la ville de Czortkow. Les Allemands appelaient cela « aktsia » ou « action ». Au cours de cette opération, les Allemands riaient de bon cœur, répétant souvent ce mot « action ».
« Une fois à la gare de Czortkow, on nous a fait monter dans des wagons dont les portes ont ensuite été fermées. De nombreux Juifs venaient d’autres villages et d’autres villes. Il y avait des femmes, des enfants, des vieillards, des malades, des blessés. On mettait dans un petit wagon entre 130 et 140 personnes. Nous n’y avions ni nourriture ni eau. Tout le monde avait soif, gémissait, pleurait. Il n’y avait pas d’air pour respirer, si bien que des gens mouraient. Mes lèvres se sont mises à gonfler, je ne pouvais plus parler. J’étais debout juste à côté de la paroi du wagon, à côté de ma mère et de ma sœur. J’avais un couteau sur moi et me suis mise à faire un trou dans le mur pour avoir ne serait-ce qu’un peu d’air. Une fois le trou creusé, ma mère et moi y respirions à tour de rôle.
« Le 28 août 1942, nous sommes arrivés dans la gare de Belzts [Belzec], non loin de Rawa Ruska. Lorsque le train s’est arrêté, nous n’étions pas plus de 15 personnes encore en vie. Les autres étaient mortes, leurs corps se décomposant très rapidement. Le train est resté comme cela environ deux heures, puis une partie des wagons a été encerclée. Le train tantôt avançait, tantôt reculait. Sur la route, deux hommes du wagon nous ont dit qu’il fallait casser la fenêtre et sauter. Ma mère m’a poussée, je suis tombée et ai perdu connaissance. Puis je me suis réveillée, deux hommes étaient à côté de moi. Ils m’ont dit « Pars d’ici, il y a des Allemands ». Je suis partie. En allant boire de l’eau dans un étang, un lieutenant de la gendarmerie m’a vue et emmenée à la prison de Rawa Ruska, qui se trouvait à 1 km d’où nous étions. Je suis restée dans cette prison jusqu’au 4 novembre 1942. Les geôliers de la prison étaient des Polonais, ils me cachaient dans la cave à chaque fois que les Allemands arrivaient. Le chef de la prison m’a laissée sortir à la demande des gardiens, ces derniers lui ont dit que j’étais une parente de l’un d’entre eux. Après cela, j’ai enlevé mon brassard juif, suis montée dans un train et suis arrivée dans la gare de Buczacz, où vivait mon père à cette période-là. Je m’y suis cachée jusqu’en juillet 1943. Pendant mon séjour, des « actions » ont été menées par les Allemands, mais j’y ai échappé.
« Ensuite, mon père, mon petit frère et moi sommes partis dans le village de Shulhanivka à 10 km à l’ouest de Czortkow, où il n’y avait pas d’Allemands. Nous travaillions dans les champs. » (122)

La commission d’enquête a établi dans son rapport concernant la ville de Skala Podolska que 5 353 « civils » furent tués, parmi lesquels 3 002 furent envoyés à Belzec. Plusieurs centaines de Juifs y furent déportés les 26-27 septembre 1942. (123)
Dans le village de Jagielnica (au sud de Czortkow), le 27 août 1942, 54 Juifs furent tués dans le village et 400 acheminés à Belzec. Le 5 octobre, une autre Aktion fit 30 morts et 400 autres personnes furent amenées à Belzec. (124)

Les rapports des commissions d’enquêtes en Galicie orientale montrent que, contrairement à ce que déclarait l’historienne Antonella Salomoni, (125) le caractère spécifiquement antijuif des massacres n’était pas forcément sous évalué dans ces documents. Les destructions de communautés entières y apparaissent clairement, le mot « Juifs » est employé sans retenue. Cependant, les récits généraux rapportés, présentant des chiffres très importants de victimes, dans les dépositions comme dans les actes, créent un contraste avec des récits plus individualisés dans les rapports pour les victimes non-juives des nazis et de leurs complices. Ces rapports d’enquête constituent la base principale pour la connaissance de la destruction des communautés juives en territoire soviétique. Ils révèlent un aspect complémentaire de notre connaissance de la destruction des Juifs de Pologne dans l’Aktion Reinhard en présentant la Galicie orientale comme un vaste territoire parsemé de fosses communes et d’où il était, pour les Juifs pris au piège, presque impossible de s’échapper.

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(1) Nathalie Moine, « La commission d’enquête soviétique sur les crimes de guerre nazis : entre reconquête du territoire, écriture du récit de la guerre et usages justiciers », in Le Mouvement social, n° 222, 2008/1, Paris, La Découverte, p. 81-109.

(2) Chiffres fournis par Victoria Thomas-Prozorova, diplômée de l’Institut d’histoire et des archives de Moscou, le 5 mars 2009, à l’occasion du séminaire d’étude sur l’histoire de la Shoah à l’Est, de l’université Paris IV-Sorbonne.

(3) Nathalie Moine, « La commission d’enquête soviétique sur les crimes de guerre nazis »., art. cit.,p. 82.

(4) Yitzhak Arad, The Holocaust in the Soviet Union, Lincoln, University of Nebraska Press, et Jérusalem, Yad Vashem, 2009, p. 42.

(5) Y. Arad, The Holocaust in the Soviet Union, op. cit., p. 223 (600 000 Juifs présents en Galicie orientale en juin 1941) ; Dieter Pohl, « Le génocide en Galicie orientale », in Revue d’histoire moderne et contemporaine, n° 47-2, avril-juin 2000, p. 291 (540 000 Juifs) ; Dariusz Libionka, « L’extermination des Juifs polonais dans le Gouvernement général (Aktion Reinhard). Aspects généraux », in Revue d’histoire de la Shoah, n° 196, janvier-juin 2012, p. 33 (« Près d’un demi-million de Juifs se trouvaient à l’intérieur des frontières du district de Galicie. »).

(6) Chiffres fournis par le site internet de référence sur l’Aktion Reinhard, Aktion Reinhard Camps (www.deathcamps.org, « Lviv Ghetto »).

(7) Voir « Le rapport Katzmann », in RHS n° 196, p. 397.

(8) Dieter Pohl, Nationalsozialistische Judenverfolgung in Ostgalizien 1941-1944. Organisation und Durchführung eines staatlichen Massenverbrechens, Munich, Oldenbourg (Studien zur Zeitgeschichte), Munich, 1996, p. 44-45, 385.

(9) D. Pohl, « Le génocide en Galicie orientale », art. cit., p. 297.

(10) « Le rapport Katzmann », art. cit., p. 411.

(11) Yitzhak Arad, Belzec, Sobibor, Treblinka. The Operation Reinhard Death Camps, Bloomington, Indiana University Press, 1999, p. 384-387.

(12) Les Soviétiques reprirent Lwow aux Allemands le 27 juillet 1944. Trois jours auparavant, ils étaient entrés à Lublin, en territoire polonais.

(13) Les documents consultés et étudiés sont des copies obtenues des archives de l’USHMM de Washington et déposées au centre d’archives et de recherches du Centre européen de Ressources pour la Recherche et l’Enseignement sur la Shoah à l’Est (CERRESE) de l’association Yahad-in Unum, traduits du russe en français par les services du CERRESE.

(14) Les quatorze Landkreise du district de Galicie étaient Brzezany, Czortkow, Drohobycz, Kamionka-Strumilowa, Kalusz, Kolomea, Lemberg, Lemberg-Land, Rawa Ruska, Sambor, Stanislawow, Stryj, Tarnopol et Zloczow.

(15) USHMMM : RG-22.002 M Reel 26.

(16) Ibid.

(17) Pour le territoire du futur district de Galicie, il s’agit des commandos 4b et 6 du groupe d’intervention C, dont les parcours et les actions sont décrits par l’historien allemand Ralf Ogorreck (in Les Einsatzgruppen. Les groupes d’intervention et la « genèse de la Solution finale », Paris, Calmann-Lévy/Mémorial de la Shoah, 2007, p. 150-155 et 160-162). Le nombre d’opérations menées par ces deux commandos aurait été limité dans les premiers jours sur ce territoire, et ils sont positionnés plus à l’est, à Vinnitsa et Jitomir, dès la deuxième quinzaine du mois de juillet. Voir Ralf Ogorreck, Les Einsatzgruppen, op. cit., et la carte des positions des unités mobiles de tuerie en juillet 1941 établie par Raul Hilberg, in La Destruction des Juifs d’Europe, Paris, Fayard, 1987, p. 258.

(18) USHMM : RG-22.002 M Reel 26.

(19) USHMM : RG 22.002 M / 7021-73 / 8 Reel 14.

(20) L’ouverture des fosses pour préciser leurs localisations, les mesurer pour estimer le nombre des cadavres et réaliser des autopsies n’ont pas été des actions systématiquement ordonnées par les enquêteurs. Un cas notable est celui de la ville de Rawa Ruska.

(21) Yitzhak Arad, dans son étude de référence, a recensé un dernier convoi galicien vers Belzec, au départ de la petite ville de Rohatyn, le 8 décembre 1942 (in Belzec, Sobibor, Treblinka, op. cit., p. 385).

(22) USHMM : RG-22.002 M Reel 13.

(23) USHMM : RG-22.002 M Reel 26.

(24) Parmi les dépositions recueillies à Lwow, deux témoignages décrivent le pogrom réalisé dans la ville par des Ukrainiens, à l’occasion de l’anniversaire de la mort du chef nationaliste Petlioura : le premier, dont l’année est illisible sur le document, eut lieu un 24 juin et fit 10 000 morts ; le second survint en septembre 1941 et fit 15 000 victimes. Selon les études de David Kahane (A Lvov Ghetto Diary, Amherst, University of Massachussetts Press, 1990, p. 34) et de Tadeusz Zaderecki (Lvov under the Swastika, Jérusalem, Yad Vashem, 1982, p. 62-63), ces événements eurent lieu entre les 25 et 28 juillet 1941 et firent 1 500 victimes.

(25) Par exemple dans les actes établis par la commission pour la petite ville de Turka (au sud-ouest de Borislav) le 27 avril 1945 (USHMM : RG-22.002 M Reel 26).

(26) USHMM : RG-22.002 M Reel 26.

[(27) L’orthographe retenue des noms de communes dans cette étude est celle du polonais ou de l’ukrainien.

(28) Ibid.

(29) Ibid.

(30) USHMM : RG-22.002 M Reel 13.

(31) USHMM : RG-22.002 M Reel 26.

(32) USHMM : RG 22.002 / 7021-73 / 13 Reel 11.

(33) USHMM : RG-22.002 M Reel 17.

(34) USHMM : RG-22.002 M Reel 26.

(35) Ibid.

(36) En Russie, c’est le nom donné au maire d’une commune ; il s’agit en fait ici du chef civil allemand d’une municipalité, le Stadthauptman.

(37) Déposition de Petro Grigorevitch Kissera, le 8 décembre 1944 (USHMM : RG-22.002 M Reel 26).

(38) Déposition de Piotr Antonovitch Mazour, le 15 janvier 1945 : « L’Allemand est venu nous chercher et il nous a ordonné de repartir à la fosse. Nous y sommes retournés. La fosse était recouverte d’une fine couche de terre par-dessus les gens et il y avait du sang à côté. La terre bougeait ; on voyait que les gens étaient encore vivants, mais les Allemands nous ont dit de les recouvrir de neige pour les dissimuler. Quand nous avons eu terminé, les Allemands nous ont ordonné de revenir creuser le lendemain au même endroit une autre fosse de 6 mètres de long sur 3 de large et 3 de profondeur. Nous avons creusé et les Allemands nous ont de nouveau demandé de retourner au village. En arrivant là, nous avons vu les Allemands et la police conduire des citoyens soviétiques de la briqueterie à la fosse. Parmi ces citoyens soviétiques se trouvaient des vieillards, des femmes et des enfants. Ils étaient environ 300. Nous avons entendu des coups de feu. Quand les Allemands et les policiers ont eu abattu tous les citoyens soviétiques, nous sommes retournés les enterrer. En approchant de la fosse, j’ai vu fusiller 5 autres personnes. Les vêtements enlevés aux morts étaient en tas par terre près de la fosse. Les Allemands les ont tous emportés avec eux. » (USHMM : RG-22.002 M Reel 26).

(39) Déposition de Nikolaï Vassiliévitch Sakhovtchak, le 14 janvier 1945 : « Une fois descendu du camion, j’ai vu qu’on avait fait mettre les Juifs en rangs par deux et qu’on les emmenait en direction du village de Borynia ; je ne sais combien ils étaient ; un policier avec qui j’ai parlé m’a dit qu’ils étaient 500. » (USHMM : RG-22.002 M Reel 26).

(40) Déposition de Savka Fessovitch Gourtch, le 16 novembre 1944 : « J’y suis allé et j’ai enterré les 23 Juifs qui y étaient. Quand je suis arrivé, tous étaient morts et gisaient par terre. Là-bas, il y a des cavernes partout ; deux d’entre eux étaient dans une caverne où ils s’étaient cachés. Tous les cadavres étaient très abîmés, les crânes fracassés, les mains coupées. Ils n’ont pas été tués avec des armes, mais avec des bâtons parce que près de la fosse, il n’y avait pas une seule cartouche, seulement des bâtons avec plein de sang dessus. Beaucoupavaient le visage brûlé ; il y en avait un qui avait la tête coupée, c’est-à-dire que la tête était coupée en deux au niveau du front. C’était horrible à voir. » (USHMM : RG-22.002 M Reel 26).

(41) USHMM : RG-22.002 M Reel 26.

(42) Mais le désintérêt de Sidor est contredit par le témoignage d’un autre rescapé juif de Borislav devant la CES.

(43) USHMM : RG-22.002 M Reel 26.

(44) Ibid.

(45) USHMM : RG-22.002 M Reel 17.

(46) Ibid.

(47) USHMM : RG-22.002 M Reel 26.

(48) Ibid.

(49) Dans la cave aménagée dans sa maison par Pissak (Ibid).

(50) Ibid.

(51) Ibid.

(52) Un autre témoin présente, devant la CES, un certain Sidor comme un « sauveteur » désintéressé de Juifs à Borislav.

(53) C’est-à-dire membre de l’organisation de la jeunesse communiste du Parti communiste d’Union soviétique.

(54) USHMM : RG-22.002 M Reel 26.

(55) USHMM : RG-22.002 M Reel 17.

(56) USHMM : RG-22.002 M Reel 26.

(57) Interrogatoire mené par le lieutenant Likhatskii, chargé d’enquête auprès du département du KGB du district de Rawa Ruska, entre la mi-septembre et début octobre 1944 (USHMM : RG-22.002 M Reel 13).

(58) Interrogatoire mené par le capitaine Tchiornyï, chargé d’enquête auprès du département du KGB du district de Rawa Ruska, entre la mi-septembre et début octobre 1944 (ibid.).

(59) Voir Robert Kuwalek, Oboz zaglady w Belzcu, Lublin, éditions du Musée national de Majdanek, 2005, p. 59. Dans son témoignage devant la CES à Rawa Ruska, le 18 septembre 1944, le Polonais Édouard Arendt (né en 1896) affirme : « Je sais également, d’après les récits d’autres personnes, que des Juifs étaient emmenés du camp jusqu’à la gare de Belzec, à 21 km de Rawa Ruska , où on les tuait au gaz dans des bâtiments semblables à des bains-douches. J’ignore combien de Juif y ont été tués. » (USHMM : RG-22.002 M Reel 13).

(60) Voir la note 1 du « Témoignage de Rudolf Reder, survivant du centre de mise à mort de Belzec, 1946 », in RHS, n° 196, op. cit., p. 61.

(61) USHMM : RG-22.002 M Reel 13.

(62) Il s’agit en fait de la principale Aktion menée contre les Juifs enfermés dans le ghetto de Lwow, pendant l’année 1942 des déportations vers Belzec. Entre le 10 et le 31 août, 40 à 50 000 Juifs furent déportés ; un millier environ furent tués dans le ghetto lors des opérations de regroupement, dont les enfants de l’orphelinat et les patients des hôpitaux juifs ; près de 1 600 hommes furent sélectionnés et envoyés au camp de travaux forcés de la rue Janowska.

(63) USHMM : RG-22.002 M Reel 13.

(64) Ibid.

(65) Ibid.

(66) Ibid.

(67) Ibid.

(68) Ibid.

(69) Témoignage de Stanislaw Kozak, in RHS, n° 196, op. cit., p. 503.

(70) USHMM : RG-22.002 M Reel 17.

(71) USHMM : RG 22.002 M / 7021-73 / 11 Reel 11.

(72) USHMM : RG-22.002 M Reel 26.

(73) Ibid.

(74) Pour rappel, les trois centres de mise à mort de l’Aktion Reinhard et le camp d’extermination de Majdanek étaient tous localisés dans les districts de Lublin ou de Varsovie. Le Mémorial de la déportation des Juifs de France de Serge Klarsfeld (Paris, 1978) recense quatre convois au départ de la France vers les camps de l’Aktion Reinhardt : le convoi n° 50 du 4 mars 1943 vers Majdanek ; le convoi n° 51 du 6 mars 1943 vers Majdanek ; le convoi n° 52 du 23 mars 1943 vers Sobibor ; et le convoi n° 53 du 25 mars 1943 vers Sobibor.

(75) USHMM : RG-22.002 M Reel 13.

(76) Zbignev Germanovitch Bitch, qui travaillait au NKVD, déclare devant la CES de Lwow : « Dans le camp de Janowska, en 1943, il n’y avait pas que des Juifs. Il y avait aussi des Polonais, des Ukrainiens, des Français, des Italiens. Il n’y avait plus aucune différence entre les nationalités, puisque les fascistes les tuaient tous et brûlaient les corps. » (USHMM : RG-22.002 M Reel 13). Devant cette même commission, le prisonnier de guerre français Georges Le Foul, témoigne : « La première fois que j’ai été fait prisonnier, j’ai été envoyé dans le camp de prisonniers de guerre de la ville de Sarrebourg, où se trouvaient des prisonniers militaires de l’armée française. Je suis resté dans ce camp 5 mois, puis nous avons été amenés à Forbach. On nous a amenés ainsi de camp en camp jusqu’au mois d’avril 1942, lorsque nous sommes tombés dans le camp de Rawa Ruska dans lequel j’ai passé 5 mois, jusqu’en septembre 1942. Ensuite, nous avons été envoyés à Lwow avec un autre Français pour l’organisation d’un hôpital militaire dans la rue Vetaranov. » (USHMM : RG-22.002 M Reel 13). Dans l’un de ses actes, la commission de Lwow établit : « Des gens de différentes nationalités étaient détenus dans le camp. Outre, des Russes, des Ukrainiens et des Polonais, il s’y trouvait des citoyens français, tchèques, yougoslaves, belges, italiens ainsi que des Américains et des Anglais. » (USHMM : RG-22.002 M Reel 13).

(77) « Témoignage de Rudolf Reder, survivant du centre de mise à mort de Belzec, 1946 », in RHS, n° 196, op. cit., p. 72-73.

(78) Concernant la Galicie orientale, voir Zvi Avital et alii, Pinkas Hakehillot. Encyclopedia of Jewish Communities : Poland, vol. II : Eastern Galicia, Jérusalem, Yad Vashem, 1980. Cet ouvrage, ainsi que les autres volumes de l’encyclopédie, peut être consulté à l’adresse suivante : http://www.jewishgen.org/yizkor/pinkas_poland/pinkas_poland2.html.

(79) Yitzhak Arad, The Holocaust in the Soviet Union, chapitres 12, 16, 20 et 24. Y est présenté le sort des communautés de Lwow, Tarnopol, Stanislawow, Drohobycz, Borislav, Stryj, Przemysl (qui se trouvait dans le district de Cracovie), Skalat et Buczacz (dans l’est de la Galicie orientale).

(80) Dans Belzec, Sobibor, Treblinka (p. 386), Arad indique pour Iavoriv (Jaworow) des déportations pour Belzec les 7 et 8 novembre 1942 (au total 1 300 déportés).

(81) USHMM : RG-22.002 M Reel 13.

(82) Pour la ville de Rudky, un autre site d’exécution est souvent indiqué, dans un bois au nord de la ville, sur la route de Lwow.

(83) Arad indique pour Rudky des déportations pour Belzec en novembre 1942 – au total 800 déportés (Belzec, Sobibor, Treblinka, op. cit., p. 386).

(84) Arad indique pour Dobromil des déportations pour Belzec le 29 juillet 1942 – au total 1700 déportés (ibid.).

(85) Il y eut aussi des déportations vers la Sibérie, organisées par les Soviétiques et touchant des habitants juifs suspectés d’être des « agents capitalistes » ou d’être antisoviétiques.

(86) Arad indique pour Rawa Ruska des déportations pour Belzec les 20 mars, 29 juillet 1942 et 7-11 décembre 1942 – au total 5 200 déportés (ibid., p. 384).

