Dossier changer le travail

Travail
Sciences humaine.
11 octobre 2014
Travail
Dossier

Pour préparer ce numéro, j’ai fait appel à des auteurs, chercheurs et universitaires pour la plupart, dont le métier est de penser, étudier, écrire. Mais au contact direct de ces «?travailleurs du savoir?», la situation est moins engageante que l’on pourrait l’imaginer. L’un d’entre eux, qui devait rédiger un article sur l’art et la manière d’affronter les situations critiques, croulait lui-même sous les tâches?: il nous a fait faux bond à la dernière minute?! Un autre a fini pas envoyer sa copie in extremis avec un message presque démissionnaire?: «?Voilà, changez ce que vous voulez, de toute façon, je ne suis et ne serai pas joignable.?» Fait rarissime, j’ai même reçu des réponses de chercheurs qui n’avaient même pas une heure à consacrer à une interview?!

Le constat est sans appel?: les universitaires sont submergés, épuisés, débordés, stressés. Certains commencent à clamer haut et fort leur désespoir. Le mal-être des universitaires n’est pas propre à la France. Il n’est pas non plus propre à l’université?: le burnout touche un nombre grandissant d’enseignants du secondaire…

À vrai dire, tous les secteurs de travail, privé ou public, sont concernés. Mauvaise nouvelle donc?: le travail fait de plus en plus mal. La bonne nouvelle est qu’il existe des solutions.
Que faire ?
Des solutions existent. C’est du moins ce qu’affirment un nombre grandissant de voix. Elles émanent de différentes sources?: psychologues, ergonomes, organisations professionnelles, cabinets de conseil, managers, sociologues, économistes et mêmes philosophes, qui ne se contentent pas d’alerter ou de dénoncer, mais proposent des voies pour «?repenser le travail?» et tentent d’expérimenter des solutions nouvelles. Dans ce numéro, une vingtaine de pistes sont avancées. La gamme est large?: elle va des méthodes antistress au changement de modèle économique, en passant par de nouvelles formes de management. Certaines relèvent d’utopies et idéaux, certaines s’appuient sur des expériences concrètes.

Certaines se situent à l’échelle personnelle, d’autres à l’échelle des organisations, d’autres encore passent par une nécessaire transformation sociale. Il y a «?ce qui dépend de moi?» et «?ce qui ne dépend pas de moi?» comme disait Epictète. Il y a aussi, pourrait-on ajouter, ce qui dépend un peu de moi…

Ce numéro présente quelques-unes de ces pistes. Sans exclusive ni a priori. Une piste n’est pas une route balisée. C’est une promesse. Elle appelle à explorer et expérimenter. Certaines pistes mèneront à des impasses?; d’autres déboucheront sur de nouveaux horizons. C‘est pourquoi ce numéro va s’accompagner d’un projet de plus grande ampleur?: une enquête à plus long cours visant à explorer ensemble les pistes ouvertes.

Et dans cette enquête sur des pistes pour améliorer le travail, vous aurez à faire partager votre expérience, vos pistes à suggérer.

 

Travail le temps du changement
Oui, il est possible d’améliorer le travail?! Comment?? ?En explorant des pistes qui, à l’échelle des individus, ?des organisations ou du marché du travail, ?montrent qu’il existe toujours des marges de manœuvre pour agir. Tour d’horizon en quatre étapes.
«?Là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve?», disait le poète Friedrich Hölderlin. Inutile d’épiloguer sur les maux du travail. L’avalanche de publications sur la souffrance au travail, le stress, les burnout ou les risques psychosociaux le confirme. En 2013, il est même paru un excellent Dictionnaire des risques psychosociaux – plus de 800 pages?! – qui à lui seul suffit à exprimer l’ampleur du mal. Mais au temps des lamentations doit succéder celui des solutions. Justement, depuis quelque temps, de nombreuses propositions se font jour pour tenter d’apporter des remèdes à la crise du travail. Elles émanent de sources très diverses. Certaines sont vraiment nouvelles, d’autres ne sont que la réactualisation de formules anciennes. Certaines s’appuient sur des expériences, d’autres n’en sont qu’à l’état de promesses. Certaines relèvent de choix personnels, d’autres de grands projets visant à «?changer de modèle?» social. Entre les deux, il y a toute une gamme de solutions intermédiaires, qui se jouent à l’échelle des services, des organisations, du management ou de la gouvernance des organisations.

Sans plus tarder, partons à leur découverte. Pour se retrouver dans ce dédale, on peut découper le problème en plusieurs niveaux en s’inspirant d’Épictète, selon qui il faut apprendre à distinguer «?ce qui dépend de moi?» de «?ce qui ne dépend pas de moi?». Entre les deux, on pourrait ajouter «?ce qui dépend un peu de moi?». À chaque échelle ses marges de manœuvre. Un découpage en quatre niveaux nous servira de guide.

1. Changer sa façon de faire
Vous êtes débordé, fatigué, découragé, au bord du burnout?? Vous n’êtes pas seul… Vous souhaiteriez prendre le large, partir, changer de vie?? Oui, mais pour aller où et pour faire quoi?? Il faut bien remplir le frigo, payer son loyer, les études des enfants… des jours meilleurs. En attendant, il faut donc survivre et affronter la réalité telle qu’elle est. La solution provisoire ne serait-elle pas dans le «?lâcher-prise?», une façon d’aborder votre travail avec plus de sérénité, sans vous laisser envahir par l’angoisse, la culpabilité, le stress?? Signe des temps, la démarche connaît un succès retentissant sous la forme du mindfulness, ou «?méditation de pleine conscience?». Son principal promoteur, le professeur Jon Kabat-Zin, a mis au point une méthode en huit semaines qui doit permettre de réduire le stress. Conçue au départ comme méthode d’accompagnement pour les malades – non pour les aider à guérir, mais pour les aider à affronter leur maladie –, sa méthode est aujourd’hui appliquée au monde du travail (1). Au cours de ces huit semaines, les participants sont conviés à pratiquer en groupe, puis seuls, des exercices de respiration, de scan corporel (visualisation mentale) et de concentration sur «?l’instant présent?», en posture assise ou en marchant. Le mindfulness vise à se relaxer – lâcher prise, c’est se détendre –, mais aussi à développer des capacités d’autoanalyse de ses états mentaux, afin d’apprendre à distinguer les problèmes et la façon dont on y réagit. La démarche invite aussi à méditer sur ses objectifs et finalités?: abandonner l’illusion des solutions idéales (qui n’existent pas) et du contrôle total pour se concentrer sur les solutions effectives. En ce sens, c’est une pratique existentielle. La méditation ne résout pas les problèmes fondamentaux – les contraintes qui pèsent sur les postes de travail –, mais elle permet de les affronter avec plus de sérénité. C’est déjà beaucoup.

Le mindfulness n’est que l’une des techniques psychologiques qui font florès, à côté de la psychologie positive (2), des thérapies d’acceptation et d’engagement. Leur succès est emblématique d’une quête profonde?: retrouver l’harmonie dans son travail, face au surmenage des modes de vie actuels.
• Le faire-face

En situation de stress, les organismes ont des modes de réaction assez stéréotypés. Ils ont été étudiés par la psychologie de la santé et ont donné naissance à un champ de recherche?: le «?coping?» (le faire-face). Soumis à des situations de stress aigu, les humains réagissent par des réactions prototypiques?: fuir, combattre ou se laisser faire. Les stratégies de coping ont donné lieu à une abondante littérature en psychologie de la santé. La démarche a été appliquée au domaine des organisations. Lucie Côté, spécialiste de la gestion du stress au travail, distingue deux grandes catégories de réactions de l’individu placé dans une situation de «?surchauffe?». Il y a d’abord les réactions négatives, comme la résignation (l’abattement) ou l’acharnement (une forme d’activisme épuisante). Puis il y a les stratégies positives comme le lâcher-prise, dont on a vu qu’il ne consiste pas à renoncer mais à mieux gérer les émotions (agitation, angoisse, peur) pour se concentrer sur le problème. Les autres stratégies consistent à reprendre le contrôle. Quand on est «?dans le rouge?», submergé par des tâches impossibles à réaliser, il existe toujours des façons de contrôler la situation?: simplifier, diminuer le niveau d’exigence, appeler à l’aide, négocier les délais.

Les compétences pour affronter les situations critiques (comme apprendre à dire non, à se concentrer sur une tâche, à simplifier le travail et à gérer son temps) ne sont pas qu’affaire de personnalité («?je ne suis pas assez organisé?»), elles relèvent de stratégies mentales et de modes d’organisation personnelle, qui peuvent aussi s’apprendre.

D’où l’intérêt des méthodes d’apprentissage du contrôle de soi et de la concentration. Daniel Goleman, naguère apôtre de l’intelligence émotionnelle, s’est converti aujourd’hui aux méthodes visant à muscler sa concentration. Cela suppose d’apprendre à focaliser son attention, en se «?déconnectant?» numériquement (couper son portable et mettre sa messagerie en veille), physiquement (s’isoler) et mentalement (focaliser son attention sur une chose à la fois) (3).

• Le coaching

Les formations et méthodes de développement pour apprendre à mieux s’organiser, mieux gérer son temps et ses émotions ne manquent pas. Certains recherchent des solutions en fréquentant les rayons de développement personnel des librairies. D’autres ont recours à l’aide d’un coach. Le coaching est un marché lucratif qui s’est beaucoup développé ces dernières années, mais la pratique en reste assez mystérieuse, parce que la profession, encore peu réglementée, est très diversifiée. Qui sont donc les coaches?? On peut en dresser deux catégories, à grands traits.

Les coaches miroirs, souvent formés à la psychologie. Ils ne vendent aucune recette, et leur démarche se veut relever de la «?maïeutique?». Il ne s’agit pas de fournir des solutions, mais d’aider à les trouver par des techniques de reformulation fondées sur l’écoute et l’autoanalyse.

L’autre catégorie de coaches est plus interventionniste?: ils se présentent comme des conseillers qui accompagnent, formulent des conseils et des propositions sur l’art de gérer son temps, mieux s’organiser, prendre des décisions, redéfinir ses priorités. Ce type de coaches correspond mieux à l’esprit initial de l’entraîneur, coach sportif. C’est souvent un professionnel expérimenté qui a affronté les mêmes épreuves.

Entre les deux pratiques – coaching miroir et coaching interventionniste –, il y a toute la panoplie des coaches accompagnants qui s’appuient sur des méthodes classiques?: jeux de rôles, PNL, analyse transactionnelle ou communication non violente. D’autres, plus récentes et plus exotiques, comme le coaching par le rire, par la musique (direction d’orchestre) ou par le cheval – «?horses and coaching?» – sont plus récréatives qu’efficaces… L’efficacité sur le travail n’est pas garantie, mais on est assuré au moins de passer un bon moment.

2. Améliorer les conditions de travail
Changer, c’est se changer soi-même, mais c’est aussi changer son environnement et les contraintes qui pèsent sur le travail.

De nombreuses institutions et organisations qui ont pour mission d’améliorer les conditions de travail (l’Anact, l’INRS, les CHSCT, la médecine du travail, les délégués du personnel ou les cabinets de consultants) se préoccupent de mesurer, d’enquêter, d’alerter et d’intervenir sur ce marché des conditions de travail. Longtemps centrées sur la pénibilité du travail physique et les maladies professionnelles, elles peuvent désormais prendre en compte la pénibilité psychique – stress, souffrance, burnout – appartenant à la classe des risques psychosociaux (RPS).

Ces dernières années, les vagues de suicides au travail, forme extrême de la détresse, ont alerté l’opinion et obligé les directions et le gouvernement à agir. Notons que la France n’est pas la seule à connaître ce phénomène. Au Japon, il existe un mot spécial – «?karoshi?» – pour désigner la mort par surmenage professionnel?: c’est une forme d’épuisement ultime qui conduit à la mort (souvent par arrêt cardiaque) consécutivement à un trop grand surmenage. Le malheureux s’est «?tué au travail?», au sens propre du terme (4).

