Panofsky La Renaissance et ses avant courriers, le Quattrocento

Panofsky La Renaissance et ses avant courriers, le Quattrocento

Notes de lecture d’après Panofsky « La Renaissance et ses avant-courriers dans l’Art d’Occident » complétées par quels réflexions personnelles et quelques notes tirées d’autres ouvrages (D. Arasse, Le sujet dans le tableau, E. Panofsky, Essais d’iconologie) sur Piero di Cosimo..

Introduction.

E. Panofsky s’interroge sur le sens de cette Renaissance dans les « avant-courriers… » et sur les raisons qui expliquent la « bipolarisation » autour des deux grandes écoles de peinture du XVe siècle : italienne et flamande dans son ouvrage « Les primitifs flamands« . Selon lui, les deux questions sont liées car il y a des interrelations, des influences réciproques (perspective italienne, « réalisme analytique » flamand). Il va jusqu’à dire qu’au-delà de l’admiration pour l’antique, le « réalisme » archéologique d’un Andrea Mantegna combiné à l’absence de naturel et d’idéal classique de ses figures un peu statufiées (cf. Saint Sébastien de Vienne), seraient dus à l’influence de l’école flamande en Italie à la même époque. Ces deux mouvements parallèles traversent le XVe siècle, celui de la « renaissance flamande » et celui de la « Renaissance italienne ».

L’école flamande est née du transfert de la cour de Bourgogne dans les Flandres après la bataille d’Azincourt (1415). Ainsi les artistes flamands cessent de passer en France (comme l’avait fait Claus Sluter en venant à Dijon en 1389). Les Flandres accèdent ainsi au rang de foyer artistique comme l’avait fait l’Italie au tournant du XIIIe alors que le grand foyer était alors la France. Mais ces « primitifs flamands » ont d’autres préoccupations que leurs homologues italiens. Un siècle avant Léonard les Flamands appliquent sa devise « ce tableau est digne de louanges qui ressemble de plus près à la chose à imiter ». Dans les Flandres, Jan van Eyck, Maître de Flémalle et Rogier Van der Weyden initient « l’ars nova » (terme utilisé surtout pour la musique hollandaise) repris par Panofsky pour qualifier la nouvelle pratique de la peinture dans les Flandres (côté hollandais). Les peintres observent les effets de la lumière sur le modelé des statues (que certains colorient exprès pour cela) pour mieux les représenter dans leurs tableaux.Van Eyck franchit un pas supplémentaire avec ses personnages en grisaille du polyptyque de l’Agneau mystique (cathédrale Sain Bavon de Gand) fermé, hommage impressionnant à Sluter.

– En Italie, à Florence plus particulièrement Brunelleschi, Donatello et Masaccio initient eux la « buona maniera moderna » en opérant un retour à l’Antiquité pour les deux premiers et au naturel des figures de Giotto pour le second. A cette résurgence des modèles classiques il faut ajouter la révolution picturale de la perspective monofocale. Cette nouvelle façon d’appréhender la figure et l’espace pictural (cf. Daniel Arasse, l’Annonciation italienne, et Histoires de peintures, E. Panofsky La perspective comme forme symbolique, Pierre Francastel, Peinture et societé), est également liée à des facteurs politiques, la République florentine est traversée par un courant humaniste politique qui prône le retour aux vertus antiques de la République romaine (civitas). Ajoutons à ce soubassement idéologique et intellectuel, la virctoire contre les Visconti de Milan et les tourments politiques du début du Quattrocento

Les deux foyers s’interpénètrent au XVe (influences réciproques) comme d’ailleurs la peinture et la sculpture. On pense aux cas de l’influence des figures de Sluter sur celles de Van Eyck (Polyptyque de l’Agneau mystique) ainsi que de Donatello ou de Ghiberti sur Masaccio étant emblématiques de l’influence qu’exerce la sculpture sur la peinture à cette époque.
En Italie, Donatello (relief de Salomé à Lille)
http://www.wga.hu/frames-e.html?/html/d/donatell/1_early/herod.html

ou dans les magnifiques reliefs du Maître autel de la basilique Saint Antoine de de Padoue

et surtout Brunelleschi (expérience du Baptistère pour la perspective) ont influencé directement les innovations de la peinture.

De Masaccio (Sainte Trinité) à Mantegna les peintres du Quattrocento se sont directement inspirés de Donatello. Le recours à des modèles anciens « pré-gothiques » ( : romans comme l’arc en plein cintre de la Trinité ou l’Agneau du polyptyque de Van Eyck) est également une caractéristique commune au Nord comme en Italie. Les Flamands se détachent ainsi de l’influence française (Maître de Boucicaut, frères Limbourg).

Au Nord comme au Sud, la ressemblance à la réalité anime les innovations qui concorde vers davantage d’effets tridimensionnels. Malgré cet accord sur de nouveaux principes entre Flandres et Italie des divergences existent. La première aux niveau des arts concernés par cette mutation. Aux Pays-Bas le mouvement d’innovation est impulsé par la musique (Guillaume Duffay) et la sculpture (Sluter) mais très vite relayées par la peinture. En Italie au contraire c’est l’architecture et la sculpture qui impulsent le mouvement, la musique italienne restant peu significative jusqu’à Monteverdi au XVIe. L’autre différence est en rapport avec l’étendue de la « réversion » ( : du retour au passé). Les Flamands s’arrêtent au roman alors que les Italiens passent par le roman pour accéder à la culture et aux formes classiques. Cette deuxième différence réside donc à l’intentio (notion de la scolastique signifiant le fait pour l’esprit de tendre vers un objet).

Comment la Renaissance se déploie tout au long du Quattrocento ?

Le schéma de Vasari.

Il distingue :

– le rôle de Brunelleschi dans l’architecture : retour aux principes du classique.
– le rôle de Masaccio dans la peinture : le retour à la Nature (en fait à Giotto) par la couleur, le raccourci, les attitudes naturelles et l’expression des émotions.
– celui de Donatello dans la sculpture opère une sorte de synthèse entre « imitatore degli antichi » et « imitatore della natura » (c’est à dire sculptant des figures à l’antique et avec naturel car selon Panofsky les deux caractères s’opposaient pendant le gothique). Ce serai le premier pas vers la synthèse qu’opèrera le génie de Michel-Ange entre naturel et classique (David), comme l’avaient fait les sculpteurs classiques grecs (Ve et IVe siècle av. JC). Les trois initiateurs du mouvement sont florentins.

Panofsky remet en cause la « lignée d’artistes » de Vasari car le mouvemet fut loin d’être linéaire et continu.

Si une véritable tradition classicisante se transmet aux générations de sculpteurs et d’architectes jusqu’au XVI siècle, cependant le style gothique international persiste dans la sculpture avec Ghiberti dans la Porte du Paradis (figures allongées, liges ondulantes, préciosité et finesse des drapés, motifs architecturaux où se mélangent arcs brisés avec des chapiteaux corinthiens ou des fenêtres édiculées).
http://www.insecula.com/oeuvre/O0024387.html
Les motifs classiques sont souvent purement architecturaux comme le cadre de la Trinité de Masaccio à Santa Maria Novella de Florence : chapiteaux corinthiens, ioniques, le trône de la Madone de Londres, du même Masaccio, est aussi caractéristique de la présence de motifs architecturaux classiques. Quant aux figures, Panofsky souligne que l’utilisation des modèles classiques est toujours appliquée à des sujets chrétiens ou typologiques ( : Ancien Testament). Même Donatello, le « grande imitatore degli antichi » selon Vasari, place ses motifs classiques dans une iconographie chrétienne (: le nu de David, les profils classiques de la Vierge, les putti orgiaques de la cantoria de la cathédrale de Florence dansent très certainement au son des musiques chrétiennes et non pas pour célébrer Dionysos !) mais pas encore en tant que tels dans des sujets antiques (selon ce même « principe de disjonction » médiéval).

