L’Aktion Reinhard en Galicie orientale à la lecture des rapports des commissions d’enquête soviétiques

 

Cet article est paru dans la Revue d’histoire de la Shoah n° 197, octobre 2012.005

 

 

Les commissions d’enquête (CES), outil du projet judiciaire des Soviétiques

Le 2 novembre 1942, le gouvernement soviétique créa par décret la Commission d’État extraordinaire pour enquêter sur les crimes et délits commis par les Allemands, leurs alliés et leurs auxiliaires sur le territoire envahi de l’URSS. L’annonce en fut faite le 4 novembre dans la Pravda. Le nom officiel de cette commission était : « Commission gouvernementale extraordinaire pour l’établissement et l’investigation des crimes commis par les occupants fascistes allemands et par leurs complices, et des dommages provoqués par eux à l’encontre des citoyens, des paysans, des organisations sociales, des entreprises d’État et des administrations de l’URSS ».
C’est dès 1941 que l’idée de créer une telle commission avait émergé parmi les dirigeants du Parti communiste d’Union soviétique (PCUS). Il s’agissait à la fois d’alimenter la propagande en faisant connaître le plus largement possible les crimes commis sur le territoire soviétique, et d’entamer des investigations pour des procès que l’on comptait bien entreprendre une fois la guerre finie. L’idée était aussi de préparer, à partir de faits avérés, de futures demandes de réparations. À ce propos, les dirigeants soviétiques se souvenaient des fins de non recevoir après la Première Guerre mondiale. Cette création s’inscrivait aussi dans le contexte de réflexions et de déclarations des Alliés depuis le début de l’année 1942 pour juger, une fois le conflit achevé, les criminels de guerre.
Nathalie Moine (1) rappelle qu’en URSS, « la commission [n’était] pas seule sur ce terrain ». En décembre 1941, le Comité du Parti de la ville de Moscou créa une commission pour l’Histoire de la défense de la ville, et, en 1943, le département de la Propagande du Comité central institua la commission pour l’Histoire de la Grande Guerre patriotique auprès du praesidium de l’académie des Sciences. Par ailleurs, depuis le début de la guerre, la direction politique de l’Armée rouge collectait les informations qu’elle transmit, à partir de novembre 1942, à la Commission d’État extraordinaire. Et à partir de 1943, Ilya Ehrenbourg et Vassili Grossman commencèrent leurs travaux à la tête de la commission littéraire du Comité antifasciste juif, composé d’une quarantaine de collaborateurs, pour l’élaboration du Livre noir.
La Commission d’État extraordinaire était dirigée par Nikolaï Chvernik, président du Conseil central des unions syndicales, et l’on trouvait parmi ses membres surtout des universitaires et des académiciens, comme Nikolaï Bourdenko (neurochirurgien et chirurgien en chef des Armées), Boris Vedeneiev (spécialiste en énergie hydroélectrique), Trofim Lyssenko (directeur de l’académie des Sciences agronomiques de l’URSS), le juriste constitutionnaliste Iliia Trainin, l’historien Evgueni Tarle, ainsi que des personnalités comme Andreï Jdanov, responsable de l’idéologie au sein du Bureau central du Parti, le pilote de chasse Valentina Grizodoubova (décorée du titre d’Héroïne de l’URSS), l’écrivain Alexis Tolstoï et le métropolite de Kiev et de Galicie. La structure de la Commission était pyramidale et hiérarchique : sous le contrôle de la Commission d’État extraordinaire se trouvaient des commissions d’enquête au niveau des Républiques soviétiques, puis des régions (oblasts), enfin des districts, des villes et des soviets ruraux. Au niveau local, elles se créèrent au fur et à mesure de la reconquête et se composèrent des nouveaux cadres du Parti désignés, des responsables de soviets ou de kolkhozes.
Les commissions d’enquête soviétiques devaient intervenir rapidement après la libération des territoires pour établir des actes à partir des dépositions des témoins oculaires, de l’analyse de preuves matérielles, des ouvertures et inspections des fosses communes localisées, d’autopsies de cadavres, et même d’interrogatoires de prisonniers de guerre. Des listes nominatives de responsables parmi les Allemands et, parmi la population, de collaborateurs, devaient être établies aussi. Cette documentation servirait à l’accusation dans le cadre de futurs procès. Elle fut aussi rendue largement publique pendant la guerre, dans la presse à grand tirage (les Izvestia et la Pravda), sous la forme de brochures, afin de jouer son rôle de contre-propagande. Ainsi les commissions produisirent-elles plus de 4 millions d’actes officiels, comptabilisant plus de 10,6 millions de victimes civiles et prisonniers de guerre sur le territoire soviétique, environ 4 millions de personnes déportées dans le Reich pour y travailler, 76 264 criminels de guerre originaires du Reich, 41 749 alliés du Reich, et 34 525 collaborateurs soviétiques. (2) Ce sont elles qui ont alimenté en documents les services du procureur soviétique devant le Tribunal militaire international de Nuremberg.
Les comptes rendus de la Commission d’État extraordinaire ont souffert de l’utilisation mensongère et des falsifications qu’en firent les autorités soviétiques, comme dans le cas du massacre des officiers polonais à Katyn, pour lequel la Commission fut directement saisie. Mais les travaux des commissions locales sont certainement à regarder avec moins de suspicion, car en recherchant au plus vite les coupables et en identifiant les victimes, ils participent du projet prioritaire de rétablir le pouvoir soviétique. Nathalie Moine affirme qu’« au-delà des apories du travail de la Commission, elle a permis au niveau local l’expression à chaud d’un récit beaucoup plus riche et contrasté de l’occupation que ne le laissèrent filtrer les synthèses officielles publiées par le pouvoir. Ainsi, la destruction des communautés juives, la collaboration, les dénonciations et compromissions des uns et des autres, les conflits ethniques internes à la population soviétique sont autant de thèmes qui affleurent volontiers dans les documents locaux de la Commission ». (3)

La Galicie orientale dans la Shoah

Province de l’empire austro-hongrois avant la Première Guerre mondiale, la Galicie orientale avait été intégrée à la Pologne par le traité de Riga de 1921, puis envahie par les troupes soviétiques en septembre 1939 et intégrée à la République socialiste soviétique d’Ukraine le 1er novembre 1939. Selon le recensement polonais de 1931, 778 000 Juifs vivaient dans la partie sud-est du pays qui allait être intégrée à la RSS d’Ukraine huit ans plus tard, (4) et face à l’avancée des troupes allemandes en Pologne, ce sont environ 300 000 Juifs polonais qui se réfugièrent à l’Est, dans les territoires envahis par les Soviétiques à partir du 17 septembre 1939. La Galicie orientale comptait entre 500 000 et 600 000 Juifs lors de l’invasion allemande de juin 1941. (5) Lwow et ses environs avaient vu arriver environ 100 000 Juifs polonais des régions du pays passées sous contrôle allemand, et le nombre de Juifs à Lwow même était passé d’environ 110 000 en 1939 à 160 000 en 1941. (6) Après le passage du Heeresgruppe Süd de von Rundstedt (le 9 juillet 1941, la XVIIe Armée de von Stülpnagel se trouvait à 70 km à l’est de Tarnopol), les voïvodies polonaises de Lwow, Tarnopol et Stanislawow passèrent sous administration civile allemande et furent intégrées au Gouvernement général de Pologne, constituant un cinquième district administratif, celui de Galicie, avec Lwow comme capitale. Karl Lasch, un proche de Hans Frank, en fut nommé gouverneur, et le SS-Grupenführer Friedrich Katzmann prit le commandement de la SS et de la Police du district, après avoir occupé le poste de SSPF dans le district de Radom où il avait supervisé l’expulsion et l’asservissement des Juifs, le pillage de leurs biens et l’établissement de deux ghettos à Radom. (7)
À la fin des trois années de l’occupation allemande, on ne comptait plus que 15 000 Juifs environ en Galicie orientale, soit 3 % de la population juive du district de 1941. (8) Les victimes juives de cette région représentent environ un dixième des victimes de la Shoah. Si l’on reprend les chiffres retenus par Dieter Pohl, qui affirme que 126 000 Juifs de Galicie orientale furent acheminés à Belzec pour y être tués, (9) le territoire du district de Galicie fut un tombeau pour environ 400 000 Juifs, essentiellement exécutés par balles en marge des agglomérations, dans les cimetières juifs des communes, dans les ghettos lors des Aktionen menées contre ceux-ci, dans des camps de concentration (comme celui de Janowska qui évolua en lieu d’extermination systématique), ou encore dans de nombreux camps de travaux utilisés par des industriels allemands et par la SS (comme les 21 camps sur la route stratégique DG4 qui traverse le district d’ouest en est, que Katzmann cite dans son rapport envoyé au HSSPF Krüger le 30 juin 1943). (10) Yitzhak Arad, qui a comptabilisé les Juifs galiciens transportés à Belzec, arrive à l’estimation haute d’environ 280 000 déportés, ce qui porte son estimation à environ 320 000 Juifs tués sur le territoire du district de Galicie. (11)

Un schéma type pour la destruction des communautés juives

La Galicie orientale fut libérée par l’Armée rouge entre mars et juillet 1944, (12) et les commissions d’enquête y travaillèrent dans la seconde moitié de l’année 1944 et au début de 1945. Notre étude (13) porte sur les rapports des commissions d’enquête soviétiques locales dans dix des quatorze arrondissements (Kreise) établis par les Allemands dans le district de Galicie. (14) Le corpus retenu totalise 231 dépositions faites par des citoyens soviétiques, des Ukrainiens le plus souvent, des Polonais, quelques étrangers (un Français et un Américain…) ; il comprend les témoignages de 55 Juifs survivants, souvent les plus précis sur la Shoah. Si la date de naissance et le lieu de résidence du témoin interrogé sont presque toujours mentionnés ; plus rares sont les informations sur sa profession, son milieu social, voire sur le nombre de ses années d’études et de ses emplois avant et pendant l’occupation allemande (la profession est indiquée dans 73 cas seulement). Il apparaît qu’assez peu de paysans ou ruraux furent interrogés (quatre journaliers, un forestier, un cantonnier), et que les témoins résident dans les principales villes du district (Lwow, Tarnopol, Stanislawow, Stryj, Czortkov, Rawa Ruska, etc.). On compte moins d’artisans (13) et d’ouvriers (8) que de directeurs d’usines, d’ateliers ou de services d’État locaux (14) ou encore d’ingénieurs ou de cadres travaillant dans des usines ou dans des institutions (11). Des employés de services d’administrations ou d’usines (5), des étudiants (3) et des personnels du secteur de la santé (7) furent aussi interrogés. On peut lire les dépositions de collaborateurs du NKVD (3), de femmes au foyer (2) et d’un prêtre orthodoxe. La non appartenance au Parti est parfois indiquée (par la formule « sans parti »), mais il semble que les enquêteurs aient délibérément choisi d’entendre de nombreux responsables et cadres économiques ou administratifs locaux ; ils allaient trouver avec ces témoins l’assurance d’un récit des faits conforme à certaines attentes. Par ailleurs, le faible nombre de ruraux dans ce panel traduit-il une méfiance à l’égard des populations rurales polonaises ou ukrainiennes de la région, jugées parfois accommodantes avec l’occupant allemand ? Ces populations hostiles sont celles qui attendaient alors de subir la nationalisation et la collectivisation de leurs exploitations dans cette région qui repassaient sous contrôle soviétique après l’épisode de son intégration à la RSS d’Ukraine pendant vingt mois avant l’offensive de l’Axe de juin 1941.
Cette sélection des témoins est à rapprocher du constat que, pour une même commune, et donc pour une même commission d’enquête, les récits sont structurés de façon similaire : ils répètent le plus souvent les mêmes chiffres de victimes, les mêmes noms de collaborateurs et d’auxiliaires des nazis. Ils diffèrent parfois sur le décompte des actions locales menées contre les Juifs entre l’été 1941 et l’été ou l’automne 1943. Mais en les associant, les enquêteurs aboutissent à une « première » histoire des violences et massacres perpétrés contre les communautés juives de Galicie qu’ils synthétisent dans des actes datés, présentés à la suite de la série des témoignages locaux. Se dessine ainsi un schéma général, propre à la Galicie orientale, où l’arrivée des Allemands (fin juin ou tout début juillet 1941) fut juste précédée ou immédiatement suivie de pogroms importants pouvant durer jusqu’à trois jours, perpétrés par des Ukrainiens antisoviétiques, nationalistes, antisémites, désireux de se venger des judéo-bolcheviques, après la découverte de très nombreux morts dans les cours et les prisons des locaux abandonnés du NKVD (à Lwow et à Tarnopol, par exemple). Des dépositions mettent au jour des pogroms jusque dans les petits villages, motivés avant tout par le pillage. À Opoka (à 10 kilomètres à l’ouest de Borislav), le témoin Dourbak raconte :

« En juin 1941, lors de l’invasion des fascistes allemands, des familles juives sont allées se cacher dans la forêt. Une bande de nationalistes ukraino-allemands dirigés par Ivan Grigorievitch Kholmine et Grin Vassilievitch Doub ont cherché les Juifs qui se cachaient dans la forêt et, en un jour, ils en ont fusillé 40. Ensuite, ils se sont partagé leurs vêtements et leurs biens entre bandits. » (15)

À Bistritsa, à une cinquantaine de kilomètre à l’est d’Uzhorod (en Ruthénie subcarpartique, c’est-à-dire en dehors des limites de l’ancien Gouvernement général, région intégrée à l’Ukraine officiellement en juin 1945 aux dépens de la Tchécoslovaquie), un témoin rapporte :

« [Les nationalistes ukraino-allemands] ont enfermé les Juifs arrêtés dans une grange en bois et ils y ont mis le feu. La grange appartenait au citoyen Berchtein. Quand [elle] a été entièrement saisie par les flammes, une fillette de 12 ans s’en est échappée, en sautant. Mais l’un des bandéristes nationalistes ukraino-allemands, Stéfan Vassiliévitch Piliak, lui a tiré dessus avec son fusil et l’a blessée. Il a saisi la fillette et l’a jetée dans le brasier. Huit personnes ont péri dans l’incendie. » (16)

Début juillet 1941, plusieurs personnes appartenant à l’élite sociale des communautés sont regroupées dans le cimetière juif de la ville, dans des entrepôts ou des usines désaffectées, ou souvent encore dans un champ ou une clairière à quelques kilomètres à la sortie de la commune, pour y être assassinées. Les unités allemandes (non identifiées dans les rapports) sont les Kommandos de l’Einsatzgruppe C, qui opèrent par exemple à Lwow (Lemberg), à Tarnopol, à Dobromil. (17) À Rudky (au sud-ouest de Lwow), un survivant juif, Laïb Samouïlevitch Teil, raconte :

« Les Allemands sont arrivés à Rudky le 27 juin 1941. Cinq ou six jours plus tard – je ne me souviens pas exactement de la date –, tous les hommes juifs ont été rassemblés sur la place centrale et mis en rang par deux. Un major de la Gestapo de Rudky, dont j’ignore le nom, est arrivé. Son rôle était de faire ôter à ces hommes les vêtements qui correspondaient à ses goûts et de les tuer. Le major de la Gestapo a regardé le rassemblement et il a dit en allemand : « Que ceux qui sont de l’intelligentsia lèvent la main. » Environ 100 personnes ont levé la main, mais le major en a choisi seulement 39, ceux qui étaient bien habillés, c’est-à-dire ceux qui portaient un complet et des chaussures. Le major a demandé à ces 39 personnes de sortir du rang. Quand ils sont sortis, on les a fait monter dans des véhicules, il y en avait 2, et on les a conduits au village de Gochany, dans le district de Rudky. À l’ouest de Gochany, il y a un petit bois que les gens du lieu appellent « Béréziny ». Ils y ont été fusillés, puis on les a dépouillés de leurs vêtements. On a pris aussi les montres, les bagues en or, l’argent si c’était de l’or, et on a arraché les dents en or à ceux qui en avaient. Le raisonnement du major [nom illisible] de la Gestapo était que ceux qui sont bien habillés sont des gens très qualifiés, des avocats, des juges, etc. Leurs employés sont tombés eux aussi dans le groupe des 39 fusillés parce qu’ils étaient eux aussi correctement habillés. Ce fut le cas, par exemple, d’un cordonnier de Rudky nommé Markous. » (18)

