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Le Monde  

 

 

 

Thématique

Identité nationale : controverses autour d’un débat

Thématique publiée le 10.11.09

 

Certains  n’y voient qu’une grossière manœuvre politique, d’autres saluent la volonté de prendre à bras-le-corps un sujet qui depuis des années empoisonne tout débat portant sur l’immigration, les discriminations ou le fichage ethno-racial. L’initiative du ministre de l’immigration, Eric Besson, qui souhaite que chacun s’exprime sur le sens de son appartenance à la nation française, n’en finit plus de diviser, de choquer, de susciter l’indignation. Alors que sociologues et philosophes se montrent pour la plupart circonspects sur la pertinence d’une telle démarche, l’opposition refuse quant à elle de se laisser distancer par la droite sur le sujet

 

Aux racines de l’identité nationale

Publié le 07.11.09

Candidat, Nicolas Sarkozy ne cessa d’utiliser l’expression ; au lendemain de son élection, il la reprit pour baptiser un ministère ; depuis le 2 novembre, son gouvernement en fait le thème d’un « grand débat », auquel les citoyens sont invités à participer : en un peu plus de deux ans, l’« identité nationale » a envahi l’espace politique et la scène médiatique. Singulière fortune pour une notion dont l’emploi, il n’y a pas si longtemps, était inenvisageable. Et pour cause : elle n’existait pas.

Quand l’expression est-elle apparue dans la langue française ? « Seulement dans les années 1980« , répond l’historienne Anne-Marie Thiesse, directrice de recherche au CNRS et auteur de La Création des identités nationales. Europe XVIIIe – XXe siècle (Seuil, 1999). Une plongée dans le catalogue de la Bibliothèque nationale de France (BNF) le confirme : le premier livre dont le titre contient l’expression « identité nationale » a été publié en 1978 (un essai sur le poète chilien Pablo Neruda).

Fait révélateur : quand Fernand Braudel entreprit, à la fin de sa vie, une étude sur L’Identité de la France (parue en 1986, quelques mois après sa mort), il reconnut lui-même que l’emploi du terme ne lui avait pas été naturel : « Le mot m’a séduit, mais n’a cessé, des années durant, de me tourmenter », confiait l’historien. Nul mieux que l’écrivain péruvien Mario Vargas Llosa ne sut expliquer l’opprobre qui frappait à l’époque la référence au « national » : « Si l’on considère le sang qu’elle a fait couler au cours de l’histoire, (…Smilie: ;) l’alibi qu’elle a offert à l’autoritarisme, au totalitarisme, au colonialisme, aux génocides religieux et ethniques, la nation me semble l’exemple privilégié d’une imagination maligne. »

Aujourd’hui, Braudel se sentirait moins seul : selon la BNF, 30 livres portant dans leur titre l’expression « identité nationale » ont été publiés en France depuis 2000. Soit autant en dix ans qu’au cours des vingt années précédentes.

Si l’expression s’est répandue dans les années 1980, sa généalogie mérite toutefois d’être rappelée. « C’est aux Etats-Unis, dans les années 1960, que des sociologues comme Erving Goffman ont commencé à appliquer la notion d’identité à des groupes, explique Anne-Marie Thiesse. Les premiers à se l’approprier furent les femmes et les Noirs, c’est-à-dire des groupes victimes de discriminations pour lesquels l’affirmation d’une identité était une façon de retourner le « stigmate » qui les différenciait en en faisant un élément de fierté. »

L’historienne insiste sur l’importance du sentiment de vulnérabilité qui est à l’origine des revendications identitaires : « C’est quand il se sent menacé qu’un groupe éprouve la nécessité de radicaliser sa différence par rapport aux autres, explique-t-elle. Ce n’est pas un hasard si l’expression « identité nationale » est apparue dans les années 1980, quand la France perdait son leadership et se sentait, du coup, plus vulnérable. » L’époque où le Front national s’est installé dans le paysage politique, et où l’immigration est devenue un sujet porteur en période électorale.

Le thème du « déclin français », reconnaît Anne-Marie Thiesse, ne date pas des années 1980. Mais un facteur, selon elle, explique que la nation ait alors constitué une sorte de refuge identitaire : « C’est une époque où il est devenu plus difficile de mobiliser d’autres identités, comme l’identité de « classe » par exemple, touchée par le déclin du marxisme. » Un sentiment commun de vulnérabilité, ajouté à une crise des idéaux collectifs de substitution : tel serait donc le terreau qui aurait permis au thème de l’« identité nationale » de prospérer dans les deux dernières décennies.

Si la notion d’identité, accolée à l’adjectif « national », est une invention récente, le sentiment national est pour sa part beaucoup plus ancien – dans le cas français, la fin du Moyen Age ayant constitué sans doute un moment inaugural, comme l’a jadis montré Colette Beaune (Naissance de la Nation France, Gallimard, 1985). Ce n’est toutefois pas avant le XIXe siècle que les nations se sont formées en tant que corps politiques adossés à une culture.

Période d’épanouissement – et de succès dans les cas italien et allemand – des grands « mouvements nationalitaires », laboratoire des nationalismes (en France, le terme est apparu dans les années 1890), le XIXe siècle est aussi celui où les nations européennes se sont inventé une « âme » ou un « génie « . Toutes, pour cela, ont « bricolé » ce que l’ethnologue Orvar Löfgren a appelé fort justement un « kit » identitaire. Une sorte de check-list dont les mêmes éléments se sont combinés un peu partout au même moment : une histoire multiséculaire, des ancêtres fondateurs (les Gaulois pour les Français, les Daces pour les Roumains, les Huns pour les Hongrois…Smilie: ;), des héros, une langue, un folklore, une gastronomie. « Les nations se sont formées les unes par rapport aux autres à partir de procédés standardisés. La construction des identités nationales fut avant tout un phénomène transnational », explique Anne-Marie Thiesse.