(87) Parmi elles se trouvaient les gens qui avaient sauté des trains pour Belzec et s’étaient réfugiés à Rawa Ruska. Les dépositions devant la CES de Rawa Ruska avancent, pour la population totale du ghetto, des évaluations comprises entre 13 et 18 000 personnes (USHMM : RG-22.002 M Reel 13). Par ailleurs, la ville de Rawa Ruska est le nœud ferroviaire par lequel passent tous les convois en provenance du district de la Galicie. Abraham Davydovitch Vaïnfeld, né en 1906 à Drohobycz, interrogé par le lieutenant Zakhvashov, raconte le 25 septembre 1944 :« Au mois d’août 1942, un train de 60 wagons est arrivé dans la gare de Rawa Ruska, 120 personnes étaient entassées dans chaque wagon. Vu la densité de gens dans les wagons, il n’y a guère eu plus de 30 personnes à arriver en vie jusqu’à Rawa Ruska. Les autres sont mortes de chaleur et d’asphyxie dans les wagons. »(USHMM : RG-22.002 M Reel 13). Ilia Shermonovitch Shtarkman, né en 1910, interrogé par le capitaine Tchionyï, raconte le 27 septembre 1944 :« Le 11 mai 1943, j’ai vu de mes propres yeux 2 500 Juifs être chargés dans un train en provenance de Lwow, pour être exterminés à Belzec. À l’arrivée du train dans la ville de Rawa Ruska, une partie des Juifs, ayant compris qu’on les amenait dans le camp de la mort de Belzec, s’est mise à s’enfuir. La gendarmerie allemande qui gardait le train a ouvert le feu, c’est ainsi que [?] personnes ont été tuées. J’ai pu voir qu’à l’intérieur des trains, les Juifs étaient nus et affamés. Lorsque le train était à l’arrêt dans la gare de Rawa Ruska, ils demandaient à boire à la population. C’est pour cette raison que les hommes de la Gestapo ont ouvert le feu sur les wagons. Des cris très forts se sont alors fait entendre, il y avait apparemment des blessés et des morts. » (USHMM : RG-22.002 M Reel 13).

(88) Le dernier convoi au départ de Rawa Ruska fut sans doute le dernier des convois envoyés au centre de mise à mort de Belzec, avant son démantèlement. Un témoin, Famfel Shmouliévitch Levkovitch, rescapé juif, estime que 10 000 Juifs de Rawa Ruska furent lors de cette Aktion envoyés dans le village de Siedliska, au nord-ouest de Rawa Ruska, dans le district de Lublin, pour y être fusillés.

(89) USHMM : RG-22.002 M Reel 13.

(90) Un témoin affirme que « le 22 mars 1942, 1 500 Juifs enregistrés sans travail  ont été emmenés à la gare de Jovka, chargés dans des wagons par groupes de 180 personnes et amenés au camp de Belzec où ils ont été anéantis. » (témoignage de L. M. Shtekhemberg devant la CES de Jovka – USHMM : RG-22.002 M Reel 13).

(91) Les chiffres avancés dans les dépositions sont très variables (1 200, 2 000, 2 400, 3 000) pour ce convoi vers Belzec de novembre 1942, dont les dates varient aussi (22, 23 ou 25 novembre 1942).

(92) Un témoignage évoque l’envoi ce jour-là de 1 500 Juifs au camp de Janowska.

(93) Pendant l’entre-deux-guerres, Borislav, produisant 80 % du pétrole polonais, était surnommée le « Bakou polonais ».

(94) Dans Belzec, Sobibor, Treblinka. The Operation Reinhard Death Camps (p. 386), Y. Arad indique pour Borislav des déportations pour Belzec les 4-6 août, en octobre et en novembre 1942 (au total 8 500 déportés).

(95) USHMM : RG-22.002 M Reel 26.

(96) Ibid.

(97) Ibid.

(98) Arad indique pour Turka des déportations pour Belzec les 4-8 août 1942 – au total 5000 déportés (Belzec, Sobibor, Treblinka, op. cit., p. 384).

(99) Entre 120 et 230 selon les témoignages (USHMM : RG-22.002 M Reel 26).

(100) Arad indique pour Stryj des déportations pour Belzec les 3-5 septembre, les 17-18 octobre et en novembre 1942 – au total 8 500 déportés (Belzec, Sobibor, Treblinka, op. cit., p. 386).

(101) Le 8 décembre 1944, à la question à la formulation orientée de l’enquêteur de la CES de Stryj, « est-ce que les Allemands étaient les seuls à s’occuper de l’extermination des populations civiles ou bien déléguaient-ils cela à d’autres militaires, par exemple des Hongrois, des Français ou des Italiens ? », le témoin Yossif Guenrikhovitch Lesnitski, ingénieur polonais né en 1907, répond : « L’extermination était l’affaire des Allemands exclusivement. Au début, en 1941, à Stryj, il n’y avait que des Allemands ; ce n’est qu’en 1943 que sont apparus des gens qui étaient chargés de la garde et de services de caractère militaire. Il y avait des officiers français et serbes, mais ils étaient comme des prisonniers de guerre. Les exactions étaient le fait des Allemands. Ils veillaient à les commettre en personne. » (USHMM : RG-22.002 M Reel 26).

(102) Arad indique pour Bolekhiv (Bolechow) des déportations pour Belzec les 3-6 août, 21 octobre et 20-23 novembre 1942 – au total 2 700 déportés (Belzec, Sobibor, Treblinka, op. cit., p. 386).

(103) USHMM : RG 22.002 M / 7021-73 / 9 Reel 4.

(104) USHMM : 22.002 M / 7021-73 / 8 Reel 14.

(105) À Brezany, la CES a effectué l’examen des fosses en octobre 1944. USHMM : RG-22.002 M Reel 17.

(106) USHMM : RG 22.002 M Reel 11.

(107) Arad indique pour Bursztyn des déportations pour Belzec les 21 septembre et 26 octobre 1942 – au total 1 600 déportés (Belzec, Sobibor, Treblinka, op. cit., p. 385).

(108) Arad indique pour Podhajce des déportations pour Belzec les 21 septembre et 30 octobre 1942 – au total 2 200 déportés (Belzec, Sobibor, Treblinka, op. cit., p. 385).

(109) USHMM : RG-22.002 M Reel 17.

(110) Arad indique pour Rohatyn des déportations pour Belzec les 21 septembre et 8 décembre 1942 – au total 2 500 déportés (Belzec, Sobibor, Treblinka, op. cit., p. 385).

(111) Pour la liquidation du ghetto de Rohatyn, les chiffres des Juifs assassinés lors de cette dernière phase, avancés dans les dépositions de la CES, varient entre 2 500 et 6 000.

(112) Arad indique pour Skalat des déportations pour Belzec les 31 août, 21 octobre et 9 novembre 1942 – au total 4 700 déportés (Belzec, Sobibor, Treblinka, op. cit., p. 385).

(113) Le témoin Ida Davidovna Dlougatch (née en 1920), amenée à Tarnopol lors de l’Aktion du 9 novembre 1942, raconte : « On nous a amenés à Tarnopol, où l’on nous a fait monter dans un train. Les wagons étaient très sales, car on ne laissait pas sortir les gens. Chaque wagon était soigneusement gardé par les Allemands. Le train allait en direction de Belzec, je savais que l’on n’en reviendrait jamais, car il s’agissait d’un effroyable camp de la mort, c’est pourquoi j’ai décidé de m’enfuir. Le train en marche, j’ai enfoncé la fenêtre et j’ai sauté au niveau de la gare de Zborov alors que le train roulait. Les Allemands m’ont tiré dessus sans m’avoir. Après avoir marché 25 km, j’ai perdu connaissance, je ne me suis réveillée que le lendemain, lorsque des gens m’ont trouvée. J’ai rejoint Skalat le 13 novembre 1942. » (USHMM : RG-22.002 M Reel 17).

(114) Ida Dlougatch raconte encore : « On ne nous avait pas dit où l’on nous amenait, mais les Allemands nous entouraient, munis de mitraillettes, de grenades, si bien que nous avons deviné où l’on allait. Nous sommes arrivés dans la vallée à 14 heures. Une colonne de gens a été avancée auprès de chaque fosse. Ensuite, on nous a ordonné de nous déshabiller. Chaque colonne devait ranger les vêtements sur son tas. Notre colonne se déshabillait, j’étais près du tas de vêtements. Je me suis penchée pour enlever ma robe et me suis glissée sous les vêtements. Les Allemands ne m’ont pas remarquée. Je pouvais entendre les enfants pleurer, les blessés gémir, les Allemands tirer à la mitraillette, jeter les enfants vivants dans la fosse. Les 700 personnes ont été exécutées, jetées dans ces quatre fosses, lesquelles ont ensuite été recouvertes de terre. Puis les Allemands sont partis. Je suis restée sous les vêtements ensanglantés jusqu’au soir. Pendant la nuit, un camion est venu du camp chercher les vêtements des victimes. J’ai été embarquée avec les vêtements. Du camp, je suis ensuite rentrée chez moi. » (USHMM : RG-22.002 M Reel 17).

(115) Arad indique pour Tovste (Tluste) des déportations pour Belzec en juillet et le 5 octobre 1942 – au total 1 300 déportés (Belzec, Sobibor, Treblinka, op. cit., p. 384).

(116) RG-22.002 M Reel 17.

(117) Arad indique pour Zbarazh des déportations pour Belzec le 1er septembre, les 20-22 octobre et 8-9 novembre 1942 – au total plus de 2 000 déportés (Belzec, Sobibor, Treblinka, op. cit., p. 384).

(118) Les témoignages pour cette Aktion donnent des chiffres variant entre 260 et 750 victimes déportées (USHMM : RG-22.002 M Reel 17).

(119) USHMM : RG 22.002 M / 7021-73 / 11 Reel 11.

(120) Arad indique pour Horodenka des déportations pour Belzec les 21 septembre et 30 octobre 1942 – au total 2 200 déportés (Belzec, Sobibor, Treblinka, op. cit., p. 386).

(121) Arad indique pour Czortkow des déportations pour Belzec les 27 août et 5 octobre 1942 – au total 2 500 déportés (ibid., p. 384).

(122) USHMM : RG-22.002 M Reel 17.

(123) Les chiffres varient entre 813 et 1 625 (RG-22.002 M Reel 17). Arad indique bien pour Skala Podalska des déportations pour Belzec à ces deux dates pour un total de 700 victimes (Belzec, Sobibor, Treblinka, op. cit., p. 384).

(124) USHMM : RG-22.002 M Reel 17.

(125) Antonella Salomoni, L’Union soviétique et la Shoah, Paris, La Découverte, 2009, p. 155.

Chronologie de l’Aktion Reinhard et de la destruction des Juifs de Pologne

Cette chronologie est parue dans la Revue d’histoire de la Shoah n° 197, octobre 2012.

L’AKTION REINHARD ET
LA DESTRUCTION DES JUIFS DE POLOGNE
CHRONOLOGIE

1939

1er sept. : début de l’invasion de la Pologne par les troupes allemandes
15 sept. : exécution par gazage des patients de l’hôpital psychiatrique d’Owinska, près de Poznan.
17 sept. : les troupes soviétiques envahissent l’Est de la Pologne
20 sept. : réquisition des postes radiophoniques appartenant aux Juifs polonais
21 sept. : ordre de Himmler adressé aux chefs des Einsatzgruppen en Pologne de regrouper les Juifs des campagnes dans les plus grandes villes, et d’établir des Judenräte
28 sept. : application du traité germano-soviétique qui divise le territoire polonais en deux zones d’occupation. Plus de deux millions de Juifs vivent dans la partie sous contrôle allemand, et 1,3 million dans la partie sous contrôle soviétique.
Sept. jusqu’au 25/10 : massacre de Juifs et de Polonais perpétrés par les Einsatzgruppen.
Sept.-oct. : projet de constitution d’une « réserve juive » dans la région de Lublin.
Sept.-oct. : projet d’une « réserve juive » dans la région de Lublin.
8 oct. : création du premier ghetto à Piotrkow Trybunalski.
12 oct. : établissement du Gouvernement général dans la zone occupée qui ne doit pas être annexée au Reich. Hans Frank devient Gouverneur général. Déportation de Juifs de Vienne vers le Gouvernement général.
16 oct. : le « Sonderkommando Lange » est chargé des inspections des hôpitaux psychiatriques à Owinska, Koscian et Gniezno.
24 oct. : les Juifs de Wloclawek sont obligés de porter un triangle jaune sur leurs vêtements.
26 oct. : interdiction de l’abattage rituel. Tous les hommes juifs entre 16 et 60 ans doivent se mettre à disposition du service du Travail (Arbeitsdienst). Annexion de parties du territoire polonais au territoire du Reich (Warthegau et Prusse orientale).
30 oct. : décret de Himmler expulsant les populations polonaises et juives des territoires qui doivent être annexés au Reich vers le Gouvernement général.
Oct. : blocage des comptes bancaires appartenant aux Juifs, limitation du montant des espèces.
9 nov. : Globocknik est nommé SS- und Polizeiführer pour le district de Lublin.
18 nov. : décret de Hans Frank sur la constitution des conseils juifs (Judenrat) sur le territoire du GG. Hans Frank impose aux juifs de Cracovie de porter un brassard.
23 nov. : décret de Hans Frank imposant aux Juifs du GG, âgés de plus de dix ans, le port de brassards avec l’étoile de David, à partir du 1er décembre 1939.
23 nov. : ordonnance concernant l’obligation du marquage des commerces juifs.
1er déc. : début de la réinstallation de 150 000 Juifs du Warthegau dans le Gouvernement général.
Décembre : début du recrutement du personnel pour l’Opération T4 par la Chancellerie du Reich.
Fin 1939 : premières utilisations de camions de gazage en Pologne.

1940

1er janv. : interdiction aux Juifs du GG de changer de résidence sans permis spécial.
12 janv. : 420 malades de l’asile de Chelm sont exécutés par les Allemands.
13 janv. : un convoi ferroviaire de 600 Juifs en provenance de Lublin arrive à Chelm ; les détenus sont abattus par les Allemands à leur arrivée.
15 janv. : interdiction aux Juifs du GG de faire du commerce dans la rue. Le «Sonderkommando Lange » arrive à Koscian pour tués les malades du monastère des Bernardins ; un premier groupe de patients reçoivent une injection et sont tués dans les camions de gazage.
24 janv. : obligation pour les Juifs de faire enregistrer tous leurs biens immobiliers.
26 janv. : interdiction aux Juifs du GG de voyager en train sans permis spécial.
Janvier : enregistrement de la propriété juive dans le GG. Fermeture de toutes les synagogues et des maisons de prières dans le GG.
3 février : début des euthanasies à l’hôpital psychiatrique de Gostynin.
8 février : création du ghetto de Lodz.
12 février : première déportation de Juifs allemands vers le Gouvernement général.
13 mars : les euthanasies commencent à l’hôpital psychiatrique de Kochanowka.
22-29 mars : émeutes antisémites à Varsovie, pillages et maltraitance par des jeunes Polonais.
1er avril : délimitation à Varsovie d’une « zone menacée d’épidémie ».
2-4 avril : 499 malades mentaux de l’hôpital psychiatrique de Warta sont tués.
27 avril : Himmler ordonne de déporter 2 500 Sinti et Roms d’Allemagne vers Belzec, Krychow et Siedlce.
30 avril : fermeture du ghetto de Lodz qui emprisonne 230 000 Juifs.
20 mai : déportation dans un train depuis Hambourg de Tsiganes vers Belzec.
Mai : environ 10 000 Juifs des districts de Lublin, Radom et Varsovie arrivent à Belzec et sont répartis dans plusieurs camps de travail.
18 juillet : interdiction aux Juifs du GG de fréquenter des lieux publics (cafés, restaurants, hôtels, jardins publics).
Juillet-août : construction par les Juifs de Lublin d’un camp de travail sur le site de l’ancien aéroport de la ville.
12 oct. : décret de constitution du ghetto de Varsovie. 338 000 Juifs y sont alors enfermés.
26 oct. : lors d’une visite à Lublin, Himmler ordonne que Globocnik intensifie la recherche des ancêtres allemands parmi les Polonais de son district et y installe la base d’un système de colonisation allemande.
Oct. : les camps de travail à Belzec et dans les villages voisins sont abandonnés.
Oct.-nov. : l’historien Emanuel Ringelblum forme un réseau clandestin de collecte d’archives « Oneg Shabat » dans le ghetto de Varsovie.

1941

20 février : un décret de Hans Frank interdit aux Juifs de voyager sans permis en tramway, en taxi, en fiacre sur le territoire du GG.
3 mars : le gouverneur de la région de Cracovie, Otto Wächter, ordonne la création du ghetto à Cracovie.
20 mars : création du ghetto à Lublin.
31 mars : création du ghetto à Kielce.
Mars : création du ghetto de Tarnow.
7 avril : fermeture des deux ghettos de Radom.
9 avril : création du ghetto à Czestochowa.
Avril : mise en place d’ateliers de travail dans le ghetto de Varsovie.
1er mai : création du ghetto à Zamosc.
22 juin : attaque de l’URSS par les pays de l’Axe.
23 juin : début des exécutions massives de Juifs à l’Est par les Einsatzgruppen, devenant systématiques en juillet-août.
3 juillet : après la découverte de 649 corps de victimes du NKVD à la prison de Zloczow, des miliciens ukrainiens tuent 1 400 Juifs. Le même jour, commence un pogrom à Tarnopol (4 500 Juifs tués en quatre jours).
8 juillet : Himmler est à Bialystok.
10 juillet : massacre à Jedwabne d’au moins 340 Juifs par la population polonaise.
17 juillet : Himmler nomme Globocnik son « délégué pour la construction de centres de la SS et de la Police dans les anciens territoires soviétiques ».
20-21 juillet : Himmler se rend à Lublin, puis à Lemberg (Lwow). A Lublin, il ordonne à Globocnik d’y créer un camp de concentration pour 20 à 50 000 prisonniers (futur camp de Majdanek).
29 juillet : Himmler est à Kovno.
30 juillet : Himmler ordonne à Globocnik de commencer la construction d’un camp de concentration à Majdanek pour 25 à 50 000 prisonniers de guerres. Les travaux ont commencé le 22 septembre.
Juillet : ouverture près de Lublin d’un premier centre d’euthanasie en dehors de Reich.
31 juillet : Reinhard Heydrich habilité par Hermann Göring à « préparer la solution finale de la question juive dans la zone d’influence de l’Allemagne ».
Juillet : environ 5 000 Juifs meurent de typhus dans le ghetto de Varsovie.
1er août : rattachement de la Galicie orientale au Gouvernement général. Création du ghetto à Bialystok.
Août : création du camp de formation SS de Trawniki.
Septembre : Philip Bouhler et Viktor Brack de la chancellerie du Führer rencontre Globocnik à Lublin pour certainement discuter de l’Aktion Reinhard et du transfert du personnel de l’Opération T4.
Arrivée des premières recrues soviétiques au camp de formation des auxiliaires de la SS à Trawniki.
Les Allemands font d’un ensemble d’usines à Poniatowa un camp pour 25 000 prisonniers de guerre soviétiques.
Les Allemands installent une usine au 134 rue Janowska dans les faubourgs de Lwow pour en faire un camp de travail forcé.
10 oct. : une conférence au RSHA décide la déportation des Juifs du Reich vers l’Est pour être regroupés dans des camps ou des ghettos.
10 000 Juifs sont exécutés à Stanislawow.
13 oct. : Himmler rencontre Krüger et Globocnik à Lublin. Au cours de la discussion, Himmler a vraisemblablement donné l’ordre à Globocnik pour la construction du camp d’extermination à Belzec.
15 oct. : décret de Hans Frank instituant la peine de mort pour tout Juif qui sort du ghetto sans laisser-passer, et pour toute personne donnerait abris aux Juifs ou les aiderait.
Des Juifs d’Autriche (Vienne) et d’Allemagne sont déportés vers les ghettos de Kaunas, Lwow, Minsk et Riga.
Jusqu’au 21 février 1942, 58 000 personnes (dont 5 000 Sinti et Roms) de Vienne, sont envoyés au ghetto de Lodz.
Oct.-nov. : arrivée à Lublin des premiers membres de l’ancienne Opération T4 pour installer et diriger les centres de mise à mort de l’Opération Reinhard.
Début des travaux de construction du premier centre d’extermination dans le Gouvernement général, à Belzec.
28 oct. : grande Aktion contre le ghetto de Kovno qui fait 9 200 victimes fusillées au Fort IX.
8 nov. : création du ghetto de Lwow.
Novembre : création d’un camp pour des Juifs destinés à être gazés à Chelmno.
7 déc. : premier convoi de Juifs vers le camp d’extermination de Chelmno, en provenance de Kolo dans le Warthegau. Premier gazage réalisé à Chelmno par le « Sonderkommando Lange ».
12 déc. : Hitler prend la décision fondamentale de la « Solution finale de la question juive » lors d’une réunion avec les Gauleiter à la chancellerie du Reich à Berlin (selon C. Gerlach).
17 déc. : création du ghetto de Rzeszow.
22 déc. : Christian Wirth prend la direction du centre d’extermination de Belzec en cours de construction.
24 déc. : réquisition des articles en fourrure appartenant à la population juive du Gouvernement général.

