Publications mensuelles de l’Idée Libre

Brochure n° 21. Ñ juillet 1922.

(Domaine public)

Extraits :

(…) La véritable place de l’enfant est dans une colonie de travailleurs. Je n’insiste pas sur ce qu’il y a d’extrêmement moralisateur pour lui à voir ses grands camarades donner l’exemple du travail manuel, je ne m’occupe ici que de son développement intellectuel. Or, l’enfant aime beaucoup à regarder travailler, à y prendre part, s’il peut, et si ce travail crée des objets intégraux, sa joie est à son comble. Réfléchissons que le producteur intégral applique continuellement des notions de physique, géométrie, chimie, etc., etc., et cela d’une manière toujours intéressante pour l’enfant. L’élève qui voit une barre de fer s’allonger à mesure qu’elle chauffe, se façonner quand elle est rougie, etc., questionne, et quand même on ne lui répondrait pas, il a désormais acquis le fait qu’il apprendrait péniblement dans le livre. Mais on aura soin de lui répondre et même, on sera plusieurs à lui répondre, car il est utile de le soustraire à la mauvaise méthode qui consiste à donner à l’élève un professeur pour chaque matière (ou pour toutes). Il est indispensable que l’enfant prenne l’habitude de se renseigner sur ce qu’il voit faire auprès de celui qu’il sait être capable de le faire, quitte à venir chercher un complément d’informations auprès d’un autre, qui lui, s’occupera d’étendre et de généraliser les données. (…)

Quelques camarades anarchistes et nous-mêmes avons pensé à grouper les enfants de l’école, après la classe, pour commenter et compléter les leçons du programme de la bonne manière. L’instituteur y trouverait son compte car ces enfants auxquels leurs leçons seraient expliquées, seraient les plus instruits. L’école communale aurait des élèves de douze à treize ans sachant vraiment lire et s’exprimer, ce qui se voit rarement aujourd’hui. Voir une fière et intelligente génération s’élever à la place du troupeau attendu, cela serait certainement une joie pour nos chers dirigeants…

Ce serait une excellente force et d’une grande portée que de compléter ainsi l’enseignement de l’État.

Quel avantage si l’on pouvait réunir ces enfants après la classe ! A peu de frais, avec de l’intelligence et de l’ingéniosité, on les installerait convenablement. Une table de six ou huit places, à laquelle ils se succéderaient, suffirait pour une trentaine d’enfants (si l’on songe que les plus petits, ceux de huit à dix ans, ne doivent pas emporter pour plus d’un quart d’heure de travail). Les devoirs seraient expliqués sur des exemples et on y installerait les enfants après s’être assuré que ce ne sera plus pour eux un abrutissement angoissant, mais un exercice intéressant. La matière des leçons serait montrée, offerte à la vue, toutes les fois qu’il est possible et on inviterait les écoliers à définir eux-mêmes ce qu’ils voient ; de telle sorte qu’ils acquerraient ainsi à la fois des notions plus nettes, plus sensibles, plus solides et l’habitude de s’expliquer et de décrire eux-mêmes tandis qu’ils perdraient l’habitude si funeste de définir de mémoire et de décrire d’après les autres. (…)

Bien entendu, il serait encore préférable de pouvoir arracher complètement nos enfants à l’abrutissement pédagogique. La véritable solution serait de nous charger, directement et personnellement, de leur éducation, en dehors de toute autorité et de tout système dogmatique. Mais la besogne est délicate et ardue et il nous faut avouer que les tentatives faites jusqu’à ce jour ne furent guère probantes. D’autre part, tous les camarades ne peuvent se charger de leurs enfants, certains parce qu’ils n’en ont pas le temps, d’autres parce que la capacité leur fait défaut. Il serait donc intéressant, faute de mieux et en attendant de pouvoir faire besogne plus complète, de soustraire les enfants, par une éducation complémentaire, à l’influence pernicieuse de l’école.