A partir de ce socle commun, différentes conceptions de la nation se sont toutefois confrontées. Pendant longtemps, il fut à la mode d’opposer une « conception française » de la nation, fondée sur l’idée d’adhésion volontaire, à une « conception allemande », fondée sur l’exaltation des origines. Le contrat social contre le Volksgeist (esprit du peuple), le droit du sol contre le droit du sang, la nation révolutionnaire contre la nation romantique.

Aujourd’hui, la plupart des historiens jugent cette opposition trop simpliste. « A l’intérieur même de la France, ces deux théories ont existé, rappelle ainsi Michel Winock, professeur émérite à l’Institut d’études politiques de Paris, dont plusieurs articles sur l’idée nationale viennent d’être republiés (Le XXe siècle idéologique et politique, Perrin). Il y a un « nationalisme fermé » et un « nationalisme ouvert ». Le « fermé », c’est celui de Barrès et de Maurras. C’est l’idée qu’on ne devient pas français, mais qu’on l’est parce que ses ancêtres l’étaient. C’est le culte de l’enracinement, l’accent mis sur l’hérédité, d’où la référence constante, chez Barrès, à la « terre » et aux « morts ». En France, ce nationalisme-là s’est moins fondé sur la race que sur l’identité catholique, ce qui explique, autant qu’un rejet des immigrés, une tendance à vouloir démasquer les « mauvais Français » – c’est-à-dire, à la fin du XIXe siècle, les juifs et les protestants. En face, vous avez le nationalisme « ouvert », républicain, celui qui, dans le sillage de 1789, pense la nation comme le résultat de la volonté générale. »

Si une phrase de Barrès résume la première conception (« Le nationalisme, c’est l’acceptation d’un déterminisme », 1902), c’est une conférence d’Ernest Renan, prononcée en 1882 à la Sorbonne, qui est souvent citée comme fondatrice de la seconde. A la question « Qu’est-ce qu’une nation ? », l’historien répondait que celle-ci ne se définissait ni par la race, ni par la langue, ni par la religion, ni par la géographie, ni même par une communauté d’intérêts. Pour lui, la nation était une « grande solidarité », constituée par « les sacrifices que l’on a faits et ceux que l’on est disposé à faire encore ». Si « elle suppose un passé », elle ne se conçoit pas sans « le désir clairement exprimé de continuer la vie commune ». Une formule a fait florès : « L’existence d’une nation est (…Smilie: ;) un plébiscite de tous les jours comme l’existence de l’individu est une affirmation perpétuelle de vie. »

Cette définition volontariste de la nation – Renan parle du « désir de vivre ensemble » – repose sur l’adhésion à un certain nombre de valeurs communes. Comme le rappelle l’historien Vincent Duclert, professeur agrégé à l’Ecole des hautes études en sciences sociales et auteur de La France, une identité démocratique (Seuil, 200Smilie: 8), c’est à la toute fin du XIXe siècle, dans le contexte d’une République à la fois conquérante et contestée, dans ces années où le régime dut faire face à deux crises majeures (le boulangisme et l’affaire Dreyfus), que ces « principes fondamentaux » se sont cristallisés. « Dans une République qui n’avait pas véritablement de Constitution, observe l’historien, ce sont les grandes lois qui ont servi de textes fondateurs : sur la liberté de la presse (1881), sur l’école (1881-1882), sur les syndicats (1884), sur la liberté d’association (1901), sur la séparation des Eglises et de l’Etat (1905)… »

Au fil du temps, cette « identité démocratique » n’a cessé de s’enrichir : sous le Front populaire, avec les lois sur les congés payés ; à la Libération, quand les femmes ont obtenu le droit de vote et que la Sécurité sociale a été créée ; en 1981, avec l’abolition de la peine de mort… L’existence de ce « patrimoine commun de droits et de libertés », dont la liste est par définition ouverte, constitue ce que Vincent Duclert appelle donc l’identité démocratique de la France – expression qu’il préfère à celle d’ identité nationale, dans la mesure où elle met l’accent sur un « projet politique » en devenir plutôt que sur une « définition essentialiste » fixée une fois pour toutes.

La combinaison d’un héritage commun et d’une espérance partagée, une définition reposant paradoxalement sur le refus d’une définition trop précise… Au Monde, qui lui demanda en 1985 s’il lui était possible de donner un contenu à la notion d’« identité de la France », Fernand Braudel répondit : « Oui, à condition qu’elle laisse place à toutes les interprétations, à toutes les interventions. (…Smilie: ;) Il y a une identité de la France à rechercher avec les erreurs et les succès possibles, mais en dehors de toute position politique partisane. » Avant de formuler cette injonction : « Je ne veux pas qu’on s’amuse avec l’identité. »

 

 

 

L’identité nationale n’est pas un slogan, par Nicolas Dupont-Aignan

Publié le 06.11.09

L’identité nationale est à la mode ! Cruel paradoxe de voir ceux qui ont toujours moqué « l’exception française » soudain s’en emparer pour masquer l’échec de leur politique qui, de fait, la remet en cause. Car l’identité nationale n’est pas un objet qu’il faudrait, à intervalles réguliers, vénérer pour faire oublier la dureté des temps ; pire, en faire un sujet de discorde pour rassembler le camp des soi-disant « bons Français » contre celui des « mauvais ». L’identité nationale doit être une dynamique de rassemblement, sous-tendue par des valeurs, une histoire partagée, des institutions, un projet de société.

