Edwige EIchenlaub, Portraits de groupe et La Ronde de nuit

Edwige EIchenlaub, Portraits de groupe et La Ronde de nuit

Exposé d’Edwige Eichenlaub (K-Ulm):
https://docs.google.com/present/view?id=dfpw3jc2_7262dztvc9dg

Les portraits de groupe.

https://www.wga.hu/html_m/r/rembrand/26group/index.html

Le portrait de groupe grandeur nature est devenu une spécialité hollandaise même s’il était pratiqué en France (Toulouse, Carcassonne, Narbonne).
Le plus ancien et le plus populaire type de ces portraits collectifs et celui des guildes de miliciens.
Mais la Ronde de nuit ne ressemble à aucun des autres portraits du même type.

L’autre type est celui d’administrateurs, de gouverneurs des municipalités (comme le Syndic des drapiers, (1662),  un des plus beaux en la matière.



Les tableaux qui impressionnent encore aujourd’hui sont les leçons d’anatomie où l’on voit des dissections en public à des fins médicales et scientifiques.  Rembrandt en a peint deux :
La leçon du Dr Nicolas Tulp en 1632, et celle du Dr Joan Deyman dont il ne subsiste qu’un fragment.

Parmi les portraits de groupe peints par R. seule la Ronde de nuit tranche avec les conventions de l’époque.  Les autres respectent les usages accordant par exemple une égale importance aux modèles en fonction de leur contribution financière.

Toile emblématique du maître, rentoilée deux fois, restaurée plusieurs fois.
Vers 1640, changement sociaux à Amsterdam, les artistes affluent  (encore plus après 1650). La commande de La Ronde de nuit en 1642 marque un tournant dans sa carrière. Il ne recevra pas d’autres commandes publiques avant 14 ans.

Il s’agit d’une commande collective de plusieurs milices à plusieurs peintres pour décorer la salle du Kloveniersdoelen (salle de rencontre des mousquetaires) :
Joachim von Sandrart par la Cie du capitaine Cornelis Bicker,
Govaert Flinck (élève de R.) par la Cie du capitaine Bas
Bartholomeus Van Der Helst (Roelof Bicker)
Pickenoy Jacob Adriaensz Backer (élève de R. etc.)

Jorien Doorn, reconstitution assistée par ordinateur de la Salle des Gardes du Kloveniersdoelen vers 1645.
Voir les portraits de miliciens sur le site du Rijksmuseum :

http://www.rijksmuseum.nl/aria/aria_catalogs/Term_00027329_en?lang=en

1600 florins sont prévus au contrat pour cette toile.
Chaque milicien paye plus ou moins 100 florins en fonction de sa place. Banning Cocq et Van Ruytenburgh ont certainement payé plus. C’est une somme considérable même si pour un bulbe de tulipe, on pouvait parfois vendre sa maison ! ( Première « bulle spéculative » de l’histoire économique mondiale)

Toutefois le tableau a fasciné le public et d’abord par ses dimensions. On beaucoup écrit sur ce tableau, sur ses défauts sur ses qualités. Mais peu de gens l’ont compris. Souvent considéré comme un manifeste baroque face à l’académisme ambiant. Dans la salle du Rijksmuseum il est accroché non loin de la Célébration du Traité de Munster de Van der Helst (1649).


http://fr.wikipedia.org/wiki/Trait%C3%A9_de_M%C3%BCnster

Le contraste est saisissant entre les deux manières. Ce dernier peint un tableau « classique » insistant sur la mimésis, l’équilibre de la composition.

1642 la même année Rembrandt perd Saskia, Titus n’avait que quelques mois. La décennie 1642-1651 est peu productive, certains observent une baisse de la qualité des œuvres en tout cas les dimensions et le nombre des tableaux diminuent.
En revanche, Rembrandt reçoit un grand nombre d’apprentis :
Carel et Barent Fabritus,
Samuel Van Hoogstraten,
Gerbrand van den Eeckhout.

La réputation locale de R. doit beaucoup aux portraits de groupe. Mais malgré l’importance de la Ronde de nuit, il n’a peint qu’un petit nombre de ce type de portraits très prisés en Hollande par rapport à Frans Hals qui en a peint 8 avec au total 84 modèles. R. a été plus modeste et surtout n’a pas accordé beaucoup d’importance à l’apparence des personnages. Van der Helst s’en était fait une spécialité . Carel Dujardin en a peint quelques uns avec beaucoup de succès même s’il était plutôt paysagiste.

