Art et pouvoir politique en France à la fin du Moyen Age

Art et pouvoir politique en France à la fin du Moyen Age

Introduction : l’émergence d’un art profane

Au XIIIe siècle s’opère la grande mutation dans le domaine religieux, intellectuel et finalement artistique : la Nature, la vie terrestre sont désormais considérées comme dignes de Dieu. Avec l’essor des villes et du commerce, les riches cherchaient à savoir si le bien être, les beautés et le luxe étaient compatibles avec la salut. Saint François d’Assise a apporté la réponse : la Nature est belle, il faut l’aimer en tant que création divine. S’identifiant au Christ souffrant (stigmatisation) il contribue à humaniser Dieu. En louant les beautés de la Nature il libère peintres et sculpteurs des contraintes théologiques et les rend plus sensibles à l’élégance des formes, à l’expression des sentiments, au raffinement et aux charmes de la vie.

A cette révolution théologique s’ajoute à partir de la fin du XIIIe la reconstruction de l’Etat après les invasions et les désordres du IXe au XIe siècle. Le pouvoir politique se reconstitue et s’affirme face à l’Eglise. Les détenteurs du pouvoir temporel manifestent leur puissance par l’exhibition des tours mais aussi de plus en plus dans des commandes d’oeuvres d’art. Entre la fin du XIIIe et le XVe siècle se développe ce qu’on a appelé l’art courtois car c’est dans les villes capitales que la création artistique a connu une nouvelle impulsion. Bien sûr, dans les cours se côtoient ecclésiastiques et militaires (chevaliers). Le mécénat de ces derniers sert d’abord à embellir les lieux de prière des puissants : chapelles dont une des plus belles est celle construite par Saint Louis à Paris pour abriter les reliques (  la couronne d’épines portée par le Christ lors de la Passion, acquise en 1238 pour 135 000 livres, le fragment de la Vraie Croix, la lance et l’éponge de la Passion, des reliques de la Vierge, les lieux d’enterrement : tombeaux et nécropoles à l’image de Saint-Denis pour les rois de France) ou de Fontevrault en Anjou pour les Plantagenêts (Richard Coeur de Lion, son père Henry II et son épouse Aliénor d’Aquitaine). Les sarcophages surmontés du gisant expriment en même temps l’émotion et la grandiloquence des puissants.

Cependant, sous la pression de l’esprit de cour, l’art s’émancipe des contraintes ecclésiastiques pour montrer la grâce féminine et la jeunesse des corps. Dans des chantiers plus modestes que ceux des cathédrales du XIIIe, une nouvelle esthétique privilégiant le luxe.

Les monarchies anglaise et française, l’empereur germanique, tiennent à montrer leur magnificence par de grands chantiers : palais, résidences. La suprématie française au XIIIe siècle sous le règne de Saint Louis IX (1229-1270) trouve son expression dans la diffusion du gothique en Europe. Louis IX est suzerain du rois d’Angleterre pour la Guyenne, il arbitre l’élection de l’empereur, il contrôle la papauté, place son frère Charles d’Anjou sur le trône de Naples. A la suprématie politique s’ajoute la suprématie intellectuelle (université de Paris : centre de la scolastique) et finalement artistique. Mais le modèle parisien connaît des adaptations « nationales » : Bohême, monde germanique, Italie, Espagne ou Angleterre.

L’art des princes au XIVe siècle.

La sculpture du XIVe siècle semble de plus en plus raffinée. Elle se détache de l’architecture alors que la narration devient une préoccupation majeure notamment dans les sculptures d’intérieur (jubé de Notre Dame, maître-autel de Cologne). Le programme sculpté de l’église de l’Hôpital Saint-Jacques-Aux-Pélerins comprenant un collège apostolique (Guillaume de Nourriche en exécuta deux entre 1319 et 1324, tandis que Robert de Lannoy réalisait le reste du collège entre 1319 et 1327) sur le modèle de la Sainte Chapelle est caractéristique du goût courtois. Ici il s’agit de la comtesse Mahaut d’Artois (de la branche capétienne, duchesse de Bourgogne, mère de deux reines de France) qui a favorisé la fondation de l’Hôpital.

