La roue de l’infortune 2 : Un couple presque parfait

La forêt profonde, les bruits de pas, de respiration, dans la tente, l’enquête, les traces de pas, l’homme pendu. Sa voix…

Je me réveille en sursaut. Je me vois encore dans cette tente. Avec lui. Je regarde vite autour de moi. Rien. Je suis dans un lit. Mais pas mon lit ? Où suis-je ? Je me lève d’un bond. Je sors de la pièce et trouve mon frère assis sur son canapé.

Je respire enfin.

Ça fait pourtant deux jours que je dors chez lui, et encore un matin réveillée en sursaut. Je pensais pouvoir passer au-dessus de cet évènement mais je commence à en douter. Je n’arrive pas à dormir, je fixe la porte, puis les recoins sombres, et la fenêtre, mais la porte aussi, les recoins sombres, et puis la fenêtre, aussi la porte, et le plafond. J’entends encore cette respiration dans le coin de mon oreille.

Et mon frère est là. Posé sur son canapé, un gros plaid doudou sur les épaules et un bol de céréales en mains, il regarde des dessins animés. Il est fan de Miraculous à 28 ans. Je ne juge rien, j’adore aller chez lui et revivre ces moments comme quand on était petit, à regarder des dessins animés toute la matinée et traîner sur le canapé. Je pense que mon frère est encore trop attaché à son enfance, alors que j’ai toujours rêvé de grandir plus vite. On s’entendait avant beaucoup moins bien qu’aujourd’hui, nous avons grandi.

Je me remplis un bol et me pose à côté de lui. Il tourne instinctivement la tête, lui qui n’avait pas encore bougé.

– Encore ce matin ?

– Oui.

Il allait me refaire un laïus sur l’existence des psychologues avant que son téléphone ne me tire d’affaire. Il relève la tête d’un air sérieux en éteignant la télé.

– Je suis appelé, il y a eu un meurtre, je vais devoir y aller …

Il ne savait pas trop comment agir. Après avoir passé le week-end collé à lui, nous n’avions pas reparlé de la suite. Je lui ai dit que je voulais rester avec lui, je serais toujours plus en sécurité que seule. Le commissariat sera un endroit sûr pour moi, et s’il part en mission, je le suivrais. Cette idée n’a pas l’air de l’enchanter mais il n’aura pas le choix.

Nous ne nous arrêtons pas au commissariat et rejoignons directement la scène de crime. Il doit y faire une petite inspection. C’est une jeune femme mariée qui aurait eu une commotion cérébrale suite à une chute en changeant une ampoule, rien de bien compliqué. On doit écarter la piste du meurtre.

La petite maison est charmante, mais sa pelouse fraîche est souillée par les roues des camions de police et des pompiers. Nous rentrons à l’intérieur, et c’est là que je la vois, cette pauvre femme. Ils l’ont laissée là. Des gens la prennent en photo sous différents angles. J’ai tellement de peine pour elle, on devrait avoir le même âge. Kali nous rejoint vite.

– Voici Annie Baumier, retrouvée morte ce matin par sa voisine après avoir entendu un gros bruit.

Je tilte. Je connais Annie Baumier, elle était dans mon lycée. Ce n’était pas une fille tendre, elle et son copain Louis étaient en quelque sorte les terreurs du lycée. Je n’avais jamais entendu parler de cette fille à nouveau, malgré notre si petite ville.

Je marche un peu dans sa maison. Elle est très ordinaire, des bibelots, mur blanc ainsi que quelques cadres. On y voit elle et Louis, ils étaient donc encore ensemble. En parlant de lui, où était-il alors ? Sa femme vient de mourir et il n’est pas là. Je vais voir mon frère qui doit avoir compris la même chose que moi car je le vois poser cette question à Kali.

Nous avons rapidement notre réponse lorsque Louis accourt dans le salon en tenue de footing. Il se jette au sol à côté de sa femme, les yeux en larmes. Il y reste un petit moment, et nous le regardons tous sans vraiment agir, ce ne doit pas être facile pour lui, alors on le laisse faire. Puis il lève la tête et son regard tombe sur le mien, puis mon frère.

– Qu’est-ce que vous faites là ?

– On est la police, dit Ambroise.

Mon frère lui tend la main pour l’aider à se relever.

– Elle est tombée ce matin en changeant une ampoule.

L’expression de Louis se défait.