Le suicide n’est bien sûr que la forme la plus aiguë de troubles plus ordinaires qui, du blues au burnout, touchent de nombreuses professions. Pour tenter de prévenir et d’agir, les acteurs sociaux ont décidé de mettre en place des dispositifs leur permettant de mesurer le climat social, puis des réglementations ou des chartes de bonnes pratiques. En France, depuis la fin des années 2000, plusieurs accords interprofessionnels (Ani) signés par les partenaires sociaux portent sur les RPS?: Ani sur «?le stress au travail?» (juillet 200Smilie: 8), Ani sur «?le bien-être et l’efficacité au travail?» (février 2010), Ani sur la «?qualité de vie au travail et l’égalité professionnelle?» (juin 2013).
• Des RPS à la qualité de vie au travail (QVT)

L’approche en termes de «?risques psychosociaux?» consiste à prévenir le mal. Mais depuis peu, une nouvelle approche s’impose?: la promotion de la qualité de vie et du bien-être. La différence?? Les RPS visent la prévention et le traitement des troubles, la qualité de vie au travail (QVT) vise la santé?: il ne s’agit pas de traiter le mal, mais plutôt de promouvoir le bien-être. Cette approche rejoint d’ailleurs une tendance de fond en médecine, en psychologie et même en économie, où les indicateurs de bien-être sont présentés comme une alternative aux indices de croissance.

Personne ne sait vraiment définir la qualité de vie au travail, mais cela n’empêche pas de la mesurer… Plusieurs types de baromètres et d’indicateurs de la QVT ont été mis au point (5). Certains dérivent de l’observation de la santé au travail, d’autres des audits sociaux, d’autres proviennent des recherches en psychologie positive. Il existe aussi des palmarès des endroits où il fait bon travailler. En 2014, c’est la société de consultants Davidson Consulting qui a décroché, en France, la palme du «?Great place to work?», devant Pepsico et Mars France. À l’échelle européenne, c’est Microsoft qui a obtenu le premier prix, décerné un peu avant que la célèbre firme informatique annonce la suppression de 18?000 postes en 2015, soit 14?% de ses effectifs…

 

Maîtriser son temps et s’approprier son espace

Maîtriser son temps et s’approprier son espace sont deux facteurs essentiels du bien-être au travail. Or, la gestion du temps a connu récemment des évolutions considérables, contribuant à brouiller les frontières entre-temps de travail et temps libre dans de nombreuses professions. Certes, le phénomène n’est pas nouveau?: il y a bien longtemps que les enseignants préparent leurs cours ou corrigent leurs copies à la maison, que les médecins font leur comptabilité le dimanche après-midi. Mais c’est l’ampleur du phénomène qui est nouvelle. L’augmentation de la charge de travail et la généralisation de l’ordinateur portable ont permis l’intrusion du travail à la maison.

L’investissement, souvent passionnel, que chacun met dans son travail pousse également au débordement sur l’espace privé. Débordement renforcé par l’autonomie du salarié, de plus en plus amené à gérer seul son emploi du temps, ses priorités et ses façons de faire. Cela oblige chacun à une autodiscipline dans la gestion de son agenda.

• L’espace de travail est un autre enjeu de la QVT

Les vertus supposées de l’open space et de la communication généralisée ont montré leurs limites. Les humains sont des animaux sociaux, mais ils aiment aussi avoir leur territoire à eux. Élevée à une certaine dose, la coexistence avec les autres peut vite s’avérer insupportable. La bonne coopération suppose de trouver un équilibre entre contact et isolement, grâce à la «?sollaboration?» que propose Philippe Zawieja.

Le télétravail est vu depuis toujours comme un moyen de gérer son temps et son espace de travail. Travailler chez soi était la norme dans les sociétés traditionnelles et pas seulement pour les paysans ou artisans. Au XIXe siècle, le travail à domicile (autre nom du télétravail) était courant dans l’industrie?: un contremaître passait chez des ouvriers pour leur donner du travail à la pièce. Dans sa version actuelle, le télétravail concerne aujourd’hui de 12?% des salariés en France, loin derrière les pays anglo-saxons et scandinaves (entre 20?% et 35?%).

Le travail à domicile a des vertus?: il diminue les coûts de transport, laisse libre d’organiser le temps et de travailler au calme. Il a aussi des désavantages?: l’éclatement des collectifs de travail, des difficultés de communication que ne compensent pas toujours les outils numériques (mail, SMS, téléconférence). Travailler chez soi expose aussi à d’autres tentations et dérangements. Certains télétravailleurs en viennent à trouver le café d’en bas meilleur que leur chez soi ou à apprécier les longs trajets en train, dernier refuge où l’on peut «?travailler au calme?».

3. Humaniser le management
Une autre façon d’améliorer le travail ne serait-elle pas de promouvoir une forme de management plus respectueux de l’humain, qui concilie à la fois la «?valeur?» (en langage managérial?: la richesse et les profits) et les valeurs (le respect de la personne humaine). Voilà le défi que cherchent à relever les tenants du management plus humaniste.
• Le retour du management humaniste

Le «?manager humaniste?» est à l’entreprise ce que le «?bon roi?» est à la monarchie ou le «?junzy?» (l’homme de bien) à la bureaucratie céleste chinoise?: un dirigeant qui prend soin de ses sujets, gouverne avec le souci du peuple et ne songe pas seulement à étendre son pouvoir et ses privilèges. Diriger avec humanité, cela veut dire respecter les personnes, prendre soin d’elles, les considérer, les écouter et les diriger avec le maximum d’équité et d’humanité.

Entendu dans ce sens large, le management humaniste n’est pas une nouveauté. Il a de nombreuses racines religieuses et utopiques. À l’époque moderne, il s’est incarné dans plus d’une figure, du catholicisme social à la philanthropie protestante, en passant par le paternalisme, le patronat progressiste et social…

Si cette veille tradition du bon prince retrouve des couleurs aujourd’hui, c’est parce que l’entreprise a connu des formes récentes de déshumanisation liées à la prise en main des entreprises par les actionnaires dans les années 1990, à la vague des restructurations, à l’adaptation à la mondialisation ou aux réformes de l’État providence, qui ont durci les conditions de travail. La mise en place en corollaire d’une nouvelle bureaucratie – qui se caractérise par le système de reporting, l’évaluation, la politique du chiffre – n’y est pas non plus étrangère.

C’est en réaction à ces phénomènes récents que des voix se sont fait entendre pour un retour à un management plus soucieux des valeurs humaines. Lui-même a revêtu plusieurs formes. Dans sa version personnaliste, centrée sur les soucis de l’autre, il prend le visage sympathique du management par la «?bienveillance?» (6). Ses promoteurs se défendent d’une vision «?bisounours?» des relations de travail. La gentillesse, l’attention envers l’autre, le sourire, les comportements amicaux ne sont pas de nature à résoudre les problèmes humains, mais à les pacifier. Les méthodes de communication non violente de Marshall Rosenberg relèvent d’une approche voisine.

Le management humain peut s’entendre aussi dans une conception plus large?: au-delà des relations interpersonnelles courtoises et bienveillantes, il vise à intégrer un système de gouvernement fondé sur la confiance ou les valeurs. La confiance ou les valeurs ne sont pas des fluides magiques?: ce sont des constructions précaires qui s’édifient sur l’expérience et dont on doit user avec mesure.

• Une nouvelle gouvernance ?des organisations

Au-delà du management, la gouvernance des entreprises ne devrait-elle pas aussi changer en profondeur?? Ce n’est pas forcément la révolution, mais un appel pressant à revoir les finalités de l’entreprise qui se manifeste aujourd’hui. Celle-ci ne pourrait être qu’une association d’actionnaires instrumentalisant les salariés à leur seul bénéfice. Selon Armand Hatchuel et Blanche Segrestin, l’entreprise a une vocation économique, certes, mais aussi sociale, et à ce titre, il faudrait la doter d’un statut où seraient inscrites ces nouvelles missions. Si l’on veut que prévalent d’autres finalités que le seul profit (pour l’actionnaire), il faut que les autres «?parties prenantes?» (salariés, managers) aient droit à leur voix. Cela implique donc la création d’un collectif les intégrant tous (salariés, dirigeants, actionnaires), la définition d’un nouveau cadre juridique pour l’entreprise et la restauration de l’autorité du manager (relativement indépendante des actionnaires).

Il existe déjà dans le monde économique de telles formes de partage des pouvoirs et responsabilités. C’est le cas des scoop (coopératives ouvrières de production) et autre formes de coopératives (de producteurs, de consommateurs) qui gravitent dans la galaxie de l’économie sociale et solidaire (ESS). Le mouvement coopératif sous toutes ses formes a plus de 150 ans d’existence, et l’ESS représente aujourd’hui 10?% du salariat en France. Y travaille-t-on vraiment mieux qu’ailleurs?? Il serait avisé d’aller y voir de plus près pour en mesurer les bienfaits et les limites car il y a souvent loin du mythe à la réalité (7).

De fait, le vaste monde d’aujourd’hui bénéficie déjà d’une riche palette d’expériences dont on pourrait tirer les leçons. D’autres formes de partage du pouvoir existent?: c’est le cas de la cogestion en Allemagne, des organismes paritaires français. Après tout, la Sécurité sociale comme le chômage (Unédic, Pôle emploi) sont gérés à parité entre patronat, syndicats et État.

Les expériences où les entreprises sont directement en autogestion sont rares, mais pas si exceptionnelles. Le phénomène des «?entreprises récupérées?» en Argentine en offre un exemple. En 2001, lorsqu’est survenue la crise de la dette argentine, des milliers d’entreprises ont fait faillite. Plus de 300 de ces entreprises ont été «?récupérées?» par leurs salariés. Le bilan objectif de ces expériences reste à faire.

4. Agir sur le marché de l’emploi
Les organisations privées comme publiques évoluent dans des écosystèmes qui ont un impact majeur sur les contraintes internes et donc sur les conditions de travail. C’est là que résident les autres marges de manœuvre. L’amélioration du travail dépend d’un système social plus vaste où sont imbriqués le droit du travail, la protection sociale et les politiques de l’emploi, l’âge de la retraite, les assurances maladie, le taux d’activité des femmes, des jeunes, des seniors, le travail au noir, etc. De ce constat découle une évidence?: il n’est pas possible de réformer le travail sans réformer aussi les cadres juridiques, économiques et sociaux dans lesquels les relations sociales sont encastrées.

Et une fois de plus, les propositions ne manquent pas. Ici aussi, elles émanent d’horizon divers. En gros, trois positions se retrouvent?: celles des libéraux, des socio-démocrates et des alternatifs.

La vision libérale du marché du travail postule que le marché fait tout au mieux et qu’il faut avant tout le rendre plus libre et flexible. Si le libéralisme n’a plus vraiment le vent en poupe ces derniers temps, force est de constater qu’il a des arguments. C’est dans les pays les plus libéraux que le taux de chômage est le plus bas. On aura beau jeu de rétorquer que c’est aussi dans ces pays que les conditions de travail sont les moins favorables.

Une autre vision plus réformiste tente de concilier la performance et le maintien de la protection sociale. Les économistes Philippe Aghion et Élie Cohen, associés au juriste Gilbert Cette, ne proposent rien moins que de «?changer de modèle?» (Smilie: 8). Ce nouveau modèle repose sur l’impulsion d’une nouvelle phase de croissance fondée sur l’innovation, la réforme en profondeur de l’État, de la formation initiale et professionnelle. Le modèle de référence est celui des pays du Nord de l’Europe qui, à l’image de la Suède, de l’Allemagne, du Danemark, ont réussi à combiner croissance et faible taux de chômage tout en assurant la protection sociale et la mobilité professionnelle.