Car, oui, ce plébiscite de tous les jours, cher à Renan, ne tombe pas du ciel. Il doit être ardemment désiré et méticuleusement bâti par les élus du peuple. Ce vouloir-vivre ensemble a un nom : la République. Il a un idéal : « Liberté, Egalité, Fraternité ». Il a un acteur central, l’Etat, creuset de la nation à travers les âges et le gardien de l’intérêt général, contre l’emprise des féodalités et des intérêts particuliers. Enfin, ce vouloir-vivre ensemble a une langue, le français.

Cette République française est exigeante. Elle suppose d’être incarnée par ses élites, avec un devoir d’exemplarité que les anciens appelaient la vertu – mais comment le pourraient-elles aujourd’hui tant elles font honte ? Elle doit, en outre, apporter l’ordre et le progrès. Or, de nos jours, l’anarchie économique s’accompagne de la régression sociale et du désordre dans la rue.

Il ne sert à rien d’organiser des débats dans les préfectures sur l’identité nationale si la souveraineté populaire est transférée à Bruxelles ; si l’on réduit les effectifs de police et que l’Etat régalien n’a plus les moyens de jouer son rôle ; si l’école n’incarne plus un espoir de promotion sociale ; si on laisse se développer ghettos et communautarismes contraires à une citoyenneté française laïcisée ; si les responsables politiques, économiques et scientifiques laissent tomber le français ; si la fiscalité tond les classes moyennes et épargne les plus riches ; si, enfin, les services publics sont privatisés.

En définitive, la République est exigeante, car elle suppose avant tout le respect du peuple. Un peuple qui n’est pas dupe de la démagogie et de l’impuissance publiques qui sont les deux faces d’une même médaille : celle du renoncement au modèle français. Alors, oui, l’identité nationale retrouvera sa dynamique quand la politique redonnera un sens au fait d’être français.


Nicolas Dupont-Aignan est député de l’Essonne et président de Debout la République.

 

 

 

 

Identité nationale : une manœuvre indigne, par Aquilino Morelle et Manuel Valls

Publié le 04.11.09

Un grand débat sur l’identité nationale : en prenant cette initiative, Nicolas Sarkozy vient de commettre une faute morale et politique. Non que la question de l’identité de la France ne mérite pas d’être revisitée et débattue. Au contraire : vieille nation pétrie de politique et imprégnée d’histoire, la France s’interroge, à tort ou à raison, sur son avenir, ses valeurs, sa place dans un monde global, son rôle dans un temps qui s’accélère, le sens de son existence.

Ce sont les arrière-pensées du président de la République qui sont là en cause : choisir de lancer cette question sur la scène publique comme on jette un atout sur une table de jeu, l’instrumentaliser dans le but de séduire les électeurs du Front national, avec l’espoir secret de déstabiliser une gauche censée se trouver mal à l’aise avec ce sujet, et cela à quelques mois d’élections régionales qui s’annoncent serrées, bref avoir recours à ce qui est une manoeuvre, tout cela n’est pas digne. Ni de l’enjeu collectif, ni de la fonction présidentielle, ni des Français. Et comment qualifier la provocation consistant à faire référence de façon transparente à l’idéologie de Vichy, si ce n’est de perverse ?

Quand on aime son pays, quand on connaît son histoire, quand on est soucieux de la concorde publique, quand on veut que chaque citoyen se sente respecté – quelle que soit son origine -, quand on prétend enfin raffermir le sentiment national, on ne procède pas de la sorte. Le risque est trop grand de blesser les consciences personnelles et, au-delà, la conscience nationale. En regard de ce risque, le gain électoral escompté est méprisable.

Nous sommes deux fils d’immigrés, réfugiés espagnols ayant quitté leur pays pour vivre mieux et d’abord librement. Elevés par nos parents dans l’amour de cette nouvelle patrie, enfants de l’école et de la République auxquelles nous devons tout et que nous chérissons plus que tout, nous servons notre pays de notre mieux.

Pas une goutte de « sang gaulois » dans nos veines – celui invoqué par les calomniateurs de Blum et de Mendès France. Nous ne sommes pas français par le sang reçu, mais par la naissance, le travail, par l’éducation, par la sueur versée. Par le droit du sol – un des fondements de notre identité nationale. Comme tant d’autres. Comme des millions de femmes et d’hommes, Polonais, Italiens, Portugais, Algériens, Sénégalais, ayant choisi de placer leurs vies et celles de leurs enfants sous l’aile de la France.

Initiative pernicieuse

Fiers de vivre dans un pays couvert d’un « manteau blanc d’églises » et de cathédrales qui abrite une des plus vieilles communautés juives d’Europe et dont la deuxième religion s’appelle l’islam, nous sommes viscéralement attachés à la laïcité qui est l’âme de la République. Socialistes et internationalistes, nous sommes indéfectiblement attachés à la nation et profondément européens – par nos racines comme par nos convictions.

Pour nous, pas d’opposition entre notre patrie et notre idéal. Nous voulons construire l’Europe sans défaire la France. Nous ne sommes pas de la gauche qui ricane ou qui soupire quand elle entend les mots de nation ou de patrie. Pour toutes ces raisons, nous sommes politiquement et personnellement heurtés de cette initiative pernicieuse, de ce mauvais coup porté à la France, un coup qui nous blesse.

Nous aimons notre pays, et instruits de Victor Hugo nous croyons avec lui qu’à la beauté d’Athènes et à la grandeur de Rome, la France peut, quand elle le veut, ajouter la bonté et la justice. Mais l’amour d’un pays, pas plus que celui d’une personne, ne se commande. Il se ressent ; il peut, aussi, être transmis. Encore faut-il que l’égalité soit plus qu’une incantation, que la ségrégation sociale soit combattue, que certains ne se sentent pas abandonnés par leur pays quand d’autres se retrouvent douillettement à l’abri du bouclier fiscal.