Seules quelques œuvres échappent à cette règle de l’interpretatio christiana.

L’Atys – Amorino étrange figure qui a fait couler beaucoup d’encre : Mercure ? Pan ? Aiôn (dieu polymorphe du temps qui passe et qui détruit tout) ? Putto ? Panofsky le lit comme « Un enfant jouant aux dés » allégorie du Temps (cf. phrase d’Héraclite « Le temps est un enfant joueur qui lance le dé »). Autre exception, la statue équestre de Gattamelata statue exceptionnelle qui remet au goût du jour un motif classique de la Rome antique (cf.la fameuse statue de Marc Aurèle).

Finalement, malgré le caractère encore limité et fragmentaire du retour à l’Antiquité, cet équilibre entre un retour aux motifs classiques et un retour à la Nature que réalise la sculpture toscane dans la 1e moitié du Quattrocento, a permis aux artistes de situer dans un cadre conforme aux principes de Brunelleschi et d’Alberti. Cependant, et contrairement à la sculpture où Donatello adapte figures et gestuelle antiques à des sujets chrétiens, les peintres continuent à les ignorer hormis quelques exceptions :

– Le Saint Jean de la prédelle du panneau de Washington de Domenico Venezziano qui abandonne ses vêtements pour se vêtir d’un autre en « poil de chameau » :

La majorité des artistes continue à chercher leurs modèles dans le milieux des élites sociales qui défilent à Florence ou à Sienne (dames, seigneurs), comme les Flamands le font pour la bourgeoisie d’affaires : luxe des étoffes en velours, brocart, soies… Même les sujets antiques sont d’une impressionnante contemporanéité : voir les œuvres d’Apollonio di Giovanni en particulier les « cassoni » (coffres en bois) décorés de scènes tirées de l’Iliade ou de l’Énéide : décors antiques, figures gothiques ! Ci-dessous de gauche à droite : Ulysse et le cyclope Polyphème, Ulysse et les sirènes, Ulysse chez les Phéaciens.
http://worldart.sjsu.edu/THA963?sid=318&x=38080

Ici Panofsky explicite le principe de disjonction. L’interpretatio christiana est facile à comprendre : motifs classiques (païens) sur des sujets chrétiens. C’est ce qu’ont fait tous les artistes depuis l’époque paléochrétienne (IVe – VIe siècle) . Mais comment expliquer ce mélange contradictoire et anachronique : décors antiques, figures contemporaines non seulement dans les cassoni mais aussi dans la grande peinture murale comme les fresques de Piero della Francesca à San Francesco d’Arezzo dans la Légende de la Sainte Croix.

Voici l’explication de Panofsky : au XVe siècle la peinture reste encore différente de l’Architecture, de la sculpture et des arts décoratifs qui s’ouvrent davantage aux modèles antiques. La Renaissance qui s’amorce ne sera donc accomplie qu’avec l’alignement progressif de la peinture aux autres domaines artistiques qui sont déjà renaissants.

Malgré l’absence du modèle antique chez les peintres du gothique international, toujours dans un esprit de nuance et de fine analyse du contexte, Panofsky note que des figures ou des groupes classiques remplissaient très tôt les carnets de dessins des grands maîtres : Pisanello,

Pisanello Tibre dessin Berlin

Exemple de dessins de nus et d’après antiques de Pisanello, Pisanello, Le dieu fleuve Tibre, d’après une sculpture romane, pointe d’argent et lavis brun sur parchemin, Berlin.

Même phénomène chez Gentile, chez Jacopo Bellini. Mais ce n’est que lentement que ces figures « classiques » pénètrent les peintures murales, les panneaux peints et même les livres (gravure). Ce sont les florentins Laurent et Jules de Médicis après 1460-70 qui mettront au goût du jour la figure classique pour elle même et dans un cadre classique.

Autre paradoxe : on pourrait penser que Rome devait jouer un rôle important dans cette « renaissance » antique. Or, Rome n’est qu’un centre secondaire au XVe siècle après la crise de la papauté d’Avignon : aucun artiste romain n’est appelé pour les fresques de la Sixtine à la fin du Quattrocento !!!

Qui a donc le premier uni des figures antiques dans un décor antique ?

Il s’agit d’Andrea Mantegna (1431-1506). Dans le passage à la Renaissance (au sens du retour à l’Antiquité sans l’anachronisme médiéval), il sera pour la peinture ce que Brunelleschi fut pour l’architecture et Donatello pour la sculpture.
http://www.wga.hu/frames-e.html?/bio/m/mantegna/biograph.html

Pour montrer l’ambiance qui régnait en ce moment dans le Nord de l’Italie, Panofsky relate une anecdote :

En 1464, quatre amis se promènent le long du lac de Garde où ils profitaient de la beauté des jardins et des îles enchantées, ils tombent sur une colonne antique en marbre. Durant leur retour, sur le bateau, l’un d’eux joua le rôle d’un empereur romain couronné de lauriers, tandis que d’autres jouaient les consuls. Le tout s’est terminé par une prière à la Madone et à Jésus pour leur avoir donné « la sagesse et la volonté de chercher de si délicieux endroits et de si vénérables monuments anciens ». Dans ce groupe composé d’intellectuels il y avait aussi un peintre…Andrea Mantegna.

A la même époque, Marsile Ficin faisait célébrer le prétendu anniversaire de Platon le 7 novembre par une représentation du Banquet de Platon. Nous sommes donc dans un contexte intellectuel et artistique qui va favoriser la fin de l’anachronisme médiéval et la recherche d’une reconstitution de l’Antiquité, d’une redécouverte de l’esprit des Anciens. Il faut ajouter une autre condition pour l’aboutissement du mouvement renaissant, que des mécènes changent de goût et financent les œuvres à l’antique.

A Florence, une des premières représentations d’une figure classique dans une peinture et non pas dans un dessin était le David (1455) ci-dessus attribué à Andrea del Castagno à la National Gallery de Washington. Sauf que cette peinture est faite sur un bouclier de cérémonie en cuir et qu’il n’y a aucun édifice antique comme décor.
http://www.wga.hu/frames-e.html?/html/a/andrea/castagno/3_1450s/03david.html

Mais c’est Andrea Mantegna qui va résoudre le problème de l’anachronisme dans ses fresques de la Vie de Saint Jacques et de la Vie de Saint Christophe à la chapelle Ovetari dans le couvent des Eremitani de Padoue (1448-1453). Ces fresques sont partiellement attribuées à lui mais détruites par les bombardements de 1944 et reconstituées à partir de photos en n&b et surtout recolorées dans l’image ci-dessous. (on voit aisément la différences entre les parties peintes par Mantegna et celles qui ont été reconstituées)

Mantegna histoire de saint jacques eglise des Eremitani, Chapelle Ovetari

http://www.flickr.com/photos/copetan/2248307103/sizes/l/

Dans la Condamnation de Saint Jacques (panneau 4) le cadre classique dominé par un arc de triomphe bien proportionné, comportant un sacrifice païen au-dessus de deux médaillons figurant deux empereurs romains, plus une inscription antique. remarquez aussi dans le Miracle (panneau 5), la présence d’une figure de soldat romain, véritable citation du Saint Georges de Donatello. C’est la preuve de l’admiration de Mantegna pour le grand sculpteur florentin présent au même moment à Padoue.

