Une connaissance scientifique du vivant est-elle possible?

16 juin 2008 0 Par caroline-sarroul

Une connaissance scientifique du vivant est-elle possible?

I. on entend par vivant, une matière qui est animée et qui possède des qualités particulières. En tant que matière, partie de la nature, on peut penser que le vivant (végétal, animal, humain) peut faire l’objet d’une connaissanec de type scientifique. Le propre de la science, c’est qu’elle présuppose un déterminisme, des lois et cherche par la combinaison de l’observation et du raisonnement à établir ces « relations invariables » qui permettent d’expliquer et de prévoir les phénomènes naturels. Le vivant peut faire l’objet d’une connaissance scientifique dans le sens où il y a certains mécanismes qui permettent au vivant de se maintenir en vie, et que ceux-ci peuvent être saisi dans une démarche expérimentale. C’est la position mécaniste de Descartes qui rend légitime la biologie, comme science du vivant.

Si on pense l’homme, comme un vivant parmi d’autres, il semble que les sciences humaines ( histoire, psychologie, sociologie…) pose aussi que l’homme est soumis à un ensemble de déterminismes qu’il s’agit de saisir. Et par exemple, l’histoire a eu cette prétention de faire du passé et du devenir de l’humanité, l’objet d’une démarche scientifique ( l’histoire comme science des documents au XIXème siècle, volonté d’objectivité et d’explication pas simplement d’établir une chronologie des évènements).

Mais n’est-il pas abusif de réduire le vivant à une machine et de penser les actions humaines par exemples comme n’étant le résultat que de déterminismes. Que fait-on des particularités du vivant et de sinon la liberté du moins de l’autonomie relative du vivant?

II. Si on peut sans difficulté souligner avec Schopenhauer que l’histoire ne peut « prendre place parmi les autres sciences » au regard de la particularité de son objet d’étude et des conditions de cette étude ( inévitable subjectivité, primultimité de l’évènement historique, reconstitution du passé, la liberté de l’action humaine qui justifie d’ailleurs que l’on veuille saisir le passé pour être plus libre dans le présent et face à l’avenir), on peut aussi souligner que le vivant ne saurait se réduire à une machine et que les conditions d’une connaissance scientifique soulèvent différents problèmes:

d’ordre éthique concernant l’observation et l’expérimentation sur le vivant:

PB : « L’éthique de la connaissance nous incite vivement à faire notre possible pour ajouter des connaissances nouvelles au patrimoine intellectuel de l’humanité. … L’éthique de l’innocence nous prescrit de nous abstenir  de faire quoique ce soit présentant un risque prévisible de provoquer de la souffrance »  S.LURIA (1976)

Réponses possibles:

1.Claude Bernard, Introduction à l’étude de la médecine expérimentale , 1865 :  » A-t-on le droit de faire des expériences et des vivisections sur les animaux ? Quant à moi, je pense qu’on a ce droit d’une manière entière et absolue. (…)   Il serait bien étrange , en effet, qu’on reconnût que l’homme a le droit de se servir des animaux pour tous les usages de la vie, pour ses services domestiques, pour son alimentation, et qu’on lui défendît de s’en servir pour s’instruire dans une des sciences les plus utiles à l’humanité. (..)  S’il est immoral de faire sur un homme une expérience dangereuse pour lui, quoique le résultat puisse être utile aux autres, il est essentiellement moral de faire sur un animal des expériences quoique douloureuses et dangereuses pour lui, dès qu’elles peuvent être utiles pour l’homme. (…) Le physiologue n’est pas un homme du monde, c’est un savant, c’est un homme qui est saisi et absorbé par une idée scientifique qu’il poursuit ; il n’entend plus les cris des animaux , il ne voit plus le sang qui coule, il ne voit que son idée et n’aperçoit que des organismes qui lui cachent les problèmes qu’il veut découvrir »  

Mais

2. on peut à l’inverse soutenir que la science doit se soumettre aux droits des animaux et du vivant sans quoi nous faisons du spécisme ( pourquoi faire à un autre être sensible, intelligent ce que nous ne tolérons pas pour nous, hommes, vivants parmi les vivants?). C’est ce que soulignait  Bentham (1780) et reprend aujourd’hui le philosophe écologiste, Regan qui rappelle en 1983 que «  ce à quoi la théorie des droits s’oppose, c’est la violation des droits des individus au nom de l’intérêt public…On ne peut  moralement pas transférer des risques à ceux qui n’ont pas choisi volontairement de les endosser…Il est nécessaire que les droits de nul individu n’aient été violés pour que les bénéfices qui peuvent échoir à d’autres soient moralement acceptables »

d’ordre « ontologique » , du point de vue de la nature même du vivant:

Kant a souligné en reprenant l’exemple de la montre contre Descartes qu’un organisme vivant ne peut se réduire à une machine: un être vivant a une « force formatrice » qu’un mécanisme le plus sophistiqué soit-il n’a pas: un être vivant est capable de s’autoréparer ( cicatrisation), de s’autoréguler ( un organisme a une certaine plasticité qui fait qu’il peut s’adapter à certaines modifications internes: un organisme est une totalité qui ne se réduit pas une somme de ses parties, si bien qu’un organisme moins un organe n’est plus le même que l’organisme de départ moins cet organe) et de se reproduire! Il y a donc entre le vivant et la machine un « écart ontologique », c’est-à-dire de nature et celui-ci pousse à s’interroger par delà la difficulté de comprendre la vie, sur la possibilité même de la réduire à un objet scientifique.

