Pour être soi-même vaut-il mieux suivre ses désirs ou les combattre?

21 décembre 2008 0 Par caroline-sarroul

Etre soi-même, c’est être en accord avec soi-même, mener une existence en adéquation avec ce que nous sommes ou aspirons à être. Etre soi-même, c’est donc être en accord avec ce que nous sommes pour nous. On se définit par des aspects objectifs (le fait que nous sommes des êtres humains, notre corps, notre état civil, notre place dans la société…) mais aussi par une représentation subjective de nous-mêmes, et là ce sont nos attachements et nos désirs qui semblent nous définir. Donc suivre nos désirs, ce serait être soi-même. Mais être soi-même, c’est être en parfait accord avec soi-même, en totale adéquation, or parfois nos désirs se contredisent, on ne peut être grand reporter et mener une vie familiale quotidienne, et pourtant on peut désirer les deux, et nos désirs peuvent aussi s’opposer à notre raison, qui nous fait homme et qui nous permet en pensant par soi-même de nous affirmer comme individu, aussi il semblerait qu’être soi-même exige parfois de combattre ses propres désirs. Aussi on peut se demander si pour être soi-même, il vaut mieux suivre ou combattre ses désirs. C’est donc du problème de la place du désir dans la définition de notre identité et de l’usage du désir permettant de mener une existence adéquate à notre être dont nous allons traiter. Poser ce sujet, c’est cependant présupposer que nous n’avons pas d’autre alternative que celles posées par le «ou». Nous demanderons donc si nos désirs ne nous sont pas propres, si pour autant ils le sont tous et s’il ne faut pas parfois y renoncer pour être soi-même, et si enfin pour être soi-même, il ne faut pas sortir de l’impasse à laquelle nous conduit cette alternative passive , suivre ou combattre.

I. Etre soi-même, c’est être en accord avec soi et on l’est en étant en accord avec nos désirs:
– en tant qu’homme : nous sommes des êtres de désirs, comme le souligne Spinoza qui fait du désir l’essence même de l’homme et de nos désirs, l’effort fait pour persévérer dans notre être. Le désir est en effet proprement humain : les animaux ont des besoins (vitaux), des mouvements naturels ( instincts) mais pas de désir. Car le désir présuppose la conscience, c’est ce qui le différencie d’une simple pulsion (« l’appétit avec conscience de lui-même » selon Spinoza) et il est le fruit de la conscience : on désire parce qu’on se sait manquer de quelque chose, parce qu’on se représente ce qui pourrait dans le futur combler ce manque. Donc le désir présuppose la conscience réfléchie ( faire retour sur ce dont nous avons une conscience immédiate : élan naturel, besoin…) et la conscience de soi : on se sait homme et donc par là mortel, fini, et c’est pourquoi on désire l’immortalité, l’absolu, ce qui pourrait nous compléter. Donc désirer, c’est être soi-même, au sens d’être humain et non une chose, ou un simple animal.
Si on pense comme Hegel que tout désir est désir de reconnaissance, désir d’être désiré comme être de désir, alors on peut aussi souligner que seul l’homme lutte pour cela, les animaux ne luttent que pour survivre. Là encore en suivant notre désir , on est en accord avec notre propre humanité.
– en tant qu’individu : si nos besoins sont communs, nos désirs sont personnels. C’est par eux que nous nous différencions des autres, que nous nous définissons. -si on ne choisit pas nos besoins, nos désirs sont choisis par nous, pour nous, en fonctions de nous. Il y a un lien intime entre nos désirs et nous-mêmes, d’où la difficulté de saisir, d’anticiper les désirs de l’autre. Mais c’est eux qui me définissent en partie pour les autres : je suis celui qui désire devenir champion de ski, celui qui désire s’engager dans l’humanitaire, etc… ET plus le désir est vif, plus il me définit, m’évitant de papillonner, de me disperser au risque de me perdre. C’est donc ce que j’aspire à être, à faire, donc mon projet qui me définit, comme le souligne Sartre. Et comme le désir est ce mouvement vers ce qui n’est pas encore en dehors de ma représentation, on peut penser que c’est à travers eux que l’on est soi, qu’en les réalisant, on se réalise soi-même. Si je réalise mon désir, je me rapproche de ce que je suis pour moi, je suis de plus en plus proche de moi-même. Et la joie ressentie lors de la satisfaction est le signe de cet accord avec soi, d’avoir trouvé ce qui nous était utile, c’est-à-dire ce qui s’accorde avec notre nature, comme le souligne Spinoza. D’où d’ailleurs l’idée que le bon et le mauvais est défini par le désir et relative à chacun. « Par Joie (Laetitiam) j’entendrai donc, dans la suite, une passion par laquelle l’Esprit passe à une plus grande perfection. Et, par Tristesse (Tristitiam), une passion par laquelle il passe à une perfection moindre ».
TR : Donc suivre ses désirs, c’est affirmer son humanité et son individualité, Pourtant certains de nos désirs nous rendent tristes, ce serait alors le signe de leur désaccord avec nous, d’un accord non trouvé en nous-mêmes. Ne convient-il pas alors de les combattre ?