Rembrandt comme dans son habitude veut étonner, frapper le spectateur.  Jusque là domine la ligne horizontale telle que selon Hoogstraten « on pouvait les décapiter tous d’un seul coup ».
L’originalité du tableau doit à la fois au travail de composition exceptionnel de Rembrandt mais aussi à la noirceur du vernis avec le temps qui a transformé une scène de plein jour en nocturne.

La Ronde de nuit.


http://www.rijksmuseum.nl/aria/aria_themes/7164?lang=en

« Atypique couronnement du Kloveniersdoelen, de l’art hollandais et de l’art baroque en même temps » selon Simon Schama.

L’esprit civique à Amsterdam s’est depuis longtemps exprimé à l’aide de portraits de groupe de miliciens.
Le schutter : citoyen soldat. Héritier des défenseurs héroïques des Pays-Bas pendant les guerres avec l’Espagne catholique (80 ans de guerre jusqu’au Traité de Munster (annexe du traité de Westphalie).
Trois guildes principales : arbalétriers, arquebusiers, archers. Ils se réunissaient et paradaient à l’occasion des grands évènements (présence du stathouder, accueil des princes étrangers) c’était un spectacle pour la foule qui s’amassait. 4000 hommes au total faisaient partie de ces milices armées. Mais le contexte est plutôt pacifiste qui ne se prête pas à des représentations héroïques : Amsterdam «était en désaccord avec le stathouder Frédéric Henri qui prônait un rapprochement avec la France contre l’Espagne (peut-être dans l’espoir de créer une couronne hollandaise ?)  alors que la municipalité poussait vers un accord de paix (les affaires doivent continuer)

Ce tableau est exceptionnel car il représente un événement et non pas des personnages statiques en train de poser. Il semble en contradiction avec toutes les règles de la discipline  la fois militaire et artistique.

1. Qui sont les commanditaires ?

Au premier plan les deux personnages : le capitaine Banning Cocq et son lieutenant Ruytenburgh avancent de façon impressionnante vers le spectateur. Ils sont parmi les plus beaux exemples de figures en pied peints par Rembrandt.

Frans Banning Cocq, fils d’apothicaire devenu richissime par son mariage avec la fille d’un grand armateur Overlander cofondateur de la Cie des Indes Orientales et plusieurs fois élu bourgmestre. Le mari reprend le titre de son beau père (qui avait investi sa fortune dans la terre achetant un grand domaine à Purmer au nord d’Amsterdam) après sa mort « seigneur de Purmerland et Ilpendam ».
En 1648 Bartholomeus Van der Elst le peint dans un Portrait des Arbalétriers de Saint Sébastien dans une attitude de mise en avant de son rang.

Van Ruytenburgh lui était fils d’épicier, riche également car possédant lui aussi un domaine à la campagne. En Hollande, l’aristocratie bourgeoise n’était pas insensible à la terre, bien au contraire. Pour faire partie du patriciat urbain, comme à Venise, il fallait posséder à la fois une belle écurie à la campagne et s’offrir une splendide façade sur les canaux.

Rembrandt tient compte des différences dans la représentation des deux. Van Ruytenburg porte une veste de buffle, d’un cuir jaune éclatant de lumière aux broderies riches. Des bottes de cavalier complètent sa tenue. Il n’y avait pas de tenue recommandée pour poser, donc c’est le choix de Ruytenburgh de paraître dans une tenue plus somptueuse que son capitaine  beaucoup plus sobre.
Mais son patriotisme est également mis en valeur avec la bordure de la veste aux détails des armes d’Amsterdam et le gland bleu et or à son épaule aux couleurs des commandants  Kloveniers d’Amsterdam. 
Cette ostentation ne fait que renforcer l’autorité du Capitaine vêtu de noir mais qui est  rehaussé d’une magnifique écharpe rouge orangé. La hiérarchie est respectée puisque Banning Cocq est devant, de face, d’une taille plus grande et son geste porte l’ombre de la main sur la poitrine de son lieutenant de profil. Le contraste de lumière entre les deux personnages Banning Cocq en noir rehaussé de rouge par l’écharpe et de blanc par la fraise autour du cou, Ruytenburg dans un somptueux costume de cuir doré illuminé par une source lumineuse située en haut à gauche. Le couple est placé devant un attroupement de 16 autres miliciens qui ont payé leur portrait. Pour rompre avec la monotonie des autres portraits de miliciens R. varie les types des personnages (marchands de draps en général). L’analyse est rendue difficile car il a été rogné en haut et sur les côtés ce qui le rend moins cohérent et un peu enfermé (la perception du plein air et du plein jour est difficile). La main du capitaine donne la signal du départ alors que le lieutenant semble écouter son chef et se projette aussi vers l’avant d’autant plus que la lance qu’il tient à la main gauche souligne également ce mouvement vers l’avant.