Formes aplaties, plis en volutes manifestent des nouvelles orientations comme l’essor des sculptures mobilières : retables, petite statuaire de dévotion privée en marbre ou en albâtre rehaussés d’or.

http://www.musee-moyenage.fr/pages/page_id18620_u1l2.htm

Les commandes les plus novatrices émanent désormais des milieux laïcs : princes, rois, aristocratie qui « s’arrachent » les grands artistes dont les oeuvres sont un signe extérieur de prestige et de richesse. C’est un art de cour avec un souci affirmé du détail et du luxe, un graphisme délicat parfois « maniéré » parfois réaliste. L’iconographie elle même est bouleversée avec la figuration de personnages contemporains dans le décor des églises : effigies de donateurs agenouillés à l’intérieur ou aux portails. On redécouvre l’art du portrait pratiquement oublié depuis l’Antiquité. On cherche à laisser une trace de vie dans ce siècle des calamités (peste à partir de 1348, guerres dont la Guerre de Cent Ans).

En France, c’est à partir du règne de Philippe le Bel (roi de France de 1285 à 1314,) qu’un vaste programme de propagande est élaboré. Il fait sculpter l’effigie de son épouse Jeanne de Navarre et de leurs 6 enfants aux côtés de Saint Louis dans les transept de la priorale Saint Louis. Le style peut être aperçu à partir des anges du Jugement dernier :

http://www.insecula.com/oeuvre/O0000374.html

Les grands du royaume adoptent la même attitude Enguerrand d Marigny apparaît avec sa femme au portail de la collégiale d’Ecouis en Normandie (près de Rouen).

http://www.collegiale-ecouis.asso.fr/htm/B_la_collegiale.htm

En Italie, la tendance est identique. Si l’Eglise est ici un Etat – mécène très riche, les pouvoirs communaux des cités marchandes multiplient les commandes publiques en peinture comme en sculpture  : fontaines (Pérouse 1277-1278) où réapparaît le profane, baptistères (Pise, Sienne, Florence), cathédrales, hôtels de ville (fresques du Bon et du Mauvais gouvernement au Palazzo publico de Sienne). La variété des oeuvres est également très grande : fresques, panneaux d’autels (cf. Maesta de Duccio), statuaire, sculptures (chaires, façades). Dans l’Italie du Nord l’idéal chevaleresque est magnifiquement mis en scène dans les tombes des Scaligeri (ou Scaliger) : Vérone, église Santa Maria antica (vers 1329-1374) (voir plus loin)

La sculpture publique

Les gisants royaux et princiers au XIVe siècle :

Une représentation couchée du défunt est l’élément central du monument funéraire au XIVe s. L’origine est mal connue, peut-être l’Antiquité ou le Haut Moyen Age.  Fontainevrault et Saint-Denis

http://rubens.anu.edu.au/raid1cdroms/france/saint_denis/cathedral/

http://pascale.olivaux.free.fr/Histoire/Pages/Saint_Denis.htm

sont les deux « panthéons » majeurs, le premier pour les Plantagenêts le second pour les rois de France. Saint Denis est devenu le symbole de la monarchie française même si certains rois ont préféré d’autres sites (Rouyaumont) La pratique de la dispersion des sépultures apparaît à partir du XIIIe : le corps, les entrailles, le coeur sont séparés et enterrés à part. Les différentes sépultures royales semblent bénéficier d’un soin artistique très élaboré :

Jean de Beauneveu (1364-1366)