1942

Mi-janvier : les SS commencent l’extermination des Juifs de Lodz à Chelmno.
Janvier : dix hommes de l’Opération T4 (du centre de Bernburg) arrivent à Belzec.
Janvier-mars : envoi de plusieurs anciens membres de l’Opération T4 en territoire soviétique, mis au service de l’Organisation Todt dans des hôpitaux militaires, avant leur affectation dans les camps de l’Aktion Reinhardt.
Février : la construction du centre de mise à mort de Belzec est achevée.
19 février : première information dans le « Bulletin d’Information » de l’Armée de l’Intérieur, sur les massacres de Juifs dans les territoires polonais incorporés au IIIème Reich.
3 mars : le secrétaire d’Etat Bühler annonce au gouverneur Zörner, le séjour provisoire de 14 000 Juifs du Reich dans son district de Lublin.
11 mars-20 juin : déportations de 85 000 Juifs du Reich, d’Autriche, du Protectorat de Bohême-Moravie et de Slovaquie vers le district de Lublin.
14 mars : Himmler est à Lublin et visite l’usine de la DAW.
17 mars : première déportation de Juifs du ghetto de Lublin vers le camp d’extermination de Belzec ; début de l’extermination des Juifs du Gouvernement général dans un centre de mise à mort de l’Opération Reinhardt. Jusqu’au 14 avril, 26 000 Juifs de Lublin ont été déportés à Belzec. Constitution des ghettos de transit pour les Juifs étrangers.
18 mars : 1 500 Juifs du ghetto de Lwow sont envoyés à Belzec. Jusqu’au 30 mars, 15 000 Juifs de Lwow ont été déportés à Belzec.
24 mars : première déportation de Juifs d’Izbica à Belzec.
Début de la déportation des Juifs de Slovaquie.
27 mars : premier convoi de Juifs de France vers le camp d’Auschwitz qui marque le début de l’extermination des Juifs d’Europe occidentale dans ce camp.
29 mars-7 avril : quatre transports de Slovaquie, comptant 4 500 Juifs, arrivent à Lublin, tous dirigés vers le camp de Majdanek.
31 mars : première déportation depuis le ghetto de Stanislawow vers Belzec (5 000 personnes). Ce fut l’un des transports vers Belzec les plus importants dans la première phase du camp.
Mars : début de la construction d’un deuxième camp d’extermination à Sobibor.
Mars-juin : environ 27 000 Juifs étrangers sont acheminés dans les ghettos de transit d’Izbica (17 000 personnes), de Piaski (5 000 personnes) et de Rejowiec (5 000 personnes).
3-4 avril : premières déportations depuis le ghetto de Kolomiya vers Belzec (environ 5 000 personnes).
8 avril : le Delegat (le représentant en Pologne du Gouvernement polonais en exil à Londres) confirme la nouvelle d’exécutions massives en Galicie orientale, à Vilnius et en Biélorussie.
17 avril : visite de Himmler à Varsovie qui ordonne vraisemblablement les préparatifs de l’assassinat des Juifs de la ville.
21 avril : premiers assassinats en masse de Juifs détenus au camp de Majdanek (exécutés dans la forêt voisine de Krepiec).
29 avril : un rapport sur les massacres des Juifs dans le camp d’extermination de Chelmno est envoyé au Gouvernement polonais à Londres.
30 avril : information sur Belzec publié dans le journal polonais clandestin Biuletyn Informcyjny.
Avril : Franz Stangl visite le camp de Belzec et reçoit de Wirth des ordres pour assurer le commandement du futur centre de mise à mort de Sobibor.
A la mi-avril, le camp de Sobibor est prêt pour recevoir les premiers transports. Des essais de gazage sont réalisés.
Wirth ferme temporairement le centre de Bezlec et part pour Berlin.
3 mai : un premier convoi arrive à Sobibor, en provenance de Komarow (2 000 personnes), dans l’arrondissement de Zamosc.
5 mai : début des déportations vers Sobibor des Juifs de l’arrondissement de Pulawy. Jusqu’au 12 mai, environ 20 000 Juifs de cette région ont été déportés à Sobibor.
22 mai : rafle de 914 Juifs dans le ghetto de Varsovie, déportés une semaine après à Bobruisk pour des travaux d’infrastructures et de fortification.
27 mai : attaque à Prague contre Reinhardt Heydrich par un commando de résistants (il meurt de ses blessures le 4 juin).
Mai : Leon Feiner, dirigeant du Bund à Varsovie, adresse à Londres un long rapport sur les gazages à Chelmno, qui reçut une large publicité dans la presse britannique et sur les ondes de la BBC.
Mai-juin : construction du camp d’extermination de Treblinka, au nord-est de Varsovie.
Début juin : le SS-Unterscharführer Ernst Zierke, infirmier et conducteur dans des centre de l’Opération T4, est affecté au centre de mise à mort de Belzec.
1er juin : début des déportations de l’arrondissement de Hrubieszow vers Sobibor. Jusqu’au 10 juin, environ 12 000 Juifs sont ainsi déportés.
3-6 juin : trois trains en provenance de Cracovie (5 000 personnes) arrivent à Belzec.
11 juin : début des déportations à partir du ghetto de Tarnow vers Belzec. Jusqu’au 19 juin, environ 11 500 Juifs de Tarnow sont déportés à Belzec.
6 juin : note de protestation du Gouvernement polonais à Londres à propos d’une nouvelle vague de terreur en Pologne, dénonçant notamment les crimes contre les Juifs.
10 juin : appel du Conseil national de Pologne à Londres aux parlements des Etats libres pour une action de protestation contre les crimes en Pologne, et l’annonce de châtiment pour les coupables.
14 juin : premier convoi direct de Vienne à destination de Sobibor.
23 juin : Viktor Brack écrit à Himmler pour obtenir dans le Gouvernement général du personnel supplémentaire de l’Opération T4 pour le développement des activités attendu en juillet (à Belzec et à Treblinka).
26 juin : 6 000 Juifs de Lwow sont raflés et envoyés à Belzec.
7-13 juillet : la majorité des 20 000 Juifs du ghetto de Rzeszow sont envoyés à Belzec.
9 juillet : entretien Himmler, Krûger, Globocnik. Le responsable de l’Aktion Reinhard dans le Gouvernement général reçoit l’ordre d’organiser la déportation des Juifs de Varsovie.
13 juillet : massacre de 1 800 Juifs de Jozefow par le 101ème Bataillon de réserve de police.
14 juillet : création d’un ghetto à Przemysl.
Mi-juillet : de nouvelles chambres à gaz sont opérationnelles à Belzec.
18-19 juillet : le premier jour Himmler rencontre Krüger et Globocnik à Lublin ; le sujet de la réunion porte sur la colonisation allemande des districts de Lublin et de Galicie. Le deuxième jour, Himmler visite de camp de formation des auxiliaires des SS dans l’Aktion Reinhard à Trawniki et des fermes de colons allemands dans la région de Zamosc. Il donne l’ordre écrit à Krüger d’achever la destruction des Juifs du Gouvernement général le 31 décembre 1942 au plus tard.
22 juillet : premier convoi vers le camp d’extermination de Treblinka, début de la « Grande Action » dans le ghetto de Varsovie, déportation de plus de 300 000 Juifs jusqu’au 21 septembre.
23 juillet : suicide d’Adam Czerniakow, président du Judenrat de Varsovie.
26 juillet : dépêche de la Direction de la Lutte civile au Gouvernement de Londres sur le commencement de la liquidation du ghetto de Varsovie.
28 juillet : à Varsovie, les organisations clandestines juives de jeunesse – Hashomer Hatzaïr, Dror, He’haloutz et Akiba – forment l’Organisation juive de combat (OJC).
Zalman Friedrich, éclaireur du Bund, envoyé en mission à Treblinka, rapporte au ghetto de Varsovie la destination réelle des convois partant de la ville.
30 juillet : première information dans le « Bulletin d’information » de l’Armée de l’Intérieur sur la liquidation du ghetto de Varsovie.
Juillet-décembre : déportations systématiques de Juifs des ghettos dans le district de Cracovie (les plus intenses en juillet). A Cracovie même, deuxième action les 27-28 octobre.
1er août : Wirth devient inspecteur des camps de l’Aktion Reinhardt et son ami, le SS-Obersturmführer Gottlieb Hering, le remplace à la tête du centre de mise à mort de Belzec.
3 août : 10 000 Juifs du ghetto de Siedlce sont envoyés à Treblinka.
4 août : début des déportations des Juifs de l’arrondissement de Radom vers Treblinka. Jusqu’au 17 août, environ 30 000 Juifs de Radom sont envoyés à Treblinka.
5 août : déportation des élèves et des éducateurs de la Maison de l’Orphelin de Janusz Korczak, vers le camp d’extermination de Treblinka.
8 août : Gerhart Riegner, avocat allemand et représentant du Congrès juif mondial en Suisse, envoie un télégramme au ministère des Affaires étrangères britannique et au département d’Etat américain qui révèle l’existence d’un plan général élaboré par Hitler pour exterminer tous les Juifs d’Europe dans l’Est du continent.
10 août : le magazine américain Newsweek annonce que des trains entiers de Juifs de Varsovie disparaissent.
10-31 août : « Grossaktion » à Lwow au cours de laquelle, 40 à 50 000 Juifs sont envoyés à Belzec.
15 août : 1 600 Juifs du ghetto de Varsovie sont déportés au camp de Majdanek.
16 août : Rudolf Reder, originaire de Lwow, est déporté à Belzec.
17 août : Kurt Gerstein visite le camp de Belzec.
18 août : Himmler visite deux camps de travail pour Juifs sur la DG 4 dans le district de Galicie (à Jaktorow et Lacki Wielki).
Déportation à Treblinka du rabbin Shimon Huberband, rédacteur aux Archives d’Oneg Shabbat, à Varsovie.
19 août : massacre de 1 600 Juifs à Lomazy par le 101ème Bataillon de réserve de la police et par les formations auxiliaires.
Début de déportations des Juifs des ghettos de province du district de Varsovie.
Wirth visite le centre de mise à mort de Treblinka.
20-24 août : liquidation du ghetto de Kielce (21 000 personnes envoyées à Treblinka).
21 août : Himmler et Globocnik se rendent à Zamosc (projer d’établir une ville allemande à Zamosc d’ici l’été 1943).
22 août : déportation à Treblinka d’Eddie Weinstein depuis Losice.
23 août : déportatation à Treblinka de Jankiel Wiernk depuis Varsovie.
25 août : déportation à Treblinka d’Avraham Krzepicki depuis Varsovie.
28 août : interruption pour quelques jours du fonctionnement du centre de mise à mort de Treblinka. Le SS-Obersturmführer Imfried Eberl est remplacé à la tête du camp par le SS-Obersturmführer Franz Stangl.
30 août : le sergent de la Wehrmacht Wilhelm Cornides prend en notes les témoignages de plusieurs personnes lors de son passage par le village de Belzec.
Août-décembre : deuxième étape de déportations des Juifs du district de Lublin vers Belzec (les plus intenses en octobre-novembre).
2 sept. : Hitler décide de garder temporairement en vie les travailleurs juifs spécialisés dans le Gouvernement général.
4-21 sept. : deuxième phase de la « Grande action » contre les juifs du ghetto de Varsovie déportés à Treblinka.
10 sept. : l’Agence télégraphique juive annonce la déportation de 300 000 Juifs de Varsovie.
11 sept. : parti de Kolomyja, un convoi de 8 205 Juifs arrive à Belzec après 24 heures de trajet, arrive à Belzec. Deux mille personnes ont trouvé la mort pendant le voyage.
22 sept.-8 oct. : liquidation du ghetto de Czestocohowa (40 000 Juifs sont envoyés à Treblinka).
Sept. : à Treblinka, décision de construire de nouvelles chambres à gaz.
Höss, commandant des camps d’Auschwitz visite Chelmno et Treblinka.
5 octobre : Himmler, qui la veille s’est rendu à Cracovie, ordonne que tous les Juifs allemands emprisonnés dans des camps de concentration soient envoyés à Auschwitz-Birkenau ou à Majdanek.
Oscar Strawczynski et sa famille sont déportés à Treblinka depuis Czestochowa.
9 oct. : dans une lettre adressée au Haut Commandement des Forces armées, Himmler affirme : « Notre objectif sera de remplacer la main-d’œuvre juive par des Polonais […] un jour les Juifs devront disparaître, conformément à la volonté du Führer. »
Mi-octobre : mise en service du nouveau bâtiment de gazage à Treblinka (10 chambres à gaz pouvant contenir 3 000 personnes à la fois).
28 oct. : nouvelle Aktion à Cracovie (4 500 Juifs sont déportés et 600 sont tués sur place).
28 oct. et 10 nov. : décrets sur la création de « nouveaux ghettos » à la place des anciens dans le Gouvernement général.
29 oct. : première action réussie de l’OJC dans le ghetto de Varsovie, l’assassinat de l’officier de la police juive Jakub Lejkin qui s’était illustré par une brutalité particulière pendant la « Grande action ».
2 nov. : création par le gouvernement soviétique de la Commission d’Etat extraordinaire pour enquêter sur les crimes des Allemands et de leurs alliés.
2 nov.-déc. : début de la liquidation des Juifs de la région de Bialystok rattachée à la Prusse-Orientale ; déportations vers les camps d’Auschwitz-Birkenau et de Treblinka (130 000 personnes déportées), et exécutions de masse.
12 nov. : Himmler ordonne le peuplement du secteur de Zamosc avec des Allemands ethniques. 110 000 Polonais non-juifs ont été déportés, plusieurs milliers tués, pour mettre en œuvre ce projet.
15 nov. : « Liquidation de la Varsovie juive », rapport des organisations clandestines unies du ghetto transmis au Gouvernement polonais à Londres et aux gouvernements alliés.
25 nov. : d’après des informations du Département d’Etat, le New York Times publie (en page 10) un article sur les camps de Belzec, Sobibor et Treblinka, et sur les chambres à gaz et fours crématoires d’Auschwitz.
Jan Karski, courrier du Delegat, arrive à Londres avec un rapport sur le ghetto de Varsovie et sur les déportations vers Belzec.
27 nov. : résolution du Conseil national de Pologne au sujet des massacres allemands de la population juive dans la Pologne occupée, appelant « tous les peuples alliés à entreprendre en commun immédiatement une action contre ce piétinement, cette profanation de la morale et des principes de l’humanité par les Allemands. »
28 nov. : début de l’action allemande d’expulsion des Polonais dans la région de Zamosc.
Novembre : Jan Karski, courrier de l’Etat clandestin polonais, arrive à Londres et transmet les informations sur l’extermination des Juifs.
A Belzec, les opérations d’incinération des cadavres déterrés commencent, elles ont duré jusqu’en mars 1943.
1er déc. : Himmler réunit à Berlin Krüger et Globocnik.
L’OJC crée un commandement élargi, avec participation de membres du Bund, Poale Syjon Gauche, Poale Syjon Droite, Parti ouvrier polonais (PPR), Hashomer Hatzaïr.
4 déc. : création de la Commission d’aide aux Juifs « Zegota » auprès de la Délégation du Gouvernement pour l’Intérieur.
10 déc. : note du ministre des Affaires étrangères de la République de Pologne aux gouvernements des Nations unies, concernant les crimes allemands contre la population juive dans la Pologne occupée.
11 déc. : le dernier transport de Juifs arrive à Belzec ; fin des opérations d’extermination au gaz dans ce centre de mise à mort ; effacement des traces (entre autres incinération des corps) jusqu’en mars 1943 ; liquidation du camp en juin-juillet 1943.
25 déc. : Stangl ordonne la construction d’une gare factice à Treblinka.
31 déc. : à cette date, 1 274 166 Juifs ont été assassinés dans les camps de Belzec, Sobibor, Treblinka et Majdanek (d’après un compte rendu allemand).
Décembre : Wirt se voit confier la responsabilité de diriger et de poursuivre la construction des usines et ateliers d’armement de la DAW (Deutsche Ausrüstungswerke) dans le district de Lublin.

1943

9 janv. : Himmler visite le ghetto de Varsovie.
11 janv. : le chef d’état-major de l’Aktion Reinhard adresse à Eichmann à Berlin un radiogramme où il comptabilise au total 1 274 1600 personnes tuées pendant l’année 1942 dans les camps de Belzec, Sobibor, Treblinka et Majdanek.
18 janv. : Himmler demande à l’inspecteur en chef du bureau des statistiques de la SS, le Dr. Korherr, de préparer un rapport sur les progrès de la « Solution finale à la question juive ».
18-21 janv. : deuxième action de déportation des Juifs du ghetto de Varsovie, premiers affrontements de la résistance juive avec les Allemands.
31 janv. : l’industriel W. C. Többens signe avec la SS un contrat pour l’envoi de milliers de Juifs du ghetto de Varsovie dans le nouveau camp de travail de Poniatowa (12 à 16 000 Juifs présents dans le camp en juin 1943).
23 février : cas de désertion de 18 Wachmänner du camp de Poniatowa.
Février : l’usine Schultz dans le ghetto de Varsovie est transférée à Trawniki.
Amon Göth est nommé par le SSPF Scherner commandant du camp de travaux forcé de Plaszow.
Fin février : Himmler visite Sobibor.
2 mars : premier convoi de Juifs quittant les Pays-Bas pour le centre de mise à mort de Sobibor.
3 mars : cas de désertion de 12 Wachmänner du site de Belzec.
4-25 mars : départs des quatre convois de Juifs de France qui ont été dirigés vers des camps de l’Aktion Reinhard (n° 50 et 51 à Majdanek, n° 52 et 53 à Sobibor).
13 mars : création de l’Ostindustrie GmbH (Osti), entreprise d’armement SS dans le district de Lublin, directement dirigée par le SSPF Globocnik.
13-14 mars : liquidation des ghettos A (envoi des personnes à Plaszow) et B (envoi des personnes à Auschwitz-Birkenau) de Cracovie.
22 mars : mise en service du Krematorium IV à Auschwitz-Birkenau.
31 mars : mise en service du Krematorium II à Auschwitz-Birkenau.
Mars : fin de la crémation des cadavres sur le site du centre de mise à mort de Belzec.
4 avril : mise en service du Krematorium V à Auschwitz-Birkenau.
7 avril : fin de la première période de fonctionnement du camp d’extermination de Chelmno ; reprise de l’activité en avril 1944.
10 avril : à Belzec, mutinerie des Wachmänner, les meneurs sont exécutés par les SS.
19 avril : début de l’insurrection du ghetto de Varsovie.
23 avril : appel de l’OJC aux Polonais : « C’est une lutte pour notre liberté et pour la vôtre. »
28 avril : liquidation du ghetto d’Izbica ; Tomasz Blatt et sa famille sont déportés à Sobibor.
5 mai : discours du premier ministre de la République de Pologne, le général Wladyslaw Sikorski, aux Polonais dans une émission de la BBC, les remerciant pour leur engagement en faveur des Juifs jusqu’ici et les priant de « leur accorder plus d’aide ».
8 mai : siège par les Allemands du bunker du commandement de l’OJC, suicide de la majorité des combattants dont Mordechaï Anielewicz.
12 mai : suicide de Szmul Zygielbojm, membre du Conseil national de Pologne, activiste du Bund, en signe de protestation contre le silence et la passivité du monde face à l’extermination des Juifs.
16 mai : Strrop annonce que la « Gossaktion » contre le ghetto de varsovie est achevée. Dynamitage de la Grande Synagogue, rue Tlomackie (hors des limites du ghetto), pour célébrer cette victoire nazie.
Mai : liquidation définitive des « nouveaux ghettos » de la région de Lublin.
5 juin : déportation de 1 250 enfants juifs hollandais de moins de 16 ans à Sobibor.
11 juin : Himmler ordonne la liquidation de tous les ghettos.
23 juin : début de la liquidation des « nouveaux ghettos » dans le district de Galicie.
25 juin : mise en service du Krematorium III à Auschwitz-Birkenau.
30 juin : dans son rapport adressé à Krüger, le SSPF de la Galicie, Frierdrich Katzmann, compte pour son district « 254 989 Juifs environ [qui] ont déjà été déplacés » (envoyés à Belzec).
Le transport des derniers détenus juifs de Belzec arrive à Sobibor.
Arrestation du commandant en chef de l’Armée de l’Intérieur (AK), le général Stefan Rowecki « Grot » ; un nouveau commandant est nommé, le général Tadeusz Komorowski « Bor ».
Juin : soulèvement de l’Organisation juive de Combat dans le ghetto de Czestochowa, écrasé par les Allemands.
Juillet : la dernière « brigade de la mort » ayant travaillé au démantèlement du centre de Belzec est emmené en train au camp de Sobibor ; évasion en route de Chaïm Hirszman.
5 juillet : Himmler ordonne l’ouverture d’un camp IV à Sobibor pour stocker des munitions prises aux Soviétiques.
7 juillet : Globocnik est remplacé par le SS-Gruppenführer Jakob Sporrenberg au poste de SSPF du district de Lublin.
19 juillet : la construction d’un camp de concentration sur le territoire du ghetto de Varsovie est achevée.
20 juillet : le Waldkommando à Sobibor se révolte ; 8 prisonniers juifs parviennent à s’évader, les autres sont tous exécutés.
28 juillet : rencontre de Jan Karski avec le président des Etats-Unis Franklin D. Roosevelt sans résultats.
2 août : révolte dans le camp d’extermination de Treblinka ; continuation des opérations d’extermination au gaz jusqu’à la fin août ; liquidation du camp jusqu’en septembre.
16 août : reprise des déportations de Juifs de la région de Bialystok ; résistance armée dans le ghetto de Bialystok pendant cinq jours.
Résistance armée des prisonniers juifs lors de la liquidation du camp de travail de Krychow.
21 août : derniers gazages effectués à Treblinka.
Août : résistance armée lors de la liquidation des derniers Juifs de Bedzin et Sosnowiec.
Fin août : planification de l’Aktion Erntefest de liquidation finale des Juifs du Gouvernement général, selon le témoignage de Jakob Sporrenberg.
3 sept. Oswald Pohl, chef du WVHA, ordonne que les camps de travail forcé pour les Juifs de Poniatowa, Budzyn et Krasnik deviennent des camps annexes de Majdanek.
21 septembre : fin des gazages à Majdanek.
22 septembre : Himmler ordonne à Globocnik de mettre fin à l’Aktion Reinhard au plus tard le 31 décembre 1943.
26 septembre : à Varsovie, Léon Najberg parvient à sortir du périmètre du ghetto « liquidé » depuis le printemps par les Allemands.
Septembre : Globocnik quitte la Pologne pour Trieste (Istrie).
4 oct. : Himmler prononce son célèbre discours de Posen devant des officiers SS, où il évoque l’extermination des Juifs.
14 oct. : insurrection dans le camp d’extermination de Sobibor – liquidation du camp en novembre.
20 oct. : le personnel et les derniers prisonniers de Treblinka arrivent à Sobibor.
25 oct. : liquidation du commando de Juifs travaillant à la disparition des corps au camp de Janowska (100 à 200 000 corps y ont été incinérés).
Octobre : à New York, publication du Black Book of Polish Jewry décrivant en detail les crimes commis par les Allemands contre les Juifs en Pologne.
A Trieste, l’ancien moulin à riz à San Sabba est converti en camp de concentration, commandé par Wirth.
3-4 novembre : l’Aktion Erntefest, opération marquant la fin de l’Aktion Reinhard, directement préparée par Himmler. Le camp de Trawniki est liquidé. Les détenus du camp de travail de l’aéroport sont conduits à Majdanek pour y être exécutés avec les détenus juifs de ce camp. Les détenus du camp de travail de Poniatowa et de petits camps dans l’arrondissement de Pulawy sont aussi liquidés. Plus de 42 000 Juifs ont été exécutés lors de cette opération. Wirth est présent lors de cette opération.
Le juge enquêteur de la SS, Konrad Morgen, est présent à Poniatowa lors de l’Opération Erntefest.
13-14 nov. : liquidation du camp de la rue Janowska à Lwow.
17 nov. : dernier train quittant Treblinka, transportant des équipements.
23 nov. : le SS-Oberscharführer Gustav Wagner, commandant de Sobibor, annonce l’exécution des 30 derniers Juifs du camp.

