Professeur dans un quartier nord de Marseille Martine Fournier

Professeur dans un quartier nord de Marseille

Martine Fournier

Dans une chronique pleine d’humour, un enseignant raconte ?son quotidien dans un lycée de quartier sensible. ?Une manière rafraîchissante de mettre à distance les difficultés du métier…

«?Prof, c’est pas un vrai métier. C’est une discipline sportive. Une épreuve d’endurance.?» C’est presque devenu un rituel depuis plusieurs années. Chaque rentrée scolaire livre son lot d’essais ou de témoignages sur la difficulté du métier d’enseignant.

Des jeunes profs surtout, parachutés en début de carrière dans des établissements réputés «?difficiles?», désarçonnés par la violence, les incivilités, les insultes et le manque de motivation des élèves.

En cette rentrée, c’est un vent de philosophie et d’humour, servi par un vrai talent d’écrivain, que nous apporte la chronique d’un enseignant en lycée technique d’un quartier nord de Marseille (1).

Professeur de français, d’histoire-géographie et d’éducation civique, Dominique Resch enseigne depuis vingt ans à des Tonio, Nadir, Moktar ou Jeremy, ces élèves en section de plomberie, maintenance électricité ou maçonnerie dont nul n’ignore le peu d’attrait pour la chose scolaire. Et il paraît y avoir pris goût?: «?En un mot, pour mon plus grand bonheur, leur vie m’a envahi?», peut-on lire dans la dédicace qu’il fait d’entrée à «?ses chers élèves?».

En vingt ans donc, il a eu le temps de cerner les ressorts de la motivation de son public. «?À huit heures, quand je parle, je sens bien que je dérange.?» Surtout le lundi matin quand, le samedi soir, l’OM a perdu?: «?J’ai beau faire tout ce que je peux, c’est foutu d’avance. Mes troupes ont le moral dans les chaussettes et on se traînera toute la journée?». Si en revanche l’OM a gagné, alors là tout est possible.

 

«?Quand l’OM perd, les résultats scolaires s’en ressentent?»

Les registres de langue (le langage coloré des supporters, les parlers marseillais du Vieux-Port ou de la Belle-de-Mai), les textes descriptifs ou explicatifs de l’entraîneur, ceux injonctifs du président du club… «?Quand on perd, les résultats scolaires s’en ressentent.?»Idem quand il pleut plus de trois jours sur la cité phocéenne?: «?On dirait que le PSG a gagné?», s’exclame un élève en regardant le ciel.

À travers des anecdotes tout aussi rocambolesques que parfois dramatiques, il serait abusif, et cela apparaît en filigrane, de nier la rugosité du quotidien. Notamment lorsqu’un élève se tire involontairement une balle dans la cuisse avec le revolver qu’il tenait caché dans sa poche?; ou une sortie en VTT qui n’est pas loin de tourner au cauchemar. «?Une nouvelle fois de ma carrière, je me demande pourquoi je n’ai pas fait autre chose dans ma vie?», confie-t-il au détour d’un chapitre.

Mais cet optimiste invétéré ne paraît pas doué pour le désespoir. «?La fin du Ramadan, c’est la fête et le renouveau pour tout le monde. Allah n’est pas mesquin. Et c’est la raison pour laquelle je reste en poste dans ce quartier difficile depuis vingt ans au lieu de demander mon transfert vers des coins plus tranquilles. Chaque année, au moment des mutations, mon stylo se fige en l’air?: je ne parviens pas à signer ma demande de changement de poste. Elle me tend les bras, pourtant… J’ai suffisamment d’ancienneté, de “points” pour prétendre aller enseigner dans des contrées paisibles (…). Rien à faire, mon stylo ne s’abaisse pas. Avant tout autre appel des sirènes, tout autre appel du grand large, je réponds à l’appel du miel d’acacia. (…) L’année prochaine quelle mère d’élève m’enverra ses bons gâteaux?? Cette question-là surpasse toutes les autres et donne du sens à ma vie professionnelle.?»

«?Quelques baklavas particulièrement goûteux ont même déjà valu, je l’avoue, deux points de plus à certains de mes élèves en grande difficulté.?» On ne mesurera jamais assez le rôle de ce «?trafic d’influence?» pour restaurer la confiance de ces jeunes et leur motivation à aller passer le BEP.