L’acte établi pour la ville de Kalusz le 14 mai 1945 rapporte :

« Les 23-25 août 1941, une Aktion a été menée à Kalusz. Un groupe d’hommes de la Gestapo dirigé par le chef de la Gestapo de Stanislawow, Kriguer, sont arrivés de Stanislawow. Avec l’aide de leurs complices, à savoir de la police de la ville de Kalusz dirigée en ce moment par [nom illisible] – fils du prêtre du village de Nistow –, ils ont raflé la plupart des habitants aisés et des représentants de l’intelligentsia de la ville de nationalité juive : 1. Le Dr. Pemlikh, 2. Le Dr. Guefel, 3. L’avocat Finkelchtein, 4. L’avocat Sokal, 5. L’ingénieur Finkel, 6. L’instituteur Chpats, 7. Le Dr. Vasserman, 8. Le Dr. Aïzenbroukh, 9. Le Dr. Nadel, 10. L’instituteur Chtraoussova et beaucoup d’autres, avec leurs familles, 380 personnes au total. Après les avoir complètement pillés, frappés et leur avoir fait subir d’autres humiliations, ils les ont chargés, à peine vêtus, dans des camions et les ont emmenés vers la fosse qu’ils avaient préalablement préparée. La fosse se trouvait à 3 km de la ville, dans un bois, en contrebas du chemin de fer, près [du lieu-dit] « Berezina ». Là, ils les ont tous fusillés. » (19)

Par ailleurs, dès juillet, des Judenräte furent organisés par les Allemands dans les communes. Au mois d’août, quand l’administration civile du Gouvernement général commença à assurer la direction du nouveau district, les premières restrictions furent édictées : recensement des Juifs, port obligatoire du brassard blanc marqué de l’étoile de David en bleu, déménagement des Juifs. Elles affectèrent, dans le cas des principales communes, un nombre restreint de rues, sans qu’il ne s’agisse à chaque fois déjà de la mise en place des ghettos fermés. Ceux-ci ne furent constitués et clos le plus souvent qu’entre août et décembre 1941, mais aussi en 1942, pendant les opérations de déportation vers Belzec. Des camps de travaux, véritables réservoirs de main d’œuvre pour des entreprises allemandes qui commençaient à s’installer, furent créés pendant la même période (le camp de la rue Janowska à Lwow, ouvert en octobre 1941). Des massacres ponctuels, mais déjà d’envergure eurent lieu par fusillade, toujours sur les mêmes sites (deux ou trois le plus souvent), entre l’automne 1941 et le début du printemps 1942. (20)
Au mois de mars 1942, avec le début de l’Aktion Reinhard et l’organisation des premiers convois pour Belzec, les premières grandes opérations furent menées dans les principales villes du district (Lwow, Stanislawow, Drohobycz, Rawa Ruska). Des milliers de Juifs furent brutalement arrachés à leurs habitations, rassemblés et amenés à la gare où on les entassa dans des wagons – 80 à 200 personnes par voiture, selon les témoignages. Les enquêtes révélèrent que les principales opérations de « déplacement », et les plus meurtrières, eurent eu lieu entre août et novembre 1942, plus rarement en décembre, c’est-à-dire pendant la deuxième phase de fonctionnement du centre de mise à mort de Belzec. (21) Ces jours-là, la majorité des victimes furent déportées, mais des groupes importants furent menés sur les sites habituels pour y être assassinés. Pendant cette période, ces sites étaient toujours utilisés entre deux Aktionen pour organiser des convois à destination de Belzec. Les populations juives venant de localités moins importantes, quand elles n’étaient pas exécutées sur place, furent alors déplacées vers les principaux ghettos pour être déportées, lesquels étaient alors conçus avant tout comme des enclos pour faciliter les opérations telles qu’elles étaient menées à cette époque. Par ailleurs, tous les témoignages confirment les épidémies qui y ravageaient la population enfermée. De nouvelles exécutions, par balles, eurent lieu dans tout le district en janvier 1943, avant qu’ait lieu la liquidation finale des ghettos et des communautés juives, entre mai et juillet 1943. Les rapports de ces comités d’enquête soviétiques témoignent aussi des opérations de dissimulation entreprises par les bourreaux, notamment dans le cadre de l’opération 1005. Favel Gergovitch Ach, un survivant juif, explique que

« lorsque les Allemands sont arrivés à Lwow en 1941, le général de la police a donné l’ordre que toute la population juive soit envoyée dans un camp rue Janowska. […] Après m’être enfui, j’ai vécu dans le camp de la rue Zamarstynivska. […] J’ai été à nouveau envoyé au camp de la rue Janowska, le 15 avril 1943. J’y suis resté jusqu’au 17 juin 1943. J’avais été condamné à être fusillé mais finalement, on m’a chargé de faire brûler des corps de victimes. » (22)

Les rapports révèlent aussi qu’il existait de nombreux documents photographiques sur les liquidations des ghettos et des communautés juives qui appartenaient aux habitants, qui avaient disparu à l’arrivée des troupes soviétiques ou avaient été réquisitionnés par elles. Dans sa déposition du 2 décembre 1944, à Drohobycz, le survivant Issak Ioudovicth Liber rapporte :

« À Drogobytch vivait un photographe juif du nom de Valtberg. Il était en camp avec moi. Il m’a raconté qu’il a fait des copies de photographies et de films de différentes exécutions et atrocités commises par les Allemands sur les populations civiles. J’ai moi-même vu chez lui une photo où l’on voit des scènes de pendaisons et des exécutions, environ 500 personnes entièrement nues, et toute une série d’autres clichés. Il m’a dit qu’il en avait environ 1 000 et qu’il les avait donnés à garder à quelqu’un de sûr. Il ne m’a pas dit de qui il s’agissait. Il a ajouté que les photos seraient entières et qu’on pourrait les reprendre à n’importe quel moment. » (23)

Informations et limites des rapports des commissions d’enquête

Les récits et les actes rédigés fixent pour chacune des communes inspectées que nous avons étudiées une chronologie générale et des bilans ponctuels du nombre des victimes, plus rarement un chiffre global pour une municipalité. Les rapports donnent les chiffres des victimes par milliers. Lorsque des divergences apparaissent dans des témoignages, ce peut être parce que l’événement concerné a été omis par les rédacteurs dans la synthèse des investigations. (24) Les termes ou formules employés sont parfois imprécis : les unités de tuerie sont les « fascistes allemands » et les victimes juives ne sont que des «civils ». (25) Assez rarement, les récits généraux sur le devenir des communautés font une place à la présentation de destins individuels ; l’enquêteur s’attarde alors un peu sur l’évocation par quelques survivants du génocide de la disparition de leurs proches. Parmi les dépositions enregistrées le 9 décembre 1944 à Drohobycz, Samouïl Davidovitch Rozenberg, âgé de 44 ans, raconte :

« Je suis né dans une famille ouvrière du district de Medinitchi. Je suis agronome. J’ai d’abord travaillé au village, puis après avoir épousé une jeune femme de la ville, je suis allé m’établir à Drohobycz où ma femme avait un logement. Je travaillais comme vendeur dans un magasin. En 1941, les Allemands ont envahi Drohobycz. Ils ont procédé à des purges sommaires à l’encontre des civils, en particulier les Juifs. Je suis juif moi-même. Pour cette raison, sans aucun autre motif, les Allemands ont fusillé ma femme et mon fils âgé de trois ans en 1942. Ma famille a été conduite à Bronitsa et y a été fusillée. J’ai ainsi perdu vingt-neuf membres de ma famille. » (26)

Parmi les dépositions enregistrées le 8 janvier 1945 à Truskavets (27) (région de Drohobycz), Helena Moïseevna Fousseva, âgée de 39 ans, rapporte :

« Je ne peux rien dire d’autre à propos des exactions qui ont eu lieu à Truskavets. Quand ma famille était à Drohobycz, j’ai vu les massacres barbares des gestapistes à l’encontre des civils innocents. Ma famille, comme toutes les familles juives, a été transférée au ghetto. Avec ma fille âgée de 13 ans, je travaillais aux bâches. C’est sans doute ce qui nous a sauvé la vie, à ma fille et à moi, alors que mon mari a été embarqué au moment de la liquidation du ghetto et que nous ne l’avons jamais revu. De toute évidence, il a été fusillé à Bronitsa comme tous les autres. Tous les jours, on faisait sortir les gens du ghetto par groupes entiers pour les fusiller. » (28)

Certains témoignent de martyrs individuels dans leur ville. Parmi les dépositions enregistrées le 8 décembre 1944 à Borislav, Siguismount Adolfovitch Moussial, un citoyen polonais de 38 ans, directeur du dispensaire municipal, raconte :

« Pendant toute la durée de l’occupation allemande, dès 1941, le typhus a fait des ravages dans la ville. Deux hôpitaux furent organisés pour les personnes infectées, l’un pour les Juifs, l’autre pour le reste de la population. L’hôpital pour Juifs était situé au n° 5 de la rue de Drohobycz : en 1942 les gestapistes dirigés par Guidebrand et Gabriel ont fait irruption, complètement ivres, dans l’enceinte de l’hôpital et ils se sont mis à tirer sur les Juifs malades du typhus qui étaient hospitalisés. Les plus jeunes et le personnel médical se sont éparpillés en courant et les malades qui pouvaient marcher se sont enfuis, mais ceux qui étaient gravement atteints ont été fusillés dans leur lit. Je ne sais pas combien ils étaient. Les gens de la Gestapo ont raflé le docteur Taïsser à Drohobycz et l’ont fusillé. Le docteur Rouderfer Esthera était pédiatre, elle a été emmenée à Belzec où elle a été fusillée. Le docteur Dorfeld a été embarqué en même temps que le docteur Rouderfer. Le docteur Virzberg a été fusillé à Podbouj. Le docteur Masser a été emmené vers une destination inconnue. Le docteur [nom illisible] Maxim a été conduit à Plaszow, près de Cracovie. C’était le médecin le plus âgé de Borislav, il avait 75 ans. […] Au début de l’occupation, en juillet 1941, le pouvoir allemand a dressé les Ukrainiens contre les Juifs. Ils ont rassemblé les Juifs sur la grand-place et ils se sont mis à tuer ces citoyens désarmés à coups de bâtons. Parmi les Juifs tués, il y avait des Polonais, dont un militant clandestin, le communiste polonais Drefits et le komsomol Tynnianski. » (29)

L’un des principaux objectifs des enquêtes était de dresser des listes des criminels, allemands tout d’abord. Les corps des unités de répression citées sont la Gestapo, l’Ordnungspolizei ou la Schutzpolizei. Pour une même localité, les mêmes noms reviennent presque systématiquement dans les témoignages, comme si la consigne donnée aux témoins par les enquêteurs était de s’efforcer de nommer le plus grand nombre d’Allemands présents lors des exactions, et avant tout les officiers. Les actes rédigés font ensuite la synthèse des noms livrés. Parmi les actes rédigés par la commission d’enquête de Rawa Ruska, on trouve entre les 24 et 30 septembre 1944 une longue liste d’officiers de différents corps de police et de la SS :

« La commission de district a établi que l’envahisseur a exterminé dans le district de Rawa Ruska : 17 500 civils, 18 000 prisonniers de guerre (Stalag n° 328, Feldpost n° 08409), 6000 personnes déportées de Rawa Ruska vers Belzec. Les coupables des crimes sont :
le Kreishauptman Hager
le Burgemaster-Stadtkomissar Liaski
le chef de la Gestapo et Kommandant du « ghetto », l’Oberscharführer Schpeït
le chef de la gendarmerie, Kommandant de la ville de Rawa Ruska, Klein
l’Obersturmführer SS Gildebrand
l’Obersturmführer SS Wilghaus
l’officier de gendarmerie Trigner
l’officier de gendarmerie Feldwebel Maert
l’officier de gendarmerie Freintok
l’Obersturmführer Gremikita
le Kommandant du camp de Kamenka-Lipnik, le Scharführer Gjimyk
le Komissar allemand aux affaires juives Holtz
le Komissar allemand aux affaires juives Schtruchgoltz
l’Obersturmführer SS Rokita
le Kommandant de la police ukrainienne Ossidacht
le Kommandant du camp des prisonniers de guerre, le commandant Hassiner
le Kommandant du camp des prisonniers soviétiques, le commandant Fischer
le vice-Kommandant du camp de prisonniers de guerre, le commandant Bem
le Kommandant du camp de prisonniers de guerre, le commandant Fleker
le chef de la Gestapo du camp de prisonniers de guerre, Novarro
le chef du service policier, l’officier Broer
le [médecin] du camp de prisonniers de guerre, le lieutenant Neiman. » (30)

Dans le cadre de la mission d’épuration légale à laquelle contribuaient les commissions, les enquêteurs s’attachèrent tout particulièrement à connaître les noms des complices ukrainiens ou polonais, au sein des autorités municipales et de la police ukrainienne. Des témoins indiquaient parfois où trouver ces personnes, en 1944 ou 1945, quand elles ne se s’étaient pas enfuies avec les Allemands. Là aussi les actes rédigés font la synthèse des noms donnés. À Drohobycz, le témoin Stanislav Kazmirovitch Chpterli, un ouvrier polisseur de 38 ans, rapporta aux enquêteurs, début de décembre 1944 :

« Je ne peux pas dire combien de gens ont été envoyés aux travaux forcés en Allemagne, mais il y en a eu au moins 2 000. Les Allemands exécutaient d’abord les Juifs, ensuite les Ukrainiens et les Polonais. Le commandant en chef de la Gestapo était un Allemand du nom de Gabriel. Le commandant de la police [ukrainienne] Kolinko travaillait à la police noire ; il a quitté Drohobycz aujourd’hui ; selon des données non officielles, il se cache à Truskavets, où il doit avoir sa famille. […] Un certain Kapoustianski travaillait à la police criminelle. En 1944, je ne me rappelle plus quel mois, il accompagnait, soi-disant, des personnes arrêtées au tribunal, mais en chemin, il a tiré de sa propre main sur 3 ou 4 personnes. Kapoustianski s’est enfui quand les Allemands se sont retirés, mais sa famille habite à Drohobycz, 14, rue Franko. Je sais cela parce que je l’ai vu moi-même et je sais que Kapoutianski accompagnait les personnes arrêtées au tribunal et ensuite, sous le faux prétexte de tentative de fuite, Kapoutianski a fusillé des citoyens soviétiques. Je crois savoir que Brakinrod, qui habite Drohobycz, a tenu un journal dans lequel il décrit toutes les atrocités commises par les Allemands. L’habitant de Drohobycz Fleïcher, qui travaille à la centrale électrique, peut lui aussi confirmer les exactions commises par les Allemands parce qu’il travaillait comme serrurier-électricien à la Gestapo et qu’il a été témoin de toutes les atrocités. Je n’ai rien d’autre à ajouter. » (31)

