27 janvier …65 ans après la libéralisation du camp d’Auschwitz- Birkenau

ce jour la commémoration de la libération des camps d’Auschwitz et de Birkenau par l’armée rouge

un mot du Pape

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Et le Problème de la disparition des vestiges

et la parole contre l’extermination

Ne pas témoigner, c’est risquer de ne pas transmettre, mais témoigner, c’est aussi ajouter au désastreux effet de cumul et inscrire la Shoah dans le périmètre de l’imaginable. Le récit de l’extermination des juifs est un défi à la littérature.

« Nos larmes et nos souffrances noyées dans un océan de notes ! » : tel est le cri qu’arracha un jour à un survivant la contemplation de l’indispensable et inexorable accumulation des travaux historiques sur la Shoah. Pour essentiels qu’ils soient, les ouvrages de pure historiographie laissent parfois au rescapé une impression de malaise. Comme si sa voix était recouverte avant même d’avoir été entendue. Comme si le savoir et les documents s’apprêtaient à glacer, pour toujours, l’émotion et la sympathie si difficilement gagnées sur un silence pesant depuis 1945.

Quand la seconde guerre mondiale se termine, ils ne sont déjà plus que 2 500 déportés juifs de France (sur 75 000) à revenir des camps d’extermination. Mais »déportés raciaux », comme on les appelle alors, ceux qui seraient à même de faire la chronique du désastre sont alors noyés dans la grande masse des »autres »(40 000), ceux qui reviennent des camps dits »ordinaires ». Tous retrouvent un pays traumatisé par la défaite et l’Occupation, une population qui n’a de cesse d’oublier au plus vite l’une et l’autre. Les survivants arrivent, en outre, dans un temps où la guerre froide commence à brouiller les repères, et où, quelques mois seulement après leur libération, les récits du calvaire paraissent déjà appartenir à un autre âge.

Bientôt, leur voix lasse et puis se perd. Déjà, les éditeurs renâclent à publier les premiers récits. C’est en Argentine et en yiddish qu’Elie Wiesel fera, pour la première fois, paraître Et le monde se taisait, ce texte qui fera ensuite le tour du monde sous le titre la Nuit (paru en France en 195Smilie: 8). La première édition de Si c’est un homme, de Primo Levi (réédité en Pocket), n’excède pas deux mille cinq cent exemplaires, en 1947, et six cents invendus disparaissent dans une inondation à Florence. En France même, quel aura été l’audience des témoignages les plus bouleversants sur Auschwitz que furent par exemple Sans armes et sans bagages, de Louise Alcan, ou Pour que la terre se souvienne, de Léon Wells ?

Et puis veulent-ils tous témoigner ? Peuvent-ils tous briser ce silence à l’abri duquel il est aussi possible de rebâtir, ce silence qui demeure, chez beaucoup, peuplé de terribles fantômes ? Certains sont hantés par l’impossibilité de vivre avec ces souvenirs sans les porter au-dehors d’eux par l’écriture, mais la majorité des rescapés n’écriront jamais. Les mots ne sont pas toujours à la mesure de ce qu’ils relatent, et David Rousset, dès 1947, prenait conscience de l’implacable solitude du témoin.« Les hommes normaux ne savent pas que tout est possible, écrit-il dans l’Univers concentrationnaire (réédité par Hachette en collection »Pluriel »). Même si les témoignages forcent leur intelligence à admettre, les muscles ne suivent pas. (…Smilie: ;) La mort habitait parmi les concentrationnaires toutes les heures de leur existence. Elle leur a montré tous ses visages. Ils ont touché tous ses dépouillements (…Smilie: ;) Ils ont cheminé des années durant dans le fantastique décor de toutes les dignités ruinées. Ils sont séparés des autres par une expérience impossible à transmettre. »

Solitude de ceux qui parlent, solitude de la très grande majorité qui se tait. Car beaucoup se renferment dans le mutisme, ou bien réservent leurs souvenirs aux camarades de l' »autre planète », seuls prêts à les écouter et à les comprendre. Comment partager avec ceux qui n’y étaient pas les expériences d’un monde où les médecins ont pour rôle de tuer, où l’on envoie des prisonniers-esclaves creuser des boyaux de mines menacés par le grisou sans casque, avec des flammes à l’air libre, où la moindre défaillance physique entraîne non la compassion mais la chambre à gaz ?