1944

5 janv. : Odilo Globocnik, soumet, depuis Trieste, à Himmler son rapport final sur le volet économique de l’Aktion Reinhardt. A eux seuls, les vols des objets et devises des victimes ont rapporté plus de 178 millions de Reichsmarks.
10 mars : mort d’Emanuel Ringelblum, fusillé à Varsovie.
30 mars : abandon définitif par les Allemands du site de Sobibor.
Mars : l’Armée Rouge pénètre en Galicie orientale.
26 mai : Wirth est tué au combat par des partisans yougoslaves.
Juin-juillet : seconde phase d’extermination à Chelmno (assassinat de 10 000 Juifs du ghetto de Lodz).
22 juillet : liquidation du camp de travail de la rue Lipowa à Lublin. Les derniers détenus sont envoyés à Auschwitz-Birkenau.
25 juillet : libération du camp de Majdanek par l’Armée Rouge. En août, transformation du camp en un camp spécial du NKVD où furent internés entre autres des prisonniers de guerre allemands et des responsables polonais de l’Armée intérieure.
Fin juillet : le camp de travail de Treblinka (Treblinka I) est démantelé.
Juillet-août : transports de prisonniers quittant le camp de Plaszow pour les camps d’Auschwitz-Birkenau, de Stutthof, de Flossenburg, de Mauthausen, et d’autres camps de concentration en Allemagne.
6 août : fin de la liquidation du ghetto de Lodz ; 60 000 Juifs ont été envoyés à Auschwitz-Birkenau.
16 août : le site de Treblinka est occupé par l’Armée Rouge.
1er août-2 oct. : insurrection de Varsovie à l’appel de l’AK, abandonnée par l’Armée Rouge qui stationne sur la rive droite de la Vistule, environ 160 000 morts dans la population civile.
Septembre : à Chelmno, démantèlement du premier crématoire dans le Waldlager.
2 novembre : fin des opérations de gazage de Juifs au camp d’Auschwitz-Birkenau, poursuite des travaux d’effacement des traces des meurtres (novembre-décembre).
Mi-décembre : à Chelmno, toutes les installations de mise à mort ont été détruites.

1945

17 janv. : entrée des troupes soviétiques dans Varsovie détruite et dépeuplée.
Le site de Chelmno est abandonné par les Allemands à l’approche des troupes soviétiques.
19 janv. : la ville de Lodz est libérée par l’Armée Rouge.
27 janv. : libération du camp d’Auschwitz.
29 avril : fin du camp de concentration de San Sabba à Trieste ; le crématoire et la cheminée sont détruits par les SS qui s’enfuient ensuite.
31 mai : Globocnik est arrêté par des soldats britanniques en Carinthie (Autriche) ; il se suicide le jour même.

Hollywood ou l’édification d’une morale universelle : « Jugement à Nuremberg » de Stanley Kramer (1961)

Cet article est paru dans la Revue d’histoire de la Shoah, n° 195, octobre 2011.

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Deux affiches américaines du film successives pour sa distribution en 1961 et 1962.

L’accueil et la genèse du film
Le procès de Jérusalem a duré sur huit mois, du 11 avril 1961 au 15 décembre 1961, l’essentiel des débats se concentrant sur les quatre premiers mois. Il fut le premier procès de la « Solution finale » en tant que telle. Il jugeait un criminel de guerre nazi répondant seul de ses actes, dans un procès unique, devant un tribunal civil et non militaire et il s’ouvrit tardivement après les faits alors que beaucoup souhaitaient tourner la page du passé nazi. Il fut aussi le premier procès presque intégralement filmé et le deuxième grand procès où des caméras furent autorisées dans un prétoire après Nuremberg. Le 15 décembre 1961, Eichmann était déclaré coupable et condamné à la peine de mort. (1)
Le 14 décembre 1961, Stanley Kramer, accompagné de plusieurs acteurs du film et du scénariste présentait Judgment at Nuremberg, en première mondiale à Berlin-Ouest, à la Kongresshalle, proche de la porte de Brandebourg. La projection fut inaugurée par un discours du gouverneur-maire de Berlin-Ouest, Willy Brandt, qui prononça les mots suivants :
« Ce sujet nous est propre à nous Allemands et particulièrement à nous Berlinois. Nous ne pouvons nier le fait que […] les racines de la situation présente de notre peuple, de notre pays et de notre ville, sont à chercher dans le fait que nous n’avons pas su éviter de nous faire écraser par le pouvoir nazi à cette époque. Quiconque reste aveugle à ce fait ne peut pas comprendre les droits qui, encore à ce jour, ne sont pas accordés à notre peuple […]. Si le film sert la justice, nous l’accueillerons et l’accueillerons encore même si nous devons nous sentir honteux de nombre de ses aspects. » (2)
Comme Kramer l’avait expliqué le matin, au cours d’un débat public, « ce film ne visait pas le passé. Il visait le futur. Il entendait montrer à tous les pays que tout homme sur terre est responsable et se doit d’être conscient. Ce film, si on veut bien le comprendre, ne concerne en effet pas que l’Allemagne. » (3) Ce fut l’idée du distributeur, United Artists, de réaliser la première projection du film à Berlin-Ouest. Dans l’avion pour l’Allemagne, le journaliste libéral Max Lerner, du New York Post, déclara à l’actrice Judy Garland et au scénariste Abby Mann que ce film nuirait aux Etats-Unis : « Il va embarrasser l’administration Eisenhower ». (4) Dans la présentation de l’édition la plus récente de son scénario, Abby Mann (5) rapporte qu’à l’arrivée à Berlin-Ouest, les autorités de la ville avaient signalé qu’il pourrait y avoir des manifestations d’opposition, peut-être violentes, à l’occasion de la présentation du film. Après les trois heures de la projection du film, il y eut un silence gêné et pesant dans la grande salle de la Kongresshalle (6) occupée par 550 journalistes allemands et étrangers, et des dizaines de spectateurs présents sur invitation. Willy Brandt remercia tout le monde d’être venu et affirma qu’il étudierait mieux ce film pour voir ce qu’il aurait à en dire. Une chape de plomb couvrit le dîner de gala qui suivit la projection et lors de la conférence d’après projection planifiée par United Artists, une Allemande se leva et interpela l’acteur principal, Spencer Tracy : « Vous savez, monsieur Tracy, le peuple allemand vous aime plus que tout autre acteur américain. Nous avons du mal à croire que vous apparaissiez dans un film si dur au sujet de notre peuple. Nous avons lu dans une interview que vous avez affirmé que vous faisiez certains films pour l’argent. Est-ce pour cela que vous avez fait celui-ci ? Vous ne croyez pas vraiment ce que dit ce film, n’est-ce pas ? » L’acteur, après l’une de ses mimiques favorites, sa langue sur sa lèvre, répondit au micro : « Chaque mot ! » (7)

Abby Mann et Judy Garland restèrent quelques jours de plus à Berlin-Ouest pour constater comment le film était reçu par le public et avant d’aller à New York, où la première américaine du film était programmée pour le 19 décembre 1961. « Nous avons rencontré un jeune homme qui disait à qui voulait l’entendre que c’était une honte de montrer le film à Berlin. Il s’est avéré qu’il était le fils de l’un des juges dépeint dans le film. J’ai essayé de parler avec lui. Un des hommes de la publicité d’United Artists a commencé à devenir ombrageux et a dit : « Je pense que nous ferions mieux d’y aller, M. Mann. » Le fils du juge allemand s’est tourné vers moi et a dit : « Êtes-vous Abby Mann ?» Je me tus. « Vous avez écrit cela ? » Il s’avança vers moi et me parla moitié en allemand et à moitié en anglais. J’essayai de mettre les choses en perspective. Judy Garland n’arrêtait pas de me tirer par le bras et me disait : « Allons-y ». Une foule s’est rassemblée autour de nous. Il y avait les bruits inquiétants de la population qui nous entourait que je ne comprenais pas, n’ayant aucune connaissance de l’allemand. La police est entrée dans le hall. Le gars de la publicité d’United Artists avait pensé qu’il était préférable de les appeler et ils nous ont évacués rapidement. » (8)

La presse ouest-allemande accueillit avec critique et énervement le film. Par exemple, la revue Filmkritik se plaignait de la lecture moralisatrice faite du comportement des juges allemands sous le Troisième Reich, de la peinture trop caricaturée des quatre accusés dans le film et de leur avocat principal, en fait des rôles allemands dans le film ; les autres critiques revenant le plus souvent portaient sur « les artifices » de la réalisation et « le surjeu » des acteurs. (9)

Au contraire, la première américaine du film à New York, au Palace, fut un succès. Abby Mann et Maximilian Schell reçurent le 20 janvier 1962 les New York Film Critics Awards, respectivement du meilleur scénario et du meilleur acteur. Le 5 mars, Maximilian Schell reçut le Golden Globe (10) du meilleur acteur et Stanley Kramer celui du meilleur réalisateur. Pour la 34ème cérémonie de remise des Annual Academy Awards, à Los Angeles, au RKO Patages Theatre, le 9 avril 1962, Judgment at Nuremberg était nominé dans dix catégories ; Abby Mann et Maximilian Schell furent de nouveau récompensés, et Stanley Kramer se vit décerner le prix Irving Thalberg pour la qualité de son travail de producteur depuis 1942. (11) La critique du film par Variety (12) soulignait l’intelligence du scénario d’Abby Mann et insistait sur la portée philosophique d’un film devant lequel le public cependant aurait du mal à rester concentré. Le jeu de Spencer Tracy fut encensé, celui de Burt Lancaster plus critiqué, et les travaux du monteur Fred Knudtson et du compositeur Ernest Gold furent soulignés. Si Films in Review (13) critiqua la culpabilisation « facile » des Occidentaux développée par Kramer dans l’une des dernières séquences de son film, Bosley Crowther, dans The New York Times du 20 décembre 1960, écrivit : « Avec la logique et la ferveur des avocats de l’humanité – et avec la clarté et la fermeté des juges qui avaient siégé au procès de Nuremberg – M. Kramer et son scénariste incisif, Abby Mann, ont repris le thème exaltant. Ils ont mis un terme aux arguments spécieux, aux sentiments de miséricorde et aux raisonnements d’un compromis et ont accompli une subtile déclaration de probité morale. Ils ont utilisé le film pour clarifier et communiquer au monde un vibrant message qui donne à réfléchir sur le monde. » (14)

Le film fut un succès international et rapporta, pendant l’année 1962, 3,5 millions de dollars de recette. (15) En France, il sortit le 20 décembre 1961 et séduisit car il s’inscrivait dans la tradition du cinéma américain libéral des années 1930-40. Les pressions exercées sur le vieux juge Haywood firent, pour le public français, écho au maccarthysme, et Louis Marcorelles, dans Les Cahiers du Cinéma (16), écrivit : « Depuis Roosevelt, la grande période libérale qui vit paraître sur les écrans américains, à peu d’intervalle, des films comme Young Mr. Lincoln de John Ford, M. Smith au Sénat de Capra, Les Raisins de la colère de Ford, Citizen Kane de Welles, on avait plus entendu pareil message, et dit, avec un tel accent. Quand Haywood rend son verdict, il ajoute quelques commentaires qui constituent la plus courageuse prise de position à ce jour, de la part de cinéastes non communistes, contre le maccarthysme. » La comparaison fut aussi souvent établie avec le film de 1957 de Sidney Lumet, Twelve Angry Men (United Artists). Louis Marcorelles poursuivait : « film de prétoire, constitué pour sa majeure partie d’interrogatoires et de plaidoiries, Jugement est par excellence un film démagogique. Il montre le mensonge à l’œuvre à tous les niveaux pour, en dernier ressort, affirmer l’unique exigence du droit naturel élémentaire, du respect d’autrui. » (17)
L’opposition de la raison d’Etat est, avec la justice « universelle », le thème du film le plus souvent évoqué dans la presse écrite française. Claude Mauriac, dans Le Figaro littéraire, écrivit : « Les Américains sont plus courageux qui, par exemple, abordent dans leurs films le racisme non pas seulement tel que le pratiquaient les nazis, mais tel qu’ils en font eux-mêmes, chez eux, l’expérience. Ils osent même, à propos de Nuremberg, citer Hiroshima, ce qui de toute évidence rétablit certaines perspectives trop souvent négligées. L’espèce humaine en sort plus atteinte encore. Mais de la vérité avouée peut naître la rémission.

« Nous recevons bien des leçons de Jugement à Nuremberg. Je veux dire : nous, Français. Administrées indirectement, elles n’en sont pas moins salutaires. Il faut nous en contenter et même nous en réjouir : si nos cinéastes n’ont le droit de traiter aucun des sujets qui nous intéressent en profondeur, par exemple ceux liés à la guerre d’Algérie, satisfaisons-nous de ce que nous offrent leurs confrères étrangers. » (18)

Raymond Lefèvre, dans La Saison cinématographique (19), allait plus loin : « Le pragmatisme nazi trouve un singulier écho dans les pressions exercées sur le vieux juge pour favoriser une clémence qui aiderait au rapprochement USA-Allemagne face aux ex-alliés de l’Est. Tout cela est dit directement, sans symbolisme. Heureux cinéma américain qui peut lancer à la face du monde toutes ces vérités qui ne sont pas bonnes à dire ! Et nous, Français, nous le ressentons d’autant plus que nous avons cessé de connaître la liberté d’expression. Pour le public américain, je crois que ce sera une cruelle constatation que de voir un régime inique se défendre avec les mêmes slogans utilisés chez eux : un anticommunisme aveugle et borné, un racisme qui leur est coutumier. Cruelle constatation aussi que l’annonce de la libération des monstres jugés devant eux, à des seules fins d’opportunisme diplomatique. Il faut bien le dire ces amères réflexions sur la responsabilité et la justice créent un profond malaise chez le spectateur. C’est certainement l’effet recherché par Stanley Kramer, et, il a gagné. »
A l’occasion de la ressortie du film sur les écrans français en 1978, son « message » suscitait encore le même effet. « La vraie ligne de partage du film, comme dans l’immense majorité du cinéma américain d’ailleurs (je pense surtout à Ford), oppose les justes aux politiciens. La pureté de l’idée de justice à la Realpolitik. » (20) Après le succès de l’adaptation pour le théâtre de son scénario, pour 56 représentations qui furent jouées sur Broadway au théâtre Longacre, sous la direction de John Tillinger, dans une production du National Actors Theatre, à partir du 26 mars 2001 (21), Abby Mann fit rééditer les dialogues qu’il avait écrits à la fin des années 1950 et qui avaient déjà été publiés à Londres en 1961 (22). Dans la nouvelle édition, il revenait sur la genèse du projet Judgment at Nuremberg. En 1957, à l’occasion d’un dîner à New York, Abby Mann rencontra Abraham Pomeranz, qui fut l’un des procureurs américains à Nuremberg, et qui démissionna de sa fonction car il estimait que la plupart des juges de Nuremberg voulaient se servir des procès à des fins politiciennes. Puis, il rencontra Telford Taylor, qui fut le procureur général pour la justice militaire des Etats-Unis à Nuremberg, après le retrait du procureur Robert E. Jackson en octobre 1946. Taylor, installé ensuite comme avocat à New York, fut aussi au début des années 1950 un opposant direct au sénateur McCarthy. Il confia à Mann que le procès le plus marquant à Nuremberg fut celui contre les juges allemands (le procès n° 3) car, pour la plupart, leurs âges en faisaient des Allemands qui avaient embrassé l’idéologie nazie en tant qu’adultes avertis. Le scénariste, marqué par l’époque du maccarthysme, lut avec intérêt les minutes du procès où les accusés les plus lucides reconnaissaient comment ils avaient admis que les droits des individus pouvaient être remis en cause puisque la patrie était « en danger ». Et selon un raisonnement devenu habituel dans le cinéma américain, lorsque celui-ci aborde des épisodes problématiques de l’histoire d’autres pays, « la question était sur la table : ce qui s’est passé en Allemagne pourrait-il se produire ailleurs ? » (23) Se rendant en Allemagne, Abby Man rencontra des personnalités allemandes, acteurs ou victimes du Troisième Reich, comme Leni Riefenstahl, Luise Jodl (la veuve du général condamné à mort par le TMI de Nuremberg) à Munich, et Robert Kempner, avocat juif, qui avait mené l’accusation en 1924 contre Adolf Hitler et Wilhelm Frick lors du procès du putsch de la Brasserie, et qui fut l’un des assistants du procureur américain lors du procès de Nuremberg devant le TMI, présentant en particulier l’accusation contre Wilhelm Frick. Chacune de ces rencontres, à sa façon, entretint l’idée chez Mann que la volonté d’oublier les crimes du nazisme gagnait la société allemande et il écrivit son script en retenant l’avertissement de Kempner : « Alors tous ces gens seraient morts pour rien et personne ne serait responsable et cela va se reproduire. » (24)

Abby Mann évoque ensuite l’intervention décisive du polyvalent George Roy Hill (25), travaillant à l’époque dans le monde du théâtre et de la télévision, pour convaincre les producteurs du network CBS de produire Judgment at Nuremberg dans le cadre d’une anthology series (26). Le producteur Herbert Brodkin (27) donna son accord pour une réalisation en direct dans le cadre de l’émission « Playhouse 90 » (28). Le scénario fut réalisé et joué en direct lors de l’émission du 16 avril 1959, à 21h30 (29). Les performances des acteurs Paul Lukas et Maximilian Schell marquèrent les téléspectateurs. La chaîne de télévision fut submergée d’appels téléphoniques élogieux à la suite de la diffusion, mais l’émission n’obtint aucune nomination pour la cérémonie des Emmy Awards de 1959.
Face à ce succès, le projet d’Abby Mann devint la vente de son scénario à un studio pour une adaptation pour un long métrage. C’est en travaillant à l’adaptation d’un autre de ses scénarios (A Child is waiting) (30) avec l’actrice Katharine Hepburn, que la solution intervint. La célèbre actrice fit lire à son compagnon Spencer Tracy le script de Judgment at Nuremberg, qui affirma que c’était là « le meilleur script qu’il avait lu depuis des années » (31). A Hollywood, Tracy était un voisin de Stanley Kramer, et il travaillait alors sous sa direction sur Inherit the Wind (United Artists, 1960) (32).
Stanley Kramer considérait Judgment at Nuremberg comme l’une de ses réalisations préférées. Selon lui, l’idée majeure du film, et qui était une sorte de résumé de son travail, se trouvait dans l’une des phrases de la longue déclaration du juge Haywood à la fin du procès : « Before the people of the world – let it now be noted in our decision here that this is what we stand for: justice, truth… and the value of a single human being. » (33) Il ne s’agissait pas de réveiller de vieilles haines selon l’un de ses biographes, « mais de refléter et de comprendre l’une des périodes les plus hideuses dans l’histoire de la civilisation. » (34) Tout en continuant à produire des films, Stanley Kramer passa à la réalisation à partir du milieu des années 1950. Et tout en soignant le casting de ses réalisations, il se spécialisa dans les films « à message », se présentant comme un homme de gauche, progressiste, défendant la reconnaissance des droits des individus, dénonçant les injustices sociales et lançant des alertes pour le bien commun. Dans The Defiant Ones (United Artists, 1958), le racisme des Etats du Sud des Etats-Unis était pris pour cible à l’époque du combat pour les droits civiques (35) ; dans On the Beach (United Artists, 1959), les derniers jours d’un groupe de survivants à l’apocalypse nucléaire étaient imaginés ; dans Inherit the Wind, Stanley Kramer transposa au cinéma le célèbre «procès du Singe » de Dayton, dans le Tennessee, en 1925, lors duquel le professeur John T. Scopes fut jugé pour avoir enseigné les théories de l’évolution de Charles Darwin.
Les prises de vue extérieures du film furent tournées à Nuremberg même. Stanley Kramer avait espéré, lors de son premier voyage à Nuremberg, pour préparer le film, tourner dans la salle d’audience qui avait accueilli le « procès n° 3 », mais celle-ci était toujours utilisée alors. Stanley Kramer expliqua : « Nous avons donc pris les mesures et l’avons soigneusement recréée dans le studio de production à Hollywood, même si nous avons finalement dû réduire certaines des dimensions pour les besoins des mouvements de caméra. Une salle d’audience – comme la salle d’opération dans Not as a Stranger – est un lieu très statique. Les avocats auraient dû être séparés et éloignés des prévenus et des témoins, comme le veut la loi. Ainsi, le film devient un jeu de ping-pong, sauf si vous essayez de déplacer la caméra, ce que j’ai essayé de faire – pas toujours avec succès. » (36)

PK 154117Ernest Laszlo, directeur de la photographie, et Stanley Kramer (à d.) sur le tournage de Judgment at Nuremberg, dans les rues de Nuremberg. Collection United Artists.