Les rapports des commissions d’enquête soviétiques qui retranscrivent les questions posées soulignent cette volonté de connaître le plus grand nombre de collaborateurs des occupants au sein de la population. Par exemple, à Rohatyn (à mi-chemin entre Lwow et Stanislawow), l’enquêteur a cet échange avec le dénommé Tsil Izraïlevitch Blek, un rescapé juif né en 1915 :

Question : Pouvez-vous nommer les participants et leurs complices de la fusillade atroce des habitants civils du district de Rohatyn que vous connaissez ?
Réponse : Je connais les personnes suivantes :
1. Striiska – l’épouse de l’avocat Striiski – travaillait à l’administration du district en tant qu’adjointe du Landkommissar – s’est enfuie avec les Allemands.
2. Grabova – je ne sais pas où elle travaillait – s’est enfuie avec les Allemands.
3. Grabov – je ne sais pas où il travaillait – s’est enfui avec les Allemands.
4. Boudinski – Volksdeutsch – travaillait comme directeur du magasin où on vendait les affaires juives – s’est enfui avec les Allemands.
5. Konopada – travaillait dans le [même] magasin comme adjoint de Boudinski. Actuellement, il est dans la ville de Gdynia en Pologne.
6. Ivan Ilkiv – habitait rue Zavodova. Travaille [actuellement]. Aidait les Allemands à trouver les Juifs pendant les actions.
7. Guebes – travaillait à [illisible]. Actuellement, travaille comme simple employé au moulin de Rohatyn. Aidait les Allemands à trouver les Juifs pendant les actions et maltraitait les Juifs.
8. Stefan Tchervinski – actuellement travaille comme forgeron. Aidait les Allemands à trouver les Juifs pendant les actions. A personnellement tué un Juif – Roubine Brodbar – et lui a pris une montre en or et de l’argent.
9. Baliouk – l’épouse de l’horloger. Dénonçait les Juifs aux Allemands – Saïa Blek. Ce fait peut être confirmé par Pedoïma qui travaille à [illisible]. (32)

Pour Tarnopol,

« la Commission régionale présume que les responsables des crimes commis sur les citoyens soviétiques sont les hommes de la Gestapo suivants : Tsahal, Kelner, Rousske, Rimpler, Gilderbrat, ainsi que les traîtres à la patrie : Monastyrski Ilia, le commandant de la police, et les policiers Gavrichkin, Zabolotny Roman, Skap, Starovski et Zloty. » (33)

Les maires et autres responsables municipaux collaborateurs sont recherchés, comme l’illustre cet échange du 14 janvier 1945 entre un enquêteur de la commission à Turka, près de la frontière sud-ouest du district, et Omelian Ioulkovitch Matkovski, un citoyen ukrainien né en 1900, signalé comme travailleur non qualifié au comité du district :

Question : Que faisiez-vous avant l’occupation de Turka en 1941 ?
Réponse : J’étais gardien dans un magasin à Turka.
Question : Que faisiez-vous durant l’occupation allemande ?
Réponse : J’étais gardien d’immeuble. L’été, je balayais la ville, l’hiver je coupais le bois.
Question : Que faites-vous aujourd’hui ?
Réponse : Je suis concierge au comité du district.
Question : Que savez-vous des tueries de citoyens soviétiques par les occupants fascistes allemands ?
Réponse : On m’a fait creuser des fosses environ 5 fois, j’ai creusé les fosses pour ces citoyens soviétiques que les Allemands et les policiers faisaient sortir du village et fusillaient dans les cimetières par groupe de 5 ou 6. Des hommes, des femmes et des enfants ont été tués en masse. Je creusais les fosses et je les comblais. Les fusillades étaient effectuées à des moments divers, le jour ou la nuit. Durant l’hiver 1942, j’ai vu 40 ou 50 Juifs creuser une fosse au cimetière juif. J’ai vu faire ça à trois reprises. À ce moment-là, j’étais en train de balayer la rue et on y voyait bien. Après, quand ils ont eu fini de creuser la fosse, les Allemands et les policiers leur ont ordonné de se déshabiller complètement et de sauter un par un dans la fosse ; dans la fosse les Allemands leur tiraient dessus au fusil. Quand les Allemands et la police ont eu fini de les fusiller, le bourgmestre Pyssantchik Klymko, Sovarine Iouzef et Doulniavka Vassili ont réuni les gens et les ont conduits là où les Allemands et la police avaient effectué la fusillade. Ils leur ont ordonné de combler la fosse. J’y suis allé moi-même à trois reprises. J’ai vu des scènes horribles. On arrive à la fosse et à l’intérieur, il y a encore beaucoup de gens vivants qui grimpent pour essayer de sortir. Les Allemands leur tiraient dessus pour les immobiliser, ils les enfouissaient. Parmi ces citoyens soviétiques il y avait des hommes, des femmes, des enfants. J’ai vu de mes yeux une mère tuée ; dans la fosse, son petit enfant essayait de s’enfuir et un Allemand lui tira dessus.
Question : Où se trouvent aujourd’hui Pyssantchik Klymko, Sovarine Iouzef et Doulniavka Vassili ?
Réponse : Pyssantchik K. a fui avec les Allemands ; Sovarine Iouzef est en prison. Doulniavka Vassili habite rue Srednaïa à Turka.
Question : Qui connaissez-vous parmi les assassins de citoyens soviétiques ?
Réponse : Je connais un policier, Vovtchik, de Stari Sambor. Il fusillait les citoyens soviétiques.
Question : Pouvez-vous donner les noms de citoyens soviétiques fusillés ?
Réponse : Dans la fosse, il y en a un que j’ai reconnu, son nom est Netchesny. Les autres, il était très difficile de les reconnaître dans la mesure où on leur tirait dans la nuque.
Question : Connaissez-vous les endroits où les citoyens soviétiques étaient tués et pourriez-vous les montrer ?
Réponse : Oui, aux cimetières juifs je connais les endroits et je peux les montrer. (34)

Certains témoins, simples civils, avouent leurs crimes et semblent poussés à donner des noms supplémentaires. À Borislav, le 26 décembre 1944, Vassili Grigorovitch Bykhov dépose devant la CES :

« En juin 1941, sous l’occupation allemande de la région de Drohobycz, durant 3 jours, je suis sorti du travail et j’étais ivre ; je me suis arrêté là où l’on tuait les Juifs – la rue Kostouchko à Borislav – et j’ai regardé les Juifs se faire tuer. Il y avait beaucoup de gens. Je ne connais pas le nom de ceux qui tuaient les Juifs, mais je sais que les soldats allemands leur tiraient dessus, tandis que les Ukrainiens et les Polonais de Borislav les tuaient avec des bâtons. J’ai participé à ces massacres. […]
« À ce même massacre de la rue Kostiouchko à Borislav, qui s’est déroulé le même jour, vers le 3 juillet 1941, a participé Pristanets, prénommé Ivan je crois, qui habite actuellement le village de Poustanovitchi (je ne connais pas le district). Y a également participé [nom illisible]-Rogoun, Miroslav Dmitrovitch, habitant du village de Popéli-Khatiouts. Je ne sais pas où il vit actuellement, il faudrait le demander à Kalatoun’ Yourko Grigorovitch. Y a aussi pris part Vinar Lioubomir Aleksandrovitch, habitant de Borislav, district Bania-Kotivska. Y a également participé Grichko, je ne connais pas son prénom mais son patronyme est Mikhaïlovitch ; il habite à Borislav et il m’a dit qu’il avait habité rue Goering, je ne me rappelle pas le numéro. Je connais Kalatoun’ Yourko Grigovitch et j’ai entendu dire que lui aussi a participé aux massacres de Juifs, mais je ne l’ai pas vu faire personnellement.
« Je n’ai pris part aux tueries de Juifs qu’une seule fois ; après, je n’y ai plus jamais pris part. Je n’étais pas membre de la police noire ukrainienne et j’ignore si une telle police existait. » (35)

Plusieurs témoins racontent comment ils furent réquisitionnés, le plus souvent par des responsables municipaux, pour creuser les fosses d’exécution puis les combler une fois le crime commis, pour acheminer les victimes dans des véhicules ou ramener en ville leurs affaires. À Medinitchi (région de Drohobycz), un charron raconte comment « le protégé du staroste allemand » (36) vint, avec cinq autres personnes, le chercher en juin 1943 pour enterrer les corps d’une vingtaine de victimes juives fusillées à la sortie de la ville. (37) À Turka, en janvier 1942, les treize ouvriers de la carrière de la ville furent emmenés par des Allemands pour creuser une fosse ; le lendemain, on les rappela pour recouvrir les cadavres déjà enterrés d’une couche de neige supplémentaire. (38) À Turka encore, en janvier 1943, à l’aube, un chauffeur de la centrale électrique de la ville fut mobilisé par l’un de ses chefs pour effectuer trois ou quatre transports d’une vingtaine de Juifs à chaque fois, sous l’escorte d’un Allemand, entre le marché et la briqueterie. (39) En janvier 1943, dans le village de Melnichne (région de Turka), le staroste du village demanda à un travailleur agricole ukrainien d’aller enterrer les cadavres de 23 Juifs tués dans un bois à coups de bâtons. (40)
Lorsque les rapports abordent le sort des Juifs, les responsables de dénonciations, les profiteurs des biens volés aux Juifs sont stigmatisés. Dans sa déposition du 4 janvier 1945, S. D. Rozenberg, interrogé à Drohobycz, accuse : « Je connais le scélérat qui a “donné” le coiffeur Guermann à la Gestapo. Guermann a été fusillé. Ce scélérat s’appelle Nikolaï Plichtch, il habite à [illisible]. Il travaille comme manœuvre à l’usine » (41) À Borislav, dans sa déposition du 16 janvier 1945, Lina Moïsséiévna Rozenbaum, une pharmacienne juive rescapée, raconte :

« Je suis née à Borislav et j’y réside encore aujourd’hui. Pendant l’occupation par les bourreaux allemands, j’habitais à Borislav. Les enfants de mon frère, qui ont été emmenés à Cracovie par les Allemands, étaient cachés chez l’habitant de Borislav, Sidor. Sidor n’a pas pris d’argent pour cela, il les nourrissait gratuitement. Un voisin de Sidor, je ne sais pas son nom, a remarqué que mon frère allait souvent chez Sidor. Il a prévenu la police, qui est venue perquisitionner chez Sidor et a découvert les Juifs. Ils étaient au nombre de six ; ils ont tous été emmenés à Drohobycz. Quand l’Armée rouge est arrivée, le voisin en question s’est pendu. (42)
« Je connais Skichpets Yosef, qui habite rue Kostiouchko ; il a livré des Juifs : la mère et les filles Borman et Lerner, que les Allemands ont fusillées en 1944.
« Kostik, de la rue Goubitchi, a livré Regaouvt, Aberbakh, Dikhchtermav, Parnis. Kostik est parti avec les Allemands. » (43)

Toujours à Drohobycz, Séverin Markoussovitch Kamerman, collaborateur au bureau des archives du NKVD d’Ukraine, âgé de 24 ans, livre dans sa déposition du 21 décembre 1944 une dizaine de noms de personnes présentées comme complices des Allemands, des criminels, ainsi que d’autres accusés d’être des dénonciateurs et des profiteurs, et parmi eux un membre de la police juive :

« Goltsman, actuellement chef comptable au service financier de la ville, s’apprête à passer en Pologne. Sous l’occupation allemande, il travaillait à la police juive qui aidait les Allemands à tuer les Juifs. Goltsman percevait des pots-de-vin [de ceux] qui étaient au ghetto, soi-disant pour les faire sortir. Mais une fois le pot-de-vin empoché, il partait ; quelqu’un d’autre arrivait, de la police noire, et emmenait les Juifs à l’exécution. Il a pris part au pillage des biens des Juifs avec les Allemands. » (44)

Des dirigeants de Conseils juifs sont eux aussi mis en cause. À Zbarazh (au nord de Tarnopol), le témoin Sharian Fravski dénonce devant la commission d’enquête :

« Riman, de la Gestapo […], a fait venir à lui le brigand juif Pinkas Grinfeld et lui a ordonné de former un Conseil juif de 12 membres qui serait responsable de l’exécution de tous les décrets concernant la population juive. C’est ainsi qu’a commencé le pillage systématique et incessant des biens juifs. En 2 ans, les « contributions », les taxes [prélevées de différentes façons] et sous différents prétextes, ont rassemblé un total de plus de 100 millions de roubles-or. Le Conseil juif que l’on appelait Judenrat recevait quotidiennement de son président, l’agent de la Gestapo Grinfeld, l’ordre de fournir des sommes d’argent énormes, de l’or, des meubles, des literies, des chevaux, des chariots, des vêtements… Ce traître de Pinkas Grinfeld était reconnu au sein de la Gestapo pour ses talents de maître chanteur, ainsi que pour sa conception de la morale qui convenait très bien aux envahisseurs allemands et aux représentants de la Gestapo. » (45)

Des Ukrainiennes, maîtresses d’Allemands, sont également dénoncées. À Zbarazh encore, Fravski accuse : « Galia Feshka, la maîtresse du gendarme allemand Grunwald a invité chez elle son “héros” et lui a livré le pharmacien German Shliakhet, sa femme et son enfant. » (46) À Drohobycz, Makari Fiodorovitch Gaïvoronski, né en 1902, coiffeur auprès du comité régional du Parti communiste d’Ukraine, déclare le 18 décembre 1944 : «L’habitante de Drohobycz Maria Atamantchoukova, qui travaille comme commissionnaire au comité de ville du Parti, vivait avec les Allemands. Elle a accumulé beaucoup de choses prises aux civils fusillés. » (47) Des Polonais ou des Ukrainiens profitèrent de la détresse des Juifs qui essayaient de se cacher. Dans sa déposition du 4 décembre 1944 devant la CES de Drohobycz, Ida Youdievna Felzine, née en 1906, raconte :

« En 1942, quand les opérations contre les Juifs ont commencé, nous sommes allés nous établir à Borislav avec mon mari et mon enfant. Nous avons demandé à une Polonaise du nom de Kchistolska Guéllia et à son mari Iozef, rue Moroznitskaïa, je ne me rappelle pas le numéro, de nous héberger. Nous y sommes restés 6 semaines, puis ils nous ont expulsés en confisquant nos affaires. Nous avons dû les payer [en] roubles. Kchistolska a déclaré qu’elle avait eu peur de nous. Avant guerre, [elle] était députée au Soviet suprême de la RSS d’Ukraine. Après, on nous a mis au ghetto, et du ghetto, on nous a envoyés au camp pour Juifs de Borislav.
« En mai 1943, mon mari [illisible] a été fusillé et je suis restée au camp seule avec mon enfant. En juillet 1943, étant donc en camp, j’ai décidé de cacher mon petit garçon de 3 ans, Marian, à l’extérieur. J’ai rencontré une habitante de Borislav, une Polonaise du nom de Demien, qui habitait rue Tserkovna, n° 15. Elle a recommandé de confier mon enfant à Falda Yadviga et Chtchenska Guéllia, qui étaient ses locataires et qui étaient dans le besoin. J’ai remis mon enfant en garde à cette Falda et j’ai immédiatement payé 8 500 zlotys ; nous avons convenu la somme de 1 000 zlotys par mois et je lui ai tout de suite remis 1 500 zlotys d’avance. Au bout de 4 semaines, j’ai cherché à savoir ce que devenait mon fils et comment il était gardé, mais comme il était difficile aux Juifs de quitter le ghetto, j’ai utilisé tous les moyens pour rencontrer cette Falda, son amie Chchenska et leur logeuse Demien ; elles ne m’ont pas montré l’enfant ; elle m’ont raconté des bobards, comme quoi l’enfant était bien gardé, qu’on l’avait envoyé pour le mettre à l’abri chez une sœur de Falda qui s’appelle Guiziak, habitant à Borislav, rue Granitchna, n° 4. En fin de compte j’ai appris – et Falda l’a reconnu –, que mon fils avait été remis à la police. De plus, à cette époque, on m’a dit à la police polonaise que cette Falda prenait spécialement en garde les enfants des Juifs, qu’elle touchait de l’argent et des affaires en échange, et qu’après, elle les remettait à la police qui les tuait. Falda escomptait que tous les Juifs seraient fusillés, y compris moi, et qu’elle resterait impunie. Maintenant qu’elle sait que je suis toujours vivante, elle est sur le point de fuir en territoire polonais. J’ai raconté tout cela au NKVD de Borislav, mais jusqu’à présent, il n’y a eu aucune suite.
« À Borislav vit un Polonais dénommé Varkhalovski (Warchalowski), je ne connais pas son prénom. Au moment des actions contre les Juifs, il recevait d’eux de l’argent et des affaires, et ensuite il les donnait à la police. Varkhalovski (Warchalowski) devait donner 500 Juifs, mais il n’en a donné que 324. Il est actuellement détenu au NKVD pour ça. » (48)