En France, le tissu associatif au sein duquel se conserve la mémoire reste largement dominé par les déportés communistes. A cette époque, le camp-type est Buchenwald et non Auschwitz. En Israël, où un habitant sur trois est, en 1949, un rescapé du génocide, une mémoire officielle de la Shoah se met en place (mémorial de Yad Vashem au début des années 50, loi sur la journée de la Shoah). Mais on cherche à mettre l’accent sur l’héroïsme et la résistance juive autant, sinon plus, que sur le martyre lui-même, et la foule des victimes se voit parfois reprocher de s’être« laissée mener comme des moutons à l’abattoir », selon l’expression du poète sioniste et résistant du ghetto de Vilna, Abba Kovner. Le danger d’une histoire sans hommes.

Si le temps et surtout certaines oeuvres majeures comme le Shoah de Claude Lanzmann, ont permis de percer, par endroits, la barrière de sang et de silence qui séparait le témoin de l’espace public, le témoignage du génocide est demeuré une tâche prométhéenne. Ne s’agit-il pas, comme le montre Shoshana Felman dans un très beau texte sur le travail de Claude Lanzmann, de rendre compte d’un pan d’histoire conçu d’avance comme un « événement sans témoin, événement dont le projet même est, historiquement, l’oblitération littérale des témoins » (1) ?

Seule la présence du témoin permet pourtant d’éviter que l’extermination des juifs soit aujourd’hui exclusivement considérée du seul point de vue des bourreaux, de façon abstraite, comme un simple résultat de procédures administratives et bureaucratiques, comme une question de technique… Le témoin ou le témoignage d’époque n’a pas pour fonction de faire revivre les morts. Il permet plutôt d’éviter que le récit de l’extermination ne se métamorphose en histoire sans hommes, que le savoir purement historiographique ne dégénère en processus psychologique de mise à l’écart faiblesses sur lesquelles la taraudante menace négationniste ne tarderait pas à planter son drapeau. Mais comment faire droit à cette parole qui, l’âge, la force et le nombre des survivants aidant, se fait de plus en plus ténue et difficile à entendre ? Que deviendront la mémoire et l’histoire de la Shoah quand les témoins auront disparu ? L’université Yale, aux Etats-Unis, et son antenne française, dirigée par Annette Wieviorka, s’occupent activement de recueillir sur cassette vidéo les récits de ceux qui n’ont pas écrit. Souvent ces entretiens filmés sont bouleversants. Mais quelle sera leur diffusion ? Quel sera leur public ?

Un sondage Louis Harris effectué, en octobre 1993, pour l’American Jewish Committee, révélait que 5 % des Français interrogés estimaient « possible que l’extermination des juifs par les nazis n’ait jamais eu lieu » (contre 7 % des Anglais et chiffre inquiétant entre tous, 22 % des Américains). Cependant, 67 % de ces mêmes Français disaient avoir déjà entendu cette affirmation. Il est par ailleurs troublant que seuls 45 % des sondés français s’accordent sur le chiffre approximatif le plus proche de la réalité de 6 millions de victimes juives.

L’impression de surcharge, de déjà vu et de redite produite par les témoignages est trompeuse. Elle ne correspond ni au public, qui demeure, à quelques exceptions près, tristement limité, ni à ce que les éditeurs publient des centaines de manuscrits qu’ils reçoivent. Certains de ces manuscrits, à les entendre, ne possèdent pas les qualités minimales que l’on attend d’un livre commercialisé. Pour beaucoup, l’édition de ce genre d’ouvrages continue à s’apparenter à un acte militant, à la conviction que « la Shoah n’est pas seulement l’affaire des juifs et des fédérations de déportés », comme l’explique François Gèze, PDG de La Découverte.