Nous aimons chanter La Marseillaise – et pas seulement avant les matchs de l’équipe de France -, mais nous ne voulons pas que l’on dise à qui que ce soit quand et où l’entonner. Nous aimons l’identité de la France, c’est-à-dire sa culture, son histoire, sa langue, ses paysages, sa littérature ; c’est-à-dire aussi sa recherche scientifique, sa création artistique, sa jeunesse ; c’est-à-dire surtout les femmes et les hommes qui l’ont construite au fil des siècles, vagues d’immigrations successives venues se fondre dans le creuset national. La France est un alliage et son identité est mêlée. L’identité de la France est un patrimoine vivant. Que cette identité soit précieuse, nous l’affirmons. Qu’elle doive être défendue, nous en convenons. Qu’elle soit manipulée, nous le refusons.


Aquilino Morelle est maître de conférences à Sciences Po et ancien conseiller de Lionel Jospin à Matignon ;

Manuel Valls est député de l’Essonne et maire d’Evry.

 

 

 

 

« On ne crée pas un sentiment d’appartenance avec des injonctions »

Publié le 27.10.09

Démographe et enseignante-chercheuse à l’université de Versailles-Saint-Quentin, Olivia Samuel a codirigé l’ouvrage En quête d’appartenances, étude démographique sur la construction des identités. Publié il y a deux mois, ce livre s’appuie sur une enquête quantitative menée en 2003 auprès d’un échantillon représentatif de 10 000 personnes en France métropolitaine.

Comment définissez-vous le terme « d’identité nationale » ?

Pour moi, « l’identité nationale » n’évoque strictement rien. Nous ne nous sommes pas posés la question de savoir ce que recouvrait cette expression, ce n’était pas l’objet de notre travail de recherche. Il y a juste eu un téléscopage médiatique entre notre livre et l’actualité. Notre but était de définir l’identité au sens large et sans a priori, c’est-à-dire que les gens apportent eux-mêmes leur propre définition. Et ce qui ressort de l’enquête, c’est qu’il existe de multiples identités.

Dans le titre du livre, En quête d’appartenances, ce dernier terme est justement au pluriel car l’identité est pluridimensionnelle. Elle se construit en fonction de la famille, du statut social, du territoire, etc. Elle se construit aussi tout au long de la vie : l’identité n’est pas figée, elle évolue selon les expériences personnelles et collectives. Ainsi, le débat politique risque d’appauvrir le questionnement. Si on ne retient que l’aspect national de l’identité, c’est très réducteur.

Mais l’identité nationale peut-elle être une composante de l’identité au sens large ?

Oui, bien sûr. On voit dans un chapitre sur l’appartenance au territoire que certains se reconnaissent dans leur pays. A la question « Vous sentez-vous avant tout : d’une région de France ? Français ? Européen ? D’un autre pays ? », 59 % se sentent avant tout français, 25 % d’une région de France, 10 % européens et 4 % d’un autre pays. L’attachement à un territoire comporte plusieurs échelons, il est lié aux trajectoires de vie. Et d’une manière générale, l’ancrage est plus fort pour le local. Par ailleurs, il faut aussi faire attention aux raccourcis rapides entre identité nationale et parcours migratoires.

Le ministre de l’immigration et de l’identité nationale, Eric Besson, souhaite notamment « que tous les jeunes Français aient une fois dans l’année l’occasion de chanter la Marseillaise ». Que pensez-vous de ce genre de mesures ?

D’un point de vue global, dans toutes les politiques, dès qu’il y a des mesures coercitives sans consensus ni adhésion, c’est peu efficace. Il y a même un risque de provoquer des oppositions vives. On ne crée pas un sentiment d’appartenance avec des injonctions.

L’identité est-elle un sujet tabou ?

Je dirais surtout que c’est un sujet qui vient « d’en haut », imposé par les discours politiques et les débats scientifiques. Dans la vie de tous les jours, je ne pense pas que les gens se posent par eux-mêmes des questions d’identité. En dehors de mon activité professionnelle, ça ne m’est jamais arrivé de débattre de mon identité ou de celle des personnes avec qui je parle.

 

 

 

Jean-François Bayart : « Il n’y a pas d’identité française »

Publié le 06.11.09

Jean-François Bayart est directeur de recherche au CNRS (SciencesPo-CERI) et président du Fonds d’analyse des sociétés politiques, auteur notamment de L’Illusion identitaire (Fayard, 1996), de Le Gouvernement du monde. Une critique politique de la globalisation (Fayard, 2004) et de L’Islam républicain (Albin Michel), à paraître le 3 mars 2010.

Le débat sur l’identité nationale relancé par Eric Besson vous semble-t-il fondé, historiquement et intellectuellement ?

 Jean-François Bayart : Il est dangereux de voir le pouvoir politique s’emparer ex cathedra de la définition de l’appartenance, de l’identité nationale, c’est-à-dire, simultanément, de l’exclusion du corps national. Historiquement, cela me semble non fondé pour des raisons intellectuelles. Les identités n’existent pas. Il n’y a pas d’identité française mais des processus d’identification contradictoires qui définissent la géométrie variable de l’appartenance nationale et citoyenne. La France s’est constituée de cette manière par vagues successives de mouvements humains. Car outre l’immigration, il faut aussi tenir compte dans la définition de la nation française d’un autre mouvement circulatoire : l’exode rural. « L’identité de la France », comme l’appelait Fernand Braudel, procède aussi de l’arrivée à Paris et dans d’autres grandes villes d’Auvergnats, de Bretons, etc. Ces processus complexes et d’ordre historique ne relèvent pas de la volonté et du projet politiques. Il y a dans la démarche d’Eric Besson et de Nicolas Sarkozy une espèce d’accaparement de la complexité de l’histoire française qui rappelle de biens mauvais souvenirs du point de vue de notre histoire. Quand le politique cherche à s’emparer du social, et singulièrement de l’identitaire, le totalitarisme n’est jamais loin.