Les rapports des CES révèlent aussi des actes de sauvetage de Juifs en fuite. Le 7 décembre 1944, Bernard Yossifovitch Ficher, un rescapé juif originaire de Drohobycz qui avait vécu à Vienne entre 1922 et 1930 avant de revenir dans sa ville natale, raconte qu’« avant la retraite des Allemands, fin 1943 et début 1944, quarante-sept civils furent cachés par le citoyen Iv. Pissak. Nous étions cachés dans la cave qu’il avait aménagée sous sa maison ». (49) Nikolaï Konstantinovitch Lichtchinski raconte, le 11 décembre 1944, devant la commission d’enquête de Stryj : « La dernière chose que je peux raconter concerne le sauvetage des enfants juifs. Pour sauver les enfants des Juifs, on les rejetait pour faire croire qu’ils étaient abandonnés ; ensuite, on les mettait dans des maternités après les avoir baptisés à l’église. Mais les gestapistes ont découvert le pot-aux-roses et le résultat est que sur 20 enfants, 7 furent arrêtés et tués dans notre église. » (50) Léon Solomonovitch Guirch rapporte le fait suivant, survenu dans sa commune d’origine, Dobromil (au sud-ouest de Lwow), le 16 décembre 1944 : « Après m’être retrouvé au camp de Przemysl avec mon fils, j’ai dû m’enfuir en août 1941. Tout le temps que j’ai passé à Przemysl, j’étais chez la citoyenne Podourskaïa qui nous a cachés de la Gestapo, mon fils et moi. Ainsi, j’ai été à Przemysl jusqu’au moment de la libération de la région par l’Armée rouge.» (51) Une aide tardive fournie aux Juifs faisait suspecter son auteur de vouloir soigner sa réputation avant la reprise en main par le régime soviétique. Izraïl Bernardovitch Guirchon, un artisan horloger juif rescapé, âgé de 41 ans, raconte, le 3 janvier 1945, devant la CES de Borislav :

« Ma famille était persécutée, alors je me suis mis d’accord avec un habitant de Borislav, Sidor – je ne me rappelle ni son prénom ni son patronyme, mais il habite rue Tserkovnaïa, il est forgeron –, pour qu’il cache ma famille, soit ma femme et mes deux filles. Guirch, qui travaille au magasin spécialisé de Borislav a aussi fait cacher ses deux filles chez lui. J’ai payé à Sidor 1 500 zlotys par mois. (52) Ma famille y a été de novembre 1943 à décembre 1943. Puis, la propriétaire m’a fait savoir qu’elle pouvait garder les gens qui se cachaient des autorités allemandes jusqu’au 23 novembre 1943. Mais c’était juste pour qu’on ne les accuse pas, ensuite, de les avoir livrés aux Allemands.
« Voici comment ça s’est passé : le 1er décembre 1943, à 18 heures, huit personnes qui se cachaient chez Sidor sont sorties pour aller dîner. La police est arrivée juste à ce moment et elle les a tous arrêtés et conduits à Drohobycz. Je suis allé à la Gestapo de Drohobycz, j’y ai vu ma femme ; elle m’a dit que c’est le propriétaire qui les avait trahis, c’est-à-dire Sidor. Une femme apparentée à Guirch qui travaillait à la teinturerie des Allemands a pu faire libérer les deux enfants Guirch de la Gestapo. J’ai entretenu la famille de Sidor sans compter ; j’ai vendu tout ce qui me restait. Ma femme était une bonne institutrice. Une de mes filles était komsomol, (53) l’autre était encore petite. Toutes deux allaient à l’école primaire. Je dois dire que 90 % de la population d’ici, Ukrainiens comme Polonais, nous étaient hostiles. À l’arrivée de l’Armée rouge plusieurs d’entre eux ont été arrêtés. […] Je demande que Sidor soit puni pour avoir livré huit personnes aux Allemands. » (54)

Des Juifs parvinrent à trouver refuge auprès des partisans particulièrement actifs en Galicie orientale à partir de 1943. Ida Davidovna Dlougatch, Juive rescapée née en 1903, raconte : « Le 9 juillet 1943, des partisans sont passés par Skalat [à l’est de Tarnopol]. Nous sommes partis dans la forêt avec eux, puis je suis partie vivre dans des souterrains pour que les Allemands ne me trouvent pas, et y suis restée jusqu’à la libération. » (55) On rapporte aussi des actes de résistance de la part des Juifs, gestes de révolte désespérés. Guenrik Arnoldovitch Volfinker, pharmacien juif à Stryj, né en 1903, explique le 14 décembre 1944 comment il se sauva d’une exécution au bord de la fosse :

« À la prison, on m’avait ôté mes vêtements de dessus et mes chaussures. À Holobutiv, on nous a déshabillés de la tête aux pieds. La fosse où ils fusillaient était située sur une hauteur ; on se déshabillait en bas, ensuite on était conduit tout nu à la fosse. Le bois autour de la fosse était encerclé par la police ukrainienne. Quand on m’a amené, nous étions huit véhicules venant de la prison, tous remplis. On m’a déshabillé et conduit dans un groupe de dix ; lorsqu’il ne resta plus que la moitié [du chemin] avant d’arriver à la fosse, j’ai décidé de fuir. Je me suis jeté sur un policier qui était perdu dans ses pensées, je l’ai saisi à la gorge et j’ai commencé à l’étrangler. Sa carabine s’est retournée et elle lui a tiré une balle dans le pied ; un gestapiste a couru à son secours, mais je l’ai attrapé par le bras et je me suis dégagé ; quand il a laissé tomber sa mitraillette, je l’ai paralysé en m’en servant pour lui donner des coups sur la tête et j’ai couru. Ils ont ouvert le feu et ils ont lâché les chiens sur moi ; j’ai riposté. Parvenu dans le bois, j’ai frappé un des chiens à la tête avec la mitraillette et je l’ai tué. Je suis arrivé à Holobutiv dans cet état. Je suis allé chez un habitant, Vassia Kil[ ?], natif de Niéjoukhov, et je lui ai demandé des vêtements. Il m’a donné une veste et un pantalon de travail. Et c’est ainsi que j’ai réussi à échapper à l’exécution. » (56)

Shinon Pinkassovitch Tenster, ouvrier juif survivant, raconte devant la CES de Rawa Ruska :

« En 1942, au mois de juillet, est arrivé de Lwow le représentant de la Gestapo, Katzman, qui a ordonné à Struchgoltz de la Gestapo de mener la 2e Aktion. Cette dernière s’est déroulée en deux jours. La ville a encore été entourée par la Gestapo, qui a arrêté 2 500 personnes et les a envoyées en train à Belzec. Certains Juifs ont demandé d’eux-mêmes que l’on ne les envoie pas à Belzec et qu’on les fusille immédiatement. Ces personnes ont été fusillées par la Gestapo ; cependant, les corps ont été chargés dans les wagons avec les autres Juifs qui étaient en vie et ont été emmenés à Belzec. Lorsque l’on a arrêté la komsomol Fleïscher, celle-ci a montré de la résistance et a crié « Mort à Hitler, vive Staline ». Elle a été fusillée sur place. » (57)

Lhaïa Shelmovna Altshuler, née en 1925, rescapée juive résidant à Rawa Ruska rapporte une scène fréquente sur les voies ferrées au passage des trains pour Belzec :

« Pendant l’occupation de la région de Lwow par les troupes allemandes, au mois de décembre 1942, lors d’un convoi d’extermination de 2 500 Juifs de Lwow vers Belzec, via Rawa Ruska, sur le chemin, au niveau de la gare de Kamenka Voloska, les Juifs ont cassé la porte d’un wagon et 150 personnes se sont enfuies. J’ai vu de mes propres yeux les gendarmes rattraper les Juifs fugitifs. Un Juif d’une trentaine d’années a été retenu par des gendarmes et un officier allemand, Grunwald, l’a frappé à coups de crosse de mitraillette sur la tête puis, à coups de talon dans le ventre et dans la tête. Sur ordre de Grunwald, les gendarmes ont traîné le malheureux dans la gendarmerie où ils l’ont tué. » (58)

Vérités et rumeurs concernant le centre de mise à mort de Belzec

Les rapports des commissions d’enquête soviétique, par les imprécisions ou inexactitudes qu’ils contiennent, montrent quelles informations tronquées et les rumeurs circulaient encore en Galicie orientale en 1944-1945 – par exemple sur le sort des Juifs embarqués dans les trains pendant l’année 1942 et emmenés au centre de mise à mort de Belzec. Le plus souvent, c’est « la ville de Belzec » qui apparaît comme destination, et non un camp ou un centre de mise à mort – ce qui ne change rien au fond. Un rapport sur Belzec, rédigé par l’Armia Krajowa, destiné au gouvernement polonais en exil à Londres et publié dans la presse clandestine en mai 1942, indique dans quel genre d’endroit étaient conduits les convois provenant des districts de Lublin et de Lwow. En Galicie orientale, les informations commencèrent aussi à circuler dès le printemps, mais c’est surtout pendant la seconde vague de déportations, à partir d’août 1942, qu’elles parvinrent aux populations locales et aux Juifs enfermés dans les ghettos, essentiellement communiquées par le personnel des chemins de fer. (59) Citons aussi le cas de quelques poignées de déportés qui, dans les heures suivant leur arrivée à Belzec, réussirent à sortir et retournèrent dans le ghetto de leur commune où ils racontèrent ce qu’ils avaient vu dans le centre de mise à mort. C’est ce que fit le rabbin de Blazowa (district de Cracovie, canton de Sanok, à la frontière avec le district de Galicie), déporté en octobre 1942 à Belzec depuis le camp de Janowska, à Lwow, et affecté au tri des vêtements. Au bout de quelques jours, il se joignit à l’escorte d’un train de vêtements à destination de Lwow ; arrivé là, il put s’échapper et se cacha dans le camp de Janowska. (60)

Gersh Savliévitch Bliasberg, un Juif rescapé de Rawa Ruska né en 1912, est interrogé le 27 septembre 1944 par le capitaine Tchiornyï, chargé d’enquête auprès du département du contre-espionnage, et évoque une évasion :

« Le 19 mars 1942, le chef de la gendarmerie de Rawa Ruska, Klein, a rassemblé 2 000 habitants de la ville, à qui il a été annoncé qu’ils allaient être installés dans un nouveau lieu de résidence et qu’ils devaient emporter leurs objets de valeur et de la nourriture. Ces 2 000 Juifs ont été chargés dans un train et envoyés dans le petit village de Belzits [Belzec], dans la région de Lwow. Une fois à Belzits, le train entrait dans un bois où l’on procédait au déchargement, les Juifs étaient déshabillés entièrement, mis dans des « bains-douches » où ils étaient tués par courant électrique.
Question : D’où le savez-vous ?
En mars 1942, Gromedonko [prénom illisible], habitant à Rawa Ruska, dans la rue Grountvoinskaïa, j’ignore à quel numéro, me l’a personnellement raconté car elle était présente pendant l’assassinat de ces 2 000 Juifs par les Allemands à Belzits. Elle a été fusillée au mois de juillet 1942 dans la ville de Rawa Ruska. » (61)

L’extermination par gazage à Belzec est mentionnée dans bien des dépositions faites devant les commissions, par des civils de profils sociaux et politiques divers. À Lwow, Mark Oziachvitch Tratner, assistant à l’université Franko raconte :

« Jusqu’en 1941, je travaillais comme instituteur à l’école élémentaire 31 de Lwow, qui se trouvait rue Zigmoundovskaïa. […] Je suis resté chez moi, sans sortir, pendant un mois et demi, afin de ne pas être emmené dans un camp de travail qui avait été organisé à Sokolniki, trois mois après l’arrivée des Allemands.
« En 1942, entre le 5 et le 20 août, un très grand pogrom juif a commencé. (62) […] Ensuite, les gens ont été envoyés au camp de Janowska, créé un mois après celui de Sokolniki, sur des plates-formes de tramway. Parmi ces personnes se trouvaient des Juifs, des Ukrainiens, des Polonais, des Russes et même des Tsiganes. À leur arrivée dans le camp de Janowska, les prisonniers ont été sélectionnés : les hommes en bonne santé sont restés dans le camp, les autres ont été réunis dans la gare de Klendovskaïa, où on les a forcés à enlever leur manteau et chargés dans des wagons. Ensuite, le train est parti pour Belzec où ils ont été gazés. » (63)