Une autre option, enfin, est défendue par ceux qui pensent que le retour à la croissance est un mythe. C’est le cas de Dominique Méda, pour qui le retour à une croissance forte et durable n’est ni possible ni souhaitable. La «?mystique de la croissance?» lui apparaît comme dévastatrice?: elle conduit à poursuivre cette folie du «?toujours plus?» qui atteint ses limites et finit par épuiser les ressources naturelles comme les ressources humaines. La richesse et le travail ne sont pas tout dans la vie. Il faut donc réorganiser la société et les vies personnelles?: partager les richesses et partager le travail. C’est dans cette optique que se situent les tenants du slow management.

Entre ces trois visions – libérale, réformiste et alternative –, toute une gamme de solutions intermédiaires peut être imaginée. Denis Clerc pense qu’il est possible de faire baisser le chômage sans coût supplémentaire pour les entreprises et la collectivité. Bernard Gazier plaide pour des marchés transitionnels entre activité, emploi et formation, qui permettraient de mieux gérer les passages entre deux emplois, ce qui correspond autant aux exigences du marché du travail qu’aux aspirations personnelles.
• Les modèles à l’épreuve

Il est des pays où la réforme du marché du travail se pose dans des conditions toutes différentes. C’est le cas pour ces pays «?modèles?» où règne le quasi-plein emploi, comme l’Allemagne ou l’Autriche (dont le taux de chômage pour 2014 se situe autour de 5?%). D’autres font des envieux avec des taux inférieurs à 8?% (Grande-Bretagne, Danemark, Hollande, République tchèque). Mais comment font-ils??

Ces «?modèles?» nous invitent à aller voir de plus près. Ainsi, pour ce qui est du modèle allemand, dont on vante le système de la cogestion, celui de l’apprentissage et des Länder décentralisés, c’est surtout la réforme du marché de l’emploi (les lois Hartz des années 2000) qui aurait permis de faire baisser le chômage durablement, avec pour revers de médaille, la réduction des pensions de retraite et le report de l’âge du départ à la retraite à 67 ans, le déremboursement des prestations médicales et la hausse des cotisations sociales, ainsi que la baisse des indemnités de chômage (de 32 à 12 mois) et la multiplication des «?minijobs?». C’est aussi à ce prix que le chômage a pu se maintenir à un niveau assez bas.

Il en va ainsi de tous les modèles, qu’il s’agisse des modèles d’organisation, de management ou de société?: ils possèdent tous la vertu de montrer que l’horizon n’est jamais bouché et qu’il existe toujours plusieurs voies possibles. Mais les modèles ont souvent aussi des revers plus ou moins dissimulés par ceux qui les promeuvent. Rien n’est plus facile que de construire un monde idéal à l’aide de quelques arguments, de quelques chiffres significatifs et d’exemples vertueux.

Les modèles aident à penser et à agir. Mais il faut aussi les comparer, les exploiter, les confronter à la réalité et enquêter à leur propos. Entre les belles utopies désincarnées et le fatalisme du TINA – «?there is no alternative?» –, il existe sans doute des marges de manœuvre. Améliorer le travail, est l’un des grands enjeux humains et organisationnels de ce début de XXIe siècle. Il en va de la santé et du bien-être de tous. Les pistes, on l’a vu, ne manquent pas. À nous maintenant de les explorer, de les tester et peut-être d’en inventer d’autres.
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10 propositions pour le bien-être
En février 2010, était publié un rapport commandé par le gouvernement français sur le bien-être au travail (9). Parmi les 10 propositions visant à améliorer la santé psychologique au travail, figuraient les points suivants?:

• Impliquer la direction dans la santé psychologique des salariés

• Intégrer le facteur humain dans l’évaluation de la performance

• Donner aux salariés les moyens de se réaliser dans le travail (en restaurant des espaces de discussion et d’autonomie dans le travail)

• Impliquer les partenaires sociaux dans la construction des conditions de santé

• Former les managers sur la façon de diriger les équipes et les hommes

• Prendre en compte l’impact humain dans les changements

• Ne pas laisser le salarié seul face à ses problèmes (nécessité d’un accompagnement)
Jean-François Dortier
Manager par le don : Marcel Mauss, nouveau gourou du management ?
L’un des derniers avatars de l’humanisation des relations de travail est le management par le «?don?». Marcel Mauss, nouveau gourou du management?? On pourrait le penser si l’on s’en tenait à quelques publications récentes qui font de la théorie du «?don/contre-don?» un nouveau paradigme des relations de travail (10). L’idée est au fond assez simple. Le contrat de travail entre un salarié et l’entreprise semble se résumer à un échange marchand – travail contre salaire. Or, sauf dans les cas extrêmes du salaire à la pièce, un autre contrat se noue lors du recrutement, qui est implicite?: le salarié «?s’engage?» dans un travail sans trop compter son investissement. Il est prêt à se «?donner?» bien au-delà de ce que son contrat stipule explicitement. En retour, l’employeur est prêt à «?offrir?» de bonnes conditions de travail, au-delà de ce à quoi le droit l’oblige. Derrière l’apparent donnant-donnant se cache un «?don/contre-don?». Du moins, quand la relation de confiance s’est instaurée. Le contrat de travail n’est pas un échange purement utilitaire et calculé, il contient une «?poignée de main invisible?» selon l’expression de l’économiste Arthur Okun, qui veut que chacun soit prêt à aller au-delà de ce qui est signé pourvu qu’en retour, l’autre consente au même engagement (11).
Le bon manager doit prendre pour acquis ce don invisible s’il veut nouer des relations et pas simplement gérer des carrières et des contrats ou mesurer des performances. Les tenants de cette nouvelle approche aiment présenter cela comme une «?révolution?». Le don/contre-don est pourtant vieux comme le monde?: il se retrouve chez les populations des îles Trobriand étudiées par Bronislaw Malinowski comme dans l’entreprise du XXIe siècle. On l’a un peu oublié, c’est tout.
Jean-François Dortier

 

 

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10 propositions pour le bien-être
En février 2010, était publié un rapport commandé par le gouvernement français sur le bien-être au travail (9). Parmi les 10 propositions visant à améliorer la santé psychologique au travail, figuraient les points suivants?:

• Impliquer la direction dans la santé psychologique des salariés

• Intégrer le facteur humain dans l’évaluation de la performance

• Donner aux salariés les moyens de se réaliser dans le travail (en restaurant des espaces de discussion et d’autonomie dans le travail)

• Impliquer les partenaires sociaux dans la construction des conditions de santé

• Former les managers sur la façon de diriger les équipes et les hommes

• Prendre en compte l’impact humain dans les changements

• Ne pas laisser le salarié seul face à ses problèmes (nécessité d’un accompagnement)
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Manager par le don : Marcel Mauss, nouveau gourou du management ?
L’un des derniers avatars de l’humanisation des relations de travail est le management par le «?don?». Marcel Mauss, nouveau gourou du management?? On pourrait le penser si l’on s’en tenait à quelques publications récentes qui font de la théorie du «?don/contre-don?» un nouveau paradigme des relations de travail (10). L’idée est au fond assez simple. Le contrat de travail entre un salarié et l’entreprise semble se résumer à un échange marchand – travail contre salaire. Or, sauf dans les cas extrêmes du salaire à la pièce, un autre contrat se noue lors du recrutement, qui est implicite?: le salarié «?s’engage?» dans un travail sans trop compter son investissement. Il est prêt à se «?donner?» bien au-delà de ce que son contrat stipule explicitement. En retour, l’employeur est prêt à «?offrir?» de bonnes conditions de travail, au-delà de ce à quoi le droit l’oblige. Derrière l’apparent donnant-donnant se cache un «?don/contre-don?». Du moins, quand la relation de confiance s’est instaurée. Le contrat de travail n’est pas un échange purement utilitaire et calculé, il contient une «?poignée de main invisible?» selon l’expression de l’économiste Arthur Okun, qui veut que chacun soit prêt à aller au-delà de ce qui est signé pourvu qu’en retour, l’autre consente au même engagement (11).
Le bon manager doit prendre pour acquis ce don invisible s’il veut nouer des relations et pas simplement gérer des carrières et des contrats ou mesurer des performances. Les tenants de cette nouvelle approche aiment présenter cela comme une «?révolution?». Le don/contre-don est pourtant vieux comme le monde?: il se retrouve chez les populations des îles Trobriand étudiées par Bronislaw Malinowski comme dans l’entreprise du XXIe siècle. On l’a un peu oublié, c’est tout.
Jean-François Dortier

 

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Mots clés.
conditions de travail -management- santé -changement -emploi -stress- marché du travail- travail- humanisme -sociologie du travail -psychologie du travail- risques psychosociaux- bien-être.
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NOTES
1. Voir Michael Chaskalson, Méditer au travail pour concilier sérénité et efficacité, Les Arènes, 2013.
2. Jean Cottraux (dir.), Psychologie positive et bien-être au travail, Elsevier, Masson, 2012.
3. Daniel Goleman, Focus. Attention et concentration?: les clés de la réussite, Robert Laffont, 2014.
4. Junko Kitanaka, De la mort volontaire au suicide au travail. Histoire et anthropologie de la dépression au Japon, Ithaque, 2014.
5. Alexandre Jost, «?Mesurer le bien-être au travail. De la science aux pratiques?», Personnel, n° 546, janvier 2014.
6. Juliette Tournand, La Stratégie de la bienveillance. L’intelligence de la coopération, 3e éd., InterÉditions, , 2014.
7. Voir Philippe Frémeaux, La Nouvelle Alternative?? Enquête sur l’économie sociale et solidaire, nouv.éd., Les Petits Matins, 2013, et Matthieu Hély et Pascale Moulévrier, L’Économie sociale et solidaire?: de l’utopie aux pratiques, La Dispute, 2013.
8. Philippe Aghion, Gilbert Cette et Élie Cohen, Changer de modèle, Odile Jacob, 2014.
9. Henri Lachman, Christian Larose, Muriel Penicaud et Marguerite Moleux, «?Bien-être et efficacité au travail. 10 propositions pour améliorer la santé psychologique au travail?», rapport pour le Premier ministre, 2010.
10. Voir Alain Caillé et Jean-Édouard Grésy, La Révolution du don. Le management repensé à la lumière de l’anthropologie, Seuil, 2014, Norbert Alter, Donner et prendre. La coopération en entreprise, La Découverte, 2009, et Adam M. Grant, Give and Take. A revolutionary approach to success, Viking, 2013.

 

 

 

Le lâcher prise
Grands Dossiers N° 36 – sept-oct-nov 2014

Le lâcher-prise est souvent présenté comme une technique de méditation et de relaxation, fondée sur l’instant présent. Il invite ?aussi à travailler différemment – ne faire qu’une chose à la fois. ?Et à prendre au sérieux la formule?: «?Le mieux est l’ennemi du bien.?»
Se relaxer, se détendre, relâcher la pression, renoncer à tout contrôler, à vouloir tout faire et tout bien faire, etc.

Voilà ce que l’on peut mettre derrière le mot d’ordre du «?lâcher-prise?», entré dans le langage courant et que nous soufflent à l’oreille les nouveaux apôtres de la méditation. Le lâcher-prise, remède issu des sagesses antiques, occidentales et orientales, combiné aux techniques de développement personnel, permettrait de retrouver la sérénité et le bien-être face à l’adversité.

Personnellement, j’avoue que le lâcher-prise a longtemps eu le don de m’énerver. «?Lâcher prise?? Moi?? Jamais?! Parce que ce n’est ni possible, ni souhaitable.?»

• Ce n’est pas possible?: j’ai devant moi une montagne de travail. Et qui va rédiger mes articles à ma place?? Qui va diriger ma petite entreprise, piloter les projets en cours?? Répondre à l’avalanche de mails qui s’accumulent et aux messages sur mon portable?? Qui va s’occuper de mes papiers à ­réécrire, aller chez le coiffeur à ma place, remettre de l’encre dans l’imprimante??

