Compte rendu de la conférence de M. Doucet : « Art nouveau et modernités, l’exemple d’Émile André ».

Compte rendu de la conférence de M. Doucet : « Art nouveau et modernités, l’exemple d’Émile André ».

Monographie consacrée à Émile André par H. Doucet, Prix Georges Sadler de l’Académie de Stanislas (Nancy).

M. Hervé Doucet est Maître de Conférences à l’Unistra.

Emile André (1871-1933) est architecte de l’école de Nancy qui fait sa carrière en Lorraine.

On a tendance à penser que l’Art nouveau nancéen se limite aux objets décoratifs, si bien que très peu d’études ont été menées concernant l’architecture propre à cette école.

La famille André est une véritable dynastie d’architectes. Il existe toujours une agence aujourd’hui en Lorraine qui a facilité le travail de recherche de monsieur Doucet : un certain nombre de docs (d’origine très variée : dessins, notes, bibliothèque personnelle d’Emile André) ont été conservés sur place.

Emile André est né à Nancy en 1871 dans un milieu proche de l’architecture : son père, Charles André, était un entrepreneur qui a réussi à acquérir un certain renom en architecture. Comme il n’a pas eu de formation à proprement parler, il souhaite que son fils entreprenne de véritables études pour devenir architecte.

Connaître quelqu’un du milieu facilite beaucoup la tâche à Emile : son père l’associe à beaucoup de projets, lui donne ses premiers cours de dessins etc.

Poussé par son père, Emile essaie à deux reprises d’intégrer les Beaux-arts à Paris et parvient à y entrer en 1893. Il choisit d’entrer dans l’atelier de Victor Laloux qui est connu pour avoir construit la gare d’Orsay. Au sein de cet atelier, les étudiants ont des cours théoriques et doivent réaliser des projets architecturaux.

– Exemple du projet fait à l’aquarelle d’une petite gare de banlieue par Emile André. On constate déjà un certain talent de dessinateur, qualités picturales.

Le maître Victor Laloux encourage ses élèves à voyager : il est très important à ses yeux d’aller voir ce qui se passe hors de France (ex : connaissance des modèles de l’Antiquité et de la Renaissance). Emile André ne va pas jusqu’au bout de ses études : arrête en deuxième année. Néanmoins, il suit les conseils de son premier maître d’atelier et commence un voyage en Tunisie.

– Exemple de croquis d’un arabe allongé sur le sol : il est intéressant de voir qu’Emile s’intéresse aux gens qu’il côtoie. Ce regard porté sur les populations des pays qu’il découvre est presque un regard d’ethnologue. Il s’est servi de ce croquis pour réaliser une gravure qu’il a présenté lors d’une exposition.

– Exemple d’un croquis d’une Jeune Bédouine (1894) : ce croquis, contrairement à l’autre, a été fait à partir d’une photographie trouvée dans un registre que tenait Emile André où sont mélangées photographies personnelles et achetées. Cette photographie d’une Bédouine a été achetée : il se l’est réappropriée entièrement, quitte à un peu tricher.

Après la Tunisie, il passe par l’Italie où il fait un grand tour. Commence par la Sicile et passe plusieurs jours à Palerme où il voit la chapelle Palatine qui constitue un véritable choc architectural et esthétique. Dés lors, Emile André est fasciné par l’art musulman et pressent que celui-ci va lui permettre de renouveler son art. S’intéresse donc particulièrement aux œuvres qui portent les traces de la culture arabe.

(NB : a tenu des carnets tout au long de sa vie)

– Exemples de la chapelle Palatine, du cloître Monreale…

Après son voyage en Tunisie, Emile André passe quelques temps à Rome, ville où se trouvent les principaux modèles de l’architecture antique. Etonnamment, il reste totalement froid devant les monuments célèbres et trouve par exemple la basilique Saint-Pierre vulgaire et démesurée.

Ses voyages en Tunisie et en Italie ont permis au jeune architecte de parfaire sa formation et de découvrir le monde.

En 1896, Emile André va en Egypte : s’installe au Caire et fait la connaissance de Jacques de Morgan qui l’encourage à faire le relevé d’un temple ruiné, celui de Kom Ombo. Sous son conseil, Emile croque ce temple et en propose une reconstitution. Cette proposition de reconstitution fait l’unanimité à Paris : on y reconnait la démarche d’un véritable archéologue. Cette unanimité lui permet d’obtenir une médaille (sorte de diplôme) et une bourse destinée à financer un voyage.

Grâce à cette bourse, il va à Ceylan, destination beaucoup plus lointaine et originale. Ce voyage l’amène à faire le tour de l’Inde. Là-bas, il est fasciné par le temple de la Dent qui conserve une dent de Bouddha : il en fait plusieurs représentations + prend des notes concernant ses impressions face au temple.