Mais l’on rencontre des approximations quant à la localisation du centre de mise à mort qui, pour les habitants de Drohobycz, se situait à Rawa Ruska et non à Belzec. Le témoin Dotsnev, un Juif qu’un certain Pissak cacha dans la ville avec d’autres personnes, déclare dans sa déposition du 5 décembre 1944 : « Il y avait à Rawa Ruska, dans le district de [illisible] de la région de Lwow, une chambre où on asphyxiait les gens au gaz. » (64) Naphtali Izraïlévitch Bakinrot, ingénieur agronome né en 1905, rapporte le 6 décembre 1944 qu’« en mars 1942, 1 000 Juifs furent conduits à Rawa Ruska pour y être asphyxiés dans une chambre spéciale ». (65) Albina Amalia Braer, une Polonaise née en 1911, raconte le 8 décembre 1944 qu’« un nombre important de civils étaient expédiés à Rawa Ruska, dans la région de Lwow, où ils étaient tués dans des chambres d’asphyxie par le gaz ». (66) Certains avancent que l’asphyxie avait lieu dans des tunnels, voire des grottes. Anna Mavrétsivna Liber, une Juive rescapée (née en 1918), affirme le 1er décembre 1944 : « Je sais qu’à Rawa Ruska, les Juifs ont été asphyxiés avec du gaz dans des tunnels. » (67) Son mari, Issak Ioudovitch Liber (né en 1907), témoigne le 4 décembre 1944 : « Le 7 ou le 8 août 1942 […] furent arrêtés environ 5 ou 6 000 Juifs. Ils furent tous conduits à la gare de chemin de fer et expédiés à Rawa Ruska. J’ignore ce qu’ils sont devenus. Par des gens qui s’étaient échappés de ce convoi et dont j’ignore les noms, j’ai entendu dire qu’ils avaient été asphyxiés au gaz dans des grottes. » (68)
La mise à mort par électrocution dans le centre de Belzec est souvent évoquée. Les récits d’artisans polonais ayant travaillé sur les deux chantiers des installations de gazage à Belzec (à la fin de l’année 1941, puis au début de l’été 1942 pour l’agrandissement du bâtiment), de même que celui du serrurier de Belzec, Stanislaw Kozac, qui a été retranscrit après la guerre, ont rapporté que « le plancher et les murs [du bâtiment des chambres à gaz – ici celui de la première période du centre de mise à mort, qui comprenait trois pièces] étaient recouverts de tôles de zinc jusqu’à 1,10 mètre de hauteur» (69). L’information se répandant, l’on en vint à imaginer dans la population des exécutions par électrocution collective, rumeurs que l’on retrouve deux à trois ans plus tard dans les dépositions devant les enquêteurs à Drohobycz, à Tarnopol et dans l’est du district de Galicie (à Zborov, Tovste, Rohatyn et Horodenka).
Nombreuses aussi sont les rumeurs et les fausses informations concernant l’utilisation des restes humains. Le rapport de la CES de Tovste (à une centaine de kilomètres au sud de Tarnopol) rapporte que « d’après les dépositions des témoins du district de Tovste et d’autres districts, à Belzec, on ne se contentait pas fusiller des citoyens soviétiques : on les brûlait à l’aide de courant électrique. Leurs cadavres étaient utilisés par les Allemands pour faire du savon qu’ils vendaient à la population ». (70) Abram Iermovitch Kouper, paysan juif rescapé (né en 1898), habitant à Horodenka (au sud de Tovste) raconte comment les nazis ont réuni, le 15 octobre 1942, 150 Juifs, travailleurs « spécialisés », et les ont enfermés pendant plusieurs jours dans un domaine agricole. Il poursuit : « Cinq jours plus tard, ils ont été envoyés dans la ville de Belzec – région de Lwow – où on les a tués à l’aide du courant électrique dans des pièces spécialement aménagées possédant un sol en fer. On les faisait entrer par groupes de 50 personnes, puis on faisait passer le courant électrique. Puis, on retirait le gras de leurs entrailles avec lequel on faisait du savon pour l’armée allemande. Quant aux cadavres, on en faisait des conserves pour des prisonniers de guerre détenus dans des camps. Je l’ai appris de quelques Juifs qui s’étaient enfuis et qui, une fois rentrés chez eux, en avaient parlé. Eux aussi ont été fusillés lors de l’Aktion suivante. » (71) Le témoin Dotsnev, à Rawa Ruska, ajoute : « Après, on transformait les corps ; avec la graisse, on fabriquait du savon, et avec les os, on faisait de l’engrais. Les cheveux aussi étaient coupés pour être utilisés. » (72)
Mais la destination de Belzec n’est pas toujours connue des personnes qui font état des déportations, même en 1944-1945. L’Ukrainien Vladimir Nikolaevitch Kobzdaï, habitant à Dobromil (né en 1903), raconte : « En 1942, vers le mois de juin, sur ordre de la Gestapo, environ 3 000 Juifs de Dobromil et des villages alentour furent emportés en chemin de fer par convois spéciaux. J’ignore ce qu’ils sont devenus, mais aucun n’est revenu. Ils ont tous été fusillés. » (73)

Des déportés juifs français en Galicie orientale

Une information apparaît dans une déposition devant la commission d’enquête de Lwow : des Juifs venant d’Europe de l’Ouest, et notamment de France, auraient été convoyés jusque dans le district de Galicie. (74) Le Polonais Favel Gergovitc Ach (né en 1897) affirme que « des Juifs d’autres pays, de Hollande, de France, ont été amenés à Janowska : dans le camp, j’ai vu des costumes où se trouvaient leurs papiers d’identité montrant qu’ils étaient de nationalité juive, ainsi que des vestes avec une étoile juive jaune cousue dessus. Il y en avait tellement que l’on ne pouvait pas les compter ». (75) Il est avéré que des prisonniers de guerre de différentes nationalités furent déportés dans ce camp, (76) mais il est difficile d’expliquer pourquoi des déportés juifs d’Europe de l’Ouest passant par Belzec ou à proximité auraient été acheminés jusque dans le district de Galicie, sinon pour intégrer des camps de travaux forcés. Le camp de travail de Janowska, qui évolua en camp de transit, fut un lieu d’extermination pour les Juifs de Galicie dont les convois pour Belzec passaient par Lwow. À partir de 1943, des Juifs enfermés dans des camps de tout l’ouest du district y furent envoyés pour y être tués.
Cependant, la déposition du témoin Ach trouve un écho dans les propos du rescapé de Belzec, Rudolf Reder, qui affirme dans son témoignage devant la Commission historique provinciale de Cracovie en 1946 qu’à Belzec « il n’y avait pas seulement des Juifs polonais, il y avait aussi des convois de Juifs étrangers. Parmi ceux-ci, les plus nombreux étaient les Juifs français ; il y avait des Hollandais, des Grecs, même des Norvégiens ». (77) Il semblerait bien que des Juifs d’Europe de l’Ouest aient été acheminés jusqu’en Galicie orientale.

Pour une histoire des communautés juives de Galicie orientale sous l’occupation allemande

Les dépositions retranscrites dans les rapports des commissions d’enquête et les actes établis par celles-ci permettent de présenter les principales étapes de l’invasion et de la destruction des communautés juives du district de Galicie. Les approximations ou les divergences sur des dates, des bilans de victimes ou des noms d’assassins sont à souligner, pour ne pas retenir les informations incertaines de ces documents. L’histoire de ces communautés a déjà été faite et trouve sa place principalement dans le projet mené par Yad Vashem à partir des années 1970 : il s’agit de la Pinkas Hakehillot: Encyclopedia of Jewish Communities, qui présente les histoires des communautés depuis leurs origines jusqu’à la période de la Seconde Guerre mondiale, collectant des écrits littéraires, des chroniques, des photographies, des documents personnels et des listes. (78) Dans son livre de référence sur la Shoah en URSS, Yitzhak Arad présente les histoires des principales villes du district de Galicie orientale sur lesquelles nous ne reviendrons pas ici. (79) Les rapports des CES permettent de connaître l’histoire de plus petites communautés.

L’arrondissement de Lemberg (Lwow)

Avant la création du ghetto d’Iavoriv (à 50 km à l’ouest de Lwow), à l’automne 1942, 1 200 personnes furent amenées au centre de mise à mort de Belzec, 200 autres exécutées sur place. (80) Le 16 avril 1943, les Allemands mirent le feu au ghetto et 4 400 Juifs furent conduits en forêt, sur le site d’un ancien camp de prisonniers de guerre, pour y être fusillés. (81)
À Rudky (à une soixantaine de kilomètres au sud-ouest de Lwow), les Allemands exécutèrent dès leur arrivée, le 27 juin 1941, trente-neuf membres de l’intelligentsia juive dans un bois (« Béréziny ») proche du village de Vyshnya (au nord-ouest de Rudky) (82). En novembre 1942, 830 personnes furent envoyées à Belzec (83) ; aussitôt après, un ghetto entouré de fil de fer barbelé fut organisé, dans lequel 2 200 Juifs environ furent détenus jusqu’à sa liquidation, le 9 avril 1943 : 1 700 personnes furent alors fusillées dans le bois de « Béréziny ».
Les Allemands arrivèrent à Dobromil (proche de la frontière avec le district de Cracovie) le 30 juin 1941. Dès le lendemain, des hommes de la Gestapo venant de Przemysl réunirent 200 à 250 personnes (il est précisé qu’il y avait parmi eux des enfants et des vieillards), fusillées dans l’usine de sel. En juillet, 3 à 4 000 Juifs furent regroupés ; près de 300 furent retenus et envoyés dans un camp de travail à Przemysl, les autres exécutés au pont de chemin de fer à côté de la scierie de la ville. En juin 1942, 800 Juifs furent tués au même endroit. Les autres sites d’exécution dans la ville étaient l’usine de sel et le cimetière juif. On estime à 4 000 le nombre de « citoyens soviétiques » qui y auraient été tués pendant l’occupation. Toujours en juin 1942, 3 000 Juifs de Dobromil et des environs auraient été emmenés en train vers une destination inconnue. (84) Pendant l’été 1944, les Allemands fouillèrent et déterrèrent les cadavres des fosses du cimetière pour détruire les restes humains.

L’arrondissement de Rawa Ruska

À Rawa Ruska (à 14 km au sud-est de Belzec, sur la ligne ferroviaire Lwow-Lublin), on comptait 6 à 7 000 Juifs avant la guerre. Il est difficile de connaître le nombre de cette population à l’époque de l’occupation soviétique car beaucoup de réfugiés juifs vinrent de l’ouest de la Pologne. (85) Les Allemands envahirent la ville dès le 22 juin 1941. Des pogroms, menés par les soldats allemands et les nationalistes ukrainiens eurent lieu dans les petites villes voisines de Niemirow, Magierow, Kulikow et Sokal. 380 personnes – des membres du Parti, des komsomols et des employés travaillant pour des institutions soviétiques – furent tuées dans la forêt de Volkovitsy début juillet 1941. On imposa les brassards avec l’étoile de David et le travail forcé, et le 15 juillet, un Judenrat fut créé à Rawa Ruska. En août, les Allemands exigèrent une contribution monétaire des Juifs de Rawa Ruska, prenant en otages quinze membres de l’intelligentsia juive. Le 20 mars 1942 fut organisée la première Aktion qui envoya au camp de Belzec, tout juste entré en activité, un millier de personnes. (86) L’Aktion suivante eut lieu le 27 juillet 1942, rassemblant 2 000 personnes. Le ghetto fut créé en août 1942, dans le quartier le plus pauvre de la ville (les rues Lwowskaïa, Motemkina, Tserkovnaïa), regroupant aussi les Juifs des villes et villages environnants de Lubycza Krolewska, Uhnow, Potylicz, Magierow et Niemirow – au total 15 000 personnes. (87) Les exécutions avaient lieu au cimetière juif et dans la forêt de Borovy (à un kilomètre à l’ouest de Rawa Ruska). Entre le 7 et le 11 décembre 1942, le ghetto fut ratissé, 14 000 Juifs auraient été victimes de cette Aktion, dont 2 000 envoyés à Belzec. (88) 800 policiers et gendarmes auraient pris part à l’Aktion, encadrés par les Obersturmführer-SS Gildebrand et Wilghaus (commandant du camp de Janowska de Lwow), le Sturmführer Rokita, et les nommés Schpeït, Klein, Hager, Holtz, Schtruchgold, Liaski, Gromikita. 10 000 personnes auraient été tuées dans la forêt de Siedliska, 2 000 dans le cimetière juif et un millier dans le ghetto (les corps furent ensuite transportés dans le cimetière juif). 630 hommes et des femmes aptes furent envoyés dans des camps de travail, à Kamionka et Rata, et dans celui de Janowska à Lwow. En avril 1943, 1 200 Juifs du camp de la ville de Velyki Mosty furent amenés à Rawa Ruska. Le 8 juin 1943, les Allemands réussirent à faire croire aux derniers Juifs du ghetto qu’ils pouvaient acheter leur survie, et le lendemain, ils furent rassemblés et exécutés dans la forêt de Borovy. Environ 1 500 Juifs se trouvaient dans le camp de Lypnyk (au sud-est de Rawa Ruska, sur la route de Lwow), et furent fusillés dans la forêt de Siedliska.
Le rapport de la CES de Rawa Ruska insiste beaucoup sur la présence de l’ancien camp de prisonniers de guerre soviétiques (10 à 12 000 y auraient péri), occupé à partir de juin 1942 par des prisonniers de guerre français et belges (10 000 environ, dans le Stalag 325, camp de représailles), et sur la localisation des différentes fosses d’inhumation dans la ville et dans ses environs.

Actes (89)
24-30 septembre 1944

Bilan effectué par la Commission de district chargée de l’enquête et de l’étude des crimes des envahisseurs germano-fascistes dans le district de Rawa Ruska.

De très grandes fosses d’inhumation de cadavres ont été trouvées dans les lieux suivants:

dans le cimetière juif de Rawa Ruska
plus de 5 000 cadavres
dans la forêt de « Borové », à 250 m du village de Borové
1 500 cadavres
à côté du cimetière juif de Rawa Rouska
plus de 4 000 cadavres
à la lisière de la forêt de Volkovitskii, un cimetière français avec 23 fosses individuelles dans la forêt de Volkovitskii, à 20 m de l’hôpital
plus de 8 000 corps de prisonniers de guerre soviétiques
dans la forêt de Volkovitskii, à 100 m de l’hôpital
plus de 7 000 corps de prisonniers de guerre soviétiques
dans la forêt de Sedliskii, près du village de Sedlisko, à 4 km de Rawa Ruska
plus de 11 000 cadavres

À Jovka (à 27 km au nord de Lwow), les Allemands arrivèrent le 29 juin 1941. Il y avait alors 8 000 Juifs dans la ville (3 500 avant la guerre). Le 15 juillet, un décret ordonna que les Juifs portent un brassard marqué de l’étoile de David. Le 24 mars 1942, les SS vinrent de Lwow et, avec l’aide de la police ukrainienne, envoyèrent entre 600 et 800 Juifs à Belzec. (90) Le 22 novembre 1942, la principale Aktion se solda, dans la ville, par la mort de 600 personnes et la déportation de 1 200 à 3 000 autres, le 25 novembre, à Belzec. (91) La création du ghetto fut ordonnée le lendemain de cette Aktion : le 1er décembre, 5 000 personnes furent enfermées dans un périmètre comprenant les places Dominikanskii et Guénila, et les rues Tourinteskaïa, Shniterskovo et Peretz. À la mi-mars 1943, 600 à 700 Juifs furent envoyés dans le camp de Janowska à Lwow, et le 25 mars, pendant toute la journée, 4 000 Juifs de Jovka furent fusillés dans une forêt à proximité du village de Bor. De nouvelles exécutions eurent lieu à Bor le 6 avril 1943. (92) Le 10 juillet 1943, une soixantaine de personnes gardées pour nettoyer le quartier du ghetto furent exécutées à leur tour.

L’arrondissement de Drohobycz

Ce sont 13 000 Juifs de Borislav qui auraient été assassinés ou envoyés à la mort à Belzec. Entre 200 et 280 Juifs furent victimes d’un pogrom mené par des Ukrainiens et des Polonais pendant l’été 1941. Le 28 novembre suivant, 700 à 900 Juifs furent rassemblés et assassinés sur deux sites, hors de la ville, à Tustanowice (à l’est) et à Mraznitsa, tous deux consacrés à l’exploitation pétrolière . Entre les 3 et 5 août 1942, 6 000 Juifs furent rassemblés et amenés à la gare de la ville par groupes pour être conduits à Belzec. (94) Une nouvelle Aktion fut organisée en octobre 1942, à la suite de laquelle un ghetto fut créé dans la ville. En novembre, 150 Juifs furent amenés à Bronitsa, site d’exécution en périphérie de Drohobycz. Le 16 février 1943, 700 autres personnes furent raflées, puis fusillées deux jours plus tard à la sortie de la ville, près des abattoirs. Entre le 25 mai et le 2 juin, 700 autres personnes furent abattues sur le même site, puis 1 500 Juifs environ furent encore exécutés à Mraznitsa pour rendre la ville « judenrein ». (95)
À Opaka, petit village à l’ouest de Borislav, 40 Juifs qui se cachaient dans un bois à l’arrivée des Allemands furent assassinés par des Ukrainiens en juin 1941. (96)
À Medenyci (à une vingtaine de kilomètres au nord-est de Drohobycz), les humiliations contre les Juifs commencèrent dès l’arrivée des Allemands, et dans les villages voisins, les populations locales se livrèrent à la chasse aux Juifs et aux cadres soviétiques (à Ripchytsi, à Letnya). Au printemps 1942, tous les Juifs du village de Dobrivliany furent exécutés sur place par des policiers allemands et ukrainiens. Dans la nuit du 5 au 6 août 1942, toute la population juive de Medenyci fut regroupée dans l’ancien cinéma de la ville, puis, le 8 août, conduite à la gare de Drohobycz. Il restait, à Opory, au sud-ouest de Medenyci, un camp de travail avec quelques dizaines de Juifs internés, qui furent liquidés en juin 1943. Medenyci fut libérée le 6 août 1944. (97)
Les Allemands arrivèrent à Turka (au sud-ouest de Drohobycz, près de la frontière hongroise de la Ruthénie subcarpathique) le 28 juin 1941. Cinquante « civils » furent exécutés à l’extérieur de la ville le 12 octobre 1941. Entre le 8 et le 11 janvier 1942, 880 autres furent fusillés dans un champ des alentours. Le 5 août, la police douanière emmena 115 « citoyens » de Turka à Drohobycz. (98) Le 15 septembre 1942, 355 « citoyens » de Turka furent conduits à Stryj, où ils auraient été fusillés en masse. Le 7 janvier 1943, environ 500 Juifs furent regroupés à la briqueterie de la ville et emmenés sur la route du village de Borynia (vers le sud) pour y être assassinés.