• Ce n’est pas souhaitable?: cela va à l’encontre de ma nature. Baisser mes exigences?? Je ne sais pas faire les choses à moitié. Et je perdrais d’ailleurs le goût de mon travail si je devais faire les choses «?vite fait, mal fait?». Et de toute façon, je ne suis pas du genre à lâcher l’affaire. Renoncer face aux difficultés?: c’est pour les faibles, les loosers. Déléguer?? Mais il faudrait que je trouve des gens à la hauteur. Le lâcher-prise, c’est bon pour les disciples béats de «?l’instant présent?»…

Voilà ce que j’ai pensé pendant longtemps avant de comprendre qu’il n’était question ni d’une démission face à ses responsabilités, ni de résignation, et pas uniquement d’une psychologie de bazar qui voudrait nous faire croire que l’on peut régler ses problèmes en regardant la vie sous un nouvel angle.

En me documentant, puis en tentant de pratiquer au quotidien, j’ai ­compris que derrière le visage parfois très irritant du bouddha inactif et illuminé se trouvent aussi quelques bonnes recettes pour se simplifier la vie et le travail.

 

Qu’est-ce que le lâcher?prise??

Le lâcher-prise n’a pas de définition canonique. L’expression renvoie, selon les sources, à plusieurs approches?: 1) une méthode de relaxation?; 2) une attitude existentielle face à ce qui nous arrive, ce que l’on peut faire et ce que l’on ne peut pas faire?; 3) une philosophie du travail qui considère que «?le mieux est l’ennemi du bien?».

 

• Une méthode de relaxation ?

Lorsque l’on courbe sous le poids d’une surcharge de travail, que l’on est bombardé de sollicitations multiples et que tous les clignotants commencent à virer au rouge, survient un moment où notre cerveau entre en état de surchauffe. Les alertes mentales («?tu dois faire ceci, cela?», «?attention, tu vas être en retard?!?») deviennent contre-productives et les effets du stress intense se font vite sentir?: agitation mentale, difficulté de concentration, fatigue, irritation, sommeil troublé, angoisse et culpabilité. Une petite machine folle se met en route dans le cerveau, provoquant des bouffées de panique.

Le lâcher-prise, conçu comme technique de relaxation, consiste d’abord à apprendre à se calmer, à faire baisser la pression dans la cocotte-minute cérébrale où s’agitent nos pensées intérieures (soucis, préoccupations, angoisses). Afin de trouver, provisoirement, un peu de repos pour «?recharger les batteries?». Le lâcher-prise repose sur des techniques de respiration profonde, de relâchement musculaire, de visualisation mentale (penser à des images apaisantes). Cela passe aussi par des exercices simples?: s’asseoir, respirer profondément, concentrer sa pensée sur des choses simples, comme un enfant qui regarde une goutte d’eau couler sur la vitre, afin de chasser les mauvaises pensées… En pratiquant régulièrement ces exercices de relaxation, on parvient à atteindre un état mental de «?pleine conscience?». C’est aussi un moyen de réactiver des scènes mentales apaisantes et positives. Certes, quand on ouvre les yeux, aucun problème n’a disparu, mais on va déjà mieux.

Avec un peu de pratique, on parvient à susciter ces états mentaux plus rapidement, exactement comme une petite sieste permet aux habitués de plonger quelques minutes seulement dans un sommeil réparateur.

 

• Une posture existentielle??

Le lâcher-prise peut être aussi considéré comme une posture qui consiste à focaliser notre champ d’action et de conscience sur des actions et buts précis. Tout part de la fameuse distinction d’Epictète «?ce qui dépend de moi et ne dépend pas de moi?». Supposons qu’au moment de rendre cet article (bouclé juste avant la fatidique dead line), mon ordinateur tombe en panne. C’est la catastrophe absolue. Que faire?? Aussitôt, la panique, la colère (contre la machine), des remords (pourquoi n’ai-je pas fait de sauvegarde?!), du désespoir (tout est à refaire), et du désarroi (mais c’est impossible, je suis déjà en retard?!). Toutes ces pensées négatives ne servent strictement à rien. Inutile de revenir en arrière en pensée. La situation est ainsi. Il s’agit de se concentrer uniquement sur ce que je peux faire. Trouver un autre ordinateur, réécrire le plus rapidement ce dont je me souviens. Voir s’il n’y a pas de solutions alternatives (il y en a toujours?: tous les journaux sortent à l’heure malgré les incidents de dernière minute). Et puis s’il fallait retarder la parution d’une ou deux journées, la Terre ne cesserait pas de tourner. L’acceptation sereine de ce qui arrive et que l’on ne peut plus changer est très différente de la résignation. Elle consiste à repousser les pensées parasites et improductives qui accompagnent toute frustration (colère, remord, envies, désespoir) pour limiter ses pensées à ce que l’on peut faire pour remédier à la situation. Et si rien n’est possible, alors il faut aussi en prendre son parti?: «?Si un problème a une solution, alors il est inutile de s’en inquiéter?; s’il n’en a pas, s’inquiéter n’y changera rien?», dit un proverbe tibétain.

Le lâcher-prise, ainsi entendu, conduit donc à apprendre à démêler l’écheveau des causes entre ce qu’il est possible et impossible, raisonnable et déraisonnable de faire face à un problème. Lorsque j’écris un article, je dois veiller à plusieurs choses à la fois, la qualité de l’information, la rigueur de la démonstration, la qualité du style, l’orthographe et les délais à respecter. Quand trop d’exigences se combinent, l’esprit s’embrouille. Les techniques de méditation apprennent aussi à isoler les problèmes, à les décomposer entre les tâches complexes et les plus simples?: lâcher prise pour se consacrer à l’essentiel.

Cela débouche sur une autre facette de la médiation?: la redéfinition de ses buts.

 

• Une philosophie du travail??

Le lâcher-prise finit par toucher enfin une question décisive?: la qualité du travail et l’investissement que l’on y consacre. Quand on aime son travail, on a à cœur de bien le faire, qu’il s’agisse d’enseigner, de construire des charpentes, de cuisiner ou de faire de la recherche. Mais où le degré d’exigence que l’on se fixe se situe-t-il?? Beaucoup de gens se définissent comme «?perfectionnistes?», tout en reconnaissant qu’il s’agit peut-être d’un défaut. Vouloir être parfait, c’est s’épuiser à la tâche (les obsessionnels de l’ordre savent qu’il y a toujours de la poussière cachée quelque part) et se mettre en situation d’échouer. C’est même contre-productif?: on s’égare dans les détails, on perd du temps, les objectifs principaux s’éloignent. Le perfectionnisme est devenu aussi une exigence managériale (qualité «?totale?», «?zéro défaut?», «?charte de qualité?»). Enfin, l’exigence d’un travail «?bien fait?» est considérée par les ergonomes et psychologues du travail comme une condition du bien-être au travail?: être empêché de bien faire son travail, être contraint à faire du «?sale boulot?» est source de souffrance morale. Bref, les aspirations personnelles et les normes de qualité poussent aujourd’hui à atteindre la perfection.

Lâcher prise, c’est oser admettre que le «?sois parfait?» est un idéal impossible et finalement destructeur. La recherche de la perfection est dévoreuse de temps et d’énergie. Elle consomme et consume beaucoup trop (1). Elle pousse même à la frustration et à l’échec. On ne peut pas tout faire et tout faire bien.

Le lâcher-prise est aussi une invitation à renégocier ses propres niveaux d’exigence?: qu’il s’agisse du design d’un produit, de la confection d’une affiche, de la préparation d’un cours, de la présentation d’un projet, de la rénovation d’une façade, du rangement de son bureau, ou du soin apporté à une personne…, l’idéal est inaccessible et, selon le vieil adage, «?le mieux est l’ennemi du bien?».

Il ne s’agit pas d’abandonner ses idéaux, son désir de bien faire pour se contenter de la médiocrité (qui souhaite cela??) mais d’éviter de s’enfermer dans une course infernale vers un idéal inatteignable.

Le renoncement à la perfection n’est pas résignation, c’est au contraire un tremplin pour aller plus loin?: plutôt que de refaire cent fois le début de la lettre, de l’article, du livre, acceptons ce que l’on a déjà fait pour avancer. Plutôt que de vouloir ranger mon bureau de fond en comble (ce qui est quasi impossible, il me faudrait une semaine pour tout trier et ranger), je me résous à faire un rangement provisoire, pas le grand rangement idéal, qui finit toujours en fait avec le bouclage de dernière minute (où l’on cache en vitesse le désordre dans les placards).

En ce sens, le lâcher-prise peut être entendu comme un projet d’engagement mesuré, centré sur l’essentiel.
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La mindfullness au travail
La mindfuness ou «?méditation de pleine conscience?» a fait une entrée remarquée ces dernières années dans le monde du travail. De quoi s’agit-il??
«?Retirez-vous quelques minutes dans un endroit au calme, prenez un raisin sec dans votre main, laissez-le dans votre paume, prenez le temps de le regarder dans le détail, prenez conscience de son poids, de sa texture en le roulant entre le pouce et l’index, puis portez-le en bouche?; sentez la sensation sur votre langue, votre palais… Puis, tout doucement, croquez-le et ?concentrez-vous sur chacune des saveurs, ?prenez votre temps. Concentrez-vous.?»

L’exercice du raisin sec est l’un des premiers exercices destinés à pratiquer la méditation de pleine conscience. Il vous apprend à vous concentrer sur une sensation corporelle précise, vous plonge dans l’instant présent fondamental que l’on oublie au quotidien. C’est aussi une façon de chasser les autres pensées (les ruminations) et de s’évader en pensée vers des états émotionnels apaisants.

Coco Brac de la Perrière, une consultante de luxe, qui «?accompagne les dirigeants?», a compris comment bien exploiter cette expérience. Elle organise des dîners silencieux, cuisinés par de grands chefs, où, pour une centaine d’euros, vous pouvez manger en silence au côté de dizaines d’autres convives (ils étaient 285 au dîner du 28 mai 2014 dans un grand restaurant parisien?!). De sa voix suave, Coco accompagnait le repas de quelques conseils sur l’art de méditer…

Quel intérêt de payer si cher pour un repas silencieux alors que l’on peut faire la même expérience seul chez soi avec un grain de raisin sec ou un morceau de sucre?? Allez savoir?!

L’expérience de la méditation en mangeant à des racines profondes, dans la tradition monastique, la cérémonie du thé au Japon relèvent aussi des pratiques de méditation zen.

Mais revenons à la mindfulness. Dans sa forme moins exotique et branchée que celle pratiquée par Coco Brac de la Perrière, la méditation de pleine conscience connaît un succès important auprès d’un nombre grandissant de salariés stressés.

La méthode qui a le vent en poupe est celle de Jon Kabat-Zinn. Son programme en huit semaines est désormais appliqué dans le monde du travail.

Le programme repose sur des exercices réalisés seul ?ou en groupe. On apprend à y pratiquer la respiration, le scan corporel (analyser dans le détail ses réactions physiques), le yoga, la marche consciente. La personne apprend à retrouver des sensations fondamentales que l’on a souvent oubliées (comme l’enfant qui regarde les gouttes d’eau glisser sur une vitre). Cet état de conscience a pour effet de repousser les émotions négatives (inquiétude, irritation, anticipation, rumination) qui nous assaillent quotidiennement l’esprit. Cette forme de méditation vise aussi à reconnaître et à se mettre à distance de ses propres pensées et émotions?; les repérer, les ignorer ou les laisser «?couler en soi?», sans se laisser envahir par elles (de la même façon, les patients qui souffrent de douleurs chroniques apprennent à dompter leurs douleurs).
Achille Weinberg
Mots-clés :
jeu -santé -stress -travail- psychologie du travail -méditation -relaxation.
NOTES
Michel Lacroix, Avoir un idéal est-ce bien raisonnable??, Marabout, 2014.

