« Menace », texte prophétique de Jacques Bertin, en 1977.

L’immense Jacques Bertin avait enregistré cette longue diatribe poétique et prophétique en 1977. Je pense que, face au pauvre choix quant au modèle de société et à la place de l’Humain dans celle-ci, que propose le second tour aux électeurs français, son texte prend un relief magnifique et saisissant.

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MENACE – Texte de Jacques BERTIN, extrait de « Domaine de joie » – 1977

Dans un bureau conditionné, peut être, il y aura eu

Une défaillance dans le calcul du compte des denrées

Ou une maladie balancée dans la chaîne alimentaire

Par un comptable sans pouvoir

Il suffira d’une avarie presque minime pour que se casse

Une extrêmement flexible tige ou un miroir

Il suffira d’un signe dans le ciel, un oiseau immobile

Ou trois fois rien de différent dans l’intime de l’air

Ce sera vers midi et se fera un grand silence

Et tout de suite on entendra un cri de femme long

Comme sorti d’une voiture accidentée dans un décor de pluie

On vous aura annoncé votre mort à la télévision

 

Il sera aussitôt et simplement trop tard

Trop tard pour tout, pour la colère et pour le cri

Trop tard pour la fuite et trop tard pour la révolte

Trop tard pour le dernier bateau et pour la lutte et pour la vie

La lumière s’éteint partout, des téléphones sonnent

Il souffle un joli vent vénéneux dans les hôpitaux déserts

Vous vous trouvez atteint par grappe et vous mourrez

Une réaction incontrôlable propage un gaz dans le ciel vert

La misère lève son mufle et vous vous jetez sur les routes

Pour la grande scène de l’exode qui cette fois finira mal

Il n’y a plus de refuge au bout de la route, plus de route

Plus de sens de la marche, plus de marche à suivre, plus de sens

 

Vous allez de plus en plus vite, certainement

A Lyon ou à New York, dans de grands avions impassibles

Que lancent depuis des chapelles aseptiques des voix fabriquées

La misère, vous la visitez en club dans des pays exotiques

Dans les appartements bourgeois qui ont l’allure des scènes de théâtre

Ou tout passe par le filtre du velours et de la convention

On manie l’argenterie, le mot d’esprit, le capital

Et le concept et surtout sans jamais presque hausser le ton

La bourgeoisie règne en papier crépon sur son royaume

Sûre d’elle même, de sa technologie, de ses oreilles de coton

On ne sait pas trop où l’on va mais qu’importe,

Quand on accroche sur le rôle, on improvise et à Dieu vat

 

Les mots sont vides que vous récitez, le théâtre

Donnent dans les gréements sur le ciel peint en haut

C’est une sorte de bateau-fantôme qui a dans ses cales

Quelques petits milliards de nègres qui ont peur

Monde factice, O monde sans raison, monde fragile

O, qui vit follement de sa fragilité

Qui trouve dans sa fuite un certain relatif équilibre

Et l’abîme comme un ventre attire les fous qui vont s’y damner

Monde captif, O monde sans amour, monde fragile

Brave gens qui vous êtes laissé drainer

Je veux répandre la terreur comme une marée patiente

Il reste peu de temps pour sauver le monde et vous sauver

 

Il reste peu de temps pour la sainte colère

Je vous vois comme un cheval aux jambes brisées

Les yeux fous qui cherchent à se lever, qui cherchent une aide

Dans le ciel vide autour de lui qui tourne et dans sa tête emballée

Peuple, ah vous ne croyez plus beaucoup à l’amour ni à l’insolence

Si je dis peuple pourquoi derrière vous, vous vous tournez

Quel est celui que par ce vocable suranné je désigne ?

La révolte vous semble affaire de maniaque ou d’enfant gâté

 

Mais il y a comme une sale maladie dans la joie

Comme une crise de confiance den la qualité de l’eau du robinet

Peut être que les fruits du cœur sont traités, il y aura toujours un doute

Tout d’un coup le soupçon s’installe et vous voilà parcouru par la frousse

Terreur, je veux, Terreur, je veux répandre

Comme un apport de sang dans l’organisme fatigué

Guerres saintes partout, on vous avait confié des armes

Qu’en avez-vous fait, souvenez-vous, qu’en avez-vous fait ?

Dîtes, qu’avez vous fait de la parole qui est une braise ardente

On la prend à pleine main, on porte le feu

Dans les terres épuisées, dans les mauvaises blessures

Dans les mauvais sommeils ou sur les yeux des gens qu’on veut aimer

Je vais porter la guerre dans les journaux, chez le vieil humanisme

Là qui s’avachit dans l’eau stagnante des chroniques et des marais

Des petits féodaux, le parapet vous n’y passez surtout jamais la tête

On trahit gentiment derrière les sacs du courrier des lecteurs entassé

Il nous faut des porteurs de paroles avec des chenilles d’acier dans la tête

Pour conduire dans les vallées ce peuple hagard de jeunes gens

Dieu les protège et Dieu les guide et Dieu les aime

Ils ont ployé le vieux monde corrompu d’un buisson brûlant

Parole, pour porter des coups, parce qu’il est grand temps de parole

La vérité, la vérité, comme si la vie en dépendait

Parole, pour ouvrir un territoire avec des blessures fertiles

O Paroles, avant que ne s’avance la saison

 

Demain, il y a un virus fabriqué par hasard,

Les bateaux qui n’arrivent plus

Une ampoule qui claque à la régie finale

Une bombe de trop dans le magma central

 

Je vous dis qu’il est temps, ce monde est dans ce carnet qu’on referme

D’un geste las et qu’on écrase comme un cœur

Regardez s’envoler votre dernier bel avion magnifique

Il s’en va errer dans la banlieue des pourquoi-comment

Ce monde, on l’oubliera, dites-vous bien, très vite

Comme dans un éphéméride, un chiffre parmi cent

Ce monde est déjà rien de plus qu’un graphisme misérable

Dans quoi, l’œil et la raison cherchent ce qu’on pouvait y trouver

Maintenant que le livre se ferme, sentez ce vide capital

Le ciel est désert, la terre bruit de cris désaccordés

Que se lèvent ici, ceux qui ont de l’esprit pionnier dans la tête

Il va falloir dès ce soir tout recommencer

Une réflexion sur « « Menace », texte prophétique de Jacques Bertin, en 1977. »

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