Peut-on cependant parler de « style classique » pour Mantegna (au même titre que les maîtres du XVIe ? Panofsky le conteste, en s’appuyant aussi sur le Martyr de Saint Sébastien (attention de Vienne et non pas du Louvre) son tableau le plus « antiquisant » qui fourmille de références romaines et qui est même signé en grec « To èrgon tou Andréou ». Ce tableau est empreint « d’idéal classique » mais cet idéal ne serait pas dû, selon Panofsky, à l’influence de l’Antiquité mais plutôt à celle des Flamands !!! Sous l’influence de la sculpture (et de sa présence dans les peintures) ainsi que de la peinture flamande qui animaient de plus en plus les figures, les peintres italiens comme Mantegna se sont mis aussi à peindre « all’antica » par souci de réalisme. Il faut attendre la série du Triomphe de César pour voir Mantegna faire revivre l’Antiquité sur une peinture. La Renaissance n’est donc pas encore accomplie.

L’évolution de la peinture vers la Renaissance classique qui voit le jour dans la Rome pontificale de Jules II – pape humaniste de 1503 à 1513 sous le pontificat duquel Raphaël peint les fresques de la Chambre de la Signature – s’est faite par des démarches originales de certains peintres, de manière fragmentaire, par tâtonnements et non pas de manière linéaire et continue comme le laisse entendre Vasari.

-> La recherche du mouvement dans les figures.

Un de moyens utilisés par les peintres pour animer les figures a été le motif des « cheveux au vent » , des draperies gonflées, des rubans qui volent (appelé « bewegtes Beiwerk » par Panofsky). Alors qu’Alberti préconisait cela dès 1435, il fa fallu attendre 1460 – 1470 pour les voir se diffuser dans la peinture et encore uniquement pour des anges ou pour des personnages inférieurs de l’iconographie ( Salomé, servantes) Cette mode du « bewegtes Beiwerk » est née au moment où l’influence flamande était au zénith. Les préoccupations des flamands concernant la lumière, la couleur, la texture, ont sensibilisé les peintres Italiens sur la plastique et même la piété particulière, du Nord (cf. Descente de coix de Rogier Van der Weyden) dont raffolaient les dames italiennes, (et que détestera Michel-Ange n’y trouvant que mièvrerie) a été un facteur d’introduction de la maniera flaminga . Mantegna se rapprocherait selon Panofsky fortement de Van Eyck qu’il assimile pour rendre antiques les anciens (par réalisme)…

A Florence, c’est Antonio Pollaiuolo le premier « pittore anatomista » qui revisite la figure humaine. Il devance même Andrea Mantegna (qui ne peint un sujet antique que vers 1490 avec le Triomphe de César) en peignant une série sur Hercule dans laquelle l’action est menée par des personnages nus : Hercule et l’hydre de Lerne ci-dessous (remarquez aussi le gonflement de la léonté c’est à dire de la peau du lion de Némée, qui accentue l’impression de mouvement de la figure) Hercule et Antée :

Hercule et l’Hydre de Lerne, vers 1475 tempera sur bois, 17 x 12 cm Galleria degli Uffizi, Florence. L’histoire d’Hercule n’apparaît dans une œuvre picturale qu’en1463 d’ailleurs dans une enluminure et non pas dans un panneau.

Pourtant, il habille son David de Berlin d’un costume en fourrure et velours « a la maniera flamminga », sorte de portrait d’un jeune homme, contrairement aux David nus des sculpteurs (Donatello et Verrochio). Malgré tout, comme on le voit dans les panneaux d’Hercule, même dans les scènes antiques il n’y a pas de décors antiquisants derrière ses personnages nus.

On voit bien dans ces exemples judicieusement choisis par E. Panofsky, que jusqu’à la fin du Quattrocento, l’Antiquité s’introduit progressivement alors que l’influence flamande semble beaucoup plus marquée que ne l’est celle du modèle antique.

Le rôle décisif des textes et de l’humanisme néo-platonicien dans le mouvement de la Renaissance

La redécouverte de l’Antiquité passe par les grands textes de l’Antiquité dont s’inspirent auteurs et peintres du Quattrocento (et qui sont les lectures préférées des princes dans leurs bibliothèques humanistes). Il faut attendre les années 1460-70, quand parallèlement à la montée de l’influence flamande les sujets classiques réintègrent l’iconographie avec les illustrations des Fastes d’Ovide qui reviennent mais avec un souci de fidélité à l’époque (sans l’anachronisme médiéval). Ce souci de réalisme antique est probablement dû aussi à l’influence des auteurs grecs qui sont redécouverts par le biais de Byzance d’où arrivent les réfugiés comme le cardinal Bessarion un des plus grands humanistes grecs de Constantinople, les ambassades de l’empereur Paléologue qui demande de l’aide face à l’invasion turque. Mais cette redécouverte datée des années 1430-1450 n’a eu aucun effet avant le dernier tiers du XVe s.

-> Une « ekphrasis » tirée du Traité de Lucien.

Un des peintres majeurs qui ont utilisé ces procédés d’animation des figures par le mouvement des drapés et des cheveux (« bewegtes Beiwerk ») pour mettre en scène un récit tiré d’un texte antique est Sandro Botticelli dans son tableau la Calomnie d’Apelle (1495, Florence – Offices).

Il met en images le fameux texte de Lucien traduit du latin en 1408, et recommandé par Alberti aux peintres en 1435. Cependant il faudra attendre 1495 pour voir la première représentation de cette histoire qui est un des rares exemples d’ekphrasis qui nous soient parvenus de l’Antiquité.

Le peintre Antiphilos avait accusé le célèbre Apelles d’avoir participé à une insurrection contre Ptolémée IV. Apelles fut d’abord emprisonné, puis innocenté. Ptolémée lui donna Antiphilos comme esclave. Apelles réalisa alors un tableau allégorisant sur ce qu’il venait de subir.
Dans le tableau de Botticelli, à droite, le roi est assis sur son trône. Soupçon et Ignorance lui soufflent des ragots à l’oreille. Aveuglé, le roi étend la main en avant et rencontre la Haine, en capuchon, pourvue d’un bras anormalement long. Derrière la Haine, la Calomnie porte une torche dans sa main gauche. De la main droite, elle tire par les cheveux l’Innocence, un adolescent nu. Fourberie et Fraude tressent les cheveux de leur maîtresse. Plus à gauche, une vieille femme en noir figure le Repentir. Enfin, tout à gauche, une jeune femme nue, le bras droit levé au ciel, dans la posture de Vénus sortant des eaux (du même Botticelli), figure la Vérité.

Remarquez que la déesse de la Beauté incarne la Vérité. C’est une des illustrations de la devise néo-platonicienne « Le Juste, le Vrai, le Beau » dont plus la plus belle et la plus grandiose des représentations sera celle des fresques de Raphaël dans la Chambre de la signature. Sur l’impact des thèmes néo-platoniciens voir plus loin les tableaux de Botticelli et les fresques de Raphaël.

Voici le texte extrait du Traité de Lucien.

Attention, l’Apelle en question n’est pas le fameux peintre d’Alexandre et de Ptolémée originaire de Cos, il y a eu confusion avec Apelle de Colophon.