 

II. Le désir est aussi ce qui peut nous éloigner de nous-mêmes :
– en tant qu’homme : nous sommes certes des êtres de désirs, mais nous sommes aussi des êtres de raison ; aussi cette dualité nous invite-t-elle à combattre certains désirs, ceux qui nous feraient perdre la raison (Passion) ou nous amèneraient à agir contre elle (acrasie) ou à poursuivre des buts inaccessibles (Il peut sembler aussi déraisonnable de céder au désir quand on sait qu’il est souvent source d’insatisfaction, aspiration à l’impossible. On peut donc préférer lui opposer une volonté raisonnable, réaliste qui se contente de ce qui est : il vaut mieux changer ses désirs que l’ordre du monde dira Descartes dans la lignée des stoïciens.On peut aussi juger raisonnable de renoncer aux désirs vains comme les épicuriens à la fois pour se mettre à l’abri de la déception, mais aussi pour ne pas sombrer dans des désirs artificiels, nés avec la culture, avec les autres.)
Cette même raison nous invite à ne pas tomber dans l’esclavage du désir où nous ne serions plus maîtres de nous-mêmes, car comment prétendre être soi-même, quand nous sommes incapables de décider par nous-mêmes de notre existence, de nos désirs. Ce qui nous différencie aussi de l’animal, c’est la liberté que nous avons par rapport à nos inclinations, celle de la volonté selon Descartes qui peut affirmer ou nier ce que l’entendement lui propose, ce qui se présente à notre esprit.
– en tant qu’individu : ce que nous appelons « nos » désirs ne sont pas toujours issus de nous ; bien souvent nous faisons qu’imiter le désir des autres, comme le souligne la théorie du désir mimétique de R.Girard, inspiré de Spinoza. Nous entrons souvent dans des désirs qui sont inauthentiques, périphériques ( Spinoza, il faut être cause adéquate de nos désirs, connaître celui que nous sommes et ce que sont les choses) et cela parce que nous ignorons ce que nous désirons vraiment. Parfois nos désirs nous aveuglent sur nous-mêmes, on croit désirer cela, être ceci et au final, on s’éloigne de soi et se révèle étranger à soi-même.
Donc il faut combattre au nom de la raison, au nom de ce que nous sommes, certains désirs mais suivre ou combattre nous place dans un état de passivité, on réagit plus qu’on agit, ne faudrait-il pas plutôt prendre en main nos désirs ?

 

 

 

III. Les définir pour se définir : En effet, on se rend compte que :
– pour connaître ses désirs, il faudrait d’abord savoir qui on est et ce qui pourrait nous satisfaire, nous combler. Or il y a plusieurs obstacles à la connaissance de soi :l’ inconscient , mauvaise foi, perte de soi dans la relation à l’autre, manque d’expérience de soi (difficile par exemple de choisir une orientation scolaire , car cela revient à anticiper celui qu’on va être, à cerner nos profonds désirs, à . En effet, on se découvre au fur et à mesure de notre existence au travers de nos succès et échecs. Et l’échec dans nos désirs peuvent nous aider à cerner mieux qui nous sommes.
– pour se connaître, il faudrait savoir quel est notre désir ; mais on peut penser comme Spinoza que le désir est un élan de vie, « un effort pour persévérer dans notre être » mais sans objet prédéfini, donc le désir n’est pas connaissable car indéfini , c’est donc à nous de penser des buts pour cet élan ; et c’est à travers l’expérience de nos désirs , nos sentiments de joies et de tristesse qu’on se rend de ce qu’ils sont et de ce que nous sommes. Je croyais aspirer à cela, et une fois obtenu, je reste insatisfait : je sais désormais que cela ne me correspond pas ou je découvre quelque chose qui se révélera essentiel pour moi. Donc mes désirs peuvent m’aider à me connaître, à me définir comme en me connaissant mieux je cerne mieux mes désirs.
Mais partir à la recherche de la compréhension de ses désirs, c’est partir à la recherche de soi-même et se connaître est une entreprise sans fin et difficile car il faut aussi accepter ce que l