– Je lui avais pourtant dit que je m’en occuperais. On s’est un peu fâchés ce matin, à cause de ça d’ailleurs!

– Ah bon ?

Mon frère sort son carnet de notes.

– Oui, vous savez, elle est tombée la semaine dernière dans les escaliers en sortant d’un resto entre copines, elle s’est fait très mal au dos, alors depuis, elle me reproche de ne plus la laisser faire quoi que ce soit de compliqué. Elle a dû vouloir me prouver le contraire. Je m’en veux tellement, je ne voulais pas que notre dernier échange soit une dispute… Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi la police reste aussi longtemps ?

– On doit écarter toute piste de meurtre, je suis désolé.

– Vous pensez qu’Annie se serait faite assassiner ?

– Ce n’est pas à exclure. Vous savez si elle avait des problèmes avec quelqu’un récemment ?

– Non, bien sûr que non ! Tout allait bien en ce moment, à part sa chute la semaine dernière, tout va bien.

– Bien, justement, par rapport à ça, j’ai une question pour vous à propos de cet évènement. A quels endroit avait-elle déjà des blessures de sa chute ?

– Eh bien, sur les genoux, un coude aussi et puis le front. Mais je ne comprends pas très bien pourquoi…

– Pour ne pas avoir de surprises durant l’autopsie.

Le veuf paraît soudain offusqué sous ses larmes.

– Vous allez lui ouvrir le corps ? Je suis désolé mais je suis contre. Déjà que vous la photographiez depuis une demi-heure, n’allez pas lui manquer de respect encore une fois, s’il vous plaît !

– On la recoudra pour l’enterrement, ne vous en faites pas.

– Je ne changerai pas d’avis.

Et il part, toujours les larmes aux yeux, s’agenouiller une dernière fois auprès de sa femme. Mon frère me fixe alors.

– Qu’en penses-tu ?

– Je ne pense pas qu’il ait fait quoi que ce soit. Au lycée il était un peu brutal mais pas à ce point là !

– Ça lui donne juste un passif. Viens voir.

Il me ramène la où gît Annie. Elle est sur le dos, les bras à peu près écartés et le regard dans le vide. Ils ne lui ont pas fermé les yeux… c’en est presque terrifiant, quand on sait qu’elle ne vit plus, mais qu’elle nous regarde. Son tabouret par contre est dans l’autre sens, l’ampoule est explosée à côté. Ça ne paraît pas très logique, mais elle a du se déséquilibrer de cette façon.

Mon frère est penché sur elle, il cherche toute trace de lutte ou d’effraction. Je suis pourtant persuadée que ce n’est pas le mari qui a tué sa femme. Il refuse de me croire. Il se redresse d’un bond.

– Daphné ! m’interpelle-t-il. Tu te souviens quand Maman était tombée du tabouret et qu’on avait du appeler les pompiers ?

– Oui …

– Le tabouret s’était couché dans son sens, et presque cassé.

Je vois très bien où il veut en venir.

– Celui-ci doit être très solide.

– Il a été posé comme ça, et tu le sais. Tu ne veux juste pas te l’avouer.

– Il a raison, quand on regarde plus près, ça a bien l’air d’une mise en scène, ajoute Kali. Mais bon, l’autopsie nous dira tout.

– Il n’est pas décidé pour l’autopsie, dis-je. Il est effrayé à l’idée qu’on ouvre le corps de sa femme, il considère ça comme un manque de respect. Et, je peux comprendre son opinion.

– Ou alors, il a peur d’être suspecté…

– Il ne tuerait pas Annie.

– Tu les as connus autant que moi au lycée, il avait des tendances violentes ! affirme Kali.

– Seulement contre l’autorité ! Il n’a pas attaqué physiquement quelqu’un ?

– Pas physiquement, non. C’est vrai.

– Je pense qu’on pourra faire l’autopsie sans son accord, déclare mon frère en rangeant son téléphone. On embarque le mari pour un interrogatoire et on y va, les équipes vont tout ranger.

Je vois les policiers entraîner fermement Louis dans une voiture en entrant dans celle d’Ambroise avec Kali. On rentre au commissariat où mon frère et Kali partent interroger le suspect, je me retrouve de corvée de livreur de repas. Ce qui veut dire que je dois sortir dans le centre-ville seule. Je ne le sens pas, je pense que je vais les attendre pour sortir. Je m’assois au bureau de mon frère.