L’arrondissement de Stryj

À Stryj, les Allemands ordonnèrent le port du brassard marqué de l’étoile juive le 26 août 1941. Le 1er septembre, ceux qui étaient venus de Drohobycz vinrent rafler des Juifs, (99) des hommes surtout. Ils les emmenèrent à Drohobycz, où ils furent fusillés. Un ghetto fut organisé à la fin de l’année 1941, et resta ouvert tout au long de l’année 1942. À l’automne, les Aktionen s’enchaînèrent contre les Juifs de la ville : du 3 au 5 septembre, 5 000 personnes furent envoyées à Belzec ; les 17-18 octobre, 4 à 5 000 personnes furent arrêtées (le nombre de déportés à Belzec n’est pas précisé) ; le 15 novembre, 1 300 personnes furent envoyées à Belzec. (100) Des Juifs de villages voisins furent regroupés dans le ghetto de Stryj. Le 28 février 1943, près de 3 000 d’entre eux furent tués, puis de nouveau 3 000 autres le 20 mai 1943. Les lieux d’exécution étaient le cimetière juif de Pomiarky (où 18 fosses ont été repérées), l’hôpital juif et les forêts de Holobutiv (à l’ouest de Stryj). (101) Un groupe de 75 personnes fut fusillé à Holobutiv le 5 juin 1943.
À Bolekhiv, la première Aktion eut lieu les 28-29 octobre 1941 : 750 Juifs furent exécutés à proximité de la briqueterie située sur la route du village de Taniava (au nord-ouest de Bolekhiv). Une deuxième Aktion fut menée à la mi-avril 1942, au cours de laquelle 450 Juifs furent fusillés près du cimetière juif ; puis ce fut une troisième Aktion, du 3 au 5 septembre 1942, au cours de laquelle 650 personnes furent exécutées au même endroit et 450 envoyées à Belzec. (102) Une quatrième eut lieu en juillet 1943 contre 2 000 Juifs qui furent fusillés. Selon l’acte établi, 4 230 Juifs auraient été abattus à Blolekhiv. (103)

L’arrondissement de Kalusz

À Kalusz, les 23-25 août 1941, une Aktion fut menée par des Allemands venus de Stanislawow contre des membres l’intelligentsia juive de la ville et leurs familles ; 380 personnes furent fusillées en un lieu sis à 3 km en dehors de la ville. Le 23 novembre 1942 débuta une Aktion de plus large ampleur, qui dura trois jours : environ 3 000 Juifs furent arrêtés et chargés dans un train de vingt wagons pour être envoyés à Belzec. 4 000 auraient été tués en tout dans le cimetière juif de la ville. (104)

L’arrondissement de Brzezany

Dans la ville de Brezany (à une cinquantaine de kilomètres à l’ouest de Tarnopol), au mois de juillet 1942, 600 Juifs furent exécutés en bordure de la forêt de Litiatine, à 2 km au sud de la ville, c’est-à-dire sur l’un des deux sites d’exécution (l’autre se trouvait à 1,5 km de la ville). (105)
À Bursztyn, selon l’acte établi par la CES, (106) 1 806 Juifs furent emmenés sur la route du village de Bukachivtsi (au nord-ouest) pour y être soit fusillés, soit emmenés à Rohatyn avant d’être convoyés vers Belzec. (107)
À Podhajce (à une quarantaine de kilomètres au sud-est de Brzezany), le 31 octobre 1942, les Allemands, arrivés de Tarnopol, rassemblèrent 3 000 Juifs du ghetto et les amenèrent à la gare de la ville pour qu’ils soient envoyés à Belzec. (108) Le 6 juin 1943, le ghetto fut liquidé, et 2 000 Juifs exécutés à proximité du village de Stare Misto (au nord-ouest de Podhajce) ; deux jours plus tard, 2 000 autres furent abattus de la même manière à la sortie du village de Zahaïtsy (au nord-est de Podhajce). (109)
À Rohatyn, un ghetto fut créé au début d’août 1941 pour y enfermer la population juive, forte d’environ 3 500 personnes. Il comprenait les rues Ivana Franko, Stalanova, Torgovaïa, Roupaleva et Novoïé Mesto ; une palissade le ceinturait. En janvier 1942, les Allemands confisquèrent aux Juifs toutes leurs denrées alimentaires, qui furent transportées hors de la ville par train. Tous les métaux non-ferreux furent confisqués aussi. Pendant l’année 1942, 5 000 Juifs de Bursztyn et de Bukachivtsi furent acheminés jusqu’à Rohatyn. Le 20 mars 1942, des unités allemandes et ukrainiennes venues de Stanislawow fusillèrent 3 000 personnes près de la gare, sur le site de l’ancienne briqueterie. Les 21-22 septembre, un millier de personnes furent prises, et 300 fusillées à proximité de l’hôpital, tandis que les 700 autres étaient envoyés à Belzec. Le 8 décembre, ce sont 1 500 personnes supplémentaires qui furent conduites à Belzec, (110) et pendant la préparation de ce convoi, 200 personnes, essentiellement des enfants et des personnes âgées, furent tuées. La liquidation du ghetto de Rohatyn eut lieu le 6 juillet 1943, au cours de laquelle plusieurs milliers de Juifs furent éliminés à proximité de l’hôpital. (111)

L’arrondissement de Tarnopol

À Skalat (à une trentaine de kilomètres au sud-est de Tarnopol), l’armée allemande arriva dans la nuit du 5 au 6 juillet 1941. Dès le 6 juillet, 180 hommes juifs furent fusillés derrière l’enclos de l’église catholique de la ville. La population juive dut acquitter une contribution de 600 roubles et de 3 kilos d’or. Pendant l’automne et l’hiver, les Allemands procédèrent à des rafles pour envoyer des hommes et des femmes dans un camp de travail, dans le village de Maksymivka (au nord, proche de la ville de Zbarazh) et sur des chantiers, dans la petite ville de Velyki Byrki (à l’est de Tarnopol) et à Novosilka (à 3 km au nord-est de Skalat). Le 1er septembre 1942, des unités allemandes arrivèrent de Tarnopol et envoyèrent un premier groupe de Juifs par le train à Belzec. (112) Durant la première moitié d’octobre 1942, les Juifs des communes proches de Hrymailiv et de Pidvolochys’k, et de leurs environs, furent rassemblés à Skalat. Le 20 octobre, les Allemands regroupèrent ainsi 3 000 Juifs de la ville dans le quartier de la synagogue ; deux jours plus tard, ils furent acheminés à la gare. Le 9 novembre, de nouveau, un millier de personnes furent chargées sur des camions pour être menées à la gare de Tarnopol. (113) Le 7 avril 1943, le ghetto de Skalat fut encerclé par les Allemands et environ 700 personnes exécutées à proximité du village voisin de Novosilika. (114) Le 9 juin, 500 autres personnes furent regroupées pour être exécutées au même endroit. Un camp fut formé à l’extérieur de la ville, où 500 Juifs furent regroupés ; plusieurs s’en évadèrent et rejoignirent les résistants ukrainiens ; les derniers détenus du camp furent exécutés en juillet 1943.
À Tovste, 6 000 personnes auraient été tuées dans le cimetière juif de la ville et 1 800 envoyées à Belzec. (115) Des camps réservés aux Juifs furent construits dans la région et, en juin 1943, 3 000 Juifs furent fusillés. L’Armée rouge libéra la ville en mars 1944. (116)
Les Allemands entrèrent dans Zbarazh (à une dizaine de kilomètres au nord-est de Tarnopol) le 4 juillet 1941. Le 28 juillet 1941, le comité national ukrainien local ordonna aux Juifs de verser à la ville une « contribution » de 350 000 roubles. Le 6 septembre, des SS venant de Tarnopol assassinèrent dans la forêt voisine de Lubianki 75 membres de l’intelligentsia juive. Pendant l’hiver 1941-1942, la population juive de Zbarazh dut livrer pour deux millions de roubles de manteaux de fourrure, de vêtements et de chaussures. Dans la nuit du 31 août au 1er septembre 1942, 560 Juifs, des personnes âgées et des malades, furent rassemblés dans les bains-douches de la ville ; le lendemain, elles furent emmenées à la gare de Tarnopol pour être conduites à Belzec. (117) Le 30 septembre, l’opération se répéta pour plusieurs centaines d’autres personnes . Une troisième Aktion de ce type eut lieu le 21 octobre, menée contre un millier de personnes (118) ; le reste de la population fut enfermé, le lendemain, dans un ghetto. Une quatrième Aktion organisée dans cette ville en novembre envoya à Belzec un millier de Juifs. Le 7 avril 1943, des SS de Tarnopol, des gendarmes allemands et la police ukrainienne rassemblèrent un millier de Juifs du ghetto et les emmenèrent à la raffinerie locale pour y être assassinés ; leurs vêtements furent envoyés à Tarnopol afin d’être expédiés en Allemagne. Le 9 juin 1943, le ghetto fut liquidé, et 500 à 600 personnes furent tuées au cours de l’opération.

L’arrondissement de Kolomyja

À Horodenka, une Aktion (probablement la troisième) eut lieu le 17 septembre 1942, rassemblant 3 000 personnes sur la place publique. La Gestapo et la police ukrainienne en fusillèrent environ 200 sur place. Le témoin Aron Solomovitch Fridman affirme que 230 Juifs furent embarqués dans un train à la gare de Horodenka à destination de Belzec. (119) Le 15 octobre, 300 Juifs furent rassemblés sur la place publique ; plusieurs furent abattus sur place, les autres menés dans un grand domaine agricole, avant d’être envoyés à Belzec quelques jours plus tard. (120)

L’arrondissement de Czortkow

Les Allemands arrivèrent à Czortkow le 6 juillet 1941. Pillages, assassinats de petits groupes d’hommes, réquisitions de personnes envoyées dans des camps de travail (à Kamionka-Strumilowa, dans le nord du district de Galicie, à Tarnopol) se multiplièrent. Des membres de l’intelligentsia juive de la ville furent assassinés hors de la ville. Le 1er avril 1942, les quelque 8 000 Juifs de Czortkow durent s’installer dans un ghetto comprenant les rues Torgovaïa, Riznitskaïa, Podolskaïa et Chkolnaïa, qui fut encerclé le 26 août suivant. Le lendemain, il fut procédé, sur la place du marché, à une sélection de la population juive du ghetto, au cours de laquelle 350 personnes furent tuées. 2 120 Juifs furent enfermés dans la prison, puis amenés à la gare le jour même pour monter dans un train (à raison de 120 personnes par wagon) à destination de Belzec. (121) Le 6 octobre, une seconde Aktion regroupa 500 personnes à la prison, conduites à Belzec le lendemain. Le ghetto de Czortkow fut liquidé entre le 18 et le 30 juillet 1943 – le site des exécutions se trouvait à 5 km en dehors de la ville.
Le récit de Zonia Maïerovna Berkovitch (née en 1925) devant la CES relate le convoi du 27 août 1942 au départ de Czortkow pour Belzec :
« Dans la nuit du 26 au 27 août 1942, des gendarmes et des policiers sont arrivés sur le territoire où étaient installés les Juifs. Ils ont encerclé tout le territoire, se sont mis à tirer sur les maisons. Les gens sortaient en courant de chez eux et tombaient sous les balles. Beaucoup de gens sont morts cette nuit-là. Les assassins sont les hommes de la Gestapo, la police criminelle, la gendarmerie, les Sonderkommandos, et les policiers.
Nous avons également été sortis de chez nous et emmenés sur la place du côté du marché. Sous la lumière, on pouvait distinguer des tables sur lesquelles se trouvaient des zakouski et des bouteilles de vin. Derrière ces tables étaient assis les hommes de la Gestapo et leur chef. Un homme de la Gestapo a donné des feuilles à Kelner [le responsable SS de l’Aktion]. Ce dernier les a regardées, a dit qu’il y avait 2 000 personnes et que ce n’était pas assez. Il y avait également 35 voitures.
« Ensuite, à 4 heures du matin, les 2 000 personnes ont été emmenées à la prison. Sur le chemin, beaucoup ont tenté de s’enfuir. Les Allemands ont ouvert le feu, si bien qu’il y avait beaucoup de cadavres dans les rues. Lorsque nous sommes arrivés dans la cour de la prison, d’un côté, celui où nous étions avec ma mère et ma sœur, se tenaient 800 personnes, de l’autre il y avait d’autres personnes dont j’ignore le nombre. Par la suite, j’ai appris par le Conseil juif que, cette nuit-là, 300 personnes avaient été assassinées.
Le 27 août 1942 à 14 heures, nous avons été mis en rangs par 10 et convoyés jusqu’à la gare. Nous n’avions eu ni vivres ni eau dans la prison. Les enfants pleuraient, demandaient à boire. Il y avait des cris, des pleurs, beaucoup de gens étaient blessés. Les gendarmes et les hommes de la Gestapo passaient parmi les gens et les maltraitaient. Des petits enfants étaient pris des bras de leurs mères, amenés jusqu’à un balcon et jetés sur la place. Les mères pleuraient, suppliaient qu’on leur rende leurs enfants, en vain.
« Il s’agissait du premier pogrom dans la ville de Czortkow. Les Allemands appelaient cela « aktsia » ou « action ». Au cours de cette opération, les Allemands riaient de bon cœur, répétant souvent ce mot « action ».
« Une fois à la gare de Czortkow, on nous a fait monter dans des wagons dont les portes ont ensuite été fermées. De nombreux Juifs venaient d’autres villages et d’autres villes. Il y avait des femmes, des enfants, des vieillards, des malades, des blessés. On mettait dans un petit wagon entre 130 et 140 personnes. Nous n’y avions ni nourriture ni eau. Tout le monde avait soif, gémissait, pleurait. Il n’y avait pas d’air pour respirer, si bien que des gens mouraient. Mes lèvres se sont mises à gonfler, je ne pouvais plus parler. J’étais debout juste à côté de la paroi du wagon, à côté de ma mère et de ma sœur. J’avais un couteau sur moi et me suis mise à faire un trou dans le mur pour avoir ne serait-ce qu’un peu d’air. Une fois le trou creusé, ma mère et moi y respirions à tour de rôle.
« Le 28 août 1942, nous sommes arrivés dans la gare de Belzts [Belzec], non loin de Rawa Ruska. Lorsque le train s’est arrêté, nous n’étions pas plus de 15 personnes encore en vie. Les autres étaient mortes, leurs corps se décomposant très rapidement. Le train est resté comme cela environ deux heures, puis une partie des wagons a été encerclée. Le train tantôt avançait, tantôt reculait. Sur la route, deux hommes du wagon nous ont dit qu’il fallait casser la fenêtre et sauter. Ma mère m’a poussée, je suis tombée et ai perdu connaissance. Puis je me suis réveillée, deux hommes étaient à côté de moi. Ils m’ont dit « Pars d’ici, il y a des Allemands ». Je suis partie. En allant boire de l’eau dans un étang, un lieutenant de la gendarmerie m’a vue et emmenée à la prison de Rawa Ruska, qui se trouvait à 1 km d’où nous étions. Je suis restée dans cette prison jusqu’au 4 novembre 1942. Les geôliers de la prison étaient des Polonais, ils me cachaient dans la cave à chaque fois que les Allemands arrivaient. Le chef de la prison m’a laissée sortir à la demande des gardiens, ces derniers lui ont dit que j’étais une parente de l’un d’entre eux. Après cela, j’ai enlevé mon brassard juif, suis montée dans un train et suis arrivée dans la gare de Buczacz, où vivait mon père à cette période-là. Je m’y suis cachée jusqu’en juillet 1943. Pendant mon séjour, des « actions » ont été menées par les Allemands, mais j’y ai échappé.
« Ensuite, mon père, mon petit frère et moi sommes partis dans le village de Shulhanivka à 10 km à l’ouest de Czortkow, où il n’y avait pas d’Allemands. Nous travaillions dans les champs. » (122)