Y a-t-il eu dans l’histoire contemporaine de la France des périodes où l’on soulevait cette question de l’identité nationale ? Et si oui, qu’est-ce que cela traduit ? Une période de trouble ? D’incertitude sur l’avenir ?

La période de trouble est d’autant plus tangible que la classe politique française, depuis trente ans, toutes tendances confondues et pour des raisons électorales, a flatté les sentiments de peur des Français. Cela a été conforté par la crise économique et le chômage, la déshérence d’institutions sociales centrales de la République et des banlieues. Cette inquiétude s’est trouvée accentuée par la volonté de rupture de Nicolas Sarkozy. Celle-ci remet en cause des fondamentaux du pacte social français, comme le service public, élément constitutif de l’imaginaire national français.

Les Français auraient plus confiance en eux s’ils avaient une classe politique qui leur explique les formidables transformations du pays depuis 1945. Il est injuste d’enfermer la France dans la ringardise et son incapacité à changer. Le discours obsidional face à la mondialisation ne prépare pas l’avenir. La France vit sur un paradoxe et dans la schizophrénie : comme grande puissance exportatrice, elle profite de la globalisation, mais sur le mode de l’autodéfense. Sur ce point, la classe politique française n’a jamais porté un discours mobilisateur, notamment quant à l’immigration, qui est une opportunité et une ressource de croissance. Le débat public est dans l’impasse. Depuis plus de trente ans, la législation fabrique à tour de bras des clandestins au nom de la lutte contre la clandestinité. Ce n’est pas innocent car nous savons que des pans entiers de l’économie nationale, comme le BTP, la restauration, le textile reposent sur la surexploitation des clandestins. Ce sentiment de peur a été construit, il n’a rien d’objectif. Et la France s’est installée dans le mensonge, ou en tout cas le déni de la réalité.

Si on se place du côté des défenseurs de la proposition de Besson, soulever cette question revient à s’interroger sur la place de chacun dans la nation… Comment faire entrer dans l’idée de nation des groupes humains installés en France et attachés à leur particularisme, mais qui n’ont rien à voir avec l’histoire de France ?

Il faut relativiser ce phénomène. Dans les années 1980, on lisait déjà des articles apocalyptiques sur l’impact des antennes paraboliques sur le comportement des migrants. C’est un fantasme. D’ailleurs, à propos de l’exode rural, les Aveyronnais qui ont conquis les cafés de Paris continuaient à vivre en symbiose avec leurs terres d’origine, sur lesquelles ils ont construit des maisons pour leur retraite. Il en est de même aujourd’hui à l’aune de la globalisation. On sait aussi que les phénomènes d’appartenance ne sont pas nécessairement exclusifs les uns par rapport aux autres. On peut se sentir parfaitement Français et en symbiose avec son terroir d’origine. N’oublions pas qu’hier c’étaient les Juifs que l’on accusait d’être apatrides ou d’avoir d’autres allégeances que celle de la nation. Par ailleurs, les gens ne vivent pas dans leur communauté comme des sardines dans une boîte. Les plus âgés gardent un enracinement plus grand dans leur terre d’origine. Leurs enfants sortent de chez eux et évoluent dans la société. Il y a une interaction évidente entre ces communautés, si tant est que le mot soit approprié, et le reste de la société.

Les grandes institutions sont en crise. Elles n’intègrent plus ?

Effectivement, des institutions comme l’école, le Parti communiste, l’Eglise sont en crise et il me semble normal qu’elles intègrent moins qu’avant. Il y a en revanche une institution qui se porte très bien, même si elle s’est recomposée, c’est la famille. Toutes les enquêtes de l’INED (Institut national des études démographiques) démontrent que la famille reste la grande machine d’intégration. La famille recomposée, véritable amortisseur à la crise, joue ce rôle de l’intégration. L’intégration des étrangers ne se pose pas de façon radicalement différente aujourd’hui, même si les modalités ont évolué vu le changement d’époque.

N’aurait-il pas mieux fallu poser la question : « La République aujourd’hui, qu’est-ce que c’est ? »

Effectivement. Admettons que nous restons tributaires de la IIIe République. Ce qui était frappant chez les Républicains radicaux, comme Jules Ferry et Léon Gambetta, c’était leur réalisme, leur sens des proportions et de la relativité. Ils se qualifiaient d’« opportunistes », autrement dit ils avaient le sens de l’opportunité, du possible. Cet « opportunisme » républicain n’avait strictement rien à voir avec la compromission. Dans cet esprit, ils ont accepté la Constitution de 1875, qui était un compromis avec les Orléanistes. Les « opportunistes » ont réagi de la même manière avec la paysannerie, très conservatrice. Ils ont donné du temps au temps pour l’absorber dans l’espace républicain.