Sur son bureau, il a accroché tout plein de photos de nous deux, et une de ma famille avant qu’ils meurent. Disposés autour de son ordinateur, je vois aussi tous mes travaux scolaires pour la fête des parents, que je ne pouvais donner à personne d’autre et qu’il avait gardé tout ce temps, le collier de pâtes, celui de capsules de café, le pot à clé en poterie avec ma main, ou encore le vase boite de conserve. En parlant de conserve, il a toujours été très conservateur et sentimental pour les objets, il ne jetait jamais rien, même ce petit rubix cube cassé qu’il a gagné à un concours de mathématiques au collège.

– Tout va bien ?

Une figure féminine se dresse devant moi. Je crois qu’elle s’appelle Constance. Elle n’est pas très grande, aux yeux clairs et au teint chaleureux, avec un visage rond couronné de boucles caramel. Elle a le sourire aux lèvres, avec un petit air inquiet.

– Eh bien, je dois aller chercher à manger, mais j’ai trop peur de sortir.

– Tu veux que je vienne avec toi ?

Je hoche la tête.

Les rues ne sont pas pleines, seuls quelques promeneurs se baladent sur les trottoirs. Constance n’est pas très bavarde, elle a la tête dans les nuages, du moins, elle les observe. Elle apprécie toute la nature autour d’elle. Je la suis, elle a beau regarder le ciel, cela ne l’empêche pas de garder sa trajectoire. Nous arrivons devant un petit restaurant italien, un peu sale mais qui paraît tout de même plutôt chaleureux. Le chef en cuisine sort déjà pour nous saluer. Il est grand, aux cheveux marrons et au visage rond, la parfaite version masculine de Constance.

– Daphné, je te présente mon frère Oscar ! déclare Constance d’une voix enjouée avant de s’adresser à lui. Tu nous fais un petit assortiment de focaccias s’il te plaît, une tomate, une nature et cinq sandwichs burrata-jambon, tu me mets ça sur la note du commissariat. Le boss passera un de ces quatre pour régler, il va pas kiffer !

– Je te prépare ça !

Et Oscar retourne en cuisine. Il revient quelques seconde plus tard avec un gros sac en papier qu’il tend à sa sœur.

– Et voilà pour vous, à plus tard. Ravi de t’avoir rencontrée Daphné !

Nous sortons du restaurant pour reprendre notre chemin inverse. Une question me tiraille.

– C’est quoi une focaccia ?

– Tu vas voir, ça peut ressembler un peu à du pain. J’en prends souvent pour le bureau alors je connais la commande de tout le monde. Je t’ai pris un sandwich, ça ira ?

– Oui bien-sûr !

– Je préfère demander, j’en ai pris une juste à la tomate au cas où, par rapport à ton frère !

– C’est pour lui la nature ?

– Évidemment !

Ambroise, toujours lui pour être compliqué ! Il y a quelques aliments que je ne supporte pas, mais ce n’est rien à côté de mon frère. De l’avis commun, il ne mange rien. Pour lui, un repas différent est réussi en fonction des différentes sortes de pâtes, carottes, œufs ou pommes de terre. J’ai profité d’être sa petite sœur pour manger mes aliments préférés, même si je trouve ça redondant, de toujours manger la même chose ! Voilà pourquoi son choix de manger cette espèce de pain nature ne m’étonne, mais alors là, pas le moins du monde.

Arrivées au bureau, Constance me prend le bras.

– Tout s’est bien passé, tu as vu !

J’acquiesce en souriant. Mon frère sort déjà de la salle d’interrogatoire avec Kali et accourt vers nous lorsqu’il voit le sac qu’on a apporté.

– C’est super que Constance t’ait montré là où elle trouve ces merveilles ! Tu es maintenant la seule à connaître son secret.

L’intéressée me fait un clin d’œil.

– Tu peux parler de merveilles, tu manges du pain sec ! intervint Kali.

– D’abord, c’est pas du pain, c’est une focaccia, ça n’a pas le même goût, se défend Ambroise. Et puis celle-ci est au sel et à l’huile d’olive, ce n’est pas rien !

Constance met fin au débat en distribuant les repas à chacun. Il restait pourtant la focaccia à la tomate que personne n’allait manger. J’ai alors une idée.

– Louis mange quelque chose dans sa cellule ?