La commission d’enquête a établi dans son rapport concernant la ville de Skala Podolska que 5 353 « civils » furent tués, parmi lesquels 3 002 furent envoyés à Belzec. Plusieurs centaines de Juifs y furent déportés les 26-27 septembre 1942. (123)
Dans le village de Jagielnica (au sud de Czortkow), le 27 août 1942, 54 Juifs furent tués dans le village et 400 acheminés à Belzec. Le 5 octobre, une autre Aktion fit 30 morts et 400 autres personnes furent amenées à Belzec. (124)

Les rapports des commissions d’enquêtes en Galicie orientale montrent que, contrairement à ce que déclarait l’historienne Antonella Salomoni, (125) le caractère spécifiquement antijuif des massacres n’était pas forcément sous évalué dans ces documents. Les destructions de communautés entières y apparaissent clairement, le mot « Juifs » est employé sans retenue. Cependant, les récits généraux rapportés, présentant des chiffres très importants de victimes, dans les dépositions comme dans les actes, créent un contraste avec des récits plus individualisés dans les rapports pour les victimes non-juives des nazis et de leurs complices. Ces rapports d’enquête constituent la base principale pour la connaissance de la destruction des communautés juives en territoire soviétique. Ils révèlent un aspect complémentaire de notre connaissance de la destruction des Juifs de Pologne dans l’Aktion Reinhard en présentant la Galicie orientale comme un vaste territoire parsemé de fosses communes et d’où il était, pour les Juifs pris au piège, presque impossible de s’échapper.

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(1) Nathalie Moine, « La commission d’enquête soviétique sur les crimes de guerre nazis : entre reconquête du territoire, écriture du récit de la guerre et usages justiciers », in Le Mouvement social, n° 222, 2008/1, Paris, La Découverte, p. 81-109.

(2) Chiffres fournis par Victoria Thomas-Prozorova, diplômée de l’Institut d’histoire et des archives de Moscou, le 5 mars 2009, à l’occasion du séminaire d’étude sur l’histoire de la Shoah à l’Est, de l’université Paris IV-Sorbonne.

(3) Nathalie Moine, « La commission d’enquête soviétique sur les crimes de guerre nazis »., art. cit.,p. 82.

(4) Yitzhak Arad, The Holocaust in the Soviet Union, Lincoln, University of Nebraska Press, et Jérusalem, Yad Vashem, 2009, p. 42.

(5) Y. Arad, The Holocaust in the Soviet Union, op. cit., p. 223 (600 000 Juifs présents en Galicie orientale en juin 1941) ; Dieter Pohl, « Le génocide en Galicie orientale », in Revue d’histoire moderne et contemporaine, n° 47-2, avril-juin 2000, p. 291 (540 000 Juifs) ; Dariusz Libionka, « L’extermination des Juifs polonais dans le Gouvernement général (Aktion Reinhard). Aspects généraux », in Revue d’histoire de la Shoah, n° 196, janvier-juin 2012, p. 33 (« Près d’un demi-million de Juifs se trouvaient à l’intérieur des frontières du district de Galicie. »).

(6) Chiffres fournis par le site internet de référence sur l’Aktion Reinhard, Aktion Reinhard Camps (www.deathcamps.org, « Lviv Ghetto »).

(7) Voir « Le rapport Katzmann », in RHS n° 196, p. 397.

(8) Dieter Pohl, Nationalsozialistische Judenverfolgung in Ostgalizien 1941-1944. Organisation und Durchführung eines staatlichen Massenverbrechens, Munich, Oldenbourg (Studien zur Zeitgeschichte), Munich, 1996, p. 44-45, 385.

(9) D. Pohl, « Le génocide en Galicie orientale », art. cit., p. 297.

(10) « Le rapport Katzmann », art. cit., p. 411.

(11) Yitzhak Arad, Belzec, Sobibor, Treblinka. The Operation Reinhard Death Camps, Bloomington, Indiana University Press, 1999, p. 384-387.

(12) Les Soviétiques reprirent Lwow aux Allemands le 27 juillet 1944. Trois jours auparavant, ils étaient entrés à Lublin, en territoire polonais.

(13) Les documents consultés et étudiés sont des copies obtenues des archives de l’USHMM de Washington et déposées au centre d’archives et de recherches du Centre européen de Ressources pour la Recherche et l’Enseignement sur la Shoah à l’Est (CERRESE) de l’association Yahad-in Unum, traduits du russe en français par les services du CERRESE.

(14) Les quatorze Landkreise du district de Galicie étaient Brzezany, Czortkow, Drohobycz, Kamionka-Strumilowa, Kalusz, Kolomea, Lemberg, Lemberg-Land, Rawa Ruska, Sambor, Stanislawow, Stryj, Tarnopol et Zloczow.

(15) USHMMM : RG-22.002 M Reel 26.

(16) Ibid.

(17) Pour le territoire du futur district de Galicie, il s’agit des commandos 4b et 6 du groupe d’intervention C, dont les parcours et les actions sont décrits par l’historien allemand Ralf Ogorreck (in Les Einsatzgruppen. Les groupes d’intervention et la « genèse de la Solution finale », Paris, Calmann-Lévy/Mémorial de la Shoah, 2007, p. 150-155 et 160-162). Le nombre d’opérations menées par ces deux commandos aurait été limité dans les premiers jours sur ce territoire, et ils sont positionnés plus à l’est, à Vinnitsa et Jitomir, dès la deuxième quinzaine du mois de juillet. Voir Ralf Ogorreck, Les Einsatzgruppen, op. cit., et la carte des positions des unités mobiles de tuerie en juillet 1941 établie par Raul Hilberg, in La Destruction des Juifs d’Europe, Paris, Fayard, 1987, p. 258.

(18) USHMM : RG-22.002 M Reel 26.

(19) USHMM : RG 22.002 M / 7021-73 / 8 Reel 14.

(20) L’ouverture des fosses pour préciser leurs localisations, les mesurer pour estimer le nombre des cadavres et réaliser des autopsies n’ont pas été des actions systématiquement ordonnées par les enquêteurs. Un cas notable est celui de la ville de Rawa Ruska.

(21) Yitzhak Arad, dans son étude de référence, a recensé un dernier convoi galicien vers Belzec, au départ de la petite ville de Rohatyn, le 8 décembre 1942 (in Belzec, Sobibor, Treblinka, op. cit., p. 385).

(22) USHMM : RG-22.002 M Reel 13.

(23) USHMM : RG-22.002 M Reel 26.

(24) Parmi les dépositions recueillies à Lwow, deux témoignages décrivent le pogrom réalisé dans la ville par des Ukrainiens, à l’occasion de l’anniversaire de la mort du chef nationaliste Petlioura : le premier, dont l’année est illisible sur le document, eut lieu un 24 juin et fit 10 000 morts ; le second survint en septembre 1941 et fit 15 000 victimes. Selon les études de David Kahane (A Lvov Ghetto Diary, Amherst, University of Massachussetts Press, 1990, p. 34) et de Tadeusz Zaderecki (Lvov under the Swastika, Jérusalem, Yad Vashem, 1982, p. 62-63), ces événements eurent lieu entre les 25 et 28 juillet 1941 et firent 1 500 victimes.

(25) Par exemple dans les actes établis par la commission pour la petite ville de Turka (au sud-ouest de Borislav) le 27 avril 1945 (USHMM : RG-22.002 M Reel 26).

(26) USHMM : RG-22.002 M Reel 26.

[(27) L’orthographe retenue des noms de communes dans cette étude est celle du polonais ou de l’ukrainien.

(28) Ibid.

(29) Ibid.

(30) USHMM : RG-22.002 M Reel 13.

(31) USHMM : RG-22.002 M Reel 26.

(32) USHMM : RG 22.002 / 7021-73 / 13 Reel 11.

(33) USHMM : RG-22.002 M Reel 17.

(34) USHMM : RG-22.002 M Reel 26.

(35) Ibid.

(36) En Russie, c’est le nom donné au maire d’une commune ; il s’agit en fait ici du chef civil allemand d’une municipalité, le Stadthauptman.

(37) Déposition de Petro Grigorevitch Kissera, le 8 décembre 1944 (USHMM : RG-22.002 M Reel 26).

(38) Déposition de Piotr Antonovitch Mazour, le 15 janvier 1945 : « L’Allemand est venu nous chercher et il nous a ordonné de repartir à la fosse. Nous y sommes retournés. La fosse était recouverte d’une fine couche de terre par-dessus les gens et il y avait du sang à côté. La terre bougeait ; on voyait que les gens étaient encore vivants, mais les Allemands nous ont dit de les recouvrir de neige pour les dissimuler. Quand nous avons eu terminé, les Allemands nous ont ordonné de revenir creuser le lendemain au même endroit une autre fosse de 6 mètres de long sur 3 de large et 3 de profondeur. Nous avons creusé et les Allemands nous ont de nouveau demandé de retourner au village. En arrivant là, nous avons vu les Allemands et la police conduire des citoyens soviétiques de la briqueterie à la fosse. Parmi ces citoyens soviétiques se trouvaient des vieillards, des femmes et des enfants. Ils étaient environ 300. Nous avons entendu des coups de feu. Quand les Allemands et les policiers ont eu abattu tous les citoyens soviétiques, nous sommes retournés les enterrer. En approchant de la fosse, j’ai vu fusiller 5 autres personnes. Les vêtements enlevés aux morts étaient en tas par terre près de la fosse. Les Allemands les ont tous emportés avec eux. » (USHMM : RG-22.002 M Reel 26).

(39) Déposition de Nikolaï Vassiliévitch Sakhovtchak, le 14 janvier 1945 : « Une fois descendu du camion, j’ai vu qu’on avait fait mettre les Juifs en rangs par deux et qu’on les emmenait en direction du village de Borynia ; je ne sais combien ils étaient ; un policier avec qui j’ai parlé m’a dit qu’ils étaient 500. » (USHMM : RG-22.002 M Reel 26).

(40) Déposition de Savka Fessovitch Gourtch, le 16 novembre 1944 : « J’y suis allé et j’ai enterré les 23 Juifs qui y étaient. Quand je suis arrivé, tous étaient morts et gisaient par terre. Là-bas, il y a des cavernes partout ; deux d’entre eux étaient dans une caverne où ils s’étaient cachés. Tous les cadavres étaient très abîmés, les crânes fracassés, les mains coupées. Ils n’ont pas été tués avec des armes, mais avec des bâtons parce que près de la fosse, il n’y avait pas une seule cartouche, seulement des bâtons avec plein de sang dessus. Beaucoupavaient le visage brûlé ; il y en avait un qui avait la tête coupée, c’est-à-dire que la tête était coupée en deux au niveau du front. C’était horrible à voir. » (USHMM : RG-22.002 M Reel 26).

(41) USHMM : RG-22.002 M Reel 26.

(42) Mais le désintérêt de Sidor est contredit par le témoignage d’un autre rescapé juif de Borislav devant la CES.

(43) USHMM : RG-22.002 M Reel 26.

(44) Ibid.

(45) USHMM : RG-22.002 M Reel 17.

(46) Ibid.

(47) USHMM : RG-22.002 M Reel 26.

(48) Ibid.

(49) Dans la cave aménagée dans sa maison par Pissak (Ibid).

(50) Ibid.

(51) Ibid.

(52) Un autre témoin présente, devant la CES, un certain Sidor comme un « sauveteur » désintéressé de Juifs à Borislav.

(53) C’est-à-dire membre de l’organisation de la jeunesse communiste du Parti communiste d’Union soviétique.

(54) USHMM : RG-22.002 M Reel 26.

(55) USHMM : RG-22.002 M Reel 17.

(56) USHMM : RG-22.002 M Reel 26.

(57) Interrogatoire mené par le lieutenant Likhatskii, chargé d’enquête auprès du département du KGB du district de Rawa Ruska, entre la mi-septembre et début octobre 1944 (USHMM : RG-22.002 M Reel 13).

(58) Interrogatoire mené par le capitaine Tchiornyï, chargé d’enquête auprès du département du KGB du district de Rawa Ruska, entre la mi-septembre et début octobre 1944 (ibid.).

(59) Voir Robert Kuwalek, Oboz zaglady w Belzcu, Lublin, éditions du Musée national de Majdanek, 2005, p. 59. Dans son témoignage devant la CES à Rawa Ruska, le 18 septembre 1944, le Polonais Édouard Arendt (né en 1896) affirme : « Je sais également, d’après les récits d’autres personnes, que des Juifs étaient emmenés du camp jusqu’à la gare de Belzec, à 21 km de Rawa Ruska , où on les tuait au gaz dans des bâtiments semblables à des bains-douches. J’ignore combien de Juif y ont été tués. » (USHMM : RG-22.002 M Reel 13).

(60) Voir la note 1 du « Témoignage de Rudolf Reder, survivant du centre de mise à mort de Belzec, 1946 », in RHS, n° 196, op. cit., p. 61.

(61) USHMM : RG-22.002 M Reel 13.

(62) Il s’agit en fait de la principale Aktion menée contre les Juifs enfermés dans le ghetto de Lwow, pendant l’année 1942 des déportations vers Belzec. Entre le 10 et le 31 août, 40 à 50 000 Juifs furent déportés ; un millier environ furent tués dans le ghetto lors des opérations de regroupement, dont les enfants de l’orphelinat et les patients des hôpitaux juifs ; près de 1 600 hommes furent sélectionnés et envoyés au camp de travaux forcés de la rue Janowska.

(63) USHMM : RG-22.002 M Reel 13.

(64) Ibid.

(65) Ibid.

(66) Ibid.

(67) Ibid.

(68) Ibid.

(69) Témoignage de Stanislaw Kozak, in RHS, n° 196, op. cit., p. 503.

(70) USHMM : RG-22.002 M Reel 17.

(71) USHMM : RG 22.002 M / 7021-73 / 11 Reel 11.

(72) USHMM : RG-22.002 M Reel 26.

(73) Ibid.