 

 

 

 

 

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Deux solutions pour faire baisser le chômage.
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Formation des jeunes et partage du travail?: ?Denis Clerc propose deux pistes pour inverser la courbe du chômage.
La France ne va pas bien. Certes, ses résultats économiques et sociaux se situent dans la moyenne des pays de l’Union européenne (UE). Mais le pays est rongé par un chômage de masse qui dure depuis longtemps et qui ne semble pas devoir se réduire sensiblement dans les mois qui viennent. Renouer avec la croissance?? Difficile d’y croire, dans un ensemble européen plombé par son endettement et ses politiques d’austérité et dans un contexte environnemental critique. Alors, comment créer de l’emploi avec une croissance nulle ou faible?? Voici deux pistes envisageables.

 

L’emploi des jeunes

Un quart des 15-24 ans présents sur le marché du travail sont au chômage, soit 730?000 personnes. Presque la moitié d’entre eux sont dépourvus de diplôme (1). Leur taux de chômage est quatre fois plus élevé que celui des jeunes diplômés de l’enseignement supérieur. Essentiellement parce que, depuis trente ans, seuls les emplois salariés qualifiés (cadres, techniciens, infirmiers, aides-comptables, etc.) ont vu leur nombre augmenter (+?4,9 millions depuis 1982), tandis que les emplois non qualifiés diminuaient (-?100?000). Le chômage des jeunes non qualifiés tient à la distorsion croissante – que la crise accentue – entre leur insuffisance de formation et le type d’emplois créés. À la sortie de l’école, seul un tiers d’entre eux travaille, les emplois qu’ils auraient pu occuper ayant disparu.

Les emplois d’avenir, réservés aux jeunes non qualifiés qui ne sont ni en emploi ni en formation, sont une réponse intéressante, mais insuffisante. En effet, ces emplois sont situés principalement dans le «?secteur non marchand?», qui dépend largement d’un financement public (associations, organismes publics)?: au terme du contrat aidé, quand bien même le salarié se serait révélé être une perle, le manque de financement empêche l’employeur de prendre le relais. Dans le secteur marchand, au contraire, aucun employeur n’hésitera à passer d’un contrat aidé à une embauche si le jeune est jugé capable de produire davantage qu’il ne coûte.

On pourrait positionner ces contrats dans le secteur marchand, en leur donnant, la première année, un statut de stage de formation professionnelle, rémunéré au smic et financé en partie par le budget de la formation professionnelle continue qui, aujourd’hui bénéficie essentiellement aux plus diplômés. Le complément de financement apporté par l’État le serait moyennant trois conditions?: qu’il s’agisse, comme pour les contrats d’avenir, d’un jeune non diplômé au chômage?; qu’un tuteur soit chargé de son encadrement et de sa formation dans l’entreprise?; qu’il y ait, au terme de l’année de formation sur le tas, une «?reconnaissance des savoir-faire professionnels?» acquis. Ensuite, en cas d’embauche en contrat à durée indéterminée et à temps plein par un employeur, une aide publique couvrirait 30?% du coût salarial durant un an. En mobilisant en partie le budget de la formation professionnelle continue, l’actuel budget affecté aux 100?000 emplois d’avenir pourrait, sans dépense publique supplémentaire, financer 150?000 contrats de «?formation-embauche?» annuels débouchant majoritairement (100?000 par an??) sur une embauche. Et redonnant un avenir professionnel aux jeunes concernés.

Pas de formation suffisante, donc pas de travail?: c’est ce cercle vicieux qu’il faut parvenir à casser. À terme, il s’agit de réduire l’échec scolaire, puisque, actuellement, un jeune sur six quitte l’école sans diplôme (2). Mais en attendant, il s’agit d’empêcher ces jeunes de s’enfoncer dans la pauvreté faute d’emploi.

 

Le partage de l’emploi

Dans une économie sans croissance, ou à faible croissance, la création d’emplois implique de partager une partie de ceux qui existent. Les économistes, majoritairement, n’y croient pas, estimant que le travail ne se partage pas, tant chacun lui imprime sa marque et sa personnalité. Pourtant, c’est déjà une réalité massive?: l’intérim, les contrats de courte durée ou le travail posté sont des emplois partagés entre plusieurs personnes qui se succèdent ou se remplacent sur le même poste.

 

Une révolution généralisée du temps de travail

Mais, si l’on partage l’emploi, il faut aussi partager les salaires. À défaut, le coût de production augmentera pour les entreprises, lesquelles sont déjà, pour bon nombre, en situation difficile. Et le nombre de nouveaux emplois créés sera faible ou nul. Le partage de l’emploi ne peut donc se faire sur le modèle des 35 heures, mais doit s’accompagner d’une baisse du salaire brut de même ampleur que la réduction du temps de travail, pour favoriser le maximum d’embauches compensatrices sans coût supplémentaire pour les entreprises. Impossible?? Pas si la CSG sur les salaires est réduite d’autant, le salaire net demeurant alors inchangé. Le trou en résultant pour la Sécu serait comblé par une hausse de TVA, permettant de faire peser le poids de cet effort collectif en faveur de l’emploi sur tous les consommateurs et non sur les seuls salariés en place. Ensuite, il faudrait mettre à contribution les importations tout en allégeant le coût de production des exportations, une mesure qui, expérimentée par l’Allemagne en 2006, n’est pas étrangère au bond en avant de ses exportations. Bref, une «?TVA sociale?» équilibrée par un dispositif créateur d’emplois.

Un rapide calcul montre qu’une réduction généralisée du temps de travail de 6 heures mensuelles (-?4?%) s’accompagnant d’une baisse similaire du salaire brut, mais pas du salaire net (puisque la CSG passerait de 7,5?% à 3,5?%), pourrait permettre jusqu’à 1 million d’embauches compensatrices sans surcoût pour les entreprises. Évidemment, certaines d’entre elles, au lieu d’embaucher, en profiteraient pour réduire leurs sureffectifs sans licencier, d’autres s’efforceraient de gagner en productivité pour regonfler leurs marges, d’autres encore ne réduiraient pas le temps de travail, faute de trouver le personnel compétent qu’elles souhaitent. Mieux vaut donc tabler sur 500?000 salariés supplémentaires?: moins de chômage et un effet bénéfique sur la consommation, le niveau de vie… et le moral, atténuant d’autant la hausse de TVA nécessaire pour compenser la perte de CSG (3). Un dispositif qui pourrait d’ailleurs s’intégrer dans le «?pacte de responsabilité?» qui vient d’être mis en place au bénéfice des entreprises, par exemple en subordonnant les réductions de cotisations sociales prévues par ce pacte à des embauches compensatrices.

Compliqué?? Sans doute. Mais pas plus que les efforts désespérés pour relancer la croissance ou empêcher les licenciements. La faiblesse de nos marges de manœuvre dans une économie à la fois en crise et largement ouverte sur l’extérieur impose de faire preuve d’imagination. Non pas en rêvant de la société parfaite, mais en s’appuyant sur les mécanismes mêmes de l’économie de marché, afin d’atteindre des objectifs sociaux bénéfiques à tous.
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Plus contraint, davantage évalué, moins solitaire, ?tel se présente aujourd’hui le travail selon une récente enquête du ministère de l’Emploi.
Devoir fréquemment s’interrompre pour réaliser une tâche plus urgente, respecter des délais serrés ou répondre immédiatement à la sollicitation d’un collègue ou d’un client… C’est à ce type de contraintes que se mesure ce que l’on appelle l’intensité du travail. Tous les sept ans depuis 1984, la Dares, le service de recherches et d’études du ministère du Travail, mène une enquête pour savoir comment évolue cette intensité. Et si l’enquête 2005 avait, contre toute attente, mis en évidence une «?pause?» dans l’intensification du travail qu’avaient diagnostiquée les volets précédents, l’édition 2013, dont la Dares vient de publier les résultats, montre que cela n’était en fait qu’une parenthèse?: depuis trente ans, le travail n’a jamais été aussi contraint.

Rythmes et sollicitations

L’enquête, fondée sur les déclarations de 34?000 salariés en France, montre ainsi que la part de ceux qui subissent au moins trois contraintes de rythme (cadence d’une machine, dépendance vis-à-vis des collègues, surveillance permanente de la hiérarchie) atteint désormais 35?%, contre seulement 6?% en 1984. Les auteurs notent que les frontières sont aujourd’hui beaucoup plus floues entre les contraintes de type industriel (avoir son rythme fixé par une machine, devoir respecter des délais d’une journée au plus) et celles de type marchand (devoir répondre à des sollicitations – clients, public – exigeant une réponse immédiate). Alors qu’elles caractérisaient chacune un monde professionnel spécifique, elles tendent désormais à se croiser, puisqu’un tiers des salariés dit subir des contraintes des deux types. Si ce cumul s’étend à toutes les catégories socioprofessionnelles, les ouvriers y restent malgré tout plus exposés que les autres groupes. La proportion de salariés dont le rythme de travail est imposé par un contrôle ou un suivi informatisé est également en forte hausse (35?% contre 25?% en 2005), en particulier chez les cadres (+?12?%) et les professions intermédiaires (13?%). Autres indices de l’intensification du travail?: l’augmentation des personnes interrogées déclarant «?ne pas pouvoir quitter leur travail des yeux?» ou «?devoir fréquemment abandonner une tâche pour une autre plus urgente?». De même, le contact avec le public s’étend et concerne désormais sept salariés sur dix, augmentant par là même la probabilité d’être «?en contact avec des personnes en situation de détresse?» (44,3?% des salariés contre 38?% en 2005) ou de «?devoir calmer les gens?» (53,3?%) – ce qui, on l’imagine, n’aide guère à se détendre au bureau.

Moins d’isolement

Dans le domaine des relations sociales, l’évaluation gagne du terrain puisque désormais plus de la moitié des salariés (52?%) ont des entretiens d’évaluation, le plus souvent basés sur des «?critères précis et mesurables?». D’autres évolutions montrent par ailleurs une amélioration des conditions de travail?: de plus en plus de salariés (79?%) disent pouvoir être aidés par un collègue quand ils ont «?du mal à faire un travail délicat, compliqué?». Ils sont le même nombre croissant à déclarer avoir l’occasion «?d’aborder collectivement?» les questions d’organisation du travail. Grâce à ces évolutions, dans l’ensemble, les salariés se disent moins souvent «?obligés de se dépêcher?» en 2013 qu’en 2005. De même, seuls 31?% d’entre eux disent en 2013 ne pas pouvoir s’arranger avec leurs collègues pour modifier leurs horaires?; ils étaient 48?% en 1998. Le travail du XXIe siècle, s’il est plus intense, se fait donc, semble-t-il, de manière moins isolée.

L’enquête de la Dares montre par ailleurs que toutes ces évolutions sont davantage prononcées dans la fonction publique que dans le secteur privé. Ainsi, entre 2005 et 2013, la part de salariés subissant au moins trois contraintes de rythme y a augmenté de 8 points (de 21 à 29?%), contre trois seulement pour le secteur privé (de 34 à 37?%). Le niveau atteint même 41?%… dans la fonction publique hospitalière?! Plus généralement, le niveau d’intensité du travail reste fortement corrélé à la précarité de l’emploi. Toutes choses égales par ailleurs, «?les intérimaires et les salariés qui craignent pour leur emploi cumulent davantage de contraintes de rythme de travail que les salariés “stables”?». Or, la crise aidant, la proportion de personnes «?en situation de précarité ou d’instabilité?» (qui inclut également les CDD et les temps partiels subis) atteint le tiers des salariés (un quart en 2005). L’intensification du travail a donc a priori toutes les raisons de se poursuivre dans les années à venir.

Élisabeth Algava, Emma Davie, Julien Loquet et Lydie Vinck, «?Conditions de travail?: reprise de l’intensification du travail chez les salariés?», Dares Analyses, n° 049, juillet 2014.
Partageons le travail.
Réduire le temps de travail des employés les plus sollicités pour réinsérer ?les chômeurs dans le monde professionnel, une idée simple ?mais novatrice pour construire la société de demain.
Vous défendez le «?partage du travail?», qu’entendez-vous exactement par là??