– Non, me répond Kali. C’est un suspect, il n’est pas au restaurant.

– Le suspect vient de perdre sa femme. Tu ne veux pas qu’on lui donne la focaccia à la tomate ?

– Non, sans blague.

– Un peu de compassion !

Elle ne bronche pas. J’essaie d’être la plus persuasive possible et réessaie une dernière fois.

– S’il te plaît ?

Un petit sourire se dessine au coin de ses lèvres en me regardant.

– Tu as un trop grand cœur, ça ne te servira pas toujours ! dit-elle en acquiesçant finalement. Je vais aller lui donner, pour ne pas qu’il croit qu’il peut compter sur toi pour se tirer d’affaire.

Et elle part avec la focaccia.

– Que dit-il alors ? je demande à mon frère.

– Eh bien, il nous a raconté quasiment toute leur histoire d’amour. Il est plongé dans la nostalgie alors je connais tout maintenant. Leur histoire était parfaite, ils projetaient d’avoir un enfant, mais attendaient, voulant profiter un peu d’être jeunes mariés. Ils s’offraient des petits cadeaux souvent, ils avaient même une routine de dates…

– Ils pourraient écrire le manuel du couple parfait !

– Trop parfait peut-être ! Je ne suis toujours pas convaincu.

La journée n’a rien donné. Mon frère est toujours autant persuadé qu’Annie s’est faite assassinée, mais ils n’ont aucune preuve. Il ne manque que l’autopsie qui a dû se faire dans l’après-midi. Ils nous donneront les résultats demain.

Je suis dans la cuisine, je prépare des pâtes natures pour Ambroise et moi, car il n’a pas de sauce tomate chez lui ou quoi que ce soit que je puisse utiliser d’autre que du ketchup, et ça, c’est non. Lui, est posté devant son ordinateur sur le canapé, parce qu’il a une table et un bureau, mais monsieur n’aime pas y travailler. Il doit encore parcourir les photos de ce matin et les témoignages. Il ne se détendra pas tant qu’il n’aura pas trouvé la vérité, son présumé coupable.

Une fois le repas prêt, il se lève enfin pour prendre son assiette et le nécessaire pour les poser sur la table basse. Depuis samedi soir, on se fait un marathon Star Wars pendant le repas. Il rentabilise très bien son abonnement à Disney+, je ne suis qu’une excuse pour qu’il les regarde une énième fois. Je dois l’avouer, j’avais hâte d’être à ce soir, la Revanche des Sith est un chef-d’œuvre cinématographique.

C’est au moment de m’endormir, que mes peurs si récentes reviennent me hanter. Je n’aime pas dormir avec de la lumière, mais j’ai du emprunter un de ces gnomes lampions au long chapeau que mon frère collectionne pour ne pas me sentir seule.

Car je le vois. Sa silhouette. Dans le mouvement des rideaux. Dans la pile de vêtements sur la chaise. Derrière la porte que je vois entre-ouverte. Sur le plafond. Dans les recoins les plus sombres de la chambre, je vois des yeux, des mains, avec de longs doigts, tous dirigés vers moi. Je ferme alors les yeux, mais dans ce silence si pesant, je crois entendre une respiration lente près de moi. Je ne l’ai pas oubliée.

Je n’arrive toujours pas à réellement me détendre. Quelquefois, je me retourne vivement en pensant sentir une présence derrière moi, ou entendre encore son souffle. J’entasse alors la couverture tout autour de moi, pour ne plus laisser l’air passer. Et j’ai une bonne ouïe, j’entends Ambroise dormir depuis ma chambre. Alors pour m’endormir, ma seule option est d’attendre de tomber de fatigue, et ce n’est pas très plaisant. Heureusement, avec l’accumulation de fatigue, je m’endors de plus en plus tôt.

Ne t’inquiète pas, un jour je reviendrais, et tu ne seras rien qu’à moi, je te le promets.

Un mouvement parcourt mes cheveux. Une sensation sur ma joue. Un souffle dans mon oreille. Une main sur mon front. C’est sa voix que j’entends. Je le sens maintenant. Il est là. Devant moi. Encore. Une porte claque.

Je sursaute si fort que j’en tombe du lit. Et me cogne violemment sur le sol. Je gémis de douleur quand ma porte s’ouvre à la volée. Je sursaute à nouveau, toujours en alerte. Mais heureusement pour moi, c’est mon frère que je discerne grâce à la faible lueur du jour qui provient du couloir.

