Ce que je sais de Vera Candida, ou la jungle des sentiments

Que dire d’un roman qui se donne des airs de conte moderne ?

Tout commence sur ce continent imaginaire, où une température tropicale côtoie étrangement un urbanisme européen. Mais où est vraiment le début ? Ce début, c’est peut-être Rose, le début de toute une lignée de femmes dont le sort est lié à on ne sait quel destin funeste, sans doute dicté par une force qui nous échappe.

D’abord, c’est ce je qui intrigue, dans Ce que je sais de Vera Candida. Et ce je ne serait-il pas lui-même cette sombre puissance qui régit la vie de l’héroïne ? On s’attendrait à des explications, et ce ton insupportablement allusif ne nous fournit de réponse que dans la mesure où nous, lecteurs, nous acceptons d’entrer dans un monde truffé d’invraisemblances, ce qu’une écriture faussement moderne nous empêche maintes fois de faire, ne pouvant comprendre, sans doute, une poésie qui nous dépasse.

Cependant, il faut reconnaître que le manichéisme fait mouche et que les hommes, méchants, bêtes, foncièrement inutiles et la source de tous les problèmes, sont tout de même un maillon défectueux de la chaîne de la vie. Selon toute vraisemblance, on ne peut pas reprocher à l’auteur, sans doute pétrie de bonnes intentions, d’avoir écarté, volontairement ou non, toute trace de subtilité car le roman, fort de ses rebondissements qui frisent le burlesque sans jamais tomber dedans, est un bloc d’humanité et, admettons-le, un hommage à toutes ces femmes qui souffrent.

Mais Vera Candida, certes malmenée par le sort, certes animée par une force insondable, certes aussi naïve que sa génitrice, décide-t-elle vraiment de casser ce que le sort, dans une terrible régularité, a décidé d’infliger à sa famille, comme le prétend la quatrième de couverture ? Bien au contraire, Vera Candida se dérobe en quittant son lieu de naissance, elle n’assume pas ce qu’elle est, elle ne tente même pas d’honorer son nom et de se distinguer des autres en tentant de résister à ce qui fait la triste, mais jusque-là assumée, réputation de sa famille.

La mort de Violette, sa mère, n’a pas été un avertissement qui aurait pu se transformer en sublime métaphore de la vie et des choix qu’elle entraîne, payés par des conséquences que nul ne peut mesurer. Non, cette mort est encore plus sublime que cela. Cette mort est le centre du livre et sans cesse Vera Candida se rapporte à cette mère qu’elle n’a connue que lorsqu’elle était petite. Violette est, vraisemblablement, le personnage le plus vrai, le plus réaliste de ce roman. Les quelques pages qui lui sont consacrées sont les plus belles du livre, et il est dommage que l’on ne s’épanche pas plus sur son cas.

Non, ce ne sont pas des femmes sans cœur que ce roman tente, bon an, mal an, de décrire. Ces femmes sont le résultat à la fois d’une génétique qui leur est franchement défavorable et d’une éducation ratée. Dans un milieu malsain, une chape de plomb au-dessus de la tête, Vera Candida, sa mère et sa grand-mère, un vague sourire au bord des lèvres, alignées pour une dernière photo, avec derrière elles un manoir en ruine et une mobylette appuyée contre un mur lézardé.

Axel Maybon, première 611 du Lycée Barthou, juin 2010

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