Ce qui me frappe aujourd’hui, c’est que nous nous enfermons dans une fuite en avant, de faux débats, comme celui de la burqa, qui ne concerne au pire que 500 femmes – si 500 femmes menacent la République, c’est qu’elle est décidément bien malade ! Contrairement à ce que Ferry ou Gambetta recommandaient, ces différents problèmes que nous rencontrons (école, vêtements), nous les reconstruisons sous la forme d’un problème générique : celui de l’islam, qui serait insoluble dans la République. Les « opportunistes » radicaux de la IIIe République n’ont pas agi de cette manière, ils ont sérié les difficultés, les ont fragmentées, et se sont bien gardés de les ériger en un méta-problème. Mais notre classe politique nous entraîne dans le piège : toujours plus de lois, toujours plus de répression. L’affaire de Sangatte et de la « jungle » est emblématique de ce manque de pragmatisme et de sens de l’opportunité. Rien n’a été résolu.

Il faut revenir à l’esprit de nos grands républicains, non par fondamentalisme idéologique à la Chevènement ou la Finkielkraut, mais du point de vue de la sociologie historique du politique. Il faut savoir donner aux migrants le temps de se fondre dans la société française et de lui apporter leur propre contribution. La classe politique paie l’opinion de mots en fantasmant des moulins et en se précipitant contre eux pour les pourfendre.

Poser ainsi la question, n’est-ce pas aussi prendre le risque de revenir sur la conception française de la nation, à savoir politique et citoyenne, au profit d’une conception allemande de la nation, c’est-à-dire culturelle et ethnique ?

Le grand risque d’évoquer l’autochtonie, fût-ce pour en appeler à l’intégration, d’essentialiser l’identité française, c’est de dire qu’il y a des allogènes. Le génie de la République française a effectivement été le droit du sol. Il était facile de devenir Français. Le risque consisterait à voir la classe politique française et l’Etat prendre au sérieux son propre discours sur l’autochtonie. Si vous avez une législation qui facilite cette interaction entre les étrangers et les Français, vous intensifiez l’interaction mutuelle généralisée. Si par une série de mesures plus ou moins vexatoires, vous faites comprendre aux étrangers qu’ils le sont et le resteront, c’est extrêmement dangereux.

Ce danger est d’autant plus grand qu’une nation repose souvent sur l’oubli, voire le mensonge, comme le disait Renan. En France, nous n’avons jamais vraiment voulu voir que notre République est ethno-confessionnelle. Même à l’époque de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, les Français catholiques étaient un peu plus français que les autres, pourvu qu’ils ne fussent pas ultramontains. La République n’a pas eu de peine à coopter ses protestants. La République française a eu beaucoup de peine à admettre sa part juive, au point qu’elle l’a livrée à l’Holocauste lors de la seconde guerre mondiale. Et aujourd’hui nous entendons le ministre de l’intérieur parler de « prototype » de l’Arabe, pardon de l’Auvergnat ! Il y a des démons d’exclusion dans l’histoire française.

Le débat sur l’identité nationale est très mal venu parce qu’il tend à accréditer cette illusion selon laquelle il y a des identités naturelles, alors que les identités, ce sont ce que nous en faisons socialement, politiquement et empiriquement, au jour le jour. La définition de la nation appartient à la société, non à l’Etat, dont les prétentions identitaires nous conduiront inévitablement là nous savons, de par notre histoire tragique.

Mais la République n’existait plus lors de la promulgation des lois anti-juives sous Vichy, même si le président Chirac a reconnu la responsabilité de la République dans la rafle du Vel d’Hiv ?

Je croyais avoir lu au lycée que le maréchal Pétain avait reçu les pleins pouvoirs par un vote de la représentation nationale… Le discours du Vel d’Hiv de Jacques Chirac en a fini avec cette fiction de la responsabilité du seul « Etat français » dans l’Holocauste. C’est bel et bien une part de la République qui a livré ses juifs aux nazis, comme elle avait accusé Dreyfus de trahison. L’esprit républicain ne relève pas de la sainteté, il consiste en un combat politique pour que la République soit à la hauteur de ses valeurs proclamées – la lutte de l’optimiste désespéré puisque par définition un régime politique participe de l’incomplétude.

 

 

Les pièges et arrogances du creuset républicain, par Alain Renaut

Publié le 07.11.09

Certains avaient cru pouvoir célébrer en 1998, lors de la Coupe du monde de football remportée par une équipe de France « black-blanc-beur », l’avènement d’une identité nationale composée de la diversité humaine. Ce fantasme d’un modèle français intégrant les différences sans « assimilationnisme » s’est pourtant très vite dissipé.

Le débat sur la laïcité par lequel la France a ouvert le XXIe siècle, et qui a abouti à la loi de 2004 interdisant dans son école les « signes religieux ostensibles », témoigna déjà, par ses ambiguïtés, de ce qu’a de trouble la gestion de notre identité nationale. Ce débat suscita des appréciations fort divergentes. Du moins s’y affirma ce qu’entend être, à tort ou à raison, la politique française de reconnaissance de la diversité culturelle. Une politique selon laquelle la diversité, acceptable dans la sphère privée, ne doit pas l’être dans la vie publique, sauf à s’accompagner d’un renoncement à ce que les personnes concernées identifient souvent comme une part d’elles-mêmes.

Nous avons une façon bien française, difficile à objectiver pour nous, de nous rapporter à tous ceux qui ont une autre histoire, mais croisent, de façon volontaire ou forcée, la nôtre. Une façon de nous rapporter aux autres qui les invite, à la faveur d’une forte pression mimétique, à disparaître dans le creuset républicain.

Ce creuset a lui-même son histoire, et ses moments de grandeur. La France fut la première, en 1791, à donner aux Juifs la citoyenneté. L’idéologie du creuset a aussi son envers, celui de la colonisation, enjoignant à l’autre de se soumettre à la domination d’une nation qui imposait, en même temps que la loi de ses armes, le poids de sa culture et de ses valeurs.