« On a vu mille amitiés brisées, mille maisons renversées par ces délations colorées d’apparence.
§2. Afin de nous garder d’y tomber, je veux, dans ce discours, retracer, comme dans un tableau, ce que c’est que la délation, avec sa cause et ses effets. Longtemps avant moi, Apelle d’Éphèse a dessiné cette image : il s’est vu lui-même calomnié auprès de Ptolémée, comme complice de la conjuration tramée à Tyr par Théodotas. Apelle n’avait jamais vu Tyr ; il ignorait absolument quel était ce Théodotas ; il avait seulement entendu dire que c’était un lieutenant de Ptolémée, auquel ce prince avait confié le gouvernement de la Phénicie. Cependant un de ses rivaux, nommé Antiphile, jaloux de sa faveur auprès du roi et envieux de son talent, le dénonça à Ptolémée comme ayant trempé dans le complot, prétendant qu’on avait vu Apelle en Phénicie à table avec Théodotas, et lui parlant à l’oreille durant tout le repas. Enfin il affirma que la révolte de Tyr et la prise de Péluse étaient le fruit des conseils d’Apelle.
§3. Ptolémée, homme d’une pénétration peu clairvoyante, mais nourri dans la flatterie des cours, se laisse emporter et troubler par cette calomnie absurde, et, sans réfléchir à son invraisemblance, sans faire attention que l’accusateur est un rival, qu’un peintre est trop peu de chose pour entrer dans une pareille trahison, surtout un peintre comblé de ses bienfaits, honoré par lui plus que tous ses confrères, sans s’informer enfin si jamais Apelle a fait voile pour Tyr, Ptolémée, dis-je, s’abandonne à sa fureur, remplit son palais de ses cris, et traite Apelle d’ingrat, de conspirateur, de traître. Peut-être même, si l’un des conjurés, arrêtés pour cette révolte, indigné de l’impudence d’Antiphile et touché de compassion pour le malheureux Apelle, n’eût déclaré que celui-ci n’avait pris aucune part à leur complot, peut-être ce grand peintre aurait-il eu la tête tranchée, victime des maux arrivés à Tyr et qui ne lui étaient point imputables.
§4. Ptolémée reconnut son erreur, et il en éprouva, dit-on, de si vifs regrets, qu’il donna cent talents à Apelle et lui livra Antiphile pour qu’il en fît son esclave. Apelle, l’imagination pleine du danger qu’il avait couru, se vengea de la délation par le tableau que je vais décrire :

§5. Sur la droite est assis un homme qui porte de longues oreilles, dans le genre de celles de Midas : il tend de loin la main à la Délation qui s’avance. Près de lui sont deux femmes, l’Ignorance sans doute et la Suspicion. De l’autre côté on voit la Délation approcher sous la forme d’une femme divinement belle, mais la figure enflammée, émue, et comme transportée de colère et de fureur. De la gauche elle tient une torche ardente ; de l’autre elle traîne par les cheveux un jeune homme qui lève les mains vers le ciel et semble prendre les dieux à témoin. Il est conduit par un homme pâle, hideux, au regard pénétrant ; on dirait d’un homme amaigri par une longue maladie. C’est l’Envieux personnifié. Deux autres femmes accompagnent la Délation, l’encouragent, arrangent ses vêtements et prennent soin de sa parure. L’interprète qui m’a initié aux allégories de cette peinture m’a dit que l’une est la Fourberie et l’autre la Perfidie. Derrière elles marche une femme à l’extérieur désolé vêtue d’une robe noire et déchirée : c’est la Repentance ; elle détourne la tête, verse des larmes, et regarde avec une confusion extrême la Vérité qui vient à sa rencontre. C’est ainsi qu’à l’aide de son pinceau Apelle représenta le danger auquel il avait échappé.
§6. A notre tour, essayons, s’il vous plaît, à l’exemple du peintre d’Éphèse, de décrire la Délation, avec tous ses attributs, et commençons par la définir, : c’est le moyen de rendre son image encore plus ressemblante… »


Des détails de l’œuvre en gros plan :
http://fr.wikipedia.org/wiki/La_Calomnie_d’Apelle_(Botticelli)

Une vision évolutionniste de l’Antiquité et de l’humanité : Piero di Cosimo « l’excentrique », peintre florentin (1461 env.-1521).

(voir sur Web Gallery of Art). Voir article de Daniel Arasse dans « Le sujet dans le tableau » Champs Flammarion n° 649 pp. 77-113.

La quasi totalité de ses œuvres est référencée dans l’article de Wikipedia :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Piero_di_Cosimo

Œuvres et détails :
http://tinyurl.com/2mezab

Je traduis ici l’article de la Web Gallery of Art,
http://www.wga.hu/frames-e.html?/html/p/piero/cosimo/index.html

Elève de Cosimo Rosselli, dont il a adopté le nom dans son patronyme. Il n’existe pas d’œuvres signées ou datées de lui, la reconstitution de son œuvre dépend de la crédibilité accordée aux Vite de Vasari. C’est une des plus divertissants biographies écrites par Vasari qui présente Piero comme un personnage très excentrique qui se nourrissait « d’œufs durs cuits dans sa colle bouillante ».
Piero Cosimo Rosselli a contribué à la décoration de la Chapelle Sixtine. Il a été influencé par Léonard, par Luca Signorelli et Filippino Lippi.

Il a excellé dans la peinture des animaux. Les peintures pour lesquelles il est le plus connu sont des inventions mythologiques fantaisistes habitées par la faune, des centaures, et des hommes primitifs. D’un esprit trivial et charmant, il a su également créer une poignante et pathétique scène d’une grande tendresse dans La mort de Procris (National Gallery, Londres, voir image ci-dessous).

Il était un merveilleux peintre d’animaux et les chiens dans cette image, dépeints avec une grande tristesse et dignité, sont l’une de ses plus mémorables créations. Selon Panofsky, il serait tenté par une approche très humanisée, empathique des personnages de la mythologie loin des représentations anachroniques traditionnelles.

Piero a aussi peint des portraits, le plus beau qui est celui de Simonetta Vespucci (Musée Condé, Chantilly), dépeinte comme Cléopâtre avec la vipère autour de son cou. Ses œuvres religieuses sont un peu plus classiques, bien que toujours différentes. L’une des plus remarquables est l’Immaculée Conception (Offices, Florence), qui semble avoir été le modèle pour la composition de la Vierge aux Harpies par son élève Andrea du Sarto. (pour toutes ces oeuvres voir lien ci-dessus vers Web Gallery of Art).

Piero di Cosimo est plus connu pour les tableaux mythologiques peints pour des commanditaires comme Giovanni Vespucci (1505-1510) ou Francesco del Pugliese un riche marchand (1490),

Le De rerum natura de Lucrèce redécouvert et imprimé en 1473, mais n’aura d’influence sur la peinture que beaucoup plus tard.
http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Lucrece/table.htm
Même le De architectura de Vitruve, jamais oublié au Moyen Age a été redécouvert par Boccace au XIVe et de nouveau au début du XVe, ses principes n’auront d’influence que plus tard ; Boccace cite un passage « mythographique » de Vitruve où il est question de Vulcain, le dieu du feu, qui aurait été nourri par des singes dans sa jeunesse. Le premier peintre à s’intéresser à cette histoire est l’excentrique Piero di Cosimo : il détestait les docteurs et les infirmières ainsi que les prêtres auxquels il a refusé l’accès à son lit de mort. Il aimait en revanche les animaux et la Nature.
L’interprétation de Panofsky est que Piero n’était pas un nostalgique d’un Age d’Or (Hésiode), ni d’une innocence biblique perdue. C’est son époque, trop sophistiquée, qu’il critique. Il s’inspire surtout de Lucrèce et de Vitruve, deux auteurs évolutionnistes de l’histoire humaine. Il considérait juste que son époque devait arrêter les progrès et revenir aux solutions simples dictées par l’instinct humain. Il s’inspire de l’Enéïde de Virgile, des Fastes d’Ovide, de Lucrèce ou de Vitruve.

http://bcs.fltr.ucl.ac.be/FASTAM/F3-711-884.html

Piero di Cosimo a peint une remarquable série (il en reste 5 tableaux) pour la demeure d’un commerçant en laine, Francesco del Pugliese (un anti-Médicis, partisan de Savonarole expulsé de la ville) en deux parties : Ante Vulcanum et sub Vulcanum. Ces tableaux représentent l’ascension de l’humanité depuis qu’elle vivait à l’état animal, se mélangeant avec des porcs et d’autres animaux et êtres hybrides (satyres, centaures) pour produire de monstres, et une époque où grâce à la maîtrise du feu une vie civilisée a pu apparaître.