PK98006La reconstitution du Tribunal III du palais de justice de Nuremberg dans les studios d’United Artists. Collection United Artists.

Du point de vue du style, Judgment at Nuremberg est très différent de la plupart des autres films de Kramer. Si l’ensemble est assez statique, le film compte d’émouvantes prises de vue ; les rotations de la caméra autour des personnages prenant la parole dans le prétoire permettaient de faire varier la perspective du spectateur et de donner un sens aux seconds plans ; les zooms soudains et nombreux accentuaient les effets dramatiques de déclarations de personnages ; la photographie en noir et blanc, épurée, d’Ernest Laszlo soulignait l’austérité du sujet et la solennité des débats. Selon Stanley Kramer, « il y avait trop de mouvement de caméra en fait. […] l’espace entre le box où se tenait l’avocat et le box où était assis le témoin était de quarante pas au moins. C’est une grande distance si vous essayez de la photographier. Alors, l’avocat n’était jamais autorisé à quitter le box. Et si vous vouliez jouer à une partie de ping-pong dans la salle d’audience, vous deviez rendre mobile la caméra. Je crois que je l’ai déplacée un peu trop. Si je devais le refaire, je ne la déplacerais pas autant. Mais à l’époque je me sentais prisonnier par ces positions – des juges, des avocats et des témoins dans cette grande composition. Ainsi les quarante pas furent réduits à vingt-huit. Nous avons dû mettre beaucoup de lumière sur les personnages éloignés pour maintenir les formes dans l’objectif et les acteurs ont beaucoup transpiré lors de ces prises de vue. » (37)
Et face au problème tout commercial, que le studio United Artists soulignait, du désintérêt qu’un long film dans un prétoire aurait pu susciter, Stanley Kramer répondit par le choix d’un casting prestigieux pour mieux attirer le public. Celui d’Allemagne ne suivit pas… Il sollicita des acteurs avec lesquels il avait déjà travaillé et d’autres qui jouèrent de nouveau par la suite sous sa direction. Les affiches du film, à l’occasion de sa première sortie, mettaient en avant cette distribution importante, dans un contexte, au début des années 1960, de sorties sur les écrans d’autres grosses productions par le cinéma américain avec des pléiades d’acteurs (38). Par rapport au sujet traité, on se doute que ce choix d’un flamboyant casting suscita de nombreuses critiques. (39) Spencer Tracy qui tenait le rôle principal du juge Haywood était l’un des acteurs d’Hollywood les plus populaires aux Etats-Unis mais aussi à l’étranger. Son image était celle de l’Américain moyen, homme tranquille, pragmatique, attaché aux valeurs raisonnables de l’Amérique ; le choix de cet acteur, bien que malade alors, s’imposait pour incarner le vieux juge originaire de Caroline du Nord. Pour le rôle du principal accusé, Ernst Janning, Stanley Kramer ne put compter sur l’acteur britannique Laurence Olivier qui se mariait alors pour la troisième fois, et il ne voulut pas reprendre Paul Lukas, pourtant encensé par la critique pour le rôle tenu dans la production de CBS, car insuffisamment notoire selon lui. Le choix de Burt Lancaster pour jouer le magistrat accusé, froid, muré dans son silence et repentant finalement fut le moins apprécié par la critique, qui sans doute restait marquée par les rôles d’hommes d’action tenus jusque-là par l’acteur. Ce rôle, avec les trois suivants de sa filmographie (40), en deux ans, marqua un tournant dans la carrière de Burt Lancaster, passant à des personnages d’âge mûr ou plus complexes dans des scénarios dramatiques. Judy Garland, à un moment éprouvant de sa vie (ennuis de santé, séparation d’avec son troisième mari, problèmes financiers) et alors qu’elle n’avait plus tournée depuis 1954 (41), accepta le rôle secondaire d’Irène Hoffman, cette ménagère allemande de condition modeste, usée par les épreuves du temps. Pour Stanley Kramer, « elle [Judy Garland] était l’une de ces rares professionnelles capables de pleurer à la neuvième reprise, à l’endroit indiqué à la première reprise, d’oublier l’habitude de la répétition pour laisser exploser cette émotion, ce tragique, laisser couler ses larmes. » (42) Confronté à des difficultés personnelles depuis plusieurs années, Montgomery Clift, qui venait de jouer dans le remarquable The Misfits de John Huston (United Artists, 1961), offrit à Stanley Kramer de jouer pour le minimum salarial (ses frais pendant le tournage en plus) le rôle de Rudolf Petersen, l’Allemand attardé, condamné à être stérilisé de force par un tribunal du Troisième Reich. (43) Sa prestation remarquable lui valut une nomination aux Academy Awards dans la catégorie du meilleur second rôle masculin, mais dix jours furent nécessaires pour tourner la séquence de la déposition de Petersen car l’acteur buvait et était particulièrement anxieux. Alors qu’il avait des difficultés à retenir son texte, il reçut les encouragements déterminants de Spencer Tracy qui lui conseilla d’oublier le script (« do it into my eyes and you’ll be magnificent ») (44). Avec le rôle de Frau Berthold, inspiré de la veuve d’Alfred Jodl, condamné à mort par le TMI de Nuremberg en 1946, Marlène Dietrich clôturait dans un rôle assez convenu sa carrière longue de plus de quarante ans (45). Richard Widmark, dans le rôle du colonel Ted Lawson, procureur au procès contre les magistrats allemands, habitué jusqu’alors aux emplois dans les films de guerre et dans les westerns, pouvait détonner dans un film « bavard ». La révélation du film fut l’acteur autrichien Maximilian Schell, installé aux Etats-Unis depuis 1959, remarqué dans un premier long-métrage américain (46), où il jouait un capitaine rigide de l’Afrika Korps, et employé dans de nombreuses productions de networks américains entre 1959 et 1961. Pour le rôle de l’avocat exalté d’Ernst Janning, Hans Rolfe, il obtint à l’âge de trente et un ans de nombreuses récompenses qui sans doute pesèrent sur la suite de sa carrière.
Les films de procès étaient devenus un genre presque particulier dans la production cinématographique hollywoodienne d’après-guerre, renouvelant le genre du film noir et participant de l’édification civique des spectateurs américains dans les années 1950. Les titres remarqués étaient The Paradine Case d’Alfred Hitchcock (Selznick International, 1947), A Place in the Sun de George Stevens (Paramount, 1951), 12 Angry Men de Sidney Lumet (United Artists, 1957), Compulsion de Richard Fleischer (20th Century Fox, 1958), Anatomy of a Murder d’Otto Preminger (Columbia, 1959). Quinze ans après leur tenue, le film de Stanley Kramer apparaissait comme le premier à évoquer les procès des responsables nazis et allemands à Nuremberg, le premier à se démarquer aussi de ce genre dérivé du film policier et le seul à présenter une si large distribution d’acteurs. Le cinéma américain a peu abordé sous l’angle du prétoire le sujet de l’holocauste. Dans The Stranger d’Orson Welles (RKO, 1946), Edward G. Robinson jouait le rôle de l’inspecteur Wilson, travaillant pour une commission d’enquête alliée sur les crimes de guerre et contre l’humanité, cette commission étant seulement le cadre de la première séquence du film. Il fallut donc ensuite attendre le film de Kramer. En 1975, Arthur Hiller adapta une nouvelle de Robert Shaw, The Man in the Glass Booth (American Film Theatre), dans lequel Maximilian Schell jouait le rôle d’un survivant des camps de la mort devenu riche industriel à New York, kidnappé par les Israélien pour être jugé comme criminel de guerre nazi ; il mettait ensuite ses accusateurs devant leur propre culpabilité. Le film invitait à une réflexion sur les limites morales et philosophiques de la comparution devant les tribunaux des bourreaux. Dans Music Box (TriStar Pictures, 1989), Constantin Costa-Gavras, d’après un scénario de Joe Eszterhas inspiré de sa propre histoire familiale, renouvelait de façon intelligente le thème du bourreau dissimulé derrière une vie rangée aux Etats-Unis que The Stranger avait inauguré. (47)

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Spencer Tracy et Stanley Kramer sur le tournage de Judgment at Nuremberg. Collection United Artists.

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Montgomery Clift sur le tournage de Judgment at Nuremberg.
Collection United Artists.

Les documentaires qui ont abordé les procès de Nuremberg furent rares aussi jusque dans les années 1990. Le documentaire soviétique de Carl Svilov, produit en 1947 par Artkino, ??? ??????? (Cours populaires) (48) offre un tableau assez complet du grand procès devant le TMI : l’ouverture du procès, la prise de parole par le procureur en chef américain Robert Jackson, les 22 accusés plaidant non-coupable, la présentation de preuves des atrocités commises contre des civils pendant la guerre, le réquisitoire du procureur britannique Hartley Shawcross, la lecture des verdicts. Le documentaire rappelait que l’Union soviétique s’était opposée à l’acquittement de Hans Fritzsche, Franz von Papen et Hjalmar Schacht, et au fait que Rudolf Hess avait été condamné à une peine d’emprisonnement à vie, plutôt qu’à la peine de mort. Le film montrait les cadavres des nazis exécutés, avant de terminer avec le texte affiché à l’écran : « Que les procès de Nuremberg, comme un avertissement sévère à tous les bellicistes, serve la cause de la paix dans le monde entier – une paix durable et démocratique ». En 1996, l’auteur et cinéaste américain Stephen Trombley réalisait Nuremberg, une coproduction européenne (notamment pour les chaînes de télévision britanniques The Discovery Channel et Channel Four), qui constituait un compte rendu analytique des treize procès de Nuremberg, en soulignant les influences du contexte marqué par les débuts de la Guerre froide et l’évolution des politiques des anciens Alliés à l’égard des criminels nazis ; tourné à Nuremberg, New-York, Washington et Londres, le film présentait des images d’archives jusque là inédites et des photographies privées des procureurs et des avocats. (49)

Donc le film de Stanley Kramer de 1961 reste un film unique dans la liste des fictions cinématographiques sur la Shoah.

En 1948, le juge Dan Haywood [Spencer Tracy] vient à Nuremberg pour présider un tribunal devant lequel doivent comparaître quatre magistrats allemands accusés de crimes contre l’humanité. Les trois premiers plaident non coupables ; le quatrième, Ernst Janning [Burt Lancaster], se renferme dans un silence interprété comme méprisant. Leur avocat, Hans Rolfe [Maximilian Schell], édifie sa défense sur un argument principal : si ces hommes sont condamnés pour avoir soutenu leur pays, il faut que tous les Allemands passent en justice… L’avocat général, Ted Lawson [Richard Widmark], appelle ses témoins à la barre : Rudolf Petersen [Montgomery Clift] qui fut stérilisé ; Irène Hoffmann [Judy Garland] dont l’ami juif fut exécuté pour avoir eu avec elle des relations « hors-la-loi». En dehors du tribunal, Haywood tente de comprendre le phénomène du nazisme, notamment en s’entretenant avec Madame Berthold [Marlène Dietrich], la veuve d’un général allemand jugé et pendu par les Américains pour crimes de guerre.
Vers la fin du procès, qui dure huit mois, Janning sort de son mutisme, s’accuse d’avoir volontairement ignoré les méfaits du régime nazi et d’avoir accepté les pressions du pouvoir.
Impressionné par sa déclaration, Haywood s’accorde un délai de réflexion. C’est alors que survient le blocus de Berlin-Ouest par les Soviétiques. Les Alliés souhaitent un verdict de clémence pour se rallier l’opinion publique allemande. Mais Haywood, au nom de la justice, refuse de se laisser fléchir. Les quatre accusés sont condamnés à la réclusion perpétuelle. Le juge Haywood rentre chez lui, aux Etats-Unis.
Le procès n° 3 » de Nuremberg et les juges allemands coupables sous le nazisme
En avril 1949, fut rendu le jugement dans le dernier des douze procès de Nuremberg contre les criminels de guerre allemands, qui avaient commencé en octobre 1946. Sous la direction du TMI (50), les tribunaux militaires américains menèrent, à Nuremberg (qui était en zone d’occupation américaine de l’Allemagne) douze autres procès à la suite du procès des « grands » criminels de guerre. Les membres de la Gestapo, les SS, les industriels allemands, les médecins des camps nazis, les membres des Einsatzgruppen, les diplomates allemands, le haut commandement militaire et les juges allemands furent ainsi jugés.
Le « procès des juges » fut officiellement désigné « procès n° 3 – Les Etats-Unis d’Amérique vs Josef Altstoetter (51), et autres ». Il se tint entre le 14 février et le 4 décembre 1947. Sur les seize prévenus inculpés, neuf étaient des fonctionnaires du ministère de la Justice du Troisième Reich. Les deux personnes ayant occupé le poste de ministre de la Justice du Reich durant le régime de Hitler, Franz Gürtner et Georg Thierack, étaient mortes avant que l’acte d’accusation ne fut déposé. Thierack se suicida en prison le 22 novembre 1946. Entre la mort de Gürtner en janvier 1941 et la nomination Thierack en août 1942, l’accusé Franz Schlegelberger occupa par intérim le poste de ministre de la Justice du Reich. Les inculpés Schlegelberger, Curt Rothenberger et Herbert Klemm chacun occupèrent le poste de sous-secrétaire («Staatssekretaer») au ministère de la Justice du Reich. Deux autres hauts fonctionnaires de ce ministère furent inculpés, mais ne purent être jugés : l’accusé Carl Westphal se suicida en prison après la mise en accusation et avant l’ouverture du procès ; un abandon de poursuite fut prononcé en faveur de l’accusé Karl Engert, dont l’état physique empêcha sa présence au tribunal pendant la plus grande partie du procès. Les accusés qui ne travaillaient pas au ministère de la Justice du Reich comprenaient le procureur général du Tribunal populaire et plusieurs procureurs et juges des deux Tribunaux spéciaux et des Tribunaux populaires. Les deux types de tribunaux représentaient des éléments importants de l’administration judiciaire sous le régime nazi.
Les seize inculpés nommés dans l’acte d’accusation ont été accusés de responsabilité criminelle selon le premier des quatre chefs d’accusation. Le chef d’accusation n° 1 retenait une participation à une conspiration pour commettre des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité ; le chef d’accusation n° 2 concernait la réalisation de crimes de guerre contre des civils des territoires occupés par l’Allemagne après septembre 1939 ; le chef d’accusation n° 3 concernait la perpétration de crimes contre l’humanité, y compris les infractions contre les Allemands civils et les ressortissants des pays occupés, après le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Les infractions spécifiques retenues comprenaient l’assassinat, la persécution pour motifs politiques, raciaux et religieux, la déportation et la mise en esclavage, le pillage de biens privés, la torture et d’autres atrocités. Le chef d’accusation n° 4 visait sept des accusés pour appartenance à la SS, au SD, ou aux instances dirigeantes du parti nazi, toutes ces organisations déclarées criminelles par le TMI. Sur les quatorze accusés qui ont été jugés jusqu’à la fin, dix l’étaient pour plus d’un chef d’accusation.
Le « procès des juges » s’est tenu au Palais de justice de Nuremberg devant le Tribunal militaire III (52). Le 19 juin 1947, le juge Carrington T. Marshall (53) qui présidait et qui tomba gravement malade fut remplacé par le juge James T. Brand (54), et le juge Justin W. Harding (55), juge suppléant depuis le début du procès compléta le nouveau tribunal (56). Par délégation du procureur général Telford Taylor, le procureur Charles M. Lafollette (57) mena l’accusation contre les magistrats allemands. Le procès a compté 129 jours de session, pendant les dix mois et demi de sa tenue.

Les accusés dans le box

Les accusés du procès n° 3 dans leur box.
Au premier rang, de gauche à droite : Franz Schlegelberger, Herbert Klemm, Curt Rothenberger, Ernst Lantz, Wolfgang Mettgenberg, Wilhelm Von Ammon, Guenther Joel, Oswald Rothaug, Paul Barnickel, Hans Petersen, Guenther Nebelung. Au second rang : Hermann Cuhorst, Rudolf Oeschey and Joseph Alstoeter. Devant le box des accuses, le conseil de la défense. Les interprètes sont derrière la vitre, en haut à droite.

Le juge J.T. Brand ; le président Carrington T. Marshall ; le juge Mallor P. Blair ; le juge suppléant Justin W. Harding.

Le Tribunal III – Procès n° 3
Les juges James T. Brand ; Carrington T. Marshall, président ; Mallory P. Blair ; Justin W. Harding, suppléant. Le juge président fut obligé de se retirer pour cause de maladie et le juge Brand devint juge président et le juge Harding devint juge titulaire.