Sauf à décider d’oublier ce geste colonisateur, voire, en ironisant sottement sur la repentance, de le réhabiliter, force est de se demander si ce prétendu républicanisme où la conscience nationale se reconnaît n’est pas simplement l’autre nom du vieux nationalisme qui érige en universel un modèle identitaire particulier. Comme si, par une chance inouïe, notre identité, produit d’une histoire, avait la fantastique singularité de coïncider avec l’universel. Fabuleux et commode privilège : nul travail, de notre côté, à faire sur nous-mêmes pour nous ouvrir à l’altérité de l’autre, tout l’effort incombant à ce dernier – un effort que nous supposons animé par l’envie irrépressible de nous rejoindre dans cet universel que nous incarnerions si bien.

Effarant soliloque d’une conscience nationale restée étonnamment arrogante, abusée qu’elle se trouve par de fort anciennes illusions s’enracinant dans la façon dont, il y a plus de deux siècles, la France révolutionnaire crut apporter les droits de l’homme au monde et avoir pris ainsi, à jamais, un passeport pour l’universel. Dès lors toutefois que se dissipent ces illusions, l’autre resurgit dans son altérité, autrement plus irréductible et plus résistante à sa dissolution dans le creuset républicain qu’on ne l’avait cru. La tentation est grande alors de stigmatiser cet autre qui nous oppose, avec un entêtement que nous comprenons mal, son refus d’être le même, c’est-à-dire d’être ce que nous sommes et tels que nous sommes. La simple raison n’impose-t-elle pas pourtant de se demander pourquoi il le voudrait ou l’accepterait, au prix d’un renoncement à être ce qu’il est et tel qu’il est ?

De ce point de vue, la façon dont un ministère chargé entre autres de l’identité nationale a été créé en 2007 et tente aujourd’hui d’en promouvoir avec volontarisme la valeur peut légitimement inquiéter. Il y eut d’abord des maladresses. Associer si étroitement, dans l’intitulé même de ce ministère, immigration et identité nationale incitait à penser que cette dernière devait être conçue et pratiquée par purification des éléments de diversité qu’elle ne contient pas « naturellement », et qui ne pourraient lui être agrégés qu’à la faveur de procédures de « naturalisation ». Singulière approche d’une réponse à la question de savoir qui est français, et quelle signification accorder au fait d’être français aujourd’hui. Surtout, le volontarisme affiché dès cette création, et explicité dans les propositions récentes d’Eric Besson, conduit à s’interroger sur le type de républicanisme dont cette politique participe.

Rien ne mobilise davantage, en France, la vigilance républicaine que le soupçon qu’une forme de communautarisme est en train de s’installer. On peut, même si l’on se réclame davantage d’une conception libérale de la démocratie (plus tolérante à la diversité) que d’une conception républicaine (prompte à l’exclure de l’espace public), partager cette vigilance. De fait, quand la fidélité aux histoires particulières tend à l’emporter sur le respect des droits et des devoirs que partagent les membres de la même collectivité nationale, cette collectivité dérive en un agrégat de particularités que cimente de moins en moins une même éthique publique. Pour condamner cette communautarisation, on trouvera donc toujours mobilisés les démocrates aussi bien libéraux que républicains.

Encore faut-il ajouter, en revanche, que la conception de l’être-ensemble qui en réduit les modalités au partage de la citoyenneté devient elle aussi dangereuse, quand l’identité nationale se communautarise à son tour. Ce qui survient dès lors que l’on ne pense plus la nation comme simple communauté civique (réunie autour de principes juridiques et politiques), mais aussi et de plus en plus comme communauté française de langue et de traditions. Une communauté présentée comme lestée de valeurs irréductibles à celles de toute autre communauté. Dans ce cas, une forme de communautarisme guette le nationalisme républicain, parce que la fidélité à l’identité nationale en vient à prendre le pas sur le respect des droits et des devoirs impliqués par l’appartenance à l’humanité comme telle.

Au-delà de l’appréciation d’une politique, vouée à ne durer qu’aussi longtemps que les stratégies politiciennes qui l’animent apparaîtront l’imposer, c’est une interrogation plus riche et plus durable qui ici se profile : la référence à la nation implique-t-elle l’exaltation nationaliste d’une identité remplie de contenus de plus en plus lourds, ou cette référence peut-elle demeurer adossée à une forme de cosmopolitisme moral ?


Alain Renaut est philosophe, auteur de « Un humanisme de la diversité. Essai sur la décolonisation des identités », Flammarion, 2009.

 

 

 

Abordons sans crainte une discussion démocratique et salutaire, par Yazid Sabeg

Publié le 07.11.09

L’issue de tout débat public dépend de la clarté des intentions qui l’animent et des buts poursuivis. Débattre de l’identité nationale ne supporte précisément pas la confusion ou le mensonge, pas plus que la facilité des surenchères populistes. Nul autre que Nicolas Sarkozy, lui-même enfant de migrant, ne pourra mieux lever les ambiguïtés que d’aucuns cherchent à glisser ici ou là, faute de quoi les ennemis de l’unité nationale l’emporteront à la faveur d’un débat médiocre, inutile et régressif.

Ce débat peut être l’occasion de rassembler le pays dans sa diversité, après les occasions manquées de 1998, 2002 ou 2005. Il n’y a pas à en avoir peur. Les discussions ouvertes et transparentes finissent toujours par confondre ceux qui tentent de les instrumentaliser. La France s’honore de mener une réflexion collective là-dessus.

Au contraire, c’est souvent l’absence de débat qui sclérose et laisse s’installer des évidences suspectes. Je pense à l’appellation révoltante « Français de souche ». Je pense à cet universalisme que la France revendique haut et fort : il est bon d’y revenir de temps à autre. L’universel a cette fâcheuse tendance à se réduire aux intérêts particuliers du groupe dominant lorsqu’il n’est plus mis à l’épreuve.