À tout instant, le volume de travail réalisé dans un pays est réparti sur la population en âge de travailler. Il y a simplement différentes manières de le (re)distribuer, plus ou moins volontaires. Dans notre société, certains travaillent trop et font des burnout, d’autres travaillent trop peu. Le temps de travail est réparti d’une manière sauvage, au hasard des fermetures d’entreprises, des dates d’arrivée sur le marché du travail, des diplômes détenus, au détriment des moins qualifiés, des femmes, des immigrés, des seniors ou encore des jeunes… On devrait y substituer un partage civilisé, tel qu’un maximum de personnes puissent accéder à l’emploi et que la durée travaillée par chacun soit assez homogène, autour des 32 heures par semaine par exemple, ce qui devrait contribuer à résoudre la question du chômage.

 

Ce «?partage?» n’impliquerait-il pas une remise en cause du principe méritocratique, selon lequel ceux qui ont un emploi seraient, a priori, les plus «?méritants?»??

Je ne crois pas que ceux qui réussissent dans la société soient ceux qui ont le plus de mérite. Les dés sont largement pipés, notamment du fait des origines sociales. Par ailleurs, ma réflexion s’inscrit dans une perspective égalitaire, les niveaux actuels d’inégalités étant aujourd’hui insupportables. Il est nécessaire de redistribuer l’emploi et l’accès aux revenus, non seulement entre salariés, mais aussi entre salariés et détenteurs de capital.

 

Outre le chômage, quelles sont selon vous les conséquences de ce «?partage sauvage?»??

Dans le cas d’un partage sauvage, non régulé, certains accèdent à des bouts d’emploi, de petits temps partiels mal payés, pendant que d’autres travaillent sur de longues durées. La plupart des pays européens ont fortement réduit leur durée du travail ces soixante dernières années, mais certains l’ont fait en augmentant le nombre de temps partiels courts (Allemagne), d’autres en réduisant la durée du temps plein (France). Résultat?: en Allemagne, il y a beaucoup plus de petits temps partiels courts mal payés et mal protégés, qui sont comme par hasard principalement destinés aux femmes… Ce phénomène est en général rendu invisible, parce que l’on compare uniquement la durée des emplois à temps plein… En France, les lois de RTT ont contribué à faire converger les temps de travail et notamment à augmenter la durée des temps partiels. C’est un point essentiel pour tous ceux qui souhaitent plus d’égalité professionnelle.
Le travail a-t-il toujours eu l’importance qu’on lui donne aujourd’hui??

Non. Avant la révolution industrielle et le développement du salariat, lorsque le lieu de travail et le lieu de vie n’étaient pas vraiment distincts, que l’on pouvait survivre en cultivant son lopin de terre ou grâce à la pluriactivité, le travail n’occupait pas encore la place centrale qu’il occupe désormais. Si l’État providence permet actuellement de vivre sans travail, l’absence de ce dernier fait néanmoins souffrir. L’exercice d’une activité est devenu la norme au xxe siècle?; ne pas en avoir prive non seulement d’une perspective de revenus stables, mais aussi de liens sociaux et de toutes les vertus dont le travail est paré, d’autant plus que dans le dernier quart du xxe siècle, les attentes à son égard se sont considérablement amplifiées?: il permet de s’exprimer, de se réaliser.

 

Justement, aujourd’hui certaines professions insistent sur la «?valeur travail?» et sont dans un discours de «?dépassement de soi?». Pensez-vous qu’elles pourraient entendre l’intérêt de travailler moins??

Je crois qu’il faudrait plus insister sur l’intérêt du collectif?: il est juste de répartir en permanence le volume de travail disponible sur l’ensemble de la population active. Par ailleurs, cessons de penser que notre apport à la vie de la collectivité nécessite une disponibilité 24 heures sur 24… Nul n’est irremplaçable. Il nous faut apprendre à partager l’emploi et les responsabilités… et sans doute désintoxiquer certaines personnes du travail. Leur rappeler que si la contribution de tous à la production est attendue, bien d’autres activités importent et nécessitent aussi du temps?: la famille, qui incombe aujourd’hui principalement aux femmes et limite leur accès à l’emploi?; les activités politiques et citoyennes, accaparées par des spécialistes de la politique?; et le développement personnel, culturel et physique, dont on nous dit qu’il est essentiel à une bonne espérance de vie, mais dont l’exercice n’est en rien facilité…

 

Les «?35 heures?» ont reçu un grand nombre ?de critiques… Pensez-vous que la société française, dans son ensemble, serait aujourd’hui prête à accepter une nouvelle réduction du temps de travail??

Les études dont on dispose montrent que les lois Aubry ont permis de créer 350?000 emplois?! Entre 1997 et 2001, c’est deux millions d’emplois qui ont été créés… Par ailleurs, les salariés qui ont vu leur temps de travail réduit ont été globalement satisfaits. Le dénigrement de la RTT est le résultat d’une victoire purement idéologique. Il est donc urgent de tirer le bilan serein des deux lois Aubry?: certes, il y a eu quelques échecs mais, globalement, c’est une réussite. Et, surtout, toutes les autres solutions ont échoué. Je continue à croire, comme beaucoup d’autres, que la réduction du temps de travail – plus précisément réduction pour certains et augmentation pour d’autres – constitue une politique absolument nécessaire pour ramener le plus vite possible les chômeurs, notamment ceux de longue durée, dans l’emploi.

 

Justement, comment organiser concrètement ce partage sans pour autant commettre les mêmes erreurs??

À partir du moment où ceux qui en étaient privés accèdent à l’emploi, les dépenses d’indemnisation du chômage diminuent, et les rentrées de cotisations sociales et d’impôt augmentent. On a montré qu’en prenant en considération ces rentrées, le vrai coût des 35 heures était relativement faible?: 0,15?% du PIB par an, ce qui est finalement peu par rapport au nombre d’emplois créés. Trois éléments conditionnent la réussite d’un nouvel épisode de RTT?: ne pas toucher aux salaires, sauf les plus hauts?; réduire vraiment le temps de travail, en évitant, comme lors de la seconde loi Aubry, le changement des modalités de décompte du temps de travail?; ne pas intensifier le travail, comme cela a parfois été le cas avec les lois Aubry.

 

Comment une meilleure répartition pourrait-elle permettre d’éviter l’écueil de l’intensification et améliorer la qualité
Il faut considérer le partage du travail comme un véritable projet de société. Il faut en faire un instrument de rééquilibrage des différentes activités sociales, marchandes et non marchandes, des chances, notamment entre hommes et femmes, et des revenus, en faisant financer ce projet par des revenus autres que ceux du travail. La RTT pourrait aussi constituer le pivot d’une société postcroissance, utilisant un plus grand volume de travail pour une production plus propre, écologiquement et socialement, comptabilisant autrement la richesse avec des indicateurs complémentaires au PIB, mettant au centre de son attention la qualité du travail. Un tel projet s’inscrit évidemment en totale opposition avec le choix actuel de la compétition et du low cost généralisé.

 

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Travail organisation emploi des modèles européens.
Les pays européens diffèrent en matière de performance, de niveau de chômage et de qualité de vie au travail. Certains pays réussissent mieux que d’autres et sont pris comme «?modèles?». Comment font-ils??
La crise économique qui balaye l’Europe depuis maintenant près de sept ans a fragilisé un grand nombre de pays comme la France ou l’Espagne, voire précipité certains d’entre eux dans une situation de crise généralisée (Grèce et Portugal). Pourtant, parmi les vingt-huit membres que compte l’Union européenne, quelques-uns ont tiré leur épingle du jeu, à l’image de l’Allemagne et des pays nordiques. Comment expliquer de telles disparités de réussite face à la crise?? Dans les faits, les mondes du travail en Europe dévoilent leurs particularités.

Ces particularités tiennent à la fois à l’organisation du travail liée à l’histoire, aux modes de production (industrie ou tertiaire) et aux systèmes sociaux qui les accompagnent. On a longtemps opposé une Europe libérale (Royaume-Uni) et social-démocrate (continentale), une Europe du Nord, plus consensuelle et cogestionnaire, et une Europe du Sud, plus conflictuelle. On a parlé du «?modèle suédois?», puis du modèle danois de la flexisécurité, aujourd’hui du «?modèle allemand?». Les réformes du marché du travail et l’importation des nouvelles méthodes de production (comme la lean production) ont changé la donne.

Petit tour d’horizon à partir de quelques questions clés.

 

1- Quelles sont les formes d’organisation du travail??

Les travaux des chercheurs Edward Lorenz et Antoine Valeyre en 2005, issus de la troisième enquête européenne sur les conditions de travail réalisée en 2000 (1), révèlent la coexistence de quatre grands modèles d’organisation du travail. Le panel de cette enquête est constitué de 20?000 salariés européens travaillant au sein «?d’établissements d’au moins 10 personnes dans les secteurs d’activités économiques à dominante marchande (2)?».

• 39?% des travailleurs interrogés évoluent au sein d’organisations «?apprenantes?». Cette forme d’organisation se retrouve essentiellement dans le domaine des banques et assurances. Par exemple, un chargé de clientèle dispose d’une grande autonomie, il reçoit et gère des dossiers, rencontre des clients… Autant de tâches propices à l’apprentissage, ainsi qu’au développement des compétences personnelles. Toutefois, cet employé a des contraintes de productivité?: s’il est libre d’organiser son emploi du temps comme il le souhaite, il doit répondre à certains impératifs. Ces organisations apprenantes sont très représentées aux Pays-Bas ou au Danemark, où plus de la moitié des salariés travaillent au sein d’organisations apprenantes contre 38?% des salariés en France (3). Selon le psychologue du travail Yves Clot et le sociologue Michel Gollac, l’organisation apprenante est le mode d’organisation le plus favorable au bien-être de l’employé (4). En effet, l’autonomie dont jouissent les travailleurs au sein de ces organisations est un élément important en faveur de la diminution du stress et de ses effets négatifs sur la santé.

• 28?% des sondés déclarent travailler auprès d’organisations en lean production. Ce type d’organisation s’exerce dans les activités industrielles telles que la construction automobile, la fabrication de matériel électrique ou électronique. L’ouvrier y travaille en équipe, effectuant des tâches variées sur différents postes de la chaîne de production. Cette organisation est inspirée du toyotisme, modèle mis en place dans les usines Toyota dans les années 1960. Si elle demeure contraignante pour l’employé par son rythme soutenu et sa monotonie générale, cette organisation du travail est notamment présente au Royaume-Uni, en Irlande et dans une moindre mesure en France, ainsi qu’en Espagne. Concernant l’impact sur la santé de l’ouvrier, elle pallie des caractéristiques défavorables comme l’intensité du travail par d’autres plus positives comme l’acquisition par le travailleur d’une certaine autonomie.

• 19?% des salariés appartiennent à des organisations en structures simples. C’est le cas des petits employés du commerce (vendeurs, garçons de café…), mais aussi des transporteurs routiers, des travailleurs en bâtiment ou encore, dans le monde de la santé, des auxiliaires de vie. Dans le domaine industriel, de telles organisations en structures simples sont particulièrement présentes en Italie, en Belgique ou au Luxembourg. Ceci s’explique par la présence dans ces pays d’un tissu industriel particulier, constitué par de petites unités de production sur le mode de l’artisanat, à l’image des travailleurs du textile du Mezzogiorno italien (5). Les risques pour la santé de l’employé au sein d’une organisation simple sont très limités, mais en contrepartie les perspectives d’évolution de carrière et de développement personnel sont proches de zéro.