La transcription des débats du procès représenta 10 964 pages polycopiées. L’accusation a déposé comme preuves 641 pièces écrites (dont certaines contenaient plusieurs documents), et la défense 1 452 pièces écrites. Les preuves apportées par l’accusation et la défense contenaient des documents, des photographies, des affidavits, des interrogatoires, des lettres, des tableaux et autres pièces écrites. Environ 600 de ces pièces écrites étaient des affidavits, dont plus de 500 qui ont été introduits par la défense. Le Tribunal a entendu le témoignage d’environ 140 témoins, y compris celui de douze des accusés qui ont choisi de témoigner. Chacun des accusés qui ont témoigné a été soumis à un contre-interrogatoire pour le compte des autres accusés.(58) Le tribunal a consacré beaucoup de temps pendant les débats aux présentations et questions sur les procédures pénales contre les Polonais, le décret « Nuit et Brouillard », le transfert de détenus du système carcéral à la SS pour une « extermination par le travail », sur la condamnation à mort de Leo Katzenberger par le procureur Rothaug, et sur diverses condamnations à mort ou aux travaux forcés de Polonais par des tribunaux spéciaux en Allemagne et en Pologne.
Franz Schlegelberger avait basé sa défense sur l’affirmation selon laquelle il était resté à son poste pour éviter le pire, et que pour cette seule raison qu’il avait pris la responsabilité de tous les actes dont il était accusé. Cet argument fut utilisé par tous les autres juristes du procès pour se disculper. Hans Frank, l’ancien gouverneur général de Pologne qui a été condamné à mort dans le procès principal de Nuremberg devant le TMI, s’était déjà retranché sur cette ligne de défense, qui à la fin laissait Hitler comme le seul coupable. Dans son ouvrage de référence sur le système judiciaire allemand sous le nazisme (59), Ingo Müller rapporte de larges extraits des transcriptions des débats du procès n° 3. Face à l’argumentation de Schlegelberger, le Tribunal avait répondu :
« Schlegelberger présentait une défense intéressante […]. Il craignait que, s’il était amené à démissionner, un homme pire prendrait sa place. Comme les faits l’ont prouvé, il y a beaucoup de vérité dans cela aussi. Sous Thierack la police a usurpé les fonctions de l’administration de la justice et a assassiné un nombre incalculable de Juifs et de prisonniers politiques. Après analyse, cette affirmation plausible ne contredit ni la défense ni la vérité, ni la logique, ou les circonstances.
« L’accusation démontre de façon concluante que, afin de maintenir le ministère de la Justice dans les bonnes grâces de Hitler et d’empêcher sa défaite totale face à la police de Himmler, Schlegelberger et les autres accusés qui l’ont rejoint dans cette stratégie de justification ont entrepris le sale boulot que les dirigeants de l’État exigeaient, et ont utilisé le ministère de la Justice comme un moyen de détruire les populations juive et polonaise, terrorisant les habitants des pays occupés, et anéantissant l’opposition politique intérieure. Ce programme d’extermination raciale sous le couvert de la loi n’a pas atteint les proportions qui ont été atteint par les pogroms, les déportations et meurtres de masse par la police, ce qui est une piètre consolation pour les survivants des procédures judiciaires, et constitue une mauvaise excuse devant ce Tribunal. La prostitution d’un système judiciaire pour l’accomplissement d’objectifs criminels comporte un élément diabolique de l’Etat qui ne se trouve pas dans les réelles atrocités qui ne souillent pas les robes des juges. » (60)
De la masse écrasante de preuves, le tribunal a finalement tiré cette conclusion : « Les accusés sont inculpés de crimes d’une telle immensité que de simples cas particuliers de criminalité semblent insignifiants en comparaison. La charge, en bref, est celle de la participation consciente à un système de gouvernement national organisé sur la cruauté et l’injustice, en violation des lois de la guerre et de l’humanité, et perpétrée au nom de la loi par l’autorité du ministère de la Justice, et à travers l’instrumentalité des tribunaux. Le poignard de l’assassin était caché sous la robe du juriste. » (61)
Le tribunal a prononcé contre les deux sous-secrétaires Schlegelberger et Klemm, et les juges du Tribunal spécial Rothaug et Oeschey, des condamnations à perpétuité dans un pénitencier ; quatre autres accusés ont été acquittés, et le reste des peines de prison furent de cinq à dix ans. Ce procès de Nuremberg fut l’effort le plus concerté pour faire la lumière sur le rôle de la magistrature sous la dictature national-socialiste. Pourtant, il eut peu d’effet sur la profession juridique allemande, qui tenta de présenter le procès de Nuremberg comme une pure « représaille » de la part des vainqueurs. Et les autorités
américaines et ouest-allemandes elles-mêmes bientôt défirent les résultats du procès. Pour commencer, les condamnations à perpétuité furent commuées en vingt ans de prison, et en 1951, tous les accusés étaient en liberté à nouveau, sauf Rothaug, qui n’a été libéré qu’en 1956. Même Schlegelberger, qui avait été libéré « provisoirement » pour raisons de santé en 1950, fut libre pour de bon en janvier 1951.
Une condamnation pénale d’un juriste dans la zone russe de l’Allemagne ne présentait aussi aucun obstacle à une carrière à l’Ouest. En juin 1948, le Dr. Anger Erich, qui en tant qu’ancien procureur à la Cour civile de Leipzig avait plaidé avec succès la peine de mort dans un certain nombre de procès, a été condamné à Dresde à douze ans dans un pénitencier pour des crimes contre l’humanité. Après avoir purgé sa peine, il s’est installé en R.F.A. et est devenu premier procureur dans la ville d’Essen. (62) Ingo Müller a compté 5 288 personnes jugées par les tribunaux des deux Allemagne pendant les années 1950, mais « les membres de leur propre profession n’étaient pas parmi eux ». (63)
La plupart des juges nommés avant l’arrivée au pouvoir des nazis avaient des vues qui étaient tout à fait compatibles avec le parti nazi. Très peu de juges juifs étaient en poste quand les nazis ont pris le pouvoir, et en 1933 la législation leur a retiré leur service. Seule une poignée de juges ont démontré beaucoup de courage face aux violations des libertés civiles par les nazis. Ce fut le cas de Lothar Kreyssig, un juge de cour locale qui avait émis des injonctions contre l’envoi de patients d’hôpitaux dans des camps de concentration. (64) Kreyssig refusa de retirer ses injonctions. Il tenta également d’engager des poursuites contre les nazis pour arrêter le programme T4, mais sous la pression, suspendu, finalement il démissionna. (65)
Les juristes poussèrent à la mise en place des lois raciales. Ceux qui étaient engagés dans le programme nazi firent pression pour des résultats visibles. Le juge Roland Freisler (66) dicta une protestation très ferme au ministre dans le procès-verbal d’une réunion de la Commission officielle sur loi criminelle : « Je ne peux pas tolérer le fait que personne dans ce groupe ne soit disposé à demander que des mesures visant à protéger la race soient incluses dans le nouveau code pénal […] Nous sommes en danger de […] trahir nos convictions fondamentales si nous n’arrivons pas à inclure cette disposition ». Et les participants à un congrès médical consacré à « l’hygiène raciale et les questions des voies biologiques de l’hérédité » ont envoyé un télégramme au ministre de l’Intérieur en décembre 1934, exigeant l’adoption immédiate d’une loi avec des sanctions draconiennes « pour prévenir tout empoisonnement de la race juive et toute contamination du sang allemand ». (67) L’historiographie a accordé une importance particulière à la façon dont les lois de Nuremberg ont été adoptées – avec le but notamment de les présenter comme des idées originales de Hitler – idée forgée notamment par Franz Schlegelberger. Au procès des crimes de guerre de Nuremberg, Schlegelberger avait affirmé que le ministère de la Justice n’avait pas participé à leur élaboration et en fait, n’en avait pris connaissance que par la suite. Mais il est certain que l’adoption des lois du 15 septembre 1935 avait été précédée et préparée par la richesse des débats, des notes et projets aux ministères de la Justice et de l’Intérieur. La réglementation législative de la question raciale était attendue depuis longtemps et la pratique des tribunaux avait déjà commencé à l’anticiper. Le chef du parquet de Karlsruhe, par exemple, avait avisé le ministère de la Justice en 1935 que « relevant de la compétence de la Cour d’appel de Karlsruhe, un assez grand nombre de Juifs [ont été] mis en détention préventive » pour des infractions sexuelles avec des « aryens », même si aucune disposition correspondante du Code criminel n’existait encore. (68)

La loi pour la protection du sang allemand ne contient aucune disposition pour la peine de mort. Néanmoins, les « traîtres à la race » ont été dans certains cas condamnés à mort. Les possibilités juridiques étaient fournies par certaines autres lois, comme la loi sur les criminels dangereux habituels (69), que l’on appelle le décret sur les éléments asociaux (70), et le décret sur les criminels violents (71). Puisque seuls les tribunaux spéciaux avaient compétence sur les affaires jugées en vertu de ces lois, le ministère public pouvait réussir à faire comparaître des « délinquants sexuels raciaux » devant ces tribunaux et demander la peine de mort en combinant astucieusement l’accusation sexuelle avec ces autres lois.
L’affaire Feldenstein du scénario d’Abby Mann s’inspirait directement de la plus célèbre affaire de « délit sexuel racial » dans l’Allemagne nazie. A Nuremberg, le Tribunal spécial avait réussi à combiner le décret sur les éléments asociaux à la loi sur la protection du sang et de l’honneur allemands, afin d’affirmer sa compétence dans une affaire impliquant Leo Katzenberger, leader de la communauté juive de la ville. Dans un procès qui fit scandale, Katzenberger, âgé de soixante-sept ans, propriétaire d’une chaîne de magasins de chaussures jusqu’à son « aryanisation » en 1938, fut facilement condamné à mort sur la base de l’interprétation mentionnée plus haut. Vivait encore dans l’un des bâtiments qu’il avait possédé, une femme d’une trentaine d’années, nommée Irène Seiler, qui louait un appartement, ainsi qu’un petit magasin pour son entreprise de photographie. Katzenberger, qui était encore bien placé financièrement et qui avait été un ami de son père, entretint une amitié avec la femme. Des ragots et des rumeurs ont commencé à circuler dans le bâtiment, relevant de la calomnie et de la diffamation, et au printemps 1941 Katzenberger fut accusé de violer les lois raciales. Soumis à des interrogatoires, Leo Katzenberger et Irène Seiler restèrent fermes dans leurs affirmations que rien de sexuel n’avaient jamais eu lieu entre eux, et il n’y avait certainement jamais eu de rapports sexuels.
Le procès principal, qui eut lieu les 13 et 14 mars 1942, suscita un grand intérêt public. La salle d’audience était bondée, et le président de la Cour d’appel, le procureur général, et de nombreux membres éminents du parti nazi étaient présents. Les « preuves » de la culpabilité Katzenberger furent fournies par des témoins, qui n’ont déposé qu’en une occasion qu’il avait donné à Irene Seiler un bouquet de fleurs et était allé dans un café avec elle, et tous les deux fumaient des cigarettes de la même marque. Il fut également affirmé qu’ils avaient manifesté à maintes reprises de la peur quand ils avaient été vus quittant leurs appartements. Après que le ministère public ait présenté des preuves de ce genre devant le tribunal et ait discuté avec le juge qui présidait, il réclama la peine de mort en vertu du paragraphe 2 et du paragraphe 5 de l’article 2 de la loi sur la protection du sang et de l’honneur allemands, en liaison avec les paragraphes 2 et 4 du décret sur éléments asociaux.
Le juge qui présidait, Oswald Rothaug, dénonça à plusieurs reprises Katzenberger dans le cadre de la procédure comme un « Juif syphilitique » et un « agent de la juiverie mondiale », responsable de la guerre. La condamnation à la peine de mort ne fut une surprise pour personne. Irene Seiler fut reconnue coupable de parjure – bien que la loi sur la protection du sang et de l’honneur allemands prévoit uniquement la répression du partenaire masculin. Pour le procès Katzenberger, le Tribunal spécial mit au point plusieurs interprétations non conventionnelles de la loi. Après avoir déterminé que « la ville et la campagne sont en grande partie vidés des hommes », il a conclu que Katzenberger avait exploité la situation en temps de guerre, car « l’accusé, lorsqu’il a continué de visiter Seiler dans son appartement jusqu’au printemps 1940, comptait avec le fait que ses intrigues ne seraient pas perçues par tous, ou seulement avec difficulté ». Comme il rendait parfois visite à Mme Seiler dans la soirée, le tribunal était en mesure d’affirmer qu’il avait enfreint sur les interdictions de nuit. Comme le décret sur les éléments asociaux prévoyait la peine de mort en cas de « crime contre la personne, la vie ou les biens », les échanges d’affection furent réinterpréter en dommage corporel ; en outre, tous les commentaires sur la loi sur la protection du sang et de l’honneur allemands ont souligné que les violations ne représentaient pas un crime contre la femme en question, mais seulement contre la « pureté du sang allemand ». Les juges n’ont eu aucune difficulté à surmonter ces obstacles, cependant : « Le tribunal est d’avis que les actions de l’accusé ont été conçues avec un but précis à l’esprit et qu’ils ont été partie intégrante de son comportement général, ils représentent un crime contre la personne […] Le déshonneur juif contre la race représente une attaque grave contre la pureté du sang allemand ; l’attaque raciale est dirigée contre la personne de la femme allemande. » (72)
La peine de mort, qui, en dépit de tout, était encore une rareté dans des procès «raciaux», fut justifiée par les juges comme suit : « Katzenberger avait une connaissance précise du point de vue des Allemands nationaux sur la question raciale, il était bien conscient que son comportement était une gifle au sentiment national. Ni la révolution nationale-socialiste de 1933, ni la proclamation de la loi de protection du sang en 1935, ni l’action contre les Juifs de 1938 [dite Reichskristallnacht], ni le déclenchement de la guerre en 1939, n’ont suffi à lui faire changer son comportement. La Cour estime que la seule réponse possible à la frivolité de l’accusé […] est l’imposition de la peine de mort. » (73) Bien que ces condamnations à mort restaient l’exception dans les procès pour « déshonneur de la race », l’imposition de longues peines d’emprisonnement conduisait habituellement au même résultat. Dans ces dossiers judiciaires, après avoir purgé sa peine, le prisonnier était remis à la Gestapo. En règle générale, cela équivalait à une condamnation à mort.
Dans le film de Kramer, la séquence du témoignage de Rudolf Petersen illustre la participation des tribunaux allemands à la politique eugénique du régime nazi. Pour les nationaux-socialistes, la « pureté du sang allemand » comprenait non seulement la « pureté de la race », mais aussi la santé génétique. Hitler lui-même avait déjà proposé un plan de 1927 dans lequel les nouveau-nés avec des déficiences physiques ou mentales seraient tout simplement tués. Le 14 juillet 1933, le gouvernement allemand adopta la Loi sur la prévention des naissances avec maladies héréditaires (Gesetz zur Verhütung Nachwuchses erbkranken), rendant obligatoire la stérilisation forcée de certaines personnes ayant des handicaps physiques et mentaux. Cette loi fournissait la base pour la stérilisation forcée de personnes atteintes de handicaps physiques et mentaux ou d’une maladie mentale, les Roms (Tsiganes), les « éléments asociaux », et les Afro-Allemands.
Selon le premier alinéa de la loi, les personnes souffrant de maladies héréditaires étaient destinées à être stérilisées, puisque « l’expérience de la science médicale » suggérait « avec une grande probabilité » que toute la progéniture de ces personnes aurait « de graves déficiences physiques ou mentales ». Furent déclarées comme maladies génétiques « sous le sens de la loi » la débilité mentale, la schizophrénie, la maniaco-dépression, l’épilepsie, la chorée dégénérative, la cécité et la surdité héréditaire, les graves malformations physiques, et l’alcoolisme sévère. L’application de la stérilisation pouvait être faite par la personne concernée, ou par un tuteur légal, le médecin, ou le chef d’un hôpital psychiatrique. Conformément au paragraphe I de l’arrêté administratif d’accompagnement, même les stérilisations d’enfants étaient possibles. Les ordonnances pour les stérilisations devaient être délivrées par les « tribunaux spéciaux de la santé héréditaire » constitués à cet effet et attachés à des tribunaux locaux ; ils se composaient d’un juge de la cour locale et de deux médecins, dont l’un devait connaître «particulièrement bien l’eugénisme ». Les séances étaient fermées au public, les médecins qui comparaissaient comme témoins experts devant le tribunal ne pouvaient pas exiger le secret professionnel et ne pouvaient donc pas refuser de témoigner. Le jugement dans une affaire devant un tribunal héréditaire de la santé pouvait être porté en appel devant une Cour d’appel de la santé héréditaire. Les tribunaux de ce dernier type étaient attachés à chaque Cour d’appel et étaient composés là aussi d’un juge et de deux médecins. Ils parvenaient à une décision définitive sur la demande, après quoi aucun recours n’était possible. Si la décision était en faveur de la stérilisation, la personne concernée se voyait accordée un délai de deux semaines pour faire exécuter l’opération volontairement. Sinon, la stérilisation serait effectuée « à l’aide de la police, et si nécessaire avec l’emploi de la force directe ».
Ces opérations n’étaient pas sans danger. Le directeur de l’hôpital universitaire de Würzburg, le professeur Gaus, avait calculé un « taux de mortalité » d’au moins 5 pour cent. Étant donné le total d’environ 350 000 stérilisations, on peut estimer que la loi eugénique entraîna environ 17 500 décès. (74) La moitié des décisions de stérilisation le furent pour des raisons de « faiblesse d’esprit congénitale », dans 27 pour cent des cas le diagnostic fut la « schizophrénie ». Mais ces deux motifs les plus fréquents pour la stérilisation étaient aussi les plus discutables. Pour la « faiblesse d’esprit congénitale », les tribunaux avaient défini une intelligence légèrement inférieure à la normale, un retard de développement, ou une alexie congénitale (l’incapacité à comprendre les mots écrits) comme des motifs pour la stérilisation. La Cour d’appel de santé héréditaire de Jena a défini un principe selon lequel « la nécessité de fréquenter des écoles spéciales signifie toujours la présence de débilité congénitale ». Mais la « faiblesse d’esprit » a été diagnostiquée, non seulement dans les cas de faible intelligence, mais aussi en cas de « difficulté à comprendre les abstractions et la formation des opinions, et [d’] une sphère émotionnelle anormale et volontaire ». (75) Les auteurs de la loi exhortaient les juristes et les médecins impliqués à ne pas être scrupuleux dans leurs jugements : « Dans de nombreux cas de débilité asociale ou antisociale, de délinquance, ou strictement psychopathie, la stérilisation […] doit être recommandée sans réserve ». (76)
Les diagnostics des cas individuels pouvaient avoir comme enjeu de savoir si la maladie ou le handicap étaient héréditaires ou ponctuels et légers. Même le grand généticien de l’époque, le professeur Hans Luxemberger, avait reconnu que le classement de la schizophrénie comme trouble héréditaire n’était « rien d’autre qu’une hypothèse de travail ». Gütt, Rüdin, et Ruttke encouragèrent les juristes à se débrouiller sans la preuve des facteurs héréditaires : « Il suffit que la prédisposition à une maladie invisible se soit manifestée seulement temporairement, ou seulement sous une forme légère, ou par une première attaque ou lors d’un épisode. » (77)
Les tribunaux ne contestaient pas les allégations douteuses des médecins. Le Tribunal de la santé héréditaire de Lyck en Prusse orientale, par exemple, avait ordonné la stérilisation d’une jeune femme, même si sa surdi-mutité résultait de deux accidents et d’une grave infection de l’oreille, et le fait qu’elle avait donné naissance à un bébé normal plaidaient contre la présence d’un trouble génétique. Dans sa décision du 15 juillet 1937, le tribunal avait constaté, « bien qu’aucun nouveau cas de surdité ne peut être documenté parmi les relations de sang, le tribunal de la santé héréditaire est convaincu, sur la base de l’avis du médecin spécialiste, qu’il s’agit d’un cas de surdité héréditaire. Après que la stérilisation aura été réalisée avec succès, la femme X pourra épouser le père de son enfant, le sourd-muet Y tailleur, une fois que lui aussi aura été stérilisé ».(78)
L’imprécision des avis d’experts psychiatres et la légèreté avec laquelle les « faits » étaient déterminés apparaissent clairement dans les décisions impliquant la distinction entre la schizophrénie et d’autres formes de maladie mentale. Un architecte de quarante ans, père de deux enfants en bonne santé, fut amené dans un hôpital psychiatrique après une tentative de suicide. Les premiers médecins l’ont identifié comme schizophrène, mais ils ont vite révisé leur diagnostic car il ne montrait aucun des signes typiques de la schizophrénie, comme des troubles d’attention, de concentration de la pensée et de la parole. Étant donné que certains des symptômes observables chez l’architecte, comme les tendances suicidaires et de l’excitabilité anxieuse, sont également présents chez les maniaques dépressifs, la cour d’appel de la santé héréditaire de Zweibrücken, devant laquelle il avait fait appel de son jugement, a tout simplement laissé ouverte la question de savoir s’il souffrait de dépression schizophrène ou de manie. La cour a retenu cette dernière comme plus probable, en raison des capacités intellectuelles du sujet. Le tribunal conclut « que la maladie mentale […] est soit la dépression schizophrène soit la manie. Un
diagnostic distinct précis n’est pas nécessaire, cependant, puisque les deux troubles sont des troubles héréditaires dans le sens de l’alinéa 1 de la Loi pour la prévention des maladies héréditaires ». Les deux experts médicaux qui ont témoigné se sont fermement opposés à la stérilisation, parce que le patient était « une personne très estimable aux qualités intellectuelles et affectives précieuses, et d’un caractère élevé, et ces traits héréditaires […] méritent d’être épargnés ». Cela n’a pas aidé la cause de l’architecte, cependant, puisque le tribunal a objecté que « la présence de précieux caractères héréditaires ne suffit pas à justifier un refus de la stérilisation. » (79)

Les tribunaux de santé avaient souvent du mal à classer les « types par matière pénale » tels que définis par les théoriciens nazis de la loi pénale. Ils ont introduit à cet effet la catégorie de la « débilité morale ». Ce n’était pas un motif pouvant justifier une décision de stérilisation, mais la fréquence avec laquelle les ordres de stérilisation des juridictions inférieures pour de tels motifs étaient sujets à des demandes d’appel révèle que ce genre de décisions s’était généralisé. Comme dans ces affaires la plupart des décisions portaient sur des « infractions sexuelles raciales », la fascination des tribunaux pour les détails des vies sexuelles était peine voilée.
Le film de Kramer n’aborde pas le sujet de l’euthanasie planifié par le régime nazi ni la contribution des juges à la réalisation du « programme T4 ». L’idée de tuer des gens qui représentaient de simples « poids » pour la société n’avait pas été une invention des nazis arrivés au pouvoir. En 1920, Karl Binding, l’une des figures les plus importantes dans le droit pénal du IIème Reich, avait écrit en collaboration avec le psychiatre Alfred Hoche un plaidoyer intitulé Die Freigabe der Vernichtung lebensunwerten Lebens (éd. Felix Meiner Verlag, Leipzig). Dans les premiers temps du Troisième Reich, les déclarations de responsables se multiplièrent pour définir une législation sur ce sujet. En 1934, le commissaire d’État bavarois pour la santé appelait à « l’éradication des psychopathes, des imbéciles, et d’autres individus inférieurs » ; un rapport de la Commission sur le droit pénal délivré par le ministre de la justice Franz Gürtner en 1935 contenait la déclaration : « Une sanction pour destruction d’une soi-disant vie, ne valant pas d’être vécue, est hors de question. » (80)
Selon les propres statistiques du programme T4, qui se déroula en Allemagne entre janvier 1940 et août 1941, avant d’être interrompu face à la montée des oppositions dans la population, ses acteurs assassinèrent 70 273 personnes, handicapés mentaux et physiques internés dans six établissements spécialisés transformés en centres d’« euthanasie ». Mais les historiens estiment que ce sont 200 000 à 275 000 handicapés physiques ou mentaux qui furent assassinés dans le cadre de cette opération et de ses programmes annexes, notamment dans les camps nazis et dans les territoires occupés de l’Est. Face aux dépôts de plainte des familles contre les internements forcés, voire des cas d’ouverture d’enquête sur des médecins de centre d’euthanasie ordonnées par des juges (81), Franz Shlegelberger, alors sous-secrétaire du ministère de la Justice, convoqua une conférence de juristes au plus haut niveau. Etaient présents dans le bâtiment du ministère de l’Aviation à Berlin les 23-24 avril 1941, le sous-secrétaire Schlegelberger, son successeur Roland Freisler, le président de la Cour suprême Erwin Bumke, le président du Tribunal populaire le Dr. Thierack, des procureurs généraux attachés à ces deux tribunaux, de nombreux hauts fonctionnaires du ministère de la Justice, les présidents des trente-quatre cours d’appel, et les trente-quatre procureurs généraux de la « Grande Allemagne ». Le premier point de l’ordre du jour était le « Programme T4 », et Schlegelberger familiarisa les participants « à toutes les décisions du Führer », de sorte que « les juges et les procureurs ne soient pas la cause de graves dommages au système juridique ni au gouvernement en s’opposant à des mesures qu’ils croiraient sincèrement mais à tort être illégales, et ne se placent pas en opposition face à la volonté du Führer. » Après les rapports du Dr. Viktor Brack et du psychiatre Werner Heyde sur le programme de meurtres (82), Schlegelberger a expliqué que puisqu’« un décret légalement émanant du Führer [existait] pour ces mesures, il n’y avait pas avoir d’autres réserves au sujet de l’exécution des projets d’euthanasie » (83). Curt Rothenberger, président de la Cour d’appel de Hambourg et plus tard sous-secrétaire plus tard au ministère de la Justice, fut le seul à estimer nécessaire un règlement juridique de la question. Le reste de l’élite juridique du pays n’exprima pas de réserves. Les plaintes déposées en relation avec le programme d’euthanasie devaient être renvoyées au Ministère de la justice et devaient être classées. Aucune question n’a été soulevée sur la façon de concilier une telle directive avec le principe que tous les crimes devaient être poursuivis.