(74) Pour rappel, les trois centres de mise à mort de l’Aktion Reinhard et le camp d’extermination de Majdanek étaient tous localisés dans les districts de Lublin ou de Varsovie. Le Mémorial de la déportation des Juifs de France de Serge Klarsfeld (Paris, 1978) recense quatre convois au départ de la France vers les camps de l’Aktion Reinhardt : le convoi n° 50 du 4 mars 1943 vers Majdanek ; le convoi n° 51 du 6 mars 1943 vers Majdanek ; le convoi n° 52 du 23 mars 1943 vers Sobibor ; et le convoi n° 53 du 25 mars 1943 vers Sobibor.

(75) USHMM : RG-22.002 M Reel 13.

(76) Zbignev Germanovitch Bitch, qui travaillait au NKVD, déclare devant la CES de Lwow : « Dans le camp de Janowska, en 1943, il n’y avait pas que des Juifs. Il y avait aussi des Polonais, des Ukrainiens, des Français, des Italiens. Il n’y avait plus aucune différence entre les nationalités, puisque les fascistes les tuaient tous et brûlaient les corps. » (USHMM : RG-22.002 M Reel 13). Devant cette même commission, le prisonnier de guerre français Georges Le Foul, témoigne : « La première fois que j’ai été fait prisonnier, j’ai été envoyé dans le camp de prisonniers de guerre de la ville de Sarrebourg, où se trouvaient des prisonniers militaires de l’armée française. Je suis resté dans ce camp 5 mois, puis nous avons été amenés à Forbach. On nous a amenés ainsi de camp en camp jusqu’au mois d’avril 1942, lorsque nous sommes tombés dans le camp de Rawa Ruska dans lequel j’ai passé 5 mois, jusqu’en septembre 1942. Ensuite, nous avons été envoyés à Lwow avec un autre Français pour l’organisation d’un hôpital militaire dans la rue Vetaranov. » (USHMM : RG-22.002 M Reel 13). Dans l’un de ses actes, la commission de Lwow établit : « Des gens de différentes nationalités étaient détenus dans le camp. Outre, des Russes, des Ukrainiens et des Polonais, il s’y trouvait des citoyens français, tchèques, yougoslaves, belges, italiens ainsi que des Américains et des Anglais. » (USHMM : RG-22.002 M Reel 13).

(77) « Témoignage de Rudolf Reder, survivant du centre de mise à mort de Belzec, 1946 », in RHS, n° 196, op. cit., p. 72-73.

(78) Concernant la Galicie orientale, voir Zvi Avital et alii, Pinkas Hakehillot. Encyclopedia of Jewish Communities : Poland, vol. II : Eastern Galicia, Jérusalem, Yad Vashem, 1980. Cet ouvrage, ainsi que les autres volumes de l’encyclopédie, peut être consulté à l’adresse suivante : http://www.jewishgen.org/yizkor/pinkas_poland/pinkas_poland2.html.

(79) Yitzhak Arad, The Holocaust in the Soviet Union, chapitres 12, 16, 20 et 24. Y est présenté le sort des communautés de Lwow, Tarnopol, Stanislawow, Drohobycz, Borislav, Stryj, Przemysl (qui se trouvait dans le district de Cracovie), Skalat et Buczacz (dans l’est de la Galicie orientale).

(80) Dans Belzec, Sobibor, Treblinka (p. 386), Arad indique pour Iavoriv (Jaworow) des déportations pour Belzec les 7 et 8 novembre 1942 (au total 1 300 déportés).

(81) USHMM : RG-22.002 M Reel 13.

(82) Pour la ville de Rudky, un autre site d’exécution est souvent indiqué, dans un bois au nord de la ville, sur la route de Lwow.

(83) Arad indique pour Rudky des déportations pour Belzec en novembre 1942 – au total 800 déportés (Belzec, Sobibor, Treblinka, op. cit., p. 386).

(84) Arad indique pour Dobromil des déportations pour Belzec le 29 juillet 1942 – au total 1700 déportés (ibid.).

(85) Il y eut aussi des déportations vers la Sibérie, organisées par les Soviétiques et touchant des habitants juifs suspectés d’être des « agents capitalistes » ou d’être antisoviétiques.

(86) Arad indique pour Rawa Ruska des déportations pour Belzec les 20 mars, 29 juillet 1942 et 7-11 décembre 1942 – au total 5 200 déportés (ibid., p. 384).

(87) Parmi elles se trouvaient les gens qui avaient sauté des trains pour Belzec et s’étaient réfugiés à Rawa Ruska. Les dépositions devant la CES de Rawa Ruska avancent, pour la population totale du ghetto, des évaluations comprises entre 13 et 18 000 personnes (USHMM : RG-22.002 M Reel 13). Par ailleurs, la ville de Rawa Ruska est le nœud ferroviaire par lequel passent tous les convois en provenance du district de la Galicie. Abraham Davydovitch Vaïnfeld, né en 1906 à Drohobycz, interrogé par le lieutenant Zakhvashov, raconte le 25 septembre 1944 :« Au mois d’août 1942, un train de 60 wagons est arrivé dans la gare de Rawa Ruska, 120 personnes étaient entassées dans chaque wagon. Vu la densité de gens dans les wagons, il n’y a guère eu plus de 30 personnes à arriver en vie jusqu’à Rawa Ruska. Les autres sont mortes de chaleur et d’asphyxie dans les wagons. »(USHMM : RG-22.002 M Reel 13). Ilia Shermonovitch Shtarkman, né en 1910, interrogé par le capitaine Tchionyï, raconte le 27 septembre 1944 :« Le 11 mai 1943, j’ai vu de mes propres yeux 2 500 Juifs être chargés dans un train en provenance de Lwow, pour être exterminés à Belzec. À l’arrivée du train dans la ville de Rawa Ruska, une partie des Juifs, ayant compris qu’on les amenait dans le camp de la mort de Belzec, s’est mise à s’enfuir. La gendarmerie allemande qui gardait le train a ouvert le feu, c’est ainsi que [?] personnes ont été tuées. J’ai pu voir qu’à l’intérieur des trains, les Juifs étaient nus et affamés. Lorsque le train était à l’arrêt dans la gare de Rawa Ruska, ils demandaient à boire à la population. C’est pour cette raison que les hommes de la Gestapo ont ouvert le feu sur les wagons. Des cris très forts se sont alors fait entendre, il y avait apparemment des blessés et des morts. » (USHMM : RG-22.002 M Reel 13).

(88) Le dernier convoi au départ de Rawa Ruska fut sans doute le dernier des convois envoyés au centre de mise à mort de Belzec, avant son démantèlement. Un témoin, Famfel Shmouliévitch Levkovitch, rescapé juif, estime que 10 000 Juifs de Rawa Ruska furent lors de cette Aktion envoyés dans le village de Siedliska, au nord-ouest de Rawa Ruska, dans le district de Lublin, pour y être fusillés.

(89) USHMM : RG-22.002 M Reel 13.

(90) Un témoin affirme que « le 22 mars 1942, 1 500 Juifs enregistrés sans travail  ont été emmenés à la gare de Jovka, chargés dans des wagons par groupes de 180 personnes et amenés au camp de Belzec où ils ont été anéantis. » (témoignage de L. M. Shtekhemberg devant la CES de Jovka – USHMM : RG-22.002 M Reel 13).

(91) Les chiffres avancés dans les dépositions sont très variables (1 200, 2 000, 2 400, 3 000) pour ce convoi vers Belzec de novembre 1942, dont les dates varient aussi (22, 23 ou 25 novembre 1942).

(92) Un témoignage évoque l’envoi ce jour-là de 1 500 Juifs au camp de Janowska.

(93) Pendant l’entre-deux-guerres, Borislav, produisant 80 % du pétrole polonais, était surnommée le « Bakou polonais ».

(94) Dans Belzec, Sobibor, Treblinka. The Operation Reinhard Death Camps (p. 386), Y. Arad indique pour Borislav des déportations pour Belzec les 4-6 août, en octobre et en novembre 1942 (au total 8 500 déportés).

(95) USHMM : RG-22.002 M Reel 26.

(96) Ibid.

(97) Ibid.

(98) Arad indique pour Turka des déportations pour Belzec les 4-8 août 1942 – au total 5000 déportés (Belzec, Sobibor, Treblinka, op. cit., p. 384).

(99) Entre 120 et 230 selon les témoignages (USHMM : RG-22.002 M Reel 26).

(100) Arad indique pour Stryj des déportations pour Belzec les 3-5 septembre, les 17-18 octobre et en novembre 1942 – au total 8 500 déportés (Belzec, Sobibor, Treblinka, op. cit., p. 386).

(101) Le 8 décembre 1944, à la question à la formulation orientée de l’enquêteur de la CES de Stryj, « est-ce que les Allemands étaient les seuls à s’occuper de l’extermination des populations civiles ou bien déléguaient-ils cela à d’autres militaires, par exemple des Hongrois, des Français ou des Italiens ? », le témoin Yossif Guenrikhovitch Lesnitski, ingénieur polonais né en 1907, répond : « L’extermination était l’affaire des Allemands exclusivement. Au début, en 1941, à Stryj, il n’y avait que des Allemands ; ce n’est qu’en 1943 que sont apparus des gens qui étaient chargés de la garde et de services de caractère militaire. Il y avait des officiers français et serbes, mais ils étaient comme des prisonniers de guerre. Les exactions étaient le fait des Allemands. Ils veillaient à les commettre en personne. » (USHMM : RG-22.002 M Reel 26).

(102) Arad indique pour Bolekhiv (Bolechow) des déportations pour Belzec les 3-6 août, 21 octobre et 20-23 novembre 1942 – au total 2 700 déportés (Belzec, Sobibor, Treblinka, op. cit., p. 386).

(103) USHMM : RG 22.002 M / 7021-73 / 9 Reel 4.

(104) USHMM : 22.002 M / 7021-73 / 8 Reel 14.

(105) À Brezany, la CES a effectué l’examen des fosses en octobre 1944. USHMM : RG-22.002 M Reel 17.

(106) USHMM : RG 22.002 M Reel 11.

(107) Arad indique pour Bursztyn des déportations pour Belzec les 21 septembre et 26 octobre 1942 – au total 1 600 déportés (Belzec, Sobibor, Treblinka, op. cit., p. 385).

(108) Arad indique pour Podhajce des déportations pour Belzec les 21 septembre et 30 octobre 1942 – au total 2 200 déportés (Belzec, Sobibor, Treblinka, op. cit., p. 385).

(109) USHMM : RG-22.002 M Reel 17.

(110) Arad indique pour Rohatyn des déportations pour Belzec les 21 septembre et 8 décembre 1942 – au total 2 500 déportés (Belzec, Sobibor, Treblinka, op. cit., p. 385).

(111) Pour la liquidation du ghetto de Rohatyn, les chiffres des Juifs assassinés lors de cette dernière phase, avancés dans les dépositions de la CES, varient entre 2 500 et 6 000.

(112) Arad indique pour Skalat des déportations pour Belzec les 31 août, 21 octobre et 9 novembre 1942 – au total 4 700 déportés (Belzec, Sobibor, Treblinka, op. cit., p. 385).

(113) Le témoin Ida Davidovna Dlougatch (née en 1920), amenée à Tarnopol lors de l’Aktion du 9 novembre 1942, raconte : « On nous a amenés à Tarnopol, où l’on nous a fait monter dans un train. Les wagons étaient très sales, car on ne laissait pas sortir les gens. Chaque wagon était soigneusement gardé par les Allemands. Le train allait en direction de Belzec, je savais que l’on n’en reviendrait jamais, car il s’agissait d’un effroyable camp de la mort, c’est pourquoi j’ai décidé de m’enfuir. Le train en marche, j’ai enfoncé la fenêtre et j’ai sauté au niveau de la gare de Zborov alors que le train roulait. Les Allemands m’ont tiré dessus sans m’avoir. Après avoir marché 25 km, j’ai perdu connaissance, je ne me suis réveillée que le lendemain, lorsque des gens m’ont trouvée. J’ai rejoint Skalat le 13 novembre 1942. » (USHMM : RG-22.002 M Reel 17).

(114) Ida Dlougatch raconte encore : « On ne nous avait pas dit où l’on nous amenait, mais les Allemands nous entouraient, munis de mitraillettes, de grenades, si bien que nous avons deviné où l’on allait. Nous sommes arrivés dans la vallée à 14 heures. Une colonne de gens a été avancée auprès de chaque fosse. Ensuite, on nous a ordonné de nous déshabiller. Chaque colonne devait ranger les vêtements sur son tas. Notre colonne se déshabillait, j’étais près du tas de vêtements. Je me suis penchée pour enlever ma robe et me suis glissée sous les vêtements. Les Allemands ne m’ont pas remarquée. Je pouvais entendre les enfants pleurer, les blessés gémir, les Allemands tirer à la mitraillette, jeter les enfants vivants dans la fosse. Les 700 personnes ont été exécutées, jetées dans ces quatre fosses, lesquelles ont ensuite été recouvertes de terre. Puis les Allemands sont partis. Je suis restée sous les vêtements ensanglantés jusqu’au soir. Pendant la nuit, un camion est venu du camp chercher les vêtements des victimes. J’ai été embarquée avec les vêtements. Du camp, je suis ensuite rentrée chez moi. » (USHMM : RG-22.002 M Reel 17).

(115) Arad indique pour Tovste (Tluste) des déportations pour Belzec en juillet et le 5 octobre 1942 – au total 1 300 déportés (Belzec, Sobibor, Treblinka, op. cit., p. 384).

(116) RG-22.002 M Reel 17.

(117) Arad indique pour Zbarazh des déportations pour Belzec le 1er septembre, les 20-22 octobre et 8-9 novembre 1942 – au total plus de 2 000 déportés (Belzec, Sobibor, Treblinka, op. cit., p. 384).

(118) Les témoignages pour cette Aktion donnent des chiffres variant entre 260 et 750 victimes déportées (USHMM : RG-22.002 M Reel 17).

(119) USHMM : RG 22.002 M / 7021-73 / 11 Reel 11.

(120) Arad indique pour Horodenka des déportations pour Belzec les 21 septembre et 30 octobre 1942 – au total 2 200 déportés (Belzec, Sobibor, Treblinka, op. cit., p. 386).

(121) Arad indique pour Czortkow des déportations pour Belzec les 27 août et 5 octobre 1942 – au total 2 500 déportés (ibid., p. 384).

(122) USHMM : RG-22.002 M Reel 17.

(123) Les chiffres varient entre 813 et 1 625 (RG-22.002 M Reel 17). Arad indique bien pour Skala Podalska des déportations pour Belzec à ces deux dates pour un total de 700 victimes (Belzec, Sobibor, Treblinka, op. cit., p. 384).

(124) USHMM : RG-22.002 M Reel 17.

(125) Antonella Salomoni, L’Union soviétique et la Shoah, Paris, La Découverte, 2009, p. 155.

Une réflexion sur « L’Aktion Reinhard en Galicie orientale à la lecture des rapports des commissions d’enquête soviétiques »

  1. Bonjour Monsieur Coutin,

    Merci pour ce très bon texte.
    Mes parents étaient de Galicie orientale. Ma mère de Jovka ( Zolkiew en polonais). Je possède plusieurs témoignages. Mais je suis très intéressé par ce qu’a recueilli la commission soviétique. Vous citez la référence dans la note (90) Jovka – USHMM : RG-22.002 M Reel 13. Pouvez-vous me communiquer le contenu de ce qu’ont recueilli les soviétiques ? Si possible en français ou en anglais ? Je n’ai pas une vue claire des nazis ayant sévi là bas.

    Mon père était de Magierow. Vous dites qu’il y eu un regroupement des Juifs à Rawa Russka. Y-a-t-il eu une commission à Magierow même?

    Bien cordialement et merci d’avance.

    Arnold Sporn

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