Aux deux extrémités deux sergents

– A gauche au casque antique et à l’hallebarde (accessoires de la collection de R.)  assis au travers du parapet du pont sur le garde-fou  Reijnier Engelen (qui a été accusé d’avoir menti sur son âge lors de son mariage avec une épouse beaucoup plus jeune.


À droite, le diacre de l’église calviniste et régent d’un asile de pauvres : Rombout Kemp dans une tenue sévère. Relayant l’ordre du Capitaine Cocq, il fait un geste qui souligne son rang de sergent.

Le porte étendard Jan Claeszoon Visscher

R. lui fait faire un geste de séducteur bellâtre la main posée sur la hanche. (normal il est célibataire comme tous les porte-étendard ). Personnage haut en couleurs comparé aux autres porte-étendards des portraits de miliciens.

On a raconté que les portraiturés ont réclamé leur argent pour faute de ressemblance. (-> mais Banning Cocq a fait faire deux copies et un carnet d’aquarelles dans un album familial conservé au Rijksmuseum. Il commande également deux copies dont une est conservée. Elle permet de visualiser la totalité de la comosition avant l’amputation de 1715.

Gerrit Lundens copie de la Ronde de nuit, 67 x 86cm 1655, Rijksmuseum.

Cependant les critiques fusent après 1670 comme celle du peintre allemand Joachim Von Sandrart qui lui reproche « de braver et de contredire les règles de l’art ». Le portrait de la Cie de Cornelis Bicker par Sandrart plaçait les miliciens autour du buste de Marie de Médicis (1638) devant un décor Renaissance, bel hommage au classicisme et à la discipline militaire.

2. Description, analyse de la composition et interprétation.

Contrairement aux autres portraits collectifs de la salle beaucoup plus solennels, La Ronde de nuit apparaît comme un hymne au désordre, à l’indiscipline.

Mais Samuel van Hoogstraten écrit dans son traité en 1678 : il faut unifier les différents éléments du tableau avec la tâche d’un officier qui met ses hommes en rang. Et il illustre cette idée technique par une référence à la Ronde de nuit !

«  (… Il ne suffit pas qu’un peintre place ses modèles en rang les uns à côté des autres, comme on le voit trop souvent, ici en Hollande, dans les doelen de la garde civique. Les vrais maîtres savent conférer une unité à leur oeuvre… Rembrandt a été très loin dans cette exigence bien que l’opinion de plusieurs soit qu’il est allé trop loin en donnant priorité à l’ensemble du tableau au détriment des portraits individuels qu’il était payé à exécuter. Néanmoins cette peinture, en dépit des critiques(…) survivra à mon avis à celles de ses rivaux parce qu’elle est d’une conception si complètement picturale (schilderachtig), si garphique dans sa conception, si élégante dans la disposition des personnages, et d’une telle puissance que, du jugement de certains, tous les autres tableaux du doelen ont l’air de cartes à jouer à côté. J’aurais cependant souhaité qu’il éclaire davntage son tableau.»
Même si Hoogstraten lui reproche une jeu de lumière trop contrasté, il affirmait justement l’exact contraire.  Le tableau s’organise de façon rigoureuse autour d’une seule idée claire : la propulsion, de l’élan en avant. Un élan qui prend des allures patriotiques et civiques, expression des valeurs républicaines.
La Ronde de nuit est donc le fruit d’une démarche novatrice, d’une composition  privilégiant le désordre spontané au détriment de l’équilibre et de l’ordre, hérité de la Renaissance, des autres portraits.
Au XIXe siècle, Eugène Fromentin, pourtant grand admirateur de R. juge cette œuvre incohérente, confuse « œuvre qui blesse cette logique et cette rectitude habituelle de l’œil qui aiment les formes claires, les idées lucides, les audaces nettement formulées ». 
Ces critiques n’ont plus aucun sens tant ce tableau a surpassé tous les autres acquérant un statut d’icône de la peinture hollandaise du XVIIe siècle. Dans une salle réservée pour elle, dès 1885 (!) l’image des miliciens prend aisni un caractère sacré dans l’histoire de l’art hollandais. C’est donc une image politique qui tranche avec les alignements de miliciens le long d’un axe horizontal plus ou moins rectiligne. Seul Jacob Backer avait innové en les plaçant en demi-cercle ou au pied d’un escalier.