– Daphné ! Qu’est-ce que tu fais par terre, je t’ai entendue tomber !

Il m’aide à me relever pour me mettre dans mon lit.

– Il était là, j’en suis sûre ! Et j’ai mal au dos aussi…

Je fonds dans ses bras pendant qu’il passe doucement sa main dans mon dos. Je me mets alors à pleurer. Je ne peux plus m’en empêcher ces derniers temps. En particulier quand ses gestes dans mon dos me rappellent ceux de ma mère, si lointains déjà.

Après le petit déjeuner, les dessins animés, nous partons sur la route du travail lorsque mon frère reçoit un coup de fil. Ils ont reçu le rapport d’autopsie, nous allons enfin connaître la vérité. Enfin, s’ils ont réussi à trouver des éléments concrets qui pourront aider l’enquête.

Au commissariat, un air grave est fiché sur tous les visages. C’est un peu comme ça d’habitude, mais dans notre petite ville, où tout le monde connaît tout le monde, un coupable parmi nous n’est jamais bien accueilli. En fait, ils sont surtout toujours déçus de trouver des criminels en leurs amis, ou voisins, je les comprends. Et cette réaction nous explique déjà tout.

On s’installe au bureau d’Ambroise et le rapport d’autopsie nous y attend déjà. Mon frère se jette dessus. Ce n’est qu’après de longues minutes, à attendre en face de son air circonspect, sérieux et concentré, mais surtout déçu, qu’il repose le dossier pour me laisser le voir enfin. Je suis très curieuse de voir mais j’essaie de ne pas me jeter dessus et plutôt de rester aussi sérieuse qu’ils le sont tous ici, déjà qu’ils m’acceptent au bureau alors que je n’ai rien à faire là et que je ne suis pas censée lire ce genre de documents confidentiels. Je ne voudrais pas faire tâche ou du moins trop me faire remarquer pour qu’ils repensent à la nécessité de ma présence ici.

Je le parcours à mon tour lentement, de ce que j’arrive à comprendre avec tout ce vocabulaire médical, c’est qu’Annie portait des traces de violences antérieures à sa mort, et qu’elle n’était pas morte de la façon dont on l’a trouvée. C’était bien d’un coup à la tête, mais pas exactement au même endroit que celui qui est censé avoir percuté le sol. L’histoire du sens de chute du tabouret est confirmée, le meurtre d’Annie a été maquillé.

Je dois le reconnaître, les preuves sont accablantes. Mais accusent-elles vraiment Louis ? Je ne pense pas. Pourtant, tout le bureau y croit tandis que l’accusé clame son innocence, il aimait sa femme. Malheureusement pour lui, sur le rapport d’autopsie, le corps d’Annie portait beaucoup trop de petites blessures pour que ce soit naturel, et le bureau ne croit plus à l’histoire de la chute. Ils pensent tous que Louis a tué Annie, et ne cherchent même pas ailleurs. Je crois que ses amies ont été rapidement interrogées, mais toutes ont confirmé les accusations en rappelant le passif de l’accusé mais aussi en parlant de son tempérament colérique. Il est devenu le coupable parfait.

C’est donc sans surprise, et malgré une absence d’aveux de ce veuf qui clame son innocence, que celui-ci est déclaré coupable et condamné pour le meurtre de sa femme ainsi que pour violences conjugales. Je ne suis toujours pas convaincue, mais ma voix ici ne pèse pas beaucoup si ce n’est pas du tout. Je me retrouve alors à la terrasse d’un café avec les collègues de mon frère en sortant du tribunal.

– Il n’était pas si parfait ce couple, je te l’avais dit ! déclare mon frère.

– Je ne sais pas… je ne sais pas trop quoi en penser, je n’aurais jamais cru qu’il puisse tuer quelqu’un, et encore moins sa femme.

– Oh tu sais, dit Kali. Même ceux qui ont l’air les plus adorables peuvent être capables d’atrocités. Peut-être que toi aussi un jour, tu seras forcée de faire des choses terribles, la vie est une roue qui tourne…

– Mais jamais voyons !

– Tu es trop pessimiste sur la nature humaine Kali, dit Ambroise.

– Ce doit être à cause de ce métier !

(à suivre)

Elisa