Bien que la responsabilité pour cet assassinat en masse d’handicapés physiques et mentaux et d’« asociaux » incombe au premier chef à des médecins, les juristes y ont été pleinement impliqués pour dissimuler le crime.

Pour une édification du public américain et du public occidental
Une succession d’extraits de marches militaires allemandes de l’époque du Troisième Reich sert de prologue au film. Le générique du film défile sur les images d’actualité soviétique de la Chancellerie du Reich aux emblèmes nazis dynamités en mai 1945. Cette première séquence de ce film américain donne le ton au spectateur, allemand en premier lieu : l’assurance, voire l’agressivité, allemandes ont été vaincues, les Allemands doivent comprendre qu’il ne faudra plus jamais recommencer. La séquence de la visite du juge dans Nuremberg (dans le stade où se tenaient les grands rassemblements du parti nazi, la cathédrale de la ville) est aussi là pour rappeler aux Allemands un passé récent d’autant plus honteux que la culture et l’histoire allemandes, dans une vision positiviste de l’histoire, pouvaient laisser escompter une toute autre destinée pour ce peuple.
Nous sommes à Nuremberg en 1948, Stanley Kramer utilise des images de villes allemandes aux immeubles dévastés et effondrés et aux rues dégagées comme arrière plan de la séquence de l’arrivée du juge américain Haywood et de sa traversée de la ville. L’occupation américaine est assez discrète dans la ville, et les Américains sont présentés comme rendant service aux habitants de la ville en les employant en ces temps difficiles. Le regard porté sur les gens modestes dans la population est assez complaisant dans le film, mais c’est là une habitude dans le cinéma américain lorsqu’il s’agit d’un scénario prenant pour cadre un pays étranger. Le couple des Habelstadt, au service du juge Haywood dans sa résidence de fonction le temps du procès, apparaissent comme des gens faisant une analyse morale limitée de la période du Troisième Reich, voire étant hypocrites, sinon aveugles (et donc à édifier), quand madame Habelstadt explique que Hitler avait mené de bonnes réalisations pour le pays (les autostrades, la victoire sur le chômage), et que les Allemands n’étaient pas au courant des atrocités commises contre les Juifs. Le juge Haywood réagit alors en maître d’école impatient de voir des élèves ne pas progresser dans l’apprentissage des bases, ici d’un esprit lucide tourné vers la démocratique.
Dès l’arrivée du juge à Nuremberg, est posée la question de la pertinence, en 1948, à continuer de poursuivre les criminels nazis (notamment en raison de l’évolution du contexte international de tension, entre les Etats-Unis et l’U.R.S.S. au sujet de l’Allemagne essentiellement), et dès le départ le personnage joué par S. Tracy affirme sa conviction qu’il faut mener à son terme cette action de justice. Pour le procureur, qui incarne le combat pour la nécessité d’une justice supérieure aux hommes et aux contingences, il s’agit de rendre la justice qu’ils ont refusée à d’autres. Ce film raconte donc aussi l’histoire de juges jugeant d’autres juges, présentant un sujet récurent dans la littérature et le cinéma américains, celui de la dualité de l’homme, comme si dans cette histoire les duos Lawson/Rolfe et Haywood/Janning n’étaient que les deux facettes et à des âges différents d’un même personnage. Et pour Kramer, assurément, celui qui l’emporte c’est celui qui défend la plus haute idée de la justice sans en avoir perdu de vue l’impérieuse nécessité, et c’est l’Américain sur l’Allemand. Lors des débats, l’avocat Hans Rolfe cite le juriste américain Oliver Wendell Holmes Jr. pour illustrer l’idée que la justice est rendue « en sondant les individus, sur leurs caractères. » (84)
Les arguments contre la poursuite des procès sont présentés : le correspondant d’United Press dans le film affirme que le public américain ne s’intéresse plus aux procès de Nuremberg ; le contexte de la Guerre froide débutante (ici la prise du pouvoir par les communistes en Tchécoslovaquie, le début de la crise du blocus de Berlin-Ouest) feraient le jeu des accusés allemands car il s’agirait de ne pas froisser les nécessaires alliés allemands dans l’optique d’un affrontement probable avec les Soviétiques. La priorité était en effet à la renaissance d’un Etat allemand dans les zones d’occupation occidentales. Cependant, les procès américains à Nuremberg continuèrent bien à se tenir jusqu’au 14 juillet 1949, date ultérieure à la naissance de la R.F.A., et l’œuvre judiciaire fut poursuivie par les tribunaux ouest-allemands. L’un des trois magistrats américains, le juge Norris, affirme : « il s’est passé des choses bien incompréhensibles », ou l’idée de l’indicibilité des crimes au service de la déculpabilisation. Dans l’énoncé du verdit, le troisième juge, Curtis Ives, présente la position de l’incapacité d’un tribunal à juger de tels crimes, et incarne donc aux yeux des auteurs l’abandon moral devant le travail de justice à rendre face aux crimes nazis. La veuve du général Berthold finit, dans les derniers jours du procès, par appeler le juge Haywood à privilégier l’oubli pour mieux dépasser les drames vécus ; les charmes du personnage joué par Marlène Dietrich n’y feront rien, au contraire même face au probe juge américain. Des arguments contre la nécessité d’imposer la justice supérieure défendue par Kramer et Mann, le plus pertinent est certainement celui avancé par l’avocat Hans Rolfe qui affirme, pour délégitimer l’action du tribunal, que c’est le peuple allemand en entier qui est mis en accusation, et le juge Ives pose la question du bien fondé de l’idée d’une culpabilité collective des Allemands. Kramer et Mann ne font pas tomber leur propos dans un manichéisme qui l’aurait desservi, et la place donnée au personnage de Hans Rolfe et le jeu de Maximilian Schell contribuent à générer interrogations et réflexion chez le spectateur comme le souhaitaient les deux auteurs. Mais Kramer et Mann font évoluer le personnage d’une façon que son propos finit par être desservi. L’agressivité de l’avocat pendant l’interrogatoire de Rudolf Petersen, au cours duquel il sous-entend que la stérilisation des attardés mentaux était justifiée, son acharnement contre Irène Hoffman pour lui faire reconnaître qu’elle s’était mise par ses rencontres avec le Juif Feldenstein hors de la légalité, suscitent un véritable malaise chez le spectateur qui voit exprimées là clairement les conceptions nazies, qui seraient encore bien présentes dans la population allemande (…celle de 1961).

Lors des débats, la question d’établir un code de justice pour le monde entier est abordée.
Le mot « juif » n’est prononcé que sept fois pendant toute la durée du film. La Shoah est présente dans le film à travers la séquence concernant l’affaire Feldenstein et la séquence de la projection d’image des camps. Bien des aspects du « procès n° 3 » la concernant ne sont pas du tout évoqués dans le scénario, comme tout ce qui concerne la mise en place et l’application de la législation allemande dans les territoires occupés de l’Est. L’imaginaire géographique de ce film de l’époque de la Guerre froide s’arrête au territoire de l’Allemagne, comme si toute mention de l’occupation barbare des Allemands en Europe de l’Est pendant la Seconde Guerre mondiale pouvait être prise comme de la propagande facile tournée contre l’occupation soviétique de cette même partie du continent, quinze ans plus tard.
A la 105ème minute du film, le colonel Lawson, qui affirme avoir lui-même participé au printemps 1945 aux découvertes des camps de Dachau et de Bergen-Belsen ( ?), projette comme cela avait été fait lors de la plupart des procès de Nuremberg un montage d’images de la libération des camps. Cette séquence, d’une durée de cinq minutes, est la première aussi développée dans un film de fiction américain. Le précédent notable était la projection – courte, et avec peu d’images montées dans le film – de la séquence médiane du film The Stranger, quand l’enquêteur joué par Edward G. Robinson veut rappeler à l’épouse du criminel qu’il poursuit ce que furent les crimes nazis. Autant que pour effectuer un rappel pour un public qui n’a plus vu, le plus souvent, ces images depuis seize ans, cette séquence ouvre le sujet dans le film de Kramer de leur utilisation « abusive » lors des procès (remarque formulée par l’avocat Rolfe à la reprise des débats devant le tribunal). Après la projection, l’un des accusés se plaint de cette initiative de la justice américaine – ce qui rappelle la réaction de Goering dans les mêmes circonstances aux premiers jours du procès devant le TMI de Nuremberg. Le montage réalisé pour les besoin du film par Kramer est composé d’une carte du Grand Reich, avec des noms de camps improbables en Pologne, des images de la libération de Buchenwald dont les allées ont été parcourues par l’état-major américain, de fours crématoires de l’entreprises Topf, d’amoncellements de brosses, de chaussures, de dents en métal précieux, de morceaux de peaux tatouées, de têtes réduites, d’un pelvis humain utilisé comme un cendrier, des enfants montrant leurs numéros tatoués sur l’intérieur de l’avant-bras gauche (images soviétiques prises à Auschwitz), des fosses emplies de cadavres, le bulldozer dans le camp de Bergen-Belsen qui pousse les cadavres vers une fosse.
Cette séquence peut être considérée comme le pendant pour le public américain du film d’Alain Resnais, Nuit et Brouillard (1956) ; l’essai cinématographique du réalisateur français avait créé une nécessité de donner à revoir les images de l’année 1945, diffusées dans les procès de Nuremberg jusqu’en 1949. Mais ici adaptée au public américain, cette fonction didactique jouée par le film de Kramer se transforme en une séquence six fois plus courte que le film de Resnais, sans aucune portée philosophique ou politique comme dans le film français, et essayant de recréer la réaction de stupeur des premières projections en 1945, en mettant l’accent sur l’émotion et l’écoeurement de tous dans le tribunal, là où Resnais parlait clairement dans son film des risques de l’oubli. Le but de Kramer ici n’est-il pas le même finalement, celui de « réveiller » la mémoire du spectateur américain. Le commentaire en voix-off du colonel Lawson évoque l’utilisation de zyklon B à Dachau dans une fausse salle de douche, il avance des chiffres de déportation par pays, mais qui parfois ne distinguent pas les Juifs, et finit par rappeler le chiffre de 6 millions de Juifs exterminés pendant la guerre. La brève intervention dans la séquence suivante d’un autre détenu allemand dans la salle du réfectoire de la prison (Oswald Pohl) (85) rappelle en une phrase que l’extermination d’autant de personnes était « une question d’organisation technique ». L’indicible devient concevable par les explications assumées et froides du bourreau ; là aussi, c’était à un personnage du camp des bourreaux que devait revenir cette tâche de reconnaître la faisabilité du crime, et non aux accusateurs américains. Cette première « repentance » appelle la séquence de la déclaration d’Ernst Janning.
La déclaration d’Ernst Janning, abandonnant son mutisme, qui implicitement récuse son avocat, symbolise l’Allemagne repentante, sortant grandie, abandonnant la logique nationaliste (celle mise en avant par l’avocat Rolfe) et revenant dans le cercle de la civilisation (occidentale), mais devant porter « à jamais » le poids de sa responsabilité dans les crimes commis (sentence confirmée par la rencontre sans concessions du juge Haywood avec Ernst Janning dans sa cellule, à la demande de ce dernier, après sa condamnation à la prison à vie). Et pour sceller le « pacte » de la réconciliation de l’Allemagne avec le monde occidental, Kramer et Mann soulignent – mais vers la fin du film seulement, mais cela ne pouvait intervenir qu’après la repentance de Janning – la responsabilité de la communauté internationale dans la montée du nazisme et la marche à la guerre voulue par Hitler : dans l’ordre, le pacte germano-soviétique de 1938, le concordat de 1933 du Vatican avec l’Allemagne, les propos élogieux de Winston Churchill à l’égard de Herr Hitler jusqu’en 1938, et les investissements des banquiers et industriels américains dans l’Allemagne nazie se réarmant. Les grandes puissances de l’après-guerre sont renvoyées à leurs responsabilités. (86) Mais le monde des affaires américain n’est pas le peuple ni l’administration démocrate de l’époque [en 1961, les Etats-unis sont de nouveau sous administration démocrate], et le sujet de ce que savaient les Alliés sur les crimes nazis, notamment contre les Juifs, n’est pas évoqué ; la documentation et la réflexion sur le sujet accumulées par Kramer et Mann pouvaient justifier que cette dernière question soit posée aussi.

Pour Stanley Kramer, la raison d’être du film se trouvait donc dans la déclaration du juge Haywood avant l’énoncé des sentences à la fin du procès (87) :
« Le procès mené devant ce tribunal a débuté il y a plus de six mois. Simples meurtres et atrocités ne constituent pas le fondement des charges dans l’acte d’accusation. Au contraire, l’accusation est celle de la participation consciente à une échelle nationale organisée par un gouvernement à un système de cruauté et d’injustice dans la violation de principes juridiques et moraux communs à toutes les nations civilisées.
« Le Tribunal a examiné attentivement le dossier et on y trouve en abondance des preuves suffisantes pour soutenir, au-delà de tout doute raisonnable, les accusations portées contre ces accusés. M. Rolfe, dans sa défense habile a affirmé qu’il en existe d’autres qui doivent partager la responsabilité ultime de ce qui est arrivé ici en Allemagne. Il y a du vrai dans ceci.
« Ce Tribunal ne croit pas que les Etats-Unis ou tout autre pays ne soit pas à blâmer des circonstances qui ont rendu le peuple allemand vulnérable aux flatteries et aux tentations de la montée du nazisme. Mais ce tribunal doit dire que les hommes dans le box sont responsables de leurs actes. Le principe du droit pénal de toute société civilisée a cela de commun. Toute personne qui pousse une autre à commettre un meurtre, toute personne qui fournit l’arme fatale dans le but de ce crime, toute personne qui est un accessoire de ce crime est coupable.
« M. Rolfe affirme en outre que l’accusé Janning était un juriste exceptionnel qui a agi selon ce qu’il pensait être le mieux dans l’intérêt de ce pays. Il y a du vrai dans cela aussi. Janning, assurément, est une figure tragique. Nous croyons qu’il exécrait le mal qu’il faisait. Mais la compassion pour les tortures actuelles de son âme ne doit pas engendrer l’oubli de la torture et de la mort de millions de personnes par le gouvernement dont il faisait partie. Le parcours de Janning et ses actes illuminent la plus bouleversante vérité qui a émergée de ce procès. Si lui et les autres accusés étaient tous des pervers dépravés – si tous les dirigeants du Troisième Reich étaient des monstres sadiques et maniaques – ces événements n’auraient pas plus de signification morale qu’un tremblement de terre ou que d’autres catastrophes naturelles. Mais ce procès a fait la preuve qu’en période de crise nationale, des hommes ordinaires – même des hommes doués et extraordinaires – peuvent se faire des illusions au point de commettre des crimes et des atrocités si vastes et si odieux qu’ils dépassent l’imagination. Personne ici ne pourra jamais oublier. La stérilisation des hommes en raison de leurs convictions politiques… Les notions d’amitié et de foi bafouées… L’assassinat d’enfants… Il est si aisé d’en arriver là. Il y a aussi aujourd’hui, dans notre pays, ceux qui parlent de la protection du pays. De survie. Chaque nation doit prendre une décision parfois. A certains moments, lorsqu’une puissance ennemie l’empoigne à la gorge, il semble que la seule issue consiste à employer les mêmes méthodes que lui, à assurer sa survie sans essayer de voir plus loin, à fermer les yeux, à renoncer à la morale. Mais alors quelle est la réponse à ceci ? Survivre en tant que quoi ? Un pays n’est pas un rocher. Et ce n’est pas un prolongement de soi-même. Ce qui fait la grandeur d’un pays, c’est de défendre certaines valeurs quand leur défense représente le plus de périls.
« Devant tous les peuples du monde, sachez que notre décision a été motivée par les valeurs que nous défendons : la justice, la vérité… et la valeur propre à chaque être humain. »
Dans un texte (88) rédigé par Telford Taylor peu de temps après la fin du procès n° 11 (le « procès des ministères »), le plus long des procès américains en Allemagne, qui s’acheva en avril 1949, le chef du Conseil des procureurs de Nuremberg dénonçait l’argument selon lequel le contexte de l’affrontement Est-Ouest nécessitait, pour s’assurer l’engagement de l’Allemagne aux côtés des Américains, une clémence des tribunaux à Nuremberg. Il rappelait notamment comment dans le « procès d’IG Farben » (le procès    n°6) un des trois juges se désolidarisa des autres juges trop à l’écoute de cet argument selon lui, et qui déclara que tous les directeurs d’IG Farben « avaient participé en connaissance de cause dans l’établissement de la politique commune » et qu’ils «devaient se partager la responsabilité. » Telford Taylor dénonçait aussi l’attitude des avocats allemands de la défense dans les divers procès de Nuremberg, dont le nationalisme et l’antisémitisme revêtaient les aspects d’une justification des événements de l’époque nazie. Dans le contexte de l’après-guerre et des fortes tensions entre les deux blocs formés, il estimait nécessaire pour « la préservation de la paix mondiale » de résoudre « le conflit entre la souveraineté nationale et la loi universelle ». Plus loin, il ajoutait : « Il a été dit d’excellente façon que « le but fondamental que le monde doit atteindre est l’établissement d’un ordre mondial sous le régime de la loi ». (89) Nous devons espérer et faire en sorte que les règles internationales qui ont été adoptées à Nuremberg, à Rastatt (90) et ailleurs au cours des dernières années amènent un jour le règne de la loi. C’est ainsi que des juristes pourront apporter un concours important à la cause de la paix mondiale, à laquelle nos gouvernements respectifs se sont consacrés. » (91)
La charge de Haywood/Kramer contre la justification du droit bafoué par la raison d’Etat, à destination du public américain, est clairement un règlement de compte à rebours avec l’esprit du maccarthysme, que l’époque sous administration démocrate permet plus aisément. Si Hollywood avait su trouver chez ses professionnels des noms, même célèbres pour s’opposer aux « listes noires », cette mention dans le film de Kramer révèle combien le sujet est encore présent chez ce cinéaste porteur de la tradition du cinéma américain libéral. Mais les valeurs mises en avant par Haywood/Kramer sont aussi celles des Etats-Unis dans leur lutte idéologique avec le communisme mondial, et quelques semaines après l’édification du mur de Berlin, ce film est aussi à sa façon un film américain orienté de la Guerre froide, au service de la politique étrangère américaine. Les liens entre Hollywood et Washington anciens et comme systémiques. (92)

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Fiche technique du film (95)

JUDGMENT AT NUREMBERG. Roxlom Films. Distributeur United Artists. Sortie aux Etats-Unis le 19 décembre 1961. Son Westrex, N&B, 35 mm, 180 mm.

Produit et réalisé par Stanley Kramer.
Producteur associé : Philip Langner.
Scenario : Abby Mann
Photographie : Ernest Laszlo.
Chef opérateur : Charles Wheeler
Directeur de plateau : George Milo
Producteur designer : Ernest Gold
Editeur du film : Frederic Knudtson
Musique Ernest Gold
Chansons : Lili Marlene, Norbert Schultze, Hans Leip, Thomas Connor ; Liebeslied Ernest Gold, Alfred Perry.
Ingénieur du son : James Speak
Editeur du son : Walter Elliott
Editeur de la musique : Art Duham
Assistant au réalisateur : Ivan Volkman
Producteur manager : Clem Beauchamp
Superviseur du script : Marshall Schlom
Toilettes de mademoiselle Dietrich : Jean-Louis
Costumes : Joe King
Maquillage : Robert J. Schiffler
Optiques : Pacific Title
Company Grip : Morris Rosen
Property masters : Art Cole
Characters Gaffer : Don Carstensen
Casting : Stalmaster-Lister Co.

