mercredi mobilisation générale 1) SOS SES

paru dans libération

Les lycéens hors du monde ?

 

sylvain david président de l’association des professeurs de SES (APSES), Yves déloye Bernard lahire professeur de sociologie à l’ENS-LSH, Philippe meirieu et thomas piketty directeur d’études à l’EHESS et professeur à l’Ecole d’économie de Paris.

La réforme annoncée par Xavier Darcos aurait pu constituer une réelle opportunité pour améliorer le fonctionnement du lycée, remédier à ses carences actuelles et renouveler le défi d’une démocratisation en panne depuis plus de dix ans. Mais rénover le lycée pour lui donner une nouvelle dynamique suppose de se donner le temps de la réflexion et le temps de la concertation.

Malheureusement, le projet de réforme que le ministère souhaite mettre en œuvre coûte que coûte ne répond à aucune de ces deux exigences.

La précipitation dans laquelle se déroule actuellement sa mise en œuvre (entrée en application de la nouvelle organisation des enseignements en classe de seconde, dès la rentrée 2009, alors même que le contenu du cycle première-terminale n’est pas défini, rénovation des programmes d’enseignement en moins d’un mois…) ne permet pas d’aborder réellement des questions qui sont centrales : quelle formation doit être dispensée dans le lycée du XXIe siècle ? Quels objectifs lui assigne-t-on et quelles méthodes d’apprentissages souhaite-t-on favoriser ?

C’est dans ce contexte qu’il convient de s’intéresser à la place et aux finalités de l’enseignement des sciences économiques et sociales (SES) au sein de la réforme proposée par Xavier Darcos.

Il apparaît ainsi clairement que cet enseignement paie un lourd tribut à cette réforme.

Alors même que la crise financière actuelle montre avec une rare acuité la nécessité de doter l’ensemble des citoyens des moyens de comprendre les questions économiques, sociales et politiques contemporaines, le ministre présente une réforme qui va marginaliser un enseignement dont un des objectifs consiste justement à permettre aux élèves de mieux comprendre la société dans laquelle ils vivent, en mobilisant pour cela les connaissances et les méthodes des différentes sciences sociales comme l’économie, la sociologie, la science politique – afin d’étudier des thèmes comme l’entreprise, le financement de l’économie, le changement social, l’emploi, les pratiques culturelles, la consommation, le rôle de l’Etat, la mondialisation, l’Europe, la protection sociale ou encore le fonctionnement du marché, pour ne citer que quelques exemples….

Le décalage entre la demande sociale et les exigences citoyennes, d’une part, et le contenu de la réforme proposée, d’autre part, est saisissant. Si elle devait rester en l’état, un lycéen pourrait quitter l’enseignement de second degré sans avoir jamais reçu la moindre formation en sciences sociales.

Par ailleurs, un des objectifs affichés par le ministre est d’améliorer le processus d’orientation des élèves au cours de la classe de seconde. C’est un objectif légitime. Mais comment peut-on parler d’orientation «éclairée» quand un enseignement central d’un des parcours de formation du cycle terminal, comme le sont les SES, ne fait pas partie des enseignements communs proposés en classe de seconde (et, rappelons-le, est absent du collège). Il y a là encore une contradiction entre les objectifs affichés et le contenu de la réforme proposée.

Enfin, le ministre de l’Education souhaite favoriser la poursuite d’études supérieures chez les lycéens. Pour cela, Xavier Darcos met en avant la nécessité de développer leur autonomie, leur capacité de réflexion et d’analyse.

Mais c’est justement un des apports de l’enseignement de SES que de développer ces qualités chez les élèves. A travers les thèmes étudiés, les démarches pédagogiques employées, les connaissances et les méthodes mobilisées, il s’agit bien de permettre aux élèves d’acquérir à la fois une démarche intellectuelle rigoureuse et les capacités nécessaires à la construction d’une réflexion autonome.

Un tel enseignement vise bien à leur donner les moyens de dépasser le discours des acteurs pour leur permettre d’approcher une connaissance rationnelle des phénomènes économiques et sociaux. Cela suppose la mise en œuvre de méthodes pédagogiques adaptées où les élèves sont mis en situation d’effectuer un travail documentaire exigeant, de travailler par petits groupes, de rédiger des textes argumentés pour construire des connaissances rigoureuses.

Ainsi les SES permettent-elles d’accéder à plus de rigueur tout en développant la curiosité, d’acquérir des savoirs conceptuels et un esprit critique tout en développant l’ouverture sur le monde. Les SES ont donc toute leur place dans le lycée du XXIe siècle.

Derrière les choix qui sont faits en matière éducative, ce sont des choix de société qui sont opérés. Estime-t-on nécessaire de doter tous les lycéens d’une formation économique et sociale leur permettant de se repérer au sein de la société et mieux appréhender les enjeux qui la traversent ?

Une réponse positive à cette interrogation semblera évidente à la majeure partie de la population. Pourtant, dans son état actuel, la réforme du lycée proposée par Xavier Darcos aboutira à court terme à la disparition des sciences sociales de la formation des lycéens et à la liquidation d’un enseignement qui peut se prévaloir d’un réel succès auprès des élèves qui l’ont suivi, comme a pu le mettre en évidence l’enquête menée par Roger Establet dans son ouvrageRadiographie du peuple lycéen.

Si la réforme du lycée doit être l’occasion d’améliorer son fonctionnement en remédiant aux dysfonctionnements constatés, elle doit aussi s’appuyer sur les réussites qui le caractérisent. Assurément, l’enseignement de SES en fait partie et s’il peut sans doute être amélioré, il ne saurait être question de le faire disparaître.

Pour toutes ces raisons nous vous demandons solennellement, monsieur le ministre del’Education, de donner toute sa place à l’enseignement de SES en classe de seconde et de l’intégrer aux enseignements obligatoires. C’est le sens de la journée de mobilisation pour la défense des SES prévue mercredi 3 décembre à Paris.

About GhjattaNera

prufessore di scienze economiche e suciale a u liceu san Paulu in Aiacciu

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