• 14?% des employés sont concernés par une organisation taylorienne du travail. Ce modèle traditionnel du travail à l’usine se retrouve aujourd’hui dans les industries du textile, de l’habillement et de l’agroalimentaire. Il implique une forte contrainte du rythme de travail, des tâches répétitives et monotones. La grande différence entre le taylorisme et la lean production réside dans le fait que l’employé est peu investi dans le processus de production, il n’est guère plus qu’un outil. L’organisation taylorienne est encore aujourd’hui importante au Portugal, en Grèce et dans une moindre mesure en Irlande. Ses effets néfastes sur l’ouvrier sont depuis longtemps reconnus, un travail intense au rythme de production effréné entraîne de lourdes conséquences tant sur la santé physique que sur la santé mentale du travailleur.

 

2- Qu’est-ce qu’une organisation apprenante ?
Le cas Volvo
Le 24 avril 2014, le constructeur automobile Volvo célébrait les 50 ans d’existence de son usine basée à Torslanda, en Suède, désignée par l’entreprise comme un modèle de production aux activités «?axées sur l’humain (…) une véritable référence pour les autres constructeurs (6)?». Derrière cette autopromotion, des travaux indépendants (7) confirment l’existence d’un modèle de production spécifique développé par Volvo. Celui-ci vise une productivité accrue grâce à une meilleure intégration de l’ouvrier au sein du processus de production (définition des objectifs avec la hiérarchie, rotation des tâches, rythme de travail adapté…).Volvo est l’une des premières firmes à avoir mis à l’épreuve cette nouvelle organisation apprenante du travail, dès 1984, avec l’ouverture de l’usine test d’Uddevalla. Pour dépasser le mode de production tayloriste, incapable de s’adapter à une demande de plus en plus diversifiée et de fournir de bonnes conditions de travail aux salariés, Uddevalla s’est organisée sur un idéal de formation longue, de travail en petites équipes de dix ouvriers, mais surtout d’adaptation de l’appareil productif au travailleur. L’usine n’imposait plus son rythme à l’employé, mais fixait ses objectifs en fonction des capacités de production de l’ouvrier. Cette véritable révolution a permis à Uddevalla de relever un défi de taille?: le montage complet, en station fixe, d’un véhicule par une seule et même équipe. Au plus fort de son activité, un monteur expérimenté d’Uddevalla était capable d’assembler une voiture en douze heures, seul et sans peine. En effet, chaque procédé à l’intérieur de l’usine était optimisé, de la livraison des pièces sur le secteur d’assemblage aux outils «?mis au point avec les ouvriers et ouvrières, pour qu’ils soient parfaitement adaptés à la fois aux opérations à effectuer et aux personnes elles-mêmes en fonction de leur sexe et de leur âge (Smilie: 8)?». Cet idéal «?qualité, souplesse, investissement humain?» a demandé un effort conséquent de la part de Volvo, pour dépasser certains problèmes techniques, et une aide financière substantielle de l’État. Malheureusement, tout cela n’aura pas suffi à assurer la pérennité de l’usine qui a fermé ses portes en 1993 face à la crise de l’industrie automobile. Doit-on en conclure que ce mode d’organisation n’est pas viable car incapable d’affronter les aléas de la réalité économique?? Pas nécessairement, puisqu’Uddevalla a été un centre d’innovation très important en matière d’organisation du travail, à qui Torslanda a repris de nombreuses initiatives. De plus, Uddevalla représente encore aujourd’hui l’idéal du «?modèle sociotechnique suédois?» ou uddevalisme.

 

3- Le travail chez Amazon, visage d’un nouveau taylorisme??

Depuis sa création en 1997, l’entreprise de commerce en ligne Amazon n’a eu de cesse de développer ses activités, de la vente de livres sur Internet à la commercialisation de liseuses numériques, pour devenir la gigantesque plate-forme de vente que nous connaissons aujourd’hui. Le succès de la firme est tel qu’Amazon pourrait devenir d’ici 2017 le premier libraire de France, dépassant ainsi la Fnac, actuel leader du marché. Si Amazon représente l’idéal de réussite de l’entreprise version 2.0, les conditions de travail de ses employés ont souvent été pointées du doigt comme étant particulièrement rudes et difficiles, qualifiées parfois «?d’esclavage moderne?». Qu’est-ce qui se cache réellement sous le credo de la firme «?Work hard, have fun, make history?»?? Peu d’études ont été réalisées sur l’organisation du travail à l’intérieur de l’entreprise Amazon car la direction refuse l’accès de ses entrepôts aux journalistes. Les employés, quant à eux, sont tenus de garder le silence. Il aura fallu l’initiative du journaliste Jean-Baptiste Malet, parvenu à se faire embaucher auprès de la plate-forme colis d’Amazon à Montélimar, pour en savoir plus sur la réalité du travail chez le géant américain. Dans son ouvrage En Amazonie (9), J.?B. Malet dévoile la transformation de l’entrepôt en véritable usine à travers l’usage d’un processus en flux-tendu pour fabriquer les colis. Le travail est régi par les règles du taylorisme le plus classique, auxquelles s’ajoutent des «?outils de contrôle de productivité parfaitement inédits?». Par exemple le code-barres omniprésent dans l’entrepôt Amazon. L’interview réalisée par Libération d’une ancienne «?picker?», terme utilisé pour désigner les employés chargés de collecter les produits à emballer, est particulièrement éclairante à ce propos. L’ex-employée détaille ainsi l’usage des codes-barres reliés au Wi-Fi qui permettent aux managers de savoir en temps-réel «?où se trouve un livre, sur quel chariot il a été enregistré, quel intérimaire pousse le chariot, où il se déplace dans l’entrepôt, à quelle heure il s’est mis au travail en scannant son code-barres personnel, quelle a été la durée exacte de sa pause et combien d’articles il “picke” par heure (10)?». Cette surveillance numérique offre aux managers la possibilité d’évaluer en permanence la productivité personnalisée de chaque employé, qui peut être rappelé à l’ordre ou mis à pied immédiatement si son travail est jugé insuffisant. En plus d’un contrôle permanent de la productivité au sein de l’entrepôt, la discipline est extrêmement rigoureuse, et la surveillance accrue par des centaines de caméras, des agents de sécurité qui arpentent les allées toute la journée et des fouilles au corps en fin de service (11). Derrière les succès de l’entreprise 2.0 se laisse entrevoir un appareil productif au modèle d’organisation hérité du début du XXe siècle…

 

4- Travailler en Europe, ?un gage de qualité??

Une étude menée par le Centre d’études de l’emploi en mars 2013, coordonnée par l’économiste Christine Erhel et d’autres chercheurs, s’est attachée à mesurer la qualité de l’emploi en Europe. Ce document dresse un large panorama des grandes tendances en termes de conditions de travail au sein de chaque pays de l’Union européenne de 2005 à 2010, «?années les plus fortes de la crise?» (12). Pour définir la qualité de l’emploi national, les chercheurs ont pris en compte de multiples facteurs?: les salaires, les formes d’emploi «?atypiques?» (contrats précaires, recours à l’intérim…), le temps de travail, l’équilibre entre vie professionnelle et familiale, les conditions de travail, la sécurité de l’emploi, les compétences et l’évolution de carrière, ainsi que la représentation des intérêts collectifs (organisations syndicales, organes de représentation du personnel…). Le tout premier constat est que la qualité de l’emploi global a eu tendance à décliner en Europe durant la crise économique. Si tous les pays ont connu une dégradation en termes de qualité de l’emploi, l’étude montre que l’impact de la crise n’a pas été le même partout. Ainsi, les résultats sont très inégaux concernant le taux de chômage. Même au plus fort de la crise, la Pologne, l’Allemagne, la Slovaquie et l’Autriche ont connu une baisse significative du chômage, tandis qu’en Espagne, en Irlande, au Portugal et en Grèce, celui-ci a atteint des chiffres records. Comment expliquer une telle inégalité du chômage en Europe??

La réponse est à chercher au niveau des lois nationales d’encadrement du travail, qui déterminent notamment le coût social du travailleur. L’employé polonais ou slovaque, moins payé et moins protégé socialement que son homologue espagnol ou portugais, semblerait donc épargné plus facilement par les réductions budgétaires réalisées par les entreprises. Certains pays très fortement touchés par la crise, comme la Grèce ou le Portugal, ont cherché ainsi à «?restaurer la compétitivité au moyen d’une dévaluation interne, c’est-à-dire de la modération salariale, de gains de productivité et de la réduction des autres coûts de production par rapport aux partenaires commerciaux (13)?». Cette volonté de réduire les coûts du travailleur explique la dégradation de la qualité de l’emploi dans de nombreux pays européens où les charges sociales sont importantes, à l’image de la France «?au deuxième rang européen pour le déclin de la qualité de l’emploi globale?». La France a notamment souffert d’une forte dégradation dans les domaines de l’équilibre entre vie familiale et vie professionnelle, des conditions de travail et des possibilités d’évolution de carrière. L’étude menée par C. Erhel montre qu’une amélioration des conditions de travail a eu lieu à l’inverse dans les pays de l’Union où le coût du travailleur est le plus faible?: c’est le cas pour la Pologne ou la République tchèque, deux pays où, malgré la crise, une très nette augmentation de la qualité de travail a été enregistré, notamment dans le domaine des conditions de travail et de sécurité de l.emploi.
Mots-clés :
Europe -conditions de travail -emploi -chômage -marché du travail -travail -Union européenne -organisation -qualité du travail.
NOTES
1. Edward Lorenz et Antoine Valeyre, «?Les formes d’organisation du travail dans les pays de l’Union européenne?», Revue travail et emploi, n° 102, avril-juin 2005.
2. Il convient de noter que sont donc exclus du panel le secteur public et les petites entreprises (du BTP, commerce) qui représentent une partie notable de la main-d’œuvre, en France comme en Europe.
3. François Daniellou, «?Quand le travail rend malade…?», Sciences Humaines, hors-série, n° 48, mars-avril 2005.

4. Yves Clot et Michel Gollac, Le travail peut-il devenir supportable??, Armand Colin, 2014.

5. Bruno Courault, «?Districts italiens et PME-Systèmes français?: comparaison n’est pas raison?», La Lettre, n° 61, Centre d’études de l’emploi, 2000.
6. Consulter www.volvocars.com/fr/top/about/news-events/Pages/default.aspx?itemid=484
7. Michel Freyssenet, «?Le travail en groupe en France – Le cas Renault?», colloque franco-allemand, CNRS, 1994.

8. Elsie Charron et Michel Freyssenet, «?L’usine d’Uddevalla dans la trajectoire de Volvo?», op. cit.

9. Jean-Baptiste Malet, En Amazonie. Infiltré dans le «?meilleur des mondes?», Fayard, 2013.

10. Anonyme, «?Une employée d’Amazon raconte “la peur organisée”?», Libération, 17 décembre 2013.
11. Consulter www.lemonde.fr/economie/article/2013/12/16/les-travailleurs-chez-amazon-ont-des-conditions-de-travail-dignes-du-xixe-siecle_3517609_3234.html

12. Christine Erhel et al., «?Tendances de la qualité de l’emploi pendant la crise?: une approche européenne comparative?», Centre d’études de l’emploi, 2013.

13. «?Chômage?: une Europe de l’emploi coupée en deux?», Les Échos, 26 mars 2014.

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Le travail s’intensifie en France.
Plus contraint, davantage évalué, moins solitaire, ?tel se présente aujourd’hui le travail selon une récente enquête du ministère de l’Emploi.
Devoir fréquemment s’interrompre pour réaliser une tâche plus urgente, respecter des délais serrés ou répondre immédiatement à la sollicitation d’un collègue ou d’un client… C’est à ce type de contraintes que se mesure ce que l’on appelle l’intensité du travail. Tous les sept ans depuis 1984, la Dares, le service de recherches et d’études du ministère du Travail, mène une enquête pour savoir comment évolue cette intensité. Et si l’enquête 2005 avait, contre toute attente, mis en évidence une «?pause?» dans l’intensification du travail qu’avaient diagnostiquée les volets précédents, l’édition 2013, dont la Dares vient de publier les résultats, montre que cela n’était en fait qu’une parenthèse?: depuis trente ans, le travail n’a jamais été aussi contraint.