Distribution :
Spencer Tracy (Juge Haywood), Burt Lancaster (Ernst Janning), Richard Widmark (colonel Ted Lawson), Marlene Dietrich (madame Berthold), Maximilian Schell (Hans Rolfe), Judy Garland (Irene Hoffman), Montgomery Clift (Rudolf Petersen), William Shatner (capitaine Byers), Edward Binns (sénateur Burkette), Kenneth MacKenna (juge Kenneth Norris), Joseph Bernard (major Abe Radnitz), Werner Klemperer (Emil Hahn), Torben Meyer (Werner Lampe), Alan Baxter (général Merrin), Virginia Christine (madame Halbestadt), Otto Waldis (Pohl), Karl Swenson (Dr. Geuter), Ray Teal (juge Curtis Ives), Ben Wright (monsieur Halbestadt), Olga Fabian (madame Lindnow), Martin Brandt (Friedrich Hofstetter), Bernard Kates (Perkins), Sheila Bromley (madame Ives), Jana Taylor (Elsa Scheffler).
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(1) Du 22 au 28 mars 1962, se tint devant la Cour suprême de l’Etat d’Israël le jugement en appel qui confirma la sentence prononcée.

(2) Sur le site Internet http://www.cinemotions.com/modules/Films/fiche/8185/Jugement-a-Nuremberg.html

(3) Michelle Manceaux, « De Nuremberg à Berlin », in L’Express du 21 décembre 1961.

(4) in Judgment at Nuremberg – A Play by Abby Mann, New Directions Books, New York, 2002, p. XVI.

(5) Abby Mann est né en 1927 à Philadelphie dans une famille juive originaire de Russie. A partir des années 1950, il écrivit des pièces de théâtre filmées pour la chaîne NBC et écrivit son premier scénario de long métrage pour le film britannique Port of Escape d’Anthony Young (Wellington Co., 1956). Mais c’est en 1961 qu’il est révélé par son scénario du film Judgment at Nuremberg de Stanley Kramer, qui est un succès international et pour lequel il se vit décerner l’Oscar du meilleur scénario le 9 avril 1962. Cette même année, il fut l’auteur du scénario du troisième film du jeune et brillant réalisateur John Cassavetes, A Child is Waiting (United Artists, 1963), pour lequel il retrouvait comme producteur Stanley Kramer. On lui doit aussi le scénario du film The Detective (20th Century Fox, 1968) de Gordon Douglas, avec Franck Sinatra. En 1973, il quitta le cinéma et se consacra à la télévision pour laquelle il écrivit des scénarios de téléfilms et séries télévisées. Il créa notamment le personnage de Kojak pour le téléfilm The Marcus-Nelson Murders (CBS, 1973), qui devint ensuite le héros de la série qui porta ce nom.

(6) Avant de devenir à Berlin-Ouest en 1987 la Haus der Kulturen der Welt, la Kongresshalle fut la contribution américaine à l’exposition internationale d’architecture Interbau 1957. Sa forme caractéristique lui valut le surnom d’« huître pleine » et lui permit de devenir l’un des bâtiments symboles de Berlin-Ouest, au même titre que la Gedächtniskirche (l’Eglise du Souvenir).

(7) in Judgment at Nuremberg – A Play by Abby Mann, New Directions Books, New York, 2002, p. XVII.

(8) in Judgment at Nuremberg – A Play by Abby Mann, New Directions Books, New York, 2002, pp. XVII-XVIII.

(9) in Filmkritik (janvier 1962), Munich.

(10) Les Golden Globe Awards sont des trophées remis chaque année depuis 1944 par la Hollywood Foreign Press Association de Los Angeles.

(11) Outre ses propres réalisations, Stanley Kramer, avec ses propres sociétés, Screen Plays Inc. (1947) et Stanley Kramer Picture Corporation (1954), produisit des films tels que The Men de Fred Zinnemann (United Artists, 1950), Cyrano de Bergerac de Michael Gordon (United Artisits, 1950), Death of a Salesman de Laslo Benedek (Columbia, 1951), High Noon de Fred Zinnemann (United Artists, 1952), The Wild One de Laslo Benedek (Columbia, 1953), The 5,000 Fingers of Dr. T de Roy Rowland (Columbia, 1953) et The Caine Mutiny d’Edward Dmytryk (Columbia, 1954).

(12) Variety, entrée du 18 octobre 1961.

(13) Arthur B. Clark, in Films in Review, janvier 1962, pp. 39-41.

(14) in The New York Times Film Reviews (1959-1968), volume 5, The New York Times & Arno Press, New York, 1970, p. 3294.

(15) Ronald Bergan, The United Artists Story, ed. Octopus Books, Londres, 1986, p. 203.

(16) Louis Marcorelles, « La trahison des clercs » in Les Cahiers du Cinéma, n° 128, février 1962, p. 48.

(17) Ibid., p. 50.

(18) in Le Figaro Littéraire du 29 décembre 1961.

(19) Raymond Lefèvre, in La Saison cinématographique 1962, p. 189.

(20) in Les Cahiers du Cinéma, n° 295, décembre 1978, p. 59.

(21) Pour cette adaptation à Broadway, l’acteur allemand Maximilian Schell qui jouait l’avocat Hans Rolfe dans le film de 1961, reprit le rôle d’Ernst Janning tenu par Burt Lancaster dans le film. En octobre 2002, la pièce fut produite en langue allemande au Stadtische Buhnen Theatre à Nuremberg, dirigée par Klaus Kusenberg, puis en février 2003 au Ernst-Deutsch-Theatre à Hambourg, dirigée par Johannes Kaetzler. En 2003, c’est au Japon que des adaptations théâtrales furent produites, à Kobe et à Tokyo. En mai 2005, la pièce est reprise à New York, au Concord’s Willows Theatre, sous la direction de Richard Elliot.

(22) Abby Mann, Judgment at Nuremberg. The Script of the Film, Cassel & Company Ldt., Londres, 1961.

(23) Abby Mann, in Judgment at Nuremberg – A Play by Abby Mann, New Directions Books, New York, 2002, p. X.

(24) Ibid., p. XIII.

(25) Georges Roy Hill est célèbre dans l’histoire du cinéma américain pour avoir réalisé les deux grands succès commerciaux réunissant les acteurs Paul Newman et Robert Redford : Butch Cassidy and the Sundance Kid (20th Century Fox, 1969) et The Sting (Universal, 1973) pour lequel il remporta l’Academy Award du meilleur réalisateur le 2 avril 1974.

(26) Les anthology series étaient des séries de fictions de la télévision américaine des années 1950 aux années 1970 qui présentaient à chaque réalisation des histoires et des distributions d’acteurs différentes, le plus souvent une fois par semaine. Dans les années 1950, « âge d’or de la télévision américaine », les séries les plus regardées étaient The United States Steel Hour (de CBS) et The Philco Television Playhouse (de NBC).

(27) Herbert Brodkin fut par la suite l’un des deux producteurs pour NBC de la série Holocaust réalisée par Marvin Chomsky (1978).

(28) L’anthology series « Playhouse 90 » totalisa 133 épisodes d’une durée de 90 minutes entre 1956 et 1961, sous la direction de réalisateurs tels que John Frankenheimer, Franklin J. Schaffner, Sidney Lumet, George R. Hill et Robert Mulligan.

(29) L’ancien procureur Telford Taylor, professeur de droit, présenta le programme et fut employé comme conseiller technique pour cette production. La réalisation fut assurée par George R. Hill. La distribution comptait entre autre Paul Lukas jouant le rôle d’un ancien ministre de Justice allemand, Claude Rains comme juge président du tribunal militaire américain et Maximilian Schell en avocat allemand de la défense.

(30) A Child is waiting de John Cassavetes (United Artists, 1963) fut produit par Stanley Kramer, avec Burt Lancaster et Judy Garland dans les rôles principaux, qui se retrouvaient là après le tournage de Judgment at Nuremberg.

(31) Larry Swindell, Spencer Tracy, The New American Library, New York, 1971, p. 219.

(32) Film pour lequel Stanley Kramer reçut le Prix du meilleur long métrage destiné à la jeunesse au festival international du film de Berlin de 1960.

(33) Abby Mann, Judgment at Nuremberg. The Script of the Film, Cassel & Company Ldt., Londres, 1961, p. 171.

(34) Donald Spopto, Stanley Kramer Film Maker, ed. Samuel French Trade, Hollywood, 1978, p. 226.

(35) Le racisme dans la société américaine fut le sujet d’un autre film de Stanley Kramer, Guess Who’s Coming to Dinner? (United Artists, 1967), quatrième film de Spencer Tracy avec le cinéaste, et dernier film de l’acteur.

(36) Donald Spopto, Stanley Kramer Film Maker, ed. Samuel French Trade, Hollywood, 1978, p. 228.

(37) Ibid., p. 230.

(38) Comme The Magnificent Seven de John Sturges (United Artists, 1960), The Guns of Navarone de Jack L. Thompson (Columbia, 1961), The Longest Day produit par Darryl F. Zanuck (20th Century Fox, 1962).

(39) The New Yorker évoqua « a Judicial Grand Hôtel », en référence au célèbre film de 1932 à la prestigieuse distribution réunie par la Metro-Goldwyn-Mayer.

(40) Birdman of Alcatraz de John Frankenheimer (United Artists, 1962), A Child is waiting de John Cassavetes (United Artists, 1962), Il Gattopardo de Luchino Visconti (Titanus, 1963).

(41) Son rôle d’Esther Blodgett, dans A Star is born de George Cukor (Warner Bos., 1954) est considéré comme le sommet de sa carrière au cinéma et un rôle de pleine identification pour l’actrice au parcours si proche de celui de son personnage. Judy Garland fut nominée aux Academy Awards de 1962 pour son rôle d’Irène Hoffman.

(42) Gerold Frank, Judy. La vie tragique et passionnée de Judy Garland, éd. Grasset, Paris, 1977, p. 325.

(43) Montgomery Clift avait tourné dans The Search de Fred Zinneman (Metro-Goldwyn-Mayer, 1948) où son personnage de soldat américain dans Berlin occupé et en ruine aidait un jeune garçon tchèque rescapé d’Auschwitz à retrouver sa mère. Dans The Young Lions d’Edward Dmytryk (20th Century Fox, 1958), il jouait le soldat juif américain Noah Ackerman en butte à l’antisémitisme de ses compagnons de chambrée et découvrant les camps nazis en Allemagne.

(44) Judith M. Kass, The Films of Montgomery Clift, Citadel Press, Seacaucus, New Jersey, 1979, p. 200.

(45) Le scénario présente le personnage comme la veuve d’un général de la Wehrmacht condamné à mort et pendu à la suite du procès qui se tint à Dachau en 1946 contre les responsables des massacres de Malmédy (362 prisonniers de guerre américains et 111 civils belges assassinés par des troupes allemandes pendant l’offensive des Ardennes de l’hiver 1944), mais les hauts officiers allemands condamnés appartenaient à la SS, et le plus haut officier condamné à mort fut le SS-Obersturmbannhführer [lieutenant-colonel] Joachim Peiper, dont la peine fut commuée en peine de prison. Stanley Kramer laissa une grande liberté à Marlene Dietrich pour composer son personnage, car l’actrice d’origine allemande, naturalisée américaine en 1937, et qui avait sillonné de nombreux théâtres d’opérations durant la guerre pour chanter devant les soldats américains, et qui fut à ce titre décorée en 1947 par la médaille de la liberté décernée par la Ministère de la guerre américain, fut particulièrement affectée tout au long de sa vie par les responsabilités de l’Allemagne dans la guerre.

(46) The Young Lions (20th Century Fox, 1958).

(47) En 2000, une coproduction américano-canadienne pour la télévision, Nuremberg, présentait un documentaire-fiction de trois heures, réalisé par Yves Simoneau, qui était une adaptation du livre de Joseph E. Persico, Nuremberg:Infamy on Trial (Penguin Books, 1995), reconstituant le déroulement du principal procès de Nuremberg devant le TMI.

(48) Distribué aux Etats-Unis sous le titre The Nuremberg Trials.

(49) En 1995, Stephen Trombley avait réalisé Drancy:a concentration camp in Paris, 1941-1944, une autre coproduction internationale (France 2, Channel Four, ABC-Australia, YLE-TV2, SVT, TV2), un documentaire de 52 minutes, à partir d’entretiens de survivants et de témoins, et d’images d’archives inédites.

(50) Les « douze autres procès de Nuremberg » furent organisé sous l’égide de la Loi n° 10 du Conseil de contrôle allié en Allemagne établi en juin 1945, qui autorisait la création de tribunaux. L’appareil judiciaire pour le procès était prescrit par l’Ordonnance n° 7 du Gouvernement militaire américain et faisait partie de l’administration de la zone d’occupation américaine, l’OMGUS (Office of Military Government US).

(51) Nom retenu parmi les seize inculpés selon l’ordre alphabétique de leur liste ; l’inculpé le plus important de ce procès par ses fonctions sous le Troisième Reich était Franz Schlegelberger.

(52) Chronologie du procès : dépôt de l’acte d’accusation (4/01/1947) – lecture de l’acte d’accusation (17/02) – début de la présentation de preuves et de témoins par le procureur (5/03) – début de la présentation de preuves et de témoins par la défense (23/06) – réquisitoires et plaidoiries (18/10) – verdicts (3-4/12) – confirmation des condamnations par l’OMGUS (18/01/1949).

(53) Ancien juge président de la Cour suprême de l’Etat de l’Ohio.

(54) Juge à la Cour suprême de l’Etat de l’Oregon.

(55) Ancien assistant du procureur général de l’Etat de l’Ohio et juge de district de la première division du territoire de l’Alaska.

(56) Le juge Mallory B. Blair était le troisième juge titulaire du Tribunal militaire III de Nuremberg, juge suppléant à la cour d’appel du troisième district de l’Etat du Texas.

(57) Elu républicain de l’Indiana à la Chambre des représentants du Congrès à Washington de janvier 1943 à janvier 1947.

(58) Contrairement à ce que présente le film de Stanley Kramer, chaque accusé était défendu par un avocat accompagné d’un assistant.

(59) Ingo Müller, Furchtbare Juristen :Die unbewältigte Vergangenheit unserer Justiz, Kindler Verlag, Munich, 1987. Pour la traduction en anglais, Hitler’s justice – The Courts of the Third Reich, Harvard University Press, Cambridge (Massachusetts), 1991.

(60) Trials of War Criminals before the Nuremberg Military Tribunals (Washington D.C. : U.S. Government Printing Office, 1951), III, p. 1086, cite in Hitler’s justice – The Courts of the Third Reich, pp. 271-272.

(61) Ibid., p. 272.

(62) Ibid., pp. 273-274.

(63) Ibid., p. 274.

(64) Récit présenté sur le site Internet de l’Université de droit du Missouri-Kansas City (UMKC) consacré aux procès de Nuremberg (1945-1949) : http://www.law.umkc.edu/faculty/projects/ftrials/nuremberg/Alstoetter.htm

(65) Retiré à partir de 1942 à la campagne, Lothar Kreyssig cacha deux femmes juives sur sa propriété.

(66) Juriste allemand qui adhéra au NSDAP en 1925, élu nazi des Landtage de Hesse-Nassau, puis de Prusse, Roland Freisler fut secrétaire d’Etat au ministère de la Justice du Reich (de 1934 à 1942) qu’il représenta lors de la Conférence de Wannsee. Le 20 août 1942, il fut nommé président du Volksgerichtshof par Hitler, succédant à Otto Thierack, nommé ministre de la Justice du Reich. Il est responsable de milliers de condamnations à mort prononcées dans les procès des trois dernières années du régime national-socialiste ; il poursuivit les participants au complot contre Hitler, après l’attentat du 20 juillet 1944.

(67) in Hitler’s justice – The Courts of the Third Reich, p. 96.

(68) Ibid., p. 97.

(69) Décret du gouvernement allemand du 24 novembre 1933.

(70) Décret du gouvernement allemand du 14 décembre 1937.

(71) Décret du gouvernement allemand du 28 février 1933.

(72) in Hitler’s justice – The Courts of the Third Reich, pp. 114-115.

(73) Le verdict est reproduit in Ilse Staff, Justiz im Dritten Reich, 2nde éd. Fischer Taschenbuch-Verlag, Frankfurt, 1978, 178ff : : note in Hitler’s justice – The Courts of the Third Reich, p. 115.

(74) in Hitler’s justice – The Courts of the Third Reich, p. 121.

(75) Ernst Rüdin et Hans Luxemberger, Psychiatrische Erblehre und Erbpflege, Lehmanns Verlag, Munich, vol. 1, 1938, p. 7.

(76) Arthur Gütt, Ernst Rüdin et Falk Ruttke (s.dir.), Gesetz zur Verhütung erbkranken Nachwuchses nebst Ausführungsverordnungen, 2nde éd. Lehmanns Verlag, Munich, 1936, p. 94.

(77) Ibid., 1ère éd. Lehmanns Verlag, Munich, 1934, p. 83.

(78) Récit de l’affaire dans le Weser-Kurier, 18 juillet 1980, cité in Hitler’s justice – The Courts of the Third Reich, p. 123.

(79) Décision du 20 mai 1935 de la Cour d’appel de la santé héréditaire, publiée dans Juristische Wochenschrift (1935), p. 1869, cité in Hitler’s justice – The Courts of the Third Reich, pp. 123-124.

(80) Franz Gürtner, ed., Bericht über die Arbeit der amtlichen Strafrechtskommission, F. Vahlen, Berlin, 1935, p. 258, cité in Hitler’s justice – The Courts of the Third Reich, p. 126.

(81) A Wels, en Haute-Autriche, un procureur ouvrit une enquête sur les activités des médecins du centre d’euthanasie de Hartheim.

(82) Viktor Brack était chargé de la coordination pour l’application du programme T4 et Werner Heyde était le responsable du département médical du programme.

(83) Le 1er septembre 1939, Hitler signa un document sur son papier à en-tête personnel, autorisant officiellement le Reichsleiter Philipp Bouhler, chef de la chancellerie du Führer, et son médecin personnel, le Dr. Karl Brandt, à diriger une vaste entreprise d’« euthanasie».

(84) Oliver Wendell Holmes, Jr. (1841-1935) enseigna à Harvard, puis fut juge à la Cour Suprême du Massachussets (1882-1902), puis à la Cour Suprême des Etats-Unis (1902-1932). Il est reconnu comme étant l’un des juristes américains les plus marquants du XXème siècle. Attaché au droit de la responsabilité, il estimait que la logique n’était pas le tout du droit, et il insistait sur la façon de rendre le droit en évitant les deux écueils que sont la confusion du droit et de la morale, et un développement purement logique du droit. Holmes mettait en avant une théorie de la prédiction : le droit comme toute science se doit d’avoir pour objet une prédiction, ici celle de la décision du juge. [voir Françoise Michaut, La Recherche d’un nouveau paradigme de la décision judiciaire à travers un siècle de doctrine américaine, Paris, L’Harmattan, 2000.]

(85) Le procès n° 4 de Nuremberg ou « procès Pohl » fut celui du WVHA (Wirtschafts-Verwaltunghauptamt), département économique et administratif de la SS, et il se tint devant le Tribunal américain n° II, entre mars et novembre 1947. Oswald Pohl, le directeur du WVHA fut condamné à mort et pendu dans la prison de Landsberg en 1951.

(86) A l’occasion de la séquence de l’interrogatoire du témoin Rudolf Petersen, le scénario rappelle que la législation des personnes handicapées avait pour référence un arrêt de la Cour Suprême des Etats-Unis de 1927 autorisant cette pratique dans l’Etat de Virginie. L’arrêt fut rédigé par le juge Oliver Wendell Holmes…

(87) Traduction directe à partir du film dans sa version originale par l’auteur.

(88) Telford Taylor, « Les Procès de Nuremberg : synthèse et vue d’avenir », in Politique étrangère n° 3, 1949 (14ème année), pp. 207-218. Voir sur le site www.persee.fr .

(91) in A Project for a World School of Law, publié par la Harvard Law School (1948), p. 5.

(92) De 1946 à 1954, plus de 2 000 criminels de guerre furent jugés en application de la Loi n° 10 du Conseil de contrôle des Alliés dans la zone d’occupation française en Allemagne. Une vingtaine de grands procès se sont déroulés ainsi à Rastatt.

(93) Telford Taylor, p. 218.

(94) Voir Erwan Benezet et Barthélémy Courmont, Hollywood/Washington : comment l’Amérique fait son cinéma, éd. Armand Colin, Paris, 2007.

Nb : Le panneau final du film qui affirmait que sur les 99 accusés condamnés à des peines de prison à l’occasion des treize procès de Nuremberg, plus aucun n’était détenu à la date de sortie du film, faisait l’omission de l’incarcération de Rudolf Hess à Spandau.

(95) In American Film Institute Catalog. Feature Films 1961-1970, ed. University of California Press, 1976, pp. 562-563.

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