 

«?Un prof qui doute, ?c’est une cible

D. Resch s’affiche comme un pragmatique et ne craint pas de provoquer. Sur la discipline par exemple, lorsqu’il évoque les vols, le manque de respect, la violence?: «?Ce qu’il nous faudrait pour remettre de l’ordre là-dedans, c’est une vraie poigne. Un type en béton armé, avec des angles vifs et des mandats d’arrêt plein les mains. Pas un conseiller d’éducation à l’écoute des élèves, ouvert à la discussion, attentif et compréhensif. Non. On aurait besoin d’un bon vieux surveillant général comme dans le temps. Un type qui en a dans le pantalon.?» Il raconte alors comment, un matin, est arrivé un surveillant de cette veine («?un ancien militaire reconverti dans le dressage de la jeunesse pour arrondir ses fins de mois?») qui a démissionné au bout d’une semaine. Et de saluer au passage sa jolie collègue d’anglais Émilie («?un bon mètre cinquante-cinq quand elle a cinq centimètres de talons?»), dont les élèves – «?CAP maçonnerie, option gros bras grande gueule?» – attendent dans le calme absolu qu’elle leur dise de sortir quand survient la dernière sonnerie avant le week-end, et que tous les élèves des autres classes se ruent bruyamment dans les couloirs pour atteindre plus vite la sortie.

La question de l’autorité est omniprésente tout au long de ces chroniques entamées par une succulente entrée en matière dont voici quelques extraits?:

«?Je connais tout?: la superficie du Groenland au centimètre carré près, le poids de l’armature de Bayard au gramme près et le temps de digestion de la loutre des Pyrénées à la seconde près… Normal, je suis prof. Si le prof doute, sortez les sarbacanes et envoyez les boulettes. Un prof qui doute, c’est une cible. On raconte n’importe quoi aux apprentis profs quand ils apprennent le métier?: quelqu’un qui enseigne aurait le droit de douter, voire de se tromper comme tout le monde… Bien sûr que non?! (…) Le prof doit parler comme un livre ouvert parce qu’il a la science infuse. C’est simple. En classe, en cas de doute, je préfère mille fois inventer n’importe quoi que vérifier ma réponse par une aide extérieure. Le prof qui pompe, c’est zéro. Déjà qu’il lui arrive d’être noté par un inspecteur (ça, c’est pas clair), s’il se met à tricher, ce n’est plus possible. Le prof sait. (…) Je suis une évidence qui marche entre les rangées de tables, une évidence debout et eux, les élèves, ils sont assis. Tout ce que j’écris au tableau est vérité. L’exacte vérité. Pratiquement aussi vrai que ce que l’on voit à la télé.?»

 

«?Rien n’est plus dangereux ?que d’enseigner?»

Il y a pourtant des questions houleuses, des dangers que l’on ne peut éviter, admet l’auteur. «?M’sieur, pourquoi il y a des gens qui ne croient pas en Dieu???» Les discussions sur la religion, l’apprentissage de la tolérance et de l’ouverture d’esprit sont toujours scabreuses. «?Je tente de revenir à la page 27 du manuel, mais à partir de là, je vois mon autorité qui s’effrite.?»

Mais, pour lui, le plus grand danger du métier reste de blesser un élève. «?Rien n’est plus dangereux que d’enseigner?»?: lorsque s’abordent les questions des Noirs, des Blancs, du racisme, du port du voile, des inégalités dans le monde, il y aura toujours un élève pour comprendre de travers ce qu’il a voulu dire. Un qui repartira chez lui désappointé, voire blessé. Tout comme lui a subi les vexations de ses propres maîtres, restées gravées dans sa mémoire.

Car ce qui sous-tend ce livre, c’est l’affection et l’empathie de ce professeur vis-à-vis de ces jeunes, aussi pénibles soient-ils. ?Une sorte de chaleur humaine que les potaches lui rendent bien, même si c’est avec leur manière à eux. En se tenant (trop) impeccablement par exemple lorsque survient un inspecteur, ou en se réjouissant de son succès lorsqu’un éditeur l’appelle pour publier son livre.

Aussi dure soit la tâche, beaucoup d’enseignants s’y retrouveront, qui connaissent bien le paradoxe d’une profession aussi usante qu’attachante.

 

 

(1) Dominique ReschLes Mots de tête. Chronique d’un prof, Autrement, 2011.

About GhjattaNera

prufessore di scienze economiche e suciale a u liceu san Paulu in Aiacciu

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