Rythmes et sollicitations

L’enquête, fondée sur les déclarations de 34?000 salariés en France, montre ainsi que la part de ceux qui subissent au moins trois contraintes de rythme (cadence d’une machine, dépendance vis-à-vis des collègues, surveillance permanente de la hiérarchie) atteint désormais 35?%, contre seulement 6?% en 1984. Les auteurs notent que les frontières sont aujourd’hui beaucoup plus floues entre les contraintes de type industriel (avoir son rythme fixé par une machine, devoir respecter des délais d’une journée au plus) et celles de type marchand (devoir répondre à des sollicitations – clients, public – exigeant une réponse immédiate). Alors qu’elles caractérisaient chacune un monde professionnel spécifique, elles tendent désormais à se croiser, puisqu’un tiers des salariés dit subir des contraintes des deux types. Si ce cumul s’étend à toutes les catégories socioprofessionnelles, les ouvriers y restent malgré tout plus exposés que les autres groupes. La proportion de salariés dont le rythme de travail est imposé par un contrôle ou un suivi informatisé est également en forte hausse (35?% contre 25?% en 2005), en particulier chez les cadres (+?12?%) et les professions intermédiaires (13?%). Autres indices de l’intensification du travail?: l’augmentation des personnes interrogées déclarant «?ne pas pouvoir quitter leur travail des yeux?» ou «?devoir fréquemment abandonner une tâche pour une autre plus urgente?». De même, le contact avec le public s’étend et concerne désormais sept salariés sur dix, augmentant par là même la probabilité d’être «?en contact avec des personnes en situation de détresse?» (44,3?% des salariés contre 38?% en 2005) ou de «?devoir calmer les gens?» (53,3?%) – ce qui, on l’imagine, n’aide guère à se détendre au bureau.

Moins d’isolement

Dans le domaine des relations sociales, l’évaluation gagne du terrain puisque désormais plus de la moitié des salariés (52?%) ont des entretiens d’évaluation, le plus souvent basés sur des «?critères précis et mesurables?». D’autres évolutions montrent par ailleurs une amélioration des conditions de travail?: de plus en plus de salariés (79?%) disent pouvoir être aidés par un collègue quand ils ont «?du mal à faire un travail délicat, compliqué?». Ils sont le même nombre croissant à déclarer avoir l’occasion «?d’aborder collectivement?» les questions d’organisation du travail. Grâce à ces évolutions, dans l’ensemble, les salariés se disent moins souvent «?obligés de se dépêcher?» en 2013 qu’en 2005. De même, seuls 31?% d’entre eux disent en 2013 ne pas pouvoir s’arranger avec leurs collègues pour modifier leurs horaires?; ils étaient 48?% en 1998. Le travail du XXIe siècle, s’il est plus intense, se fait donc, semble-t-il, de manière moins isolée.

L’enquête de la Dares montre par ailleurs que toutes ces évolutions sont davantage prononcées dans la fonction publique que dans le secteur privé. Ainsi, entre 2005 et 2013, la part de salariés subissant au moins trois contraintes de rythme y a augmenté de 8 points (de 21 à 29?%), contre trois seulement pour le secteur privé (de 34 à 37?%). Le niveau atteint même 41?%… dans la fonction publique hospitalière?! Plus généralement, le niveau d’intensité du travail reste fortement corrélé à la précarité de l’emploi. Toutes choses égales par ailleurs, «?les intérimaires et les salariés qui craignent pour leur emploi cumulent davantage de contraintes de rythme de travail que les salariés “stables”?». Or, la crise aidant, la proportion de personnes «?en situation de précarité ou d’instabilité?» (qui inclut également les CDD et les temps partiels subis) atteint le tiers des salariés (un quart en 2005). L’intensification du travail a donc a priori toutes les raisons de se poursuivre dans les années à venir.

Élisabeth Algava, Emma Davie, Julien Loquet et Lydie Vinck, «?Conditions de travail?: reprise de l’intensification du travail chez les salariés?», Dares Analyses, n° 049, juillet 2014.

 

 

 
Des marchés du travail décryptés

Points de repère
Mis à jour le 26/09/2014

 

Italie

• Chiffres clés
Taux de croissance PIB?: -?1,90?% (2013). Taux de syndicalisation?: 35,60?% (2011). Taux d’activité féminine?: 62,20?% (2011). Taux d’emploi public?: 15?% (2010). Taux de travail non déclaré?: 21,60?% (2012).

• Chômage et salaire

Taux de chômage?: 12,6?% (2014). L’allocation chômage correspond à 75?% du salaire de référence, plafonnée à 1?166 € par mois, pour une durée maximum variable entre 8 et 14 mois. L’âge de la retraite est de 66 ans. La durée moyenne de travail est fixée à 38 heures, sans salaire minimum défini, qui devrait entrer en vigueur en 2015.

• Quelques caractéristiques

Le marché du travail est marqué par l’importance de la petite industrie et dispose d’un secteur public pléthorique. Mario Monti, ancien président du Conseil des ministres de novembre 2011 à avril 2013, a initié une réforme du marché du travail. Les lois visant à instaurer plus de flexisécurité n’ont pas eu l’effet espéré?: le licenciement est devenu plus facile, mais l’embauche n’a pas été stimulée (1). Le développement de l’apprentissage peine à s’imposer face à une bureaucratie et à des exécutifs régionaux incapables d’organiser efficacement la formation des apprentis.

Pays-Bas
• Chiffres clés
Taux de croissance PIB -?0,80?% (2013). Taux de syndicalisation?: 18,20?% (2011). Taux d’activité féminine?: 78,40?% (2011). Taux d’emploi public?: 11?% (2010). Taux de travail non déclaré?: 9,50?% (2012).

• Chômage et salaire

Taux de chômage?: 7,2?% (2014). L’allocation chômage équivaut à 75?% du salaire de référence, pour une durée maximum variable entre 3 et 38 mois. L’âge de la retraite est de 65 ans et passera à 67 ans d’ici 2023. La durée moyenne de travail est fixée à 37 heures, le salaire minimum s’élève à 1?485,60 €.

• Quelques caractéristiques

L’industrie de pointe néerlandaise profite du dynamisme de grands groupes comme Unilever, Shell ou encore Philips. La politique d’emploi est très progressiste avec un principe de flexisécurité généralisé. Le recours aux emplois à mi-temps et temporaires a permis au pays de maintenir son taux de chômage à un niveau relativement bas. Le pays poursuit des réformes comme le recul de l’âge de la retraite à 67 ans d’ici 2023 et une diminution des dépenses sociales en général.

Royaume-Uni

• Chiffres clés
Taux de croissance PIB?: -?0,80?% (2013). Taux de syndicalisation?: 18,20?% (2011). Taux d’activité féminine?: 78,40?% (2011). Taux d’emploi public?: 11?% (2010). Taux de travail non déclaré?: 9,50?% (2012).

• Chômage et salaire

Taux de chômage?: 6,60?% (2014). L’allocation chômage est variable en fonction du nombre de cotisations payées sur 2 ans, pour une durée maximum de 182 jours. L’âge de la retraite est de 65 ans. La durée moyenne de travail est fixée à 37,2 heures, le salaire minimum s’élève à 1?216,75 €.

• Quelques caractéristiques

Le Royaume-Uni fait figure de «?modèle de référence quant à la flexibilisation et à la dérégulation du marché du travail (2)?». Le pays ne dispose que d’un faible développement législatif du travail, le contrat individuel n’a pas de véritable cadre. Le gouvernement prend en charge la rémunération des jeunes embauchés au sein des entreprises sous le statut de stagiaires, afin de favoriser leur insertion. Le chômage a été endigué grâce au montant très faible des indemnités, qui contraint à rechercher activement un emploi et à accepter toute offre proposée.

Allemagne
• Chiffres clés
Taux de croissance PIB?: 0,40?% (2013). Taux de syndicalisation?: 18?% (2011). Taux d’activité féminine?: 71,80?% (2011). Taux d’emploi public?: 10?% (2010). Taux de travail non déclaré?: 13,30?% (2012).

• Chômage et salaire

Taux de chômage?: 5,20?% (2014). L’allocation chômage correspond à 60 ou 67?% du salaire de référence, plafonnée à 2?452 € où à 2?145,90 € suivant les Länder, pour une durée maximale de 6 à 24 mois. L’âge de la retraite est de 63 ans et passera à 65 ans d’ici 2029. La durée moyenne de travail est fixée à 37 heures, sans salaire minimum défini, qui devrait entrer en vigueur en 2015.

• Quelques caractéristiques

Grâce à une forte industrie automobile et à une technologie de pointe, l’Allemagne possède une balance commerciale excédentaire, un déficit stable à près de 0?% et le taux de chômage le plus faible d’Europe. Les lois Hartz, mises en place entre 2003 et 2005 par le chancelier Schröder, ont diminué les garanties de l’indemnisation chômage et facilité le licenciement, tout en permettant à l’employeur de recourir plus aisément aux emplois temporaires. Cette politique est aujourd’hui critiquée, la part des travailleurs pauvres ayant augmenté au niveau national.

Espagne

• Chiffres clés
Taux de croissance PIB?: -?1,20?% (2013). Taux de syndicalisation?: 15,60?% (2011). Taux d’activité féminine?: 67?% (2011). Taux d’emploi public?: 14?% (2010). Taux de travail non déclaré?: 19,20?% (2012).

• Chômage et salaire

Taux de chômage?: 25,10?% (2014). L’allocation chômage correspond à 70?% du salaire de référence, plafonnée de 1?087 € à 1?398 € selon la situation familiale du bénéficiaire, pour une durée maximale variable entre 120 et 720 jours. L’âge de la retraite est de 65 ans. La durée moyenne de travail est fixée à 38,5 heures, le salaire minimum s’élève à 752,85 €.

• Quelques caractéristiques

L’Espagne connaît une période de grande difficulté économique et sociale. En 2012, le pays a entamé une grande réforme du marché du travail, dont l’efficacité commence à transparaître. La baisse des salaires et l’augmentation du temps de travail accordées aux entreprises par le gouvernement ont permis d’améliorer la compétitivité du pays, tout en diminuant le coût de la main-d’œuvre. Selon l’OCDE, près de 25?000 contrats permanents supplémentaires sont créés chaque mois grâce à la réforme (3). Les entreprises bénéficient de crédits d’impôt pour chaque contrat permanent signé.

France

• Chiffres clés
Taux de croissance PIB?: 0,20?% (2013). Taux de syndicalisation?: 7,80?% (2011). Taux d’activité féminine?: 66,20?% (2011). Taux d’emploi public?: 22?% (2010). Taux de travail non déclaré?: 10,80?% (2012).

• Chômage et salaire

Taux de chômage?: 10,40?% (2014). L’allocation chômage correspond à 57,4?% du salaire journalier de référence, plafonnée à 236,19 € par jour, pour une durée maximale variable entre 4 et 36 mois. L’âge de la retraite est de 60 ans et passera à 62 ans d’ici 2017. La durée moyenne de travail est fixée à 35 heures, le salaire minimum s’élève à 1?445,38 €.

• Quelques caractéristiques

Le marché du travail souffre d’un problème de dualité entre des secteurs très protégés et d’autres aux emplois précaires soumis aux aléas économiques. Le pays peine à endiguer un chômage persistant. Les réformes à mener concernant le marché du travail ont été difficilement décidées suite à des négociations tendues entre patronat et syndicats. Le 14 janvier 2014, le président François Hollande entérinait tout de même ces accords au sein du Pacte de responsabilité, avec pour objectif d’accélérer les créations d’emploi des entreprises.
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About GhjattaNera

prufessore di scienze economiche e suciale a u liceu san Paulu in Aiacciu

Category(s): actualité

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