Vulcain (Héphaïstos en grec) dans la mythologie grecque et romaine était le dieu du feu, et le forgeron qui ont forgé les armes de nombreux dieux et des héros (celle de Persée par exemple). Il a été l’éducateur de l’homme primitif, et lui a appris la bonne utilisation du feu. Il est le fils de Jupiter et de Junon et s’est marié à Vénus qui le trompait. Il était boiteux après avoir été jeté à terre de l’Olympe par Jupiter, dans un élan de colère. Quand Vulcain a été jeté de l’Olympe, il a débarqué sur l’île de Lemnos dans la mer Égée, où il a été soigné par les habitants, ou, selon une autre version par des singes. Il est représenté ci-dessous par Piero avec une jambe raide aidé par un groupe de nymphes. Le jeune dieu semble un peu étourdi par sa chute, alors que les nymphes ont des attitudes diverses : maternelle pour celle qui l’aide à se relever, amusé pour d’autres, surprise. L’image s’appuie sur un récit antique affirmant que le jeune Vulcain aurait été précipité de l’Olympe et qu’il aurait été accueilli par les habitants de l’île de Lemnos où il aurait atterri.

Chute de Vulcain, 1490, Wadsworth Atheneum.

Piero di Cosimo  (1462-1522), La Découverte de Vulcain à Lemnos, vers 1490, huile et détrempe sur toile, 155 × 174,5 cm, Musée d’art Wadsworth Atheneum  Connecticut, USA 

Vulcain et Éole, 1495, Musée des beaux-arts d'Ottawa.

Piero di Cosimo  (1462-1522),  Vulcain (dieu forgeron) et Eole (dieu des vents) éducateurs de l’humanité, vers 1490, huile et tempera sur toile, 155×165 cm, Ottawa, National Gallery.

Dans le tableau d’Ottawa ci-dessus on voit bien l’interprétation « vitruvienne » de l’évolution de l’humanité (qui s’oppose au récit de l’Age d’or d’Hésiode, plus proche de la conception biblique du Paradis). Les hommes ont commencé par construire des sortes de cabanes primitives en bois avant d’arriver progressivement, et grâce à l’action civilisatrice de Vulcain qui leur apprit la « techné », vers des réalisations plus abouties. C’est ce qu’on voit à l’arrière plan du panneau d’Ottawa comme d’ailleurs des forgerons au premier plan à gauche. On voit ici l’humanité dans l’ère sub Vulcano, elle est plus évoluée grâce au rôle civilisateur de Vulcain.

Trois premiers panneaux oblongs représentent deux scènes de vie sauvage (Ante Vulcanum) :

Piero di Cosimo Combat de Lapithes et de Centaures, huile et tempera sur bois 70.5 x 169.5 cm New York, Metropolitan Museum of Art.

Chasse primitive, 1507 Metropolitan

Piero di Cosimo, Scène de Chasse primitive, 1507, huile sur bois, Metropolitan Museum of New York.

Les panneaux du Metropolitan Museum of New York montrent l’état sauvage de l’humanité dans une scène de chasse violente au bord d’une forêt alors que l’incendie se déclare au milieu de la forêt. Ce tableau oblong de la National Gallery of London, représente une bataille entre les humains, une grande variété d’animaux, et des créatures à moitié humaines comme les centaures et satyres.  

Piero di Cosimo, Retour de chasse, huile sur bois, 71×169 cm. Metropolitan Museum of Art, New York.

Incendie de forêt, 1488-1507, Ashmolean Museum, Oxford.

Piero di Cosimo; L’Incendie de forêt, vers 1490 -1500, huile sur bois, 71×203 cm, Ashmolean Museum, Oxford.

Il permit aux hommes de domestiquer certains animaux et surtout de créer les premiers foyers. (selon Vitruve).

C’est une description « réaliste » avec les animaux fuyant un incendie. Les figures humaines sont également en train de fuir ou se concentrer sur celui qui porte l’eau sur le feu. La composition n’est pas solidement fixée. Au lieu de cela, Piero divise vaguement l’image par des arbres. La richesse décorative des travaux, la transparence de la beauté éclatante de la forêt, les couleurs peuvent maintenant être appréciées après une récente restauration. L’artiste a donné aux animaux qui fuient des expressions crédibles, comme la mère de l’ours, qui entraîne haletant ses oursons sur une crête au premier plan.Piero di Cosimo aimait visiblement les animaux, comme on peut le voir également dans ce tableau et dans La mort de Procris (également à Londres). Les deux ont probablement orné les dossiers de bancs ou des coffres florentins. (traduit de la WGA)

Mais ce panneau a une autre signification que révèle l’analyse iconologique de Panofsky. Il montre l’incendie « originel » dont parle Boccace quand Vulcain ( : Hephaïstos) a appris aux hommes effrayés par la tempête et l’incendie provoqué par la foudre, comment domestiquer le feu. L’interprétation historique et iconologique de Panofsky et de Daniel Arasse sont visiblement ignorées dans ce commentaire de WGA dans la mesure où l’explication tourne uniquement autour de l’amour des animaux sans aucune référence aux textes d’Ovide ou de Lucien qui sont à l’origine de cette thématique.

Selon Vasari, ces « bacchanales » étaient disposées autour d’une salle. Y sont représentés des faunes, des satyres, des bacchantes, avec une grâce, un charme, une inventivité inconnus jusqu’alors. Ces panneaux sont passés dans les musées américains.

Découverte du miel, 1499, Worcester Art Museum.

Piero di Cosimo, La découverte du miel  vers 1500, (Art Museum, Worcester, Massachusetts, USA)

On voit à droite un Bacchus rustique (il tient un troc d’arbre autour duquel s’enroule une vigne et une tasse d’argent), au large sourire et à côté de lui une Ariane habillée avec apprêt qui porte une cruche classique.D’une paisible ville sur un coteau le dieu a fait descendre son thiase ( dans la mythologie grecque, le thiase est le groupe de créatures qui accompagnent et servent Dionysos. Ce groupe est composé de satyres et de ménades. Ce terme est également utilisé pour désigner les groupes d’adorateurs du dieu au travers le culte à mystères qui lui est dédié. Originellement uniquement composé de femmes, il devient progressivement mixte, et finit sous l’empire romain par comporter également des jeunes hommes).

Devant un arbre disloqué la troupe s’est dispersée mais une bonne parie s’occupe à mener un vacarme pour obliger les abeilles à se poser sur une branche de l’arbre creux. Un essaim commence d’ailleurs à s’agglomérer grâce aux efforts d deux silènes et d’un enfant en référence aux méthodes employées pour empêcher les abeilles de se disperser. Que font Bacchus et Ariane dans cette pastorale mythologique ? Selon Panofsky (Essais d’iconologie, ed. Gallimard, 1967 p. 79-) c’est parce que, selon Ovide dans un passage des Fastes (III, 735 à 744), Bacchus était considéré comme celui qui avait appris aux hommes comment faire du miel parce que c’était un « dieu friand de sucreries ». En descendant « du Mont Rhodope (…) fleuri , le thiase applaudissait les mains chargées de cuivres. Et voici qu’un jeune essaim d’abeilles, attiré par le vacarme se regroupe. Liber ( qui donne libamen, libatio, nom latin de Bacchus car il serait celui aui aurait appris aux hommes d’allumer des autels et de faire des libations aux dieux) capture les abeilles égarées et les emprisonne dans un arbre creux… »

Les Infortunes de Silène, huile sur bois, Fogg Art Museum, Cambridge. vers 1500, Fogg Art Museum, Université Harvard Cambridge, Etats-Unis) appartiennent à la série des Scènes de la vie de Silène,

Le panneau est inachevé, on voit que le magnifique paysage est achevé (sauf au fond) mais les figures sont encore au stade d’ébauches. L’âne de Silène (« grand animal à l’allure de cerf » dit Vasari) fait tomber son cavalier infortuné, le Silène qui apparaît encore deux fois à droite où deux compagnons essaient de le relever, à gauche où il est à terre, sous le regard amusé d’Ariane et de Bacchus alors que des enfants s’apprêtent à lui barbouiller le visage de boue. (Vasari dit « des enfants qui donnent à boire à Silène »).