Jacob Backer Compagnie Cornelis de Graeff 1642 huile sur toile Rijksmuseum.

Mais l’évènement représenté par Rembrandt est indéchiffrable : la Cie se met en marche en passant sous une porte monumentale et avance vers un but inconnu. Il y a des spectateurs mêlés à la troupe ce qui rend la scène encore plus vivante. Le réalisme de cette toile serait remarquable si elle n’était pas destinée à la grande salle du quartier général des miliciens pour évoquer ses membres.

Certains ont vu dans cette toile une représentation de l’accueil de Marie de Médicis forcée à l’exil par Richelieu, du 1er au 5 septembre 1638.Cette pompe a donné lieu à un magnifique il folio diffusé dans toute l’Europe. Les bourgeois et les milices (mousquetaires, lanciers) s’échelonnent devant le cortège de l’ex reine de France. Divers éléments du tableau rappellent cette image : le pont et le parapet, l’arc de triomphe, les gardes civiques.

Jan Martszeen de Jonge, (1609-1647) Marie de Médicis passant devant un arc de triomphe temporaire saluée par la garde civique. Pour rivaliser avec Anvers, Amsterdam a mobilisé ses poètes, ses humanistes, ses architectes et ses miliciens.

Rembrandt met en scène justement le mouvement des miliciens contrairement à ses tableaux habituels où c’est plutôt la lueur de l’instant qui dominait :

– décharges de fusils,
– roulement de tambours,
– cris des officiers,
– aboiement de chiens,
– ordre de départ et
– déploiement de drapeaux…
Son pari est de montrer les officiers dans leur fonction militaire (ici en parade) plutôt que de poser de façon statique.
Certes on retrouve le geste de la main chez Thomas de Keyser (Cie Allart Cloeck) mais la ressemblance s’arrête là !

Thomas de Keyser La Cie d’Allart Cloeck 1632 huile toile  220x351cm Rijksmuseum.
Quel contraste par ailleurs entre le dynamisme de la Ronde de nuit et le mouvement à peine esquissé de monter sur l’estrade (afin de poser) et la pose immobile des soldats à l’arrière plan.
Le pari de R. c’est bien sûr de séduire les commanditaires par l’originalité de la composition, de la lumière, le caractère dramatique de la scène renforcé par cet élan qui sort les personnages de l’ombre pour les amener vers une lumière intense.

Mais le mouvement était déjà mis en valeur par les portraits de groupes de Frans Hals, voir cours sur le contexte artistique.
Il avait résolu cette question en variant les gestes et les positions des figures qui restaient cependant alignés, avec peu de profondeur.

La Ronde de nuit n’est pas un portrait, c’est véritable scène de genre, une Cie en marche, presque une troupe de comédiens prête à jouer, le tambour, le petit gargoussier  (qui porte la gargousse, l’enveloppe avec la poudre à canon) avec son grand casque, la petite fille, c’est plus qu’un portrait, le monde grouillant de la cité.
Image de la comédie sociale, tableau rabelaisien, bruyant, fanfaron, animé. Tableau baroque ? à la fois : portrait de groupe, tableau d’histoire, sorte de vision. Après les difficultés causées par la Série de la Passion commandée par le stathouder il voulait frapper les esprit, faire un coup d’éclat à la Rubens.
E. Fromentin reproche une composition « qui n’est pas le principal mérité du tableau ». Mais il ne connaît pas l’œuvre dans sa totalité :  amputée surtout à gauche (30 cm)  et en haut 15 cm. En bas de 5 à 10 cm)  pour pouvoir rentrer à l’emplacement de l’hôtel de ville en 1715.

