De l’époque angoissée des Noirs (fusains, lithographies) jusqu’à la profusion colorée des dernières œuvres, l’artiste français Odilon Redon (1840-1916) a profondément marqué la génération symboliste, puis celle des Nabis et des Fauves, les jeunes peintres de la couleur. Il a été l’explorateur des méandres de la pensée, de l’aspect ésotérique de l’âme humaine, empreint des mécanismes du rêve.
Ce pastel sur papier, « Roger et Angélique » (1910) est un merveilleux exemple parmi d’autres témoignant de la perfection avec laquelle son imagination utilise la couleur, les ombres et le lumières. Le sujet, mainte fois repris dans l’histoire de l’art, évoque une scène du célèbre roman du XVIème siècle « Orlando furioso » de Ludovico Arioste, dit l’Arioste (1474-1533) : Angélique enlevée par des pirates qui l’offrent en pâture à un monstre sur un rocher, est délivrée par Roger qui survient monté sur l’hippogriffe. Le sujet est très proche de l’épisode mythologique grec qui raconte comment Persée libéra Andromède.
« Les personnages ne sont qu’esquissés, suggérés, couchés d’un geste rapide sur le papier et à peine identifiables. Ce sont les effets atmosphériques rendus par les contrastes de luminosité, les clairs-obscurs magnifiquement menés et les couleurs étonnantes et irréelles qui prennent le relais et créent le sentiment du tragique de la scène. (…) Comme chez la plupart des poètes, dramaturges, musiciens et peintres symbolistes, le point de départ de l’œuvre consiste en un élément littéraire, historique ou légendaire. Mais loin de s’enfermer dans la représentation figurative, le sujet est transcendé pour susciter la suggestion et plus la description. » Jean-Marc ONKELINX (http://jmomusique.skynetblogs.be/tag/roger+et+ang%C3%A9lique).
Je souhaitais partager cet univers unique qui me touche particulièrement, où les références littéraires, mythologiques, fantastiques et mystiques se mêlent à la Nature dans un monde onirique, suggestif et ambigu, mystérieux et magique, où douceur et puissance surnaturelle se côtoient. Univers servi par une virtuosité d’utilisation des couleurs et des matières, qui m’évoque donc énormément de musiques : à commencer évidemment par les œuvres modernes (Debussy, Ravel, Stravinsky…) mais aussi celle de Schumann que Redon adorait (voir son Hommage à Schumann, pastel de 1904), et d’autres plus ou moins liées au pastel proposé et plus généralement à l’univers de Redon.
Pour voir d’autres tableaux :
– http://livresque-sentinelle.blogspot.fr/2016/01/le-peintre-odilon-redon.html
– http://www.repro-tableaux.com/a/odilon-redon.html&pgn_page=1&INCLUDE=LIST&pgn_items=100
George Frideric Handel : Orlando, HWV 31 (1733)
Ludwig van Beethoven : Symphonie n°6, dite « Pastorale » : 4. “Gewitter – Sturm”
Franz Schubert : Der Erlkönig, D.328 (1815)
Hector Berlioz : Symphonie fantastique (1830), 5. « Songe d’une nuit de sabbat »
Franz Liszt : Études d’exécution transcendante, S.139 (1851) : 5. « Feux follets »
Robert Schumann : Quintette avec piano, op.44 (1852), 2e mouvement
Maurice Ravel : Daphnis et Chloé (1909 – 1912)
Claude Debussy : Nocturnes pour orchestre, « Nuages » (1897-1899)
Igor Stravinsky : L’Oiseau de Feu (1910)
Claude Debussy : Préludes, 2e Livre (1910-1913)
Léo Ferré : L’étoile a pleuré rose (poème d’Arthur Rimbaud) (1965)
György Ligeti : Lontano pour orchestre (1967)
Henri Dutilleux : Ainsi la nuit pour quatuor à cordes (1976)
Thomas Adès : Traced Overhead pour piano solo (1995-1996)
Gérard Pesson : Nebenstück pour clarinette et quatuor à cordes (1998)
Thomas Enhco & Vassilena Serafimova : « Aquarium, improvisation after Le Carnaval des Animaux by Saint-Saëns » (piano et marimba préparés) (2016)
« L’artiste vient à la vie pour un accomplissement qui est mystérieux. Il est un accident. Rien ne l’attend dans le monde social. Il naît tout nu sur la paille sans qu’une mère ait préparé ses langes. Dès qu’il donne, jeune ou vieux, la fleur rare de l’originalité – qui est et doit être une fleur unique- le parfum de cette fleur inconnue troublera les têtes et tout le monde s’en écartera. De là, pour l’artiste un isolement fatal, tragique même; de là, l’irrémédiable et triste solitude qui enveloppe sa jeunesse et même son enfance et qui le rend farouche quelquefois jusqu’au jour où il trouvera par affinité des êtres qui le comprendront. »
Odilon Redon, Journal A soi-même, « notes sur la vie, l’art et les artistes » (1867-1915)
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