Rares sont les témoignages parus récemment dont la diffusion a excédé les mille exemplaires et Si tu t’en sors, de Nadine Heftler, a été considéré comme un assez beau succès avec… 3000 ventes. Encore ce texte, écrit dès le retour de déportation, a-t-il mis près de quarante ans avant d’être accepté par La Découverte.« Le témoignage, résume Nicolas-Jean Sed, directeur littéraire aux Éditions du Cerf, pose un problème éthique insoluble : il y a un droit au témoignage, un droit à ce que cette parole-là accède à l’espace public. En ce domaine, je n’ai pas de politique. Seul commande le devoir de publier. Ici, on ouvre une tribune à l’histoire abyssale de la souffrance humaine, seul lieu où il n’est pas indigne de penser. C’est tout. » Quant aux témoins qui se sentent pressés par le temps et l’offensive négationniste, ils sont écartelés par ce que Nicole Lapierre, directeur de recherche au CNRS (2), nomme l’« aporie du témoignage ». Car ne pas témoigner, c’est risquer de ne pas transmettre, mais témoigner, c’est aussi ajouter au désastreux effet de cumul et inscrire la Shoah dans le périmètre de l’imaginable. La solution consiste-t-elle à trouver des mots neufs ? A inventer ce que certains appellent une »poétique »du témoignage ?

Comme le signale Annette Wieviorka dans Déportation et Génocide, paru chez Plon en 1992, le rescapé français qui veut témoigner est en effet « privé de toute référence ». A l’inverse de la littérature yiddish ou de celle du Goulag,« ce qui frappe c’est (…Smilie: ;) l’absence de matrice littéraire, due d’ailleurs à l’étrangeté d’un phénomène, celui du camp de concentration, totalement extérieur à la culture politique et littéraire française ». Charlotte Wardi, professeur de littérature à l’université de Haïfa, elle-même rescapée, dénonce par avance l’esthétisation de la Shoah. Pour cette femme, qui n’a pas voulu témoigner, sinon pour les membres de sa propre famille, la tentation de « faire du beau avec la Shoah » est dangereuse (3). Mais le beau n’est pas la seule définition de l’art, comme le rappelle un extrait de Ravensbrück et ses commandos, d’Elisabeth Will : « Seul un récit qui serait une oeuvre d’art saurait restituer, dans son évocation ramassée et poignante, ce que fut véritablement notre existence en enfer. »

Le débat, qui engage de profondes remises en cause d’ordre esthétique autant qu’éthique, n’est toujours pas clos. Reste que de nombreux témoins tiennent à souligner la précision de leur narration pour en revendiquer le caractère historique.« Je ne suis pas romancière, déclare ainsi Nadine Heftler. Je me suis seulement contentée de me remettre dans les événements, depuis que la Gestapo a frappé à ma porte jusqu’à la fin de la guerre. »

Bien qu’il possède l’absolue légitimité de la souffrance vécue, le récit du déporté demeure pourtant, aux yeux des historiens, l’expression individuelle d’un malheur collectif. Il est susceptible de distorsions, ainsi que le remarque l’historien Raul Hilberg.« Bien que je me sois assez peu servi des témoignages, affirme-t-il, mais ils m’ont fait commettre des erreurs. »

« LA NOTION DE DEVOIR »