Selon Schama, l’espace est beaucoup plus vraisemblable que ne le dit Fromentin :

balustrade du canal,
porche une des entrées de la ville à l’arrière plan,
bords des dalles du pavé dessinant une ligne de fuite qui va vers le centre de l’arche d’où semble surgir la compagnie.

On voit bien que la Cie se met en marche vers un pont enjambant un canal devant la maison des Kloveniers. Une Cie qui garde la ville, ses ponts, ses portes, ses canaux elle est donc mise en scène dans un décor urbain même si la porte en arc de triomphe n’est pas une image réelle.
La composition justement est une extraordinaire combinaison de l’horizontalité des portraits et de radiales perpendiculaires, de mouvement centrifuge et centripète à la fois.

Des diagonales perturbent l’axialité venue du fond de l’arche et l’horizontalité des quais : lignes obliques dans un sens et dans l’autre que dessinent :

à gauche l’étendard, le bâton de Banning Cocq et le mousquet,

– à droite la lance de Ruytenburgh, le canon du mousquet et la lance, elle même traversée par d’autres formant des croix de Saint André (trois croix sur fond rouge formaient les armes d’Amsterdam).

Gerson avance l’idée d’une allégorie de la ville d’Amsterdam dans son passé glorieux tel que le racontait  dans une pièce de théâtre le poète Joost van den Vondel en 1637 : comme par exemple la fillette serait une allégorie de la victoire. Mais le caractère allégorique n’efface en rien la composante historique du tableau, une compagnie en armes paradant dans la ville et montrant l’unité d’Amsterdam comme la grisaille de la Concorde dans le pays (1641, musée historique  d’Amsterdam).

3. L’intention, la symbolique : une « nation en armes »

Le titre même du tableau e dit long sur les interprétations  qu’a suscitées cette oeuvre. La ronde de nuit a incité à y voir une « patrouille nocturne » (description de  1808) mais, comme l’actuel carton du Rijksmuseum l’affirme, la « Sortie de la compagnie du capitaine Frans Banning Coq et de son lieutenent Willem van Ruytemburch, communément appelée « La Ronde de nuit ». L’album commandé par Banning Coq, contient une reproduction du tableau précisant que le capitaine « ordonne à son lieutenent de faire sortir sa compagnie ».

Horst Gerson rappelle que sur les 28 adultes (+ 3 enfants probablement ajoutés par Rembrandt) seuls 18 ont payé chacun cent florins pour son portrait. L’animation est probablement due à une initiative de Rembrandt, certainement plus conforme à la réalité que ce que laissent voir les portraits alignés des gardes civiques. Une description de l’entrée de Marie de Médicis à Amsterdam raconte que certains gardes étaient habillés »selon leur propre fantaisie tandis que d’autres étaient harnachés de la tête aux pieds.

Pour Schama,  il s’agit de représenter la Compagnie comme une troupe énergique en marche sortant de l’ombre et avançant vers la lumière. Mais aussi que cette troupe est une communauté composée de citoyens en armes (mais sûrement pas de militaires) avançant vers un but commun, allant de l’ombre vers la lumière (vers la postérité ?) Sur le plan plastique et de la composition, R. abolit les deux dimensions, la vision plane en libérant les figures.Des personnages sont mis en action. Banning Cocq est une figure en mouvement : le bord de son écharpe flotte au vent, l’ombre de sa main, l’ombre de son pied resté derrière. Van Ruytenburgh est également en mouvement avec son pied qui ne repose que sur la pointe, sa pertuisane est tenue baissée (respect de son capitaine),mais en direction de la marche.