Laisser penser que l’identité nationale est monocolore serait une faute, suggérer qu’elle n’existe pas en est une autre. Fernand Braudel n’a-t-il pas dit qu’une nation « ne peut être qu’au prix de se chercher elle-même sans fin » ? Ce débat nous offre justement l’opportunité de cet exercice démocratique. C’est déjà en soi un moyen de nous réunir.

Sur le fond, nous pouvons être confiants : notre modèle reste solide, attractif et assimilateur – j’ose le mot – pour l’immense majorité de nos concitoyens qui n’aspirent justement qu’à y participer. La nation française est bien plus unie qu’on ne le pense, le sentiment organique d’être français existe. Certes, des apprentis sorciers agitent la menace du communautarisme , insinuant que des groupes sociaux, ethniques ou religieux s’organiseraient pour neutraliser l’Etat et exiger des droits spécifiques ou des accommodements contraires à la République. Ce scénario régressif nourri d’images réductrices sur le multiculturalisme américain relève du fantasme. Si l’on prend le seul sentiment religieux, l’étude publiée en 2009 par l’institut Gallup montre la fausseté du prétendu « repli » des musulmans de France. Ils ne sont que 4 % à vouloir vivre « entre eux », 83 % à rechercher un environnement diversifié.

Notre modèle est assimilateur et attractif, mais notre société a cessé de l’être. Une part de nos concitoyens estiment qu’on leur dénie la légitimité d’être français. Cherchant à être reconnus comme citoyens, ils sont renvoyés à leur couleur de peau, invités à « rentrer dans leur pays ». Beaucoup de Français – aux Antilles, dans nos quartiers – regrettent que les apports de leurs ascendants ne soient pas mis en valeur dans le panthéon identitaire français. Toujours selon Gallup, 80 % des musulmans français déclarent être profondément attachés à la France et loyaux envers elle. Chose curieuse, seulement 44 % des Français pensent qu’ils le sont effectivement. Cruel contraste !

Nous tenons une chance de dissiper les malentendus et le déni qui se sont installés à l’endroit de la diversité de la France, de l’évolution de son peuplement. Ne la gâchons pas. Tant que nous persisterons à renvoyer l’identité à la religion, à la race ou l’origine – que ce soit pour condamner ce mélange ou pour l’encourager -, nous perdrons du temps. Nous savons bien que notre identité ne renvoie ni à une religion, ni à une race, ni à une origine. Cessons alors d’associer questions d’identité et gestion des flux migratoires, en invoquant la notion d’intégration, a fortiori pour des populations déjà installées ici depuis des générations. On se demande bien à quoi les minorités visibles, Français nés en France de parents français, devraient s’intégrer. La France universelle a promu, à l’inverse des Anglo-Saxons, un idéal assimilationniste. Elle a failli à ce modèle pendant la période coloniale au profit de la doctrine racialiste de l’intégration, conçue pour refuser l’égalité des droits et empêcher que les colons ne soient mêlés aux indigènes. A force de récuser l’impact de cette histoire coloniale, il n’est pas étonnant que des représentations forgées à cette époque continuent de nous hanter souterrainement. Le moment est venu de leur faire un sort.

Alors que faire ? J’entends que pour restaurer la cohésion nationale il faut enseigner une histoire différente selon les publics et les origines, et je frémis. L’école de la République ne doit donner ni un enseignement à la carte ni un enseignement tronqué : il faut que tous les enfants aient accès à toute l’histoire – celle des Gaulois et des autres -, connaissent la diversité du peuplement français et puissent s’y projeter.

L’identité française n’est pas figée, elle est évolutive. Il est temps de réunir la communauté nationale autour d’une vision inclusive de l’identité. Il est temps de dire que l’identité nationale est riche d’une diversité d’origines d’égale dignité dont chacun peut être fier. Le débat sur l’identité n’aura plus lieu d’être lorsque les petits-enfants de migrants de toutes origines sauront et seront heureux de ce que leurs grands-parents ont fait pour ce pays, que la France aura dit publiquement et de diverses manières qu’ils ont été des agents moteurs de l’esprit français. Ce jour-là, l’évidence et le bonheur d’être français qui s’étalent complaisamment sur les plateaux télé seront effectivement partagés par toute la population. Tant que cette fierté n’ira pas de soi dans des familles françaises, des manipulateurs pourront instrumentaliser les rancoeurs envers une nation dont beaucoup estiment hélas qu’elle n’a pas toujours reconnu les siens.

Ce genre de malaise ne se soigne pas avec des injonctions. Le rappel de La Marseillaise ou le salut au drapeau ne valent pas conscience civique ni fierté d’appartenance nationale. Nos valeurs, il faut les faire vivre au quotidien et se montrer à la hauteur des principes affichés : assurer l’égalité, toute l’égalité, sans la tronquer ni en exclure quiconque. Garantir la liberté, notamment celle d’être différent, protéger la laïcité, rien que la laïcité. La France doit rester ce pays qui permet à chacun d’être individuellement ce qu’il veut être, sans reconnaître d’autre communauté que la République. L’application de ces principes passe par une action positive de grande ampleur, et par des actes symboliques. La première est longue à mettre en oeuvre, chacun le voit. Ne nous privons pas de réussir les seconds lorsque l’occasion se présente.

 


Yazid Sabeg est commissaire à la diversité et à l’égalité des chances.

Accès à l’étude Gallup : www.muslimwestfacts.com.

 

 

 

 

About GhjattaNera

prufessore di scienze economiche e suciale a u liceu san Paulu in Aiacciu

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