Dans les Flandres, on plaçait des effigies de fondateurs agenouillés au portail de certains édifices (églises), sur des panneaux d’épitaphe les défunts étant accompagnés de leurs saints protecteurs. Le réalisme est caractéristique du style des monuments funéraires de Jean de Liège comme la tombe de Philippe de Hainaut, reine d’Angleterre à l’abbaye de Westminster. Ce sculpteur, maître de l’art funéraire dans les Flandres, arrive à Paris en 1361. Dès 1364 il travaille pour le roi à la « grande vis » (grand escalier du Louvre) chargé en particulier des statues du roi et de la reine. Il exécute le tombeau du cœur du roi Charles V dans la cathédrale de Rouen. Il taille les gisants des entrailles de Charles IV le Bel et Jeanne d’Evreux pour l’abbaye de Maubuisson. Voir aussi :

http://www.insecula.com/oeuvre/O0000323.html

Son style s’y révèle dans le modelé des visages et des mains, dans le rythme nuancé des tissus. Son chef d’oeuvre est le buste de Marie de France au Metropolitan museum of Art ; détaché du gisant à la révolution caractérisé par le sourire, le regard et les petits points d’ombre au coin des yeux.

André Beauneveu domine aux côtés de Jean de Liège la sculpture de la France du Nord au XIVe siècle. Lui aussi travaille pour le roi Charles V qui le considère comme son « aimé Andrieu Biauneveu, nostre ymager » et dont il sculpte le monument funéraire pour Saint Denis (seul le gisant subsiste) et d’autres tombeaux de la famille royale. Le roi en tenue de sacre vêtu de deux tuniques et d’un manteau. Ses pieds reposaient sur deux lions. L’art de Beauneveu se remarque dans la maîtrise du marbre sculpté d’après modèle vivant (âge du roi : 27 ans même s’il apparaît plus âgé). Emprunt de naturalisme et de réalisme (veines de la main) il s’éloigne du maniérisme courtois.

Le contexte artistique français de la 2e moitié du XIVe siècle est donc marqué par une véritable explosion des commandes sur le modèle royal : duc de Berry à Bourges, duc de Bourgogne à Dijon, comte des Flandres. La formule du gisant évoque une tombe qui contient la totalité du corps et qui remplace ainsi l’urne funéraire. Le gisant est progressivement intégré dans un monument plus vaste, parfois fastueux qui s’étend donc au niveau des élites. Chaque royaume possède des lieux d’enterrement privilégiés : Saint Denis en France, Wesminster en Angleterre,  Poblet en Catalogne. Les funérailles des rois sont des cérémonies exceptionnelles à la fois politiques, religieuses et sociales : le corps du roi est exposé revêtu des vêtements de sacre et des  regalia. Le raffinement du style courtois apparaît par exemple dans la tête d’ange de Jean de Cambrai, autre grand sculpteur de l’époque, provenant du palais des ducs de Berry exposé au Musée de Berry à Bourges (1e ¼ du XVe s.)

Les tombes expriment de façon privilégiée le faste de l’art courtois. Réalisées de plus en plus du vivant du commanditaire exprimant sa volonté de disposer d’une tombe « avec statue ». Adré de Beauneveu, Jean de Marville contribuent à l’évolution stylistique du XIVe. Le monument funéraire occupe une place de plus en plus grande à l’intérieur de l’église dès le XIIIe et pas seulement dans le cas des tombes papales ou royales.

(voir http://vrcoll.fa.pitt.edu/medart/image/England/beverley/Minster/mainbev-minster.html

L’iconographie même du tombeau évolue au XIVe : polychromie, variété des matériaux (albâtre, marbre, métal, bois), double effigie un gisant (mort représenté les yeux fermés, parfois dévoilé par des anges) et un debout sur les parois de la tombe où se multiplient également les pleurants.

La sculpture funéraire est indissociable du retour du portrait réaliste.

Cette tendance est déjà présente au XIIIe, voir la tête de Jeanne de Toulouse femme d’Alphonse de Poitiers, le frère de saint Louis, du Musée de Cluny.

http://www.musee-moyenage.fr/pages/page_id18604_u1l2.htm

La commande avant la mort facilite la réalisation du portrait ad vivum. Un autre exemple d’une grande qualité plastique et d’une grande vérité expressive est l’ffigie funéraire de marie de Bourbon, provenant de Saint Louis de Poissy (peu après 1401) en marbre blanc et noir (musée du Louvre) http://www.insecula.com/oeuvre/O0000320.html

Mais les portraits se multiplient dans les églises et dans les palais, ils sont désormais un instrument politique (portraits en pied du duc de Berry dans son palais).