On voit bien que ce conte raconté par Ovide est à l’origine de ces deux panneaux. Les paysages, la composition, la lumineuse palette et le presque scandaleux sens de l’humour font de ces tableaux des oeuvres exceptionnelles. Le premier montre un arbre qui accueille les abeilles le deuxième est censé renfermer les vilains frelons.

Mais ce récit mythologique est interprété d’une manière personnelle par Piero. Le thiase est une extravagante foule de figures primitives, de vagabonds, et non pas d’adeptes en extase. Le bruit est fait avec des ustensiles de cuisine et non pas avec des instruments de musique (cymbales, percussions) comme le dit Ovide. Nous avons donc ici une représentation de Bacchus comme un dieu civilisateur d’une humanité primitive. Associé à Vulcain qui a initié l’homme à la technique, il symbolise le côté festif de la vie pastorale primitive autour de plaisirs et de douceurs modestes, le vin, le miel. C’est une approche donc évolutionniste du récit d’Ovide placée dans un double « paysage moralisé » typique du Moyen Age. L’antithèse Vertu et Plaisir est suggérée de manière inversée, le paysage austère, à la végétation desséchée symbolise la vie vertueuse celui aux collines verdoyantes la vie hédoniste (cf. aussi le thème d’Hercule à la croisée des chemins).

Voici enfin les deux panneaux (qui décoraient des coffres, les cassoni) qui complètent la série racontant l’histoire de Prométhée et d’Épiméthée (un à Strasbourg au musée des Beaux Arts) l’autre à Munich. Dans les deux cas l’imagination de Piero nous présente une sorte d’Éveil de l’humanité avec comme principe le feu. Mais ici le stade d’évolution de l’humanité est beaucoup plus avancé. L’humanité n’est plus dispersée en groupes familiaux, les maisons ne sont pas en bois. Pour atteindre un stade plus civilisé, l’humanité doit payer le prix du sacrifice que provoque la sanction divine. Prométhée va chercher « le feu du ciel » comme on le voit sur le panneau de Strasbourg (la lumière de la connaissance) ce qui ne peut s’acquérir qu’au dépens du bonheur et de la paix d’esprit (Boccace). C’est ce que symbolise l’opposition de la statue au geste à la quelle le feu de la connaissance donne vie à gauche

piero di cosimo Histoire de Promethee 1515 huile sur bois 64 x 116 cm

Piero di Cosimo Histoire de Promethée, 1515 huile sur bois 64 x 116 cm, Strasbourg, Musée des Beaux Arts. (Cliquez sur l’image).

Piero di Cosimo, Prométhée, vers 1515, huile sur panneau, Alte Pinakothek, Munich.

Comment comprendre ce peintre « excentrique » ?

Daniel Arasse s’interroge sur la « Vie » écrite par Vasari, cet unique texte sur Piero di Cosimo pris et repris depuis le XVIe siècle y compris par les surréalistes qui voyaient chez lui leur ancêtre. Encore faudrait-il distinguer les deux éditions des Vies (1550 et 1568) qui diffèrent au sujet de di Cosimo. D. A. s’interroge sur l’attitude apparemment grotesque, anti-sociale de Piero. Serait-il un bouffon, l’anti-Léonard (ou je dirais mieux l’anti-Raphaël ?), celui qui refuse les conventions sociales de la convenienza, de la grâce, de l’absolue discrétion et de la retenue dont doit faire preuve l’homme instruit (cf. Courtisan de Baldassare Castiglione) ? L’iconographie fantastique, étrange, de ces œuvres profanes correspond justement au besoin privé d’hilarité de l’aristocratie florentine, dans un milieu où les belles manières sont la règle. Panofsky a bien essayé d’interpréter ces œuvres étranges. Pour lui les détails savoureux ne sont pas « surréalistes » mais correspondent à des passages précis de Vitruve, d’Ovide, de Lucrèce, ou de Boccace. Piero nous donne à voir de façon étrange à la fois et Daniel Arasse prolonge cette réflexion en comparant Léonard de Vinci et Piero dans les Vies de Vasari. Le second est la négation parfaite du premier. Leurs morts respectives sont significatives : Léonard dans les bras de François 1er, Piero trouvé mort au bas d’un escalier.

A cette approche « évolutionniste » de l’Antiquité répond une autre impulsée par le néo-platonicien florentin Marsile Ficin (1433-1499).

Le grand objectif de Marsile, fondre en un nouveau dogme la philosophie de Platon (donc l’Antiquité) et le christianisme. Il écrit la « Théologie platonicienne » (terme impensable au Moyen Age). Suit un long développement de Panofsky sur la philosophie de Marsile Ficin. Comment cette mutation s’est-elle traduite dans le rapport « artistique » à l’Antiquité ? Selon Panofsky deux œuvres d’un ami intime de Ficin, Sandro Botticelli incarnent ce courant humaniste à la fin du Quattrocento :

la Naissance de Vénus (1485 Tempera sur toile, 172.5 x 278.5 cm),

et le Printemps (Primavera). (1482, Tempera sur bois, 203 x 314 cm (Offices Florence)

http://www.wga.hu/frames-e.html?/html/b/botticel/5allegor/

D’innombrables livres tentent d’interpréter ces peintures allégoriques. Il remarque l’apparence différente des deux « Vénus » :
pudica pour la Naissance attention sa Beauté disornata (dépouillée) est supérieure, probablement dérivée d’une statue antique appelée « Automne » (on peut affirmer qu’il s’agit d’une même figure)
drapée dignement dans la Primavera selon l’idée de la Beauté ornata (ornée)
Ce thème de la hiérarchie qui s’établit dans les sphères de la Beauté et de l’Amour est une véritable obsession à la Renaissance.
Le reste de l’iconographie s’inspire d’un poème d’Ange Politien en l’honneur de Julien de Médicis lors d’un tournoi et fourmillant de souvenirs « classiques » Homère, Ovide, Horace et surtout Lucrèce. La proximité des deux tableaux est accentuée par le fait que seule la saison du Printemps vient habiller la déesse sortant des flots (anadyomène) alors qu’elles étaient trois.
Pour Panofsky, cette dualité rappelle les deux Vénus de Praxitèle (sculpteur grec du IVe siècle qui pour la première fois a sculpté un nu féminin intégral).
http://mini-site.louvre.fr/praxitele/index_flash_fr.html
La Vénus nue a été refusée par les habitants de l’île de Kos qui l’ont faite remplacer par une habillée.

Un autre grand historien de l’Art allemand a réfléchi sur la signification de ces deux tableaux de Botticelli, Aby Warburg, dans Essais florentins, pp.47-100, (est au CDI) comme un des exemples majeurs d’oeuvres incarnant un nouveau rapport à l’Antiquité prise comme modèle afin d’amplifier le mouvement des figures par des signes extérieurs : mouvement des vêtements, des cheveux au vent (cf. Panofsky et le « bewegtes Beiwerk » plus haut), Soucieux de la netteté du détail, Botticelli allie merveilleusement cette « beauté rêveuse et passive des figures », cette « beauté paisible », avec le mouvement des éléments extérieurs, vêtements et cheveux.