La solution se trouve peut-être dans la spécialisation du témoignage, qui rejoint ainsi une des tendances actuelles de l’historiographie de la Shoah. Dans sa préface au livre de Christopher Browning, Des hommes ordinaires, Pierre Vidal-Naquet rapporte la méthodologie de cet historien américain qui a suivi l’itinéraire meurtrier du 101e bataillon de réserve de la police allemande, à une quête de « signes », de« traces », de« pistes », qui apparaissent dans les plus petites cellules d’acteurs du mouvement historique. Le même Browning s’impatiente en s’écriant avec quelque agacement : « Non expliquer n’est pas excuser, comprendre n’est pas pardonner. » En serrant de plus en plus près la diversité des expériences individuelles, en analysant plus particulièrement tel ou tel aspect de la vie concentrationnaire comme ce fut le cas, récemment, pour la Musique à Terezin, de Joza Karas (Gallimard, »Le Messager », 1993) , le témoignage et l’histoire finissent par se rejoindre pour nous faire entendre cette vérité terrible, qui est encore loin d’être admise, mais à laquelle il faut bien se résoudre : la Shoah n’a pas eu lieu sur une « autre planète ». Des hommes l’ont exécutée, d’autres hommes l’ont subie. Même recherche de l’individuation chez les éditeurs. « Nous privilégions les manuscrits qui apportent quelque chose qu’on ne trouve pas ailleurs », note Nicolas-Jean Sed. Ainsi de ce récit d’une rafle dans un sanatorium, par Jo Amiel (la Rafle, Cerf, 1993), ou de l’extraordinaire Journal 1940-1942, du journaliste juif Jacques Biélinky, lui-même déporté (Cerf, 1992). Tel est aussi le cas de la Fumée de Birkenau, témoignage qui, outre ses qualités littéraires exceptionnelles, restreint l’objectif sur le Lager des femmes à Auschwitz.

Serge Klarsfeld, lui, privilégie les témoignages et les documents d’époque. Ceux-ci constituent à ses yeux un « appel, au-delà de la mort, de ceux qui n’ont pas survécu », comme ces lettres expédiées de Fresnes et de Drancy par Louise Jacobson, lycéenne de seize ans, assassinée à Auschwitz. C’est dans ce but que l’association Fils et filles de déportés travaille à l’établissement de la liste des 11 000 enfants juifs français de moins de dix-huit ans qui ne sont pas revenus d’Auschwitz avec, au moins, pour chacun d’entre eux, l’adresse de départ et une photo. Serge Klarsfeld constate, en outre, qu’il existe toutes sortes de témoignages. La déposition de police en est une comme celle de ce capitaine de gendarmerie qui a frappé de sa cravache un enfant de sept ans. Son discours sur la diffusion des livres qu’il édite tranche sur le pessimisme des éditeurs « classiques » (son Mémorial de la déportation des juifs de France a été tiré à 10 000 exemplaires, et le Calendrier de la persécution des Juifs de France, 1940-1944, éphéméride relatant les étapes de la Shoah en France, bourré de photos inédites, de lettres et de documents d’archives, à 3000). Serge Klarsfeld étend la notion de devoir aux lecteurs à qui il incombe, d’après lui, d’aller à la rencontre de ces textes souvent éprouvants.

D’autres récits devraient, avec le temps et surtout avec la fin de la focalisation exclusive sur les attitudes de résistance ou de combat, trouver des oreilles de plus en plus attentives ; ainsi des témoignages de la « zone grise » dont parlait Primo Levi dans son dernier texte, Naufragés et rescapés (Gallimard, 1989). Parus en fragments dans une livraison récente de la revue les Temps modernes (no 550), les souvenirs d’Adam Czerniakow, président du conseil juif du Ghetto de Varsovie, permettent de retrouver la voix de tous ceux qui cherchèrent à retarder la fin de ceux dont ils avaient la charge, au prix d’atroces compromis (Czerniakow finira par mettre fin à ses jours, le 23 juillet 1942, alors que commence la déportation massive des juifs de Varsovie vers le camp d’extermination de Treblinka). Entendra-t-on celle de ce membre de la police juive du ghetto d’Otwock, Calel Perechodnik, qui vient de paraître en Pologne sous le titre Suis-je un meurtrier ? (éditions Karta-Institut d’histoire juive de Pologne) ? De même que l’historiographie d’un événement comme la Shoah remet en question le tranquille précepte que Spinoza livre au philosophe,« ni rire, ni pleurer mais comprendre », de même le témoignage de la Shoah représente un défi à la littérature, dont il ébranle toute les catégories traditionnelles d’évaluation. Il se tient dans une sphère à part de l’écrit, une sphère dévorante, proposant une expérience limite à la lecture, et au lecteur une relation qui s’apparente à un devoir.

 Raphaëlle Rérolle , Nicolas Weill

About GhjattaNera

prufessore di scienze economiche e suciale a u liceu san Paulu in Aiacciu

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