La sculpture publique

Au XIVe siècle, la sculpture pénètre l’espace public de la ville. Les façades extérieures des palais, des hôtels de ville (SIenne, Nuremberg), les fontaines comme celle de Nicola Pisano à Pérouse, le pont Charles à Prague sont ornés de statues. La sculpture quitte les façades des cathédrales et gagne les édifices civils.

Un des symboles principaux de cette sculpture « publique » ce sont les statues équestres connues depuis l’Antiquité. Le thème connu au MA (statuette équestre de Charlemagne) ne disparaît pas complètement (orfèvrerie) et revient au XIIe dans les façades des églises romanes du Midi et d’Italie. Au XIIIe, des statues équestres ornent la façade occidentale de la cathédrale de Strasbourg (Clovis, Dagobert…) ou l’intérieur (Bamberg).

En Italie, le type connaît un essor extraordinaire après le succès de la statue équestre de Marc Aurèle (confondu avec Constantin), qu’on avait placée face au palais du Vatican et à la basilique du Latran. Taddeo di Bartolo la représentée dans la fresque du Palazzo publico de Sienne.

Parmi les formules les plus en vogue on trouve celle des Della Scala à Vérone ou des Visconti à Milan. A Vérone, près de Santa Maria Antica, deux célèbres monuments funéraires sculptés par Bonino da Campione (sculpteur milanais) pour Giorgio Cansignorio della Scala de son vivant (mort e 1375). Un cavalier est dressé au sommet d’un immense monument funéraire de style gothique. Monument monté sur des colonnes, le sarcophage étant protégé par un baldaquin ou tabernacle à arcades. A la tête du gisant sont placés deux anges, sur les côtés sont sculptées en bas reliefs six scènes de la vie du Christ, au petits côtés un Couronnement de la Vierge et la présentation du donateur Cansignorio par Saint Georges à la Vierge.

Au-dessus sur la partie architecturale proprement dite, on reconnaît des personnifications des vertus assises et des anges présentant les armes de la famille. Le sommet est dominé par la statue équestre. Aux angles sont présentés dans des tabernacles des saints guerriers : Georges, Martin, Quirinus, Alvise…

-> Ce monument reflète de façon majestueuse les aspirations de la société courtoise mélange de mégalomanie guerrière, d’esprit chevaleresque, et de piété individuelle.

http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/4/45/Sommer%2C_Giorgio_%281834-1914%29_-_Verona%2C_Tomba_dei_scaligeri_-_n._6708.jpg

http://photo.net/photo/pcd0802/scaligeri-tombs-5.4.jpg

Un autre monument célèbre est celui de Bernabò Visconti conservé au Musée du Castello Sforzesco oeuvre également de Bonino  da Campione. Le cavalier, prévu au départ pour orner le grand autel de San Giovani in Conca de Milan,  est de 20 ans antérieur du sarcophage sculpté après la mort de Bernabò. Les bas reliefs représentent une présentation de Bernabò au Christ en croix, un Couronnement, des saints, des évangelistes, le cavalier d’un réalisme saisissant, dégage une grande force.

Plus généralement, la statue équestre, la représentation du chevalier en armes est un topos  depuis l’aquamanile du British Museum (XIIIe siècle)

http://www.britishmuseum.org/explore/highlights/highlight_objects/pe_mla/b/bronze_aquamanile.aspx

Jusqu’aux monuments du XIVe siècle. Elle nourrit l’imaginaire quotidien d’une société qui associe l’idéal chevaleresque avec l’esthétique courtoise.

Sur l’art à la cour de Bourgogne au tournant du XIVe siècle : (téléchargez : clic droit et enregistrer sous en vaillant à l’extension : .doc (ajoutez la si elle n’apparaît pas

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