L’amour sacré et l’amour profane de Titien reprennent cette dialectique : le premier est l’Amor divinus, transcendant, très supérieur à l’Amor humanus, l’amour humain et naturel. Pour Platon comme pour Ficin, les deux sont bien sûr acceptables, mais ils sont d’origines différentes c’est à dire de deux Vénus. L’une, la Céleste, est née miraculeusement des organes génitaux d’Uranus jetés dans mer. Sans mère, elle reste du domaine de l’esprit sans rapport avec la matière. L’amour qu’elle génère est contemplatif, il permet d’accéder à la beauté divine. L’autre la Vénus vulgaris est née de l’union de Zeus et d’Héra (Junon), donc de manière naturelle, par accouplement.

http://www.wga.hu/frames-e.html?/html/t/tiziano/08/index.html

La Vénus anadyomène dans la « Naissance… » de Botticelli serait donc cette Vénus céleste, née des eaux, tandis que le Printemps pourrait s’intituler « Le royaume de la Vénus naturelle » (si en plus elle est enceinte comme cela semble être le cas). Les amours engendrés par ces deux Vénus sont « honorables et dignes de louanges bien qu’à des degrés différents », chacune des deux Vénus « nous pousse à créer de la beauté mais chacune à sa manière » dit Marsile Ficin dans son commentaire du Banquet .Le Printemps serait une sorte de fête terrestre, une fête naturelle, en son honneur.

Mercure à gauche, dieu de la Raison qui certes n’a pas accès à la sphère de la Vénus céleste mais qui se détourne aussi des sensations terrestres, aux flèches enflammées de l’Amour, à la danse des trois Grâces et aux dons embaumés du Printemps. Il tente de dissiper la brume qui enveloppe les « facultés inférieures » de l’âme (Ficin). Sa solitude est celle de l’esprit de raison à la fois exclu de l’Amor divinus (inaccessible) et qui s’exclue de lui même de l’Amor humanus méprisé.

Le Quattrocento a finalement absorbé l’Antiquité classique de manières extrêmement diverses.

L’humanisme du XVe est transposé dans des œuvres de différents maîtres ou dans l’évolution d’un même peintre (Mantegna, Botticelli). Malgré le travail d’érudition sur l’Antiquité, au fond l’art italien est à la recherche d’un esprit latin qui transcende les époques.
Mantegna, très familiarisé avec les monuments antiques travaille tout autant avec des pièces de monnaie, des médailles, des marbres, et surtout des textes.
L’exemple du Triomphe de César (série de 9 toiles,1484-1492, ici celle de Hampton Court Palace, Angleterre) montre pour la première fois l’Antiquité dans un style héroïque et retenu, d’un réalisme qui de veut « archéologique », et non pas dans celui des coffres de mariage fait de fantaisie et de fraicheur à l’image des chansonniers de cour.


http://tinyurl.com/2h8qea
http://www.aparences.net/mantoue/mantoue1.html

Voir Exposition Mantegna au Louvre (2008)

Piero di Cosimo s’inscrit dans un autre registre, donner une forme concrète aux théories évolutionnistes de Vitruve et de Lucrèce

(http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Lucrece/table.htm )
et aux Fasti d’Ovide (voir lien plus haut -> Cosimo). En suivant de manière littérale le texte il restitue un monde fantastique et joyeux mais tout aussi éloigné que l’Arcadie de Luca Signorelli dans le Triomphe de Pan, peint pour Laurent de Médicis (malheureusement détruit à Berlin en 1945)

http://galatea.univ-tlse2.fr/pictura/UtpicturaServeur/GenerateurNotice.php

Panofsky distingue deux périodes dans le rapport à l’Antiquité au XVe :

– Jusqu’en 1450-60 il existe un décalage entre d’un côté l’architecture et la sculpture largement pénétrées par les modèles classiques et de l’autre la peinture qui semble les ignorer (cf. Benozzo Gozzoli Le Cortège des rois mages à la chapelle Médicis)
http://www.wga.hu/frames-e.html?/html/g/gozzoli/3magi/index.html

A partir des années 1460 on peut distinguer deux attitudes :

– l’appropriation de modèles séparés, utilisés de façon fragmentaire (comme l’avait fait de Nicola Pisano au XIIIe)
– la « reconstitution » totale du monde antique

Cette hésitation prive dans un premier temps de naturel les figures classiques. Quand Mantegna décide de restaurer sur la toile tout un monde classique il prend le risque de transformer les figures en statues (même s’il prétendait représenter « des figures qui vivent et qui respirent »). La solution choisie aboutit selon Panofsky à des compositions extrêmement complexes (qui préfigurent le maniérisme du milieu du XVIe ), à une intensification du mouvement linéaire dans le Triomphe de César (comme sur les sarcophages ou sur la Colonne Trajane). Ceci serait dû à une sorte d’excitation émotionnelle que provoquait chez les artistes l’introduction de ces motifs dans la peinture (cf. maîtres comme Pollaiuolo ou Botticelli)
Il faudra attendre le « Klassicher idealstil » de la Haute Renaissance du XVIe pour qu’une « absorption totale » s’opère. Du coup, il ne sert plus à rien de rechercher quel a été le modèle utilisé. Panofsky cite la Muse du Parnasse allongée près d’Apollon dans la Chambre de la Signature (celle de l’Ecole d’Athènes) peinte par Raphaël. Elle est d’un naturel rare, l’incarnation de la beauté féminine et en même temps en accord avec les décors « classiques » de Bramante (comme le Temple de l’Ecole d’Athènes).
http://www.wga.hu/frames-e.html?/html/r/raphael/4stanze/1segnatu/3/index.html

Imiter ou s’inspirer de l’Antiquité pose également un autre problème. La divergence des sources utilisées, qu’elles soient visuelles ou verbales.
L’exemple de la musique est très caractéristique. Dans les reconstitutions théâtralisées (triomphes romains etc.) qui se déroulaient dans les cités italiennes au XVe siècle, s’est posé la question des instruments de musique. Comment étaient-ils à l’antiquité ? On a résolu le problème en créant des instruments factices al antica supposés ressembler à ceux de l’Antiquité alors que les vrais musiciens étaient dissimulés au public (!).
En peinture la question est la même. Quel type d’instruments représenter dans les sujets « antiques » ? On a un exemple très frappant L’allégorie de la musique de Filippino Lippi (Berlin)
http://tinyurl.com/2shxr3

La lyre façonnée à partir d’une tête de cerf dont la Muse Érato (poésie lyrique) se détourne pour consacrer son attention au cygne (symbole d’Apollon) semble fantaisiste. Cependant, comme chez Cosimo elle provient d’une description littérale ( Dialogues marins de Lucien ) de la lyre du cyclope Polyphème qui ne produit que « des sons stridents et peu harmonieux ». Nous sommes ici à la rencontre du passé classique et du présent car l’idée qu’il existe deux sortes de musiques une sacrée, savante l’autre musique, la vilaine, remonte à l’opposition : musique cultivée d’Apollon – musique rustique de Marsyas (satyre concurrent d’Apollon avec sa flûte).
Contrairement à Lippi, Raphaël dans le Parnasse attribue aux Muses des instruments inspirés du sarcophage des muses romain : kithara d’Erato, lyre de Sapho. Mais alors la lira da braccia (sorte de petite viole) d’Apollon dans le Parnasse de Raphaël au Vatican est totalement anachronique.