Ce temple de la Dent est une des seules choses qui le séduit pendant ce voyage. Comme à Rome, Emile reste souvent froid face aux œuvres qu’il voit : il a l’impression de ne pas comprendre la culture indienne et ne se sent aucune affinité avec la religion hindouiste.

Il poursuit son périple jusqu’en Iran actuel et reste plus d’une année en Perse où il retrouve Jacques de Morgan qui dirige une mission archéologique. Ce dernier demande à Emile de rejoindre son équipe d’archéologues et celui-ci accepte de réaliser quelques travaux pour lui. Toutefois, ce qui l’intéresse avant tout, c’est l’architecture persane.

Surtout séduit par Ispahan où il fait le relevé d’une grande quantité de monuments (ex de la Medersa de la mère du Shah) + envisage de publier un ouvrage consacré à l’architecture musulmane en perse qui ne verra malheureusement jamais le jour. Comme d’habitude, Emile s’intéresse aux personnages qu’il rencontre (ex de la photographie d’une femme à Suse). On peut dire qu’il fait véritablement sienne la culture musulmane.

En outre, Emile André s’intéresse aux modes de construction. Exemple de photographie qui montre un mode constructif qui passe par la constitution d’une voûte en briques crues : essaie de réutiliser ce principe dans un croquis.

En 1900, Emile André commence déjà à vieillir : a passé quelques années à voyager et son père décide qu’il est temps pour lui de gagner sa vie. Il l’oblige à rentrer en France pour travailler (cf. Lettre d’Emile à son père). Mais son retour à Nancy ne se fait pas sans mal… (cf. photo de lui en musulman : il ne se déguise pas, montre qu’il est un persan. Se fait représenter assis par terre entrain de lire un ouvrage comme dans une enluminure persane du 17ème).

A peine installé à Nancy, il reçoit sa première commande pour l’immeuble Jules Génin. Cet immeuble possède une structure métallique apparente, ce qui montre que les architectes connaissaient Viollet-le-Duc. Emile réalise pour ce bâtiment des éléments de décoration, dont le garde-corps en fer forgé du premier étage qui reprend des formes très graphiques et dynamiques qui font penser à Horta (cf. Le croquis d’un détail du château de Wangen par Horta). Cet exemple montre qu’Emile André a une connaissance de l’actualité artistique européenne.

Très rapidement, on lui commande la réalisation d’un certain nombre de maisons.

– Exemple de la maison Huot située en Lorraine (1903). Maison étonnante qui constitue le symbole d’une architecture moderne et nouvelle sur le sol lorrain. Architecture qu’on peut qualifier d’Art nouveau : abandon de toute idée de symétrie, chaque fenêtre a une forme particulière qui découle de la fonction des pièces intérieures. Le plus important, pour André, c’est le confort des habitants.

Construction sous forme de maison double : le commanditaire garde une partie de la maison et loue la seconde pour financer la construction. Le propriétaire habite à droite car c’est la partie la plus grande qui possède un jardin arrière plus vaste : encore une fois, le confort prime sur l’apparence.

Détail d’une fenêtre avec un arc brisé surligné par un rouleau de briques vernissées bleu turquoise qui renvoie à l’architecture musulmane. Preuve que les différents voyages d’Emile André ont eu une vocation pratique, utile : il s’agissait pour lui de renouveler ses sources d’inspiration.

Maison intéressante à plusieurs titres. Par exemple, les souches de cheminée ont des décorations très particulières inspirées de maisons célèbres d’autres architectes (Schilling et Gräbner) : preuve qu’André se sert des docs à disposition comme de véritables sources d’inspiration. Se réapproprie une œuvre faite par d’autres, comme il l’avait fait avec la photographie de la jeune arabe. Etonnamment, le modèle utilisé pour ces cheminées est un modèle allemand alors même qu’à cette époque, elle n’attirait pas beaucoup les artistes nancéens (ressentiment politique car territoire annexé).

Emile reçoit par la suite une commande très prestigieuse : la réalisation d’une cité jardin (parc de Saurupt) dans un quartier bourgeois fermé et protégé par un gardien. Exemple d’un dessin de la loge du concierge-gardien avec sa grille aux lignes en coups de fouet.

Emile réalise essentiellement des habitats bourgeois, surtout dans ses premières années, car ses constructions nécessitent un financement que seule une petite frange de la population peut procurer. Là encore, Emile André peut être comparé aux autres architectes de l’Art nouveau car ses œuvres pour de riches commanditaires semblent en contradiction avec son fantasme d’une architecture populaire (exemple de la maison du peuple faite par Victor Horta). Ainsi, Emile tire sa célébrité d’œuvres destinées à de riches commanditaires.

– Villa Lejeune réalisée pour Arman Lejeune : cette maison montre qu’Emile André a le souci de révolutionner l’espace pour le plus grand nombre. En effet, cette maison a été réalisée avec un budget très restreint et ses plans étaient destinés à être reproduits en série. Emile André réfléchissait à l’industrialisation de l’architecture.

La Ville Lejeune se caractérise par sa  vaste porte d’entrée. Type architectural particulier. Gigantesque toiture. Sur le plan, on peut voir que la salle à manger communique avec l’atelier de l’artiste. Avec cette maison, Emile André cherche à renouveler l’espace de l’habitation en créant des espaces capables d’être modulés selon les envies et les humeurs.

Intérieur très singulier, décor qui fait partie de la maison. L’atelier se développe sur une double hauteur : c’est du Le Corbusier avant l’heure ! On a l’impression que cette maison a été réalisée pour être une carte de visite : celle de l’architecte et celle du peintre. Mise en scène de l’architecture qui montre ce que l’architecte est capable de produire de plus moderne, même si c’est une maison très peu coûteuse.

L’inspiration du régionalisme est également importante pour les artistes de l’Art nouveau : par exemple, la salle à manger ressemble à une ferme traditionnelle.

Exemple du lustre qui montre qu’Emile André s’intéresse également au mobilier (inspiration des lampes de mosquée + œuvre de Josef Maria Olbrich  =  on voit comment il se réapproprie les sources d’inspirations). Modèles de solives en forme d’animaux stylisés.

– Projet de portique d’entrée du Pavillon de l’Ecole de Nancy à l’exposition des arts décoratifs de Turin en 1902. Cette exposition, pour beaucoup, constitue la fin de l’art nouveau. Emile André a dessiné de nombreux projets qui montrent l’attachement identitaire régionaliste de l’artiste : en effet, le portique croqué possède des éléments en forme de chardons, emblème de la Lorraine.

– Autre dessin de portique qui ressemble à un Torii japonais. Importance de l’influence japonaise comme pour la plupart des artistes Art nouveau.

– Maisons ouvrières des usines Solvay par Emile André et Gaston Munier : en même temps qu’André réalise des constructions pour les bourgeois, il s’intéresse aux logements sociaux. Ne s’est pas contenté de réfléchir à ce que pourrait être un bon logement social mais a mis en pratique ses idées.

Maisons doubles (donne l’impression d’une demeure plus grande) dont l’épiderme est constitué de briques peintes en blanc pour figurer un faux chainage. Ces maisons ont été faites en série et représentent des sortes d’avatars des réflexions d’Emile André sur le logement social.

Ce qui est intéressant, c’est qu’Emile est passé à une production industrielle après la première guerre mondiale car il a du reconstruire des villages détruits par les bombardements. Ex de dessins de fermes + plans-types qui pouvaient être vendus un peu partout en Lorraine. Architecture qui répond aux règles d’hygiène contemporaine (a fait des porcheries/poulaillers en béton armé).

André a donc réfléchi aux besoins qui se sont fait sentir après la première guerre mondiale : nécessité de construire pour le plus grand nombre à moindre coût. Dans un fascicule, il proposait des plans pour les villes dévastées (on peut voir qu’il réutilise une voûte musulmane qu’il avait croquée) mais le projet est resté à l’état de papier.

Emile André a pu mettre en pratique ses idées quand il a reconstruit quelques villages lorrains : exemple du village de Flirey où les maisons sont rationnellement agencées autour d’une route principale. André respecte l’alignement des maisons le long de la rue mais en fait quelque chose de systématique : ainsi, le village est considéré comme un lieu de production agricole qui doit être le plus efficace possible pour favoriser la reprise de la production. Chaque ferme ressemble à une petite usine de production. L’architecte revendique le caractère industriel de son travail puisqu’il a réalisé des croquis de motifs applicables dans tout le village (on les retrouve sur certaines maisons et dans l’Eglise).

Conclusion.

Avec Emile André, on a l’impression que l’Art nouveau n’est pas seulement une parenthèse dans l’histoire de l’art mais plutôt un mouvement qui permet de passer du 19ème traditionnel et bourgeois à une architecture plus industrielle pour le plus grand nombre. Ainsi, on comprend que l’Art nouveau est un véritable trait d’union entre l’éclectisme et la modernité des années 30.

11 avril 2011,  par Manon Fabricius (HK-ENS Lyon)

Une conférence de Mr Doucet sur l’architecture du palais universitaire de Strasbourg :

http://www.canalc2.tv/video.asp?idVideo=12920&voir=oui&mac=yes&btRechercher=&mots=&idfiche=

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