La vie est une synthèse qui s’oppose à la démarche analytique de la connaissance, qui dissèque, divise pour expliquer: on pourrait au mieux saisir le part mécanique du vivant, mais la vie en elle-même échapperait par sa nature même à toute connaissance!

d’ordre épistémologique:

« Dans une montre une partie est l’instrument du mouvement des autres, mais un rouage n’est pas la cause efficiente de la production d’un autre rouage ; certes une partie existe pour une autre, mais ce n’est pas par cette autre partie qu’elle existe. C’est pourquoi la cause productrice de celles-ci et de leur forme n’est pas contenue dans la nature (de cette matière), mais en dehors d’elle dans un être, qui d’après des Idées peut réaliser un tout possible par sa causalité. C’est pourquoi aussi dans une montre un rouage ne peut en produire un autre et encore moins une montre d’autres montres, en sorte qu’à cet effet elle utiliserait (elle organiserait) d’autres matières ; c’est pourquoi elle ne remplace pas d’elle-même les parties, qui lui ont été ôtées, ni ne corrige leurs défauts dans la première formation par l’intervention des autres parties, ou se répare elle-même, lorsqu’elle est déréglée : or tout cela nous pouvons en revanche l’attendre de la nature organisée. Ainsi un être organisé n’est pas simplement machine, car la machine possède uniquement une force motrice ; mais l’être organisé possède en soi une force formatrice qu’il communique aux matériaux, qui ne la possèdent pas (il les organise) : il s’agit ainsi d’une force formatrice qui se propage et qui ne peut pas être expliquée par la seule faculté de mouvoir (le mécanisme). »Kant, Critique de la faculté de juger § 65

D’autant plus qu’à ceci s’ajoute le fait qu’un organisme vivant est un individu, et donc une totalité unique et indivisible. Donc même si nous appartenons à la même espèce, même si nous avons des mécanismes en commun, la science du vivant serait en quelque sorte une science du particulier, ce qui implique contradiction, comme le disait Schopenhauer de l’histoire. Le principe de la science est d’expliquer le particulier par et sous le général, ( par ex. un phénomène naturel n’est que le cas particulier d’une loi universelle de la nature!),or dans les sciences de l’homme ( au regard de la liberté humaine et de son historicité, conscience d’être dans le temps et d’avoir une histoire sans être simplement soumis au temps et à son érosion!) on ne peut expliquer ainsi par subsumation, on se doit de trouver une explication particulière pour chaque évènement historique unique dans le temps et dans sa nature ( toutes les guerres ne sont pas les mêmes, même si elles restent des guerres). Donc pour la science du vivant, chaque organisme étant un et unique, on ne pourrait le réduire à une explication générale: un médecin ne peut prévoir avec la même certitude l’issue d’une maladie qu’un physicien la chûte d’un corps!

Si on ajoute au fait qu’un organisme vivant est en plus d’un individu, « le sujet d’une vie », comme le soulignent certaines défenseurs du vivant, expliquer son fonctionnement purement biologique ne suffit plus pour prétendre le connaître. Une science du vivant se devrait aussi de saisir, de comprendre les comportements, les stratégies élaborées par le vivant pour survivre et bien vivre. Or il semble bien difficile de saisir cette marge de liberté, qui encore plus grande chez l’homme, fait qu’il y a une marge de contingence sinon imprévisible, difficile à cerner pleinemement!

Il semble donc difficile d’envisager une science du vivant comme possible, mais on peut se demander pour finir si une science de quoique ce soit est d’ailleurs possible?

III. En effet, on peut souligner que la science qui prétend accèder à la vérité ( et même en avoir le monopole!) ne peut y parvenir pour différentes raisons: on peut d’abord souligner les limites de la vérification expérimentale ( théorie de Popper) même concernant des phénomènes purement physico-chimiques; on peut aussi souligner les limites de la validation des théories ( comment montrer qu’une théorie est la seule possible, qu’elle est en adéquation avec la réalité même – métaphore de la montre fermée de Einstein et Infield dont le sceintifique s’efforce d’expliquer les apparences visibles , mouvement régulier des aiguilles, sans pouvoir ouvrir le boitier pour vérifier la validité de sa théorie!); etc…

Aussi on pourrait conclure que si une science du vivant semble  possible (I) , elle ne serait que celle de ce qui n’est pas vivant dans le vivant (II) et exigerait une certaine éthique, et enfin, si on entend par science, la connaissance vraie d’un objet, même si on admettait que le vivant puisse être un objet scientifique, on peut montrer que toute science n’est pas possible quelque soit son objet !