 

http://www.wga.hu/html/r/raphael/4stanze/1segnatu/3/index.html
Raphaël opère ainsi la fusion du passé classique et du présent comme il l’a fait en représentant Léonard sous les traits de Platon dans l’Ecole d’Athènes aux décors bramantiens. Dante et Pétrarque sont aux côtés de Homère ou de Virgile, le Parnasse est donc intemporel. La Renaissance arrive ici à ressusciter l’âme de l’Antiquité au lieu de chercher à la faire revivre de façon réaliste (Triomphes de César de Mantegna).

Dante, Homère et Virgile, détail de la fresque du Parnasse par Raphaël

Les artistes du Quattrocento ont toujours été en contact avec les restes de l’Art antique, ils ont opéré un « rinascimento dell’antichità » au même titre que les précédents (XIIIe etc.) malgré les aspects « néo-gothiques » très présents. Au XVIe siècle s’opère une sorte de « fusion » entre l’idéal antique et la peinture moderne de la Renaissance que le grand historien de l’art Aby Warburg analyse très bien à travers une comparaison lumineuse entre l’arc de Triomphe de Constantin (photos grande taille sur Artserve) et les fresques de la Chambre de Constantin au Vatican, réalisées par l’atelier (Essais florentins, pp. 223-243).

Quelle est la place de l’école flamande dans ce nouveau rapport à l’Antiquité ?

Panofsky le qualifie de « nascimento senz’antiquità » (= naissance sans l »Antiquité), c’est à dire une révolution qui ne doit rien à l’Antiquité) malgré les traductions des textes latins ou grecs au XVe, malgré la tendance nouvelle pour certaines dynasties comme en Bourgogne qui auraient été fondées par Hercule qui se rendant en Espagne (Espérides) a eu le temps de rencontrer une demoiselle du pays, Alise…
Ainsi, les milieux intellectuels nordiques s’attachent au caractère anecdotique de l’héritage classique dans une totale incompréhension de l’esprit et des formes classiques. Il faudra attendre le XVIe siècle , les Holbein, Dürer, comme les Budé, Érasme et Thomas More pour voir revivre l’attachement aux proportions et au mouvement classique.
Alors que les princes du XVIe (François Ier en tête) font faire des moulages d’après des statues classiques, les princes du Nord au XVe qui amassent des fortunes artistiques colossales, mais se désintéressent des objets archéologiques. Quelques artistes s’aventurent à des représentations de sujets antiques mais ils sont d’un anachronisme affligeant !
Quand au tournant du XVe un intérêt nouveau apparaît pour les textes classiques au Nord ils ne peuvent être abordés qu’à travers des traductions en langue vulgaire réalisées…en Italie. La rupture du Nord avec l’Antiquité était donc totale au XVe.

Pourquoi la Renaissance classique a-t-elle lieu en Italie ?

Il s’est trouvé en Italie, des érudits, des connaisseurs éclairés qui ont voulu comparer les réalisations littéraires et artistiques contemporaines avec celles de l’Antiquité considérées comme « supérieures ». Ils ont transposé le culte de Pétrarque pour le style littéraire et les idées politiques de Rome aux arts visuels.
Le texte de Giovanni Dondi (ci-dessous), ami intime et disciple de Pétrarque, tiré des observations archéologiques lors de son voyage à Rome en 1375 cité ici est d’une vérité émouvante car il montre cette admiration pour l’Antiquité, prise comme un idéal indépassable (pour le moment car selon Vasari la Renaissance classique de Léonard, de Raphaël et de Michel-Ange tentera de dépasser justement les Anciens). Cet idéal (de Beauté) est celui des figures classiques qui « si elles étaient pourvues du souffle de vie elles seraient supérieures aux êtres vivants » comme si ces grands artistes de l’Antiquité avaient surpassé la Nature en recherchant l’idéal de Beauté (conception platonicienne l’artiste est un intermédiaire entre le monde des idées, donc de la beauté et les hommes).

C’est la première fois dit Panofsky, qu’un auteur pense à opposer l’art du passé classique à celui de sa propre époque et à faire l’éloge du premier aux dépens du second.

Et voici comment Panofsky conclue son ouvrage magistral :

Giovanni Dondi célèbre humaniste et poète, médecin et homme de science — visita Rome vers 1375, il fit des observations archéologiques et des transcriptions épigraphiques assez exactes pour être incluses dans le Corpus inscriptionum latinarum de Mommsen. Et un peu plus tard (il vécut jusqu’en 1389), dans une lettre remarquable, il résuma ce que l’art classique leur avait appris, à lui et à quelques amis qui partageaient ses goûts :

« Ceux-ci (c’est-à-dire les arcs de triomphe, les colonnes, etc., décrits dans les phrases précédentes) sont vraiment le témoignage de grands hommes ; on ne produit pas à notre époque de semblables monuments (construits) pour de semblables raisons, et ceci, indubitablement, est dû à l’absence non seulement de ceux dont les actions mériteraient semblable tribut, mais aussi de ceux qui, dans le cas où certains auraient agi de la sorte, seraient favorables à ce qu’ils soient honorés avec autant de prodigalité. ». Et, encore plus à propos : « Un petit nombre seulement des œuvres d’art produites par les génies du passé ont été conservées; mais celles qui ont survécu quelque part sont avidement recherchées et inspectées par les personnes passionnées par ce genre de choses (qui in ea re sentiunt) et atteignent des prix élevés. Et si vous leur comparez ce que l’on produit aujourd’hui (si illis hodierna contuleris) il se révélera évident que leurs auteurs étaient supérieurs par leur génie naturel et plus compétents dans l’application de leur art. Lorsqu’ils observent soigneusement les édifice les statues, les reliefs et autres objets anciens, les artistes de notre temps sont stupéfaits. Je connaissais un sculpteur sur marbre renommé dans sa profession parmi ceux qui vivaient alors en Italie, en particulier pour la sculpture des figures ; je l’ai souvent entendu disserter longuement sur les statues et les reliefs qu’il avait vus à Rome avec tant d’admiration et de respect que, rien que d’en parler, il semblait transporté d’enthousiasme. Une fois (d’après ce qu’on m’a dit), alors qu’en compagnie de cinq amis, il passait près d’un endroit où l’on pouvait voir des images de ce genre, il resta en arrière et les contempla, transporté par leur art : et il resta là debout, oubliant ses compagnons, jusqu’à ce que ceux-ci l’aient devancé de cinq cents pas ou plus. Après avoir parlé longuement de l’excellence de ces figures, et avoir loué au delà de toute mesure leurs auteurs et le génie de leurs auteurs, il avait l’habitude de conclure, pour citer ses propres paroles, en disant que, si ces images n’étaient pas dépourvues du souffle de vie, elles seraient supérieures aux êtres vivants – comme s’il voulait dire que la nature avait été non seulement imitée mais aussi surpassée par le génie de ces grands artistes » .
Hildebert de Lavardin avait parlé des antiquités romaines et Ristoro d’Arezzo de la poterie d’Arezzo, sur le même ton d’enchantement enthousiaste. Mais Hildebert avait écrit comme un Nordique subjugué par la grandeur de la Ville éternelle ; Ristoro avait écrit comme un patriote désireux de glorifier sa « patrie », et ni l’un ni l’autre — ni, à ma connaissance, aucun autre écrivain antérieur à Dondi — n’avait pensé à opposer l’art du passé classique (artificia ingenorum veterum) à celui de sa propre époque (hodierna, hoc nostrum evum) et à vanter le premier aux dépens du second.

« Dans les paroles de Dondi nous entendons pour la première fois peut-être, l’écho de cette expérience – vision nostalgique née d’un sentiment d’éloignement en même temps que d’affinité – qui est l’essence même de la Renaissance »

Erwin Panofsky, La Renaissance et ses avant-courriers dans l’art d’Occident.

Sur le Quattrocento voir aussi les belles pages du site « Aparences » :

http://www.aparences.net/quattrocento/quattrocento1.html

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