L’autre astuce de R. a un lien avec sa technique de la matière : inspirée du conseil de Titien de peindre ce qui est censé être proche du spectateur avec des touches rompues, appliquées avec vivacité et être d’une plus grande fluidité pour les détails plus éloignés. Ensuite il juxtapose des personnages dont trois s’affairent avec leur mousquet : Charger, tirer (presque comique puisqu’il tire derrière un officier !), souffler pour chasser les grains de poudre. Inspiration des illustrations du livre Exercice des armes commandé en 1607 par  le stathouder Maurice :

Voulait-il montrer qu’ils savent exécuter les gestes ou le contraire ? Svetlana Alpers remarque que ces gestes sont incohérents : on ne charge pas le mousquet en avançant mais en étant immobile. Peut-être s’agit-il de la représentation d’une fête triomphale. Une représentation théâtrale car R. n’a cessé de faire référence au théâtre : gestuelle, emphase des sentiments exprimés (cf. la repentance de Judas), costumes, cadre (comme un décor d’une scène de théâtre). Ce mouvement de la troupe, Rembrandt le rend de façon quasi photographique ; comme un instantané : une vingtaine de miliciens sans lien apparent les uns avec les autres si ce n’est quelques apartés. D’autres jouent avec leurs armes, discutent, se mettent en mouvement. La petite fille fortement éclairée devient elle même source de lumière, prise au milieu du groupe comme le chien à droite. La scène est donc un mélange de solennité et de banalité ce qui la rend étrange et difficile à interpréter. Cette composition grandiose d’une scène de genre est un fait presque unique dans la peinture du nord. Certains la comparent à la Cène de Léonard ou aux Ménines de Velasquez tableau tout aussi mystérieux que la Ronde de nuit. Rembrandt innove en restant dans la lumière, dans la tradition nordique sans référence manifeste à l’Italie. Une œuvre d’art grandiose et universelle qui ne doit rien à la Renaissance italienne (Simon Schama).

4. Le portrait de groupe : un genre caractéristique du « Kunstwollen » (Aloïse Riegl) hollandais.

Les portraits de groupe sont une spécialité hollandaise qui remonte au début du XVIe siècle. On peut mesurer l’évolution du genre en comparant ceux de Hals avec celui des membres de la confrérie de Jérusalem à Haarlem par Jan van Scorel (1495-1562) peint en 1528 et  également, un des tout premiers aux Pays-Bas. Chaque homme tient une palme qui évoque à la fois le pèlerinage et l’entrée du Christ à Jérusalem. Le 2e à gauche en tient deux pour avoir effectué deux fois le pèlerinage à Jérusalem. Les figures sont d’un réalisme saisissant mais alignées de façon parfaitement linéaire (pas une tête qui dépasse !) et immobile.

Jan van Scorel, Les membres de la confrérie de Jérusalem à Haarlem, 1528 panneau 114 x 257cm, conservé à Haarlem,Pays-Bas.

 

Frans hals révolutionne le portrait de groupe hollandais au début du XVIIe siècle :

Exemple : Le portrait des Officiers de la Garde Civique St George, 1616, toile 175x324cm, Frans Hals Museum, Haarlem.

C’est le premier grand portrait de groupe de Frans Hals, et la première garde civique monumentale ouvrant une nouvelle ère de la peinture hollandaise. De concert avec les dirigeants politiques, les sociétés de bienfaisance et les associations professionnelles, les guildes les milices ont été les principaux clients de commander des portraits de groupe. Ce « mécénat » a pris des proportions considérables au cours du siècle. Ces portraits de groupe sont également de la valeur en tant quedocuments historiquespour lesquels des listes ont été établies en donnant les noms des personnages représentés.

Les peintures elles-mêmes étaient exposés en bonne place dans les locaux de l’association. Ces portraits de citoyens miliciens sont à la fois d’un besoin de représentation propre à l’époque baroque, et d’une tradition ancrée au Moyen Age. Il y a eu des milices civiques dans les Pays-Bas dès le XIIIe siècle. Elles ont joué un rôle important dans l’émancipation des villes et villages et a acquis une grande autonomie politique et militaire dans ces Pays-Bas en lutte pour l’indépendance.

Cornelis van Haarlem avait déjà peint le portrait de la milice de St George en 1599. Les figures idéalisées par une lumière assez intense, sont regroupées autour de la table, des gestes mesurés sont esquissés

Hals, cependant, révolutionne ce type de peinture. Au lieu d’un ensemble de portraits simplement alignés et immobiles, il les place dans une ambiance de scène de banquet. Ce n’est pas simplement un instantané de vie, mais un portrait de groupe structuré et composé dans un cadre pittoresque. Toutes ces figures ont une grande liberté de mouvement, et sont fortement individualisées. Hals a trouvé une nouvelle solution au problème de la représentation d’un grand groupe en tenant compte du rang de chacun dans la hiérarchie de la milice.

Les places qu’occupent les miliciens sont en stricte conformité avec le protocole militaire. Le colonel, la société de l’officier de plus haut rang, est assis à la tête de la tableà sa droite est le prévôt, le deuxième agent de classement. Ils sont flanqués par les trois capitaines et lieutenants les trois sont à l’extrémité inférieure de la table. Les trois enseignes, qui ne sont pas membres du corps des officiers, et le serviteur debout.
Hals peint la même milice qu’on reconnaît aux couleurs bleu, blanc et jaune. Ici aussi les trois enseignes avec le drapeau  forment des lignes fuyantes qui marquent la composition en trois groupes. Le jeu des regards, les gestes et les postures d’une grande variété, les couleurs vives et davantage mis en valeur animent également la scène, très loin des anciens portraits de groupe. Enfin, la touche de Frans Hals est d’une grande liberté. Il applique la couleur à  grands coups de brosse rapides.
« J’ai surtout admiré les mains de Hals, des mains qui vivaient, mais qui n’étaient pas « terminées », dans le sens que l’on veut donner maintenant par force au mot « finir ». Et les têtes aussi, les yeux, le nez, la bouche, faits des premiers coups de brosse, sans retouches quelconques. Peindre d’un seul coup, autant que possible, en une fois ! Quel plaisir de voir ainsi un Frans Hals ! » disait Van Gogh. Lire le paragraphe de l’article wikipedia ici.

frans-hals-banquet-des-officiers-de-la-garde-de-saint-george-1627-huile-sur-toile-frans-halsmuseum-haarlem

Le banquet des officiers du corps des archers de Saint Georges, 1624-1627, toile, 179×257 cm. Frans Hals Museum, Haarlem.

Hals a peint d’autres portraits similaires comme Le banquet des Officiers de la Garde Civique Saint Hadriean 1627 (guilde de Haarlem) huile sur toile, , 179 x 257,5 cm Frans Halsmuseum, Haarlem.

Ce sont des exemples remarquables de la façon dont Hals avait soigneusement calculé les effets de vérité. Il a renforcé le caractère instantané de ces scènes par entrelacement des figures sur la surface de la toile et en profondeur. L’impression donnée est celle d’un certain désordre mais, un ordre caché sous-tend ses grandes compositions.

Dans les deux pièces de banquet, il relie deux principaux groupes par de longues diagonales, et chaque groupe affiche une figure assise centrale, autour duquel les autres hommes sont classés, certains assis et debout certains. La traversée de la principale diagonales coïncide avec la tête d’un officier assis au deuxième plan, qui par le biais e la composition acquiert un place centrale. Ingénieux de la variété des positions et de mouvements concerne les figures les unes par rapport aux autres et aussi par rapport au spectateur. Le résultat final est un illusionnisme sans précédent un rassemblement animé.

L’impression que ces gardes peuvent consommer des quantités gargantuesques de nourriture et d’alcool est confirmée par une ordonnance prévue par les autorités municipales de la ville de Haarlem en 1621. La ville a pris connaissance du fait que certains des banquets de la milice a duré toute une semaine. Considérant que la municipalité a dû payer les coûts, et que les temps sont troubles (l’ordonnance a été écrite après la cessation des hostilités avec l’Espagne a été reprise), il a été décrété que les célébrations « ne devaient pas durer plus de trois, ou au maximum quatre jours… »


Biblio :

Nadeije Laneyrie-Dagen, lire la peinture de Rembrandt.

Simon Schama, Les yeux de Rembrandt.

Gary Schwartz, Rembrandt

Christopher Wright, Rembrandt

Sur le portrait hollandais au siècle d’or voir l’exposition du Mauritshuis :

http://www.latribunedelart.com/Expositions/Expositions_2007/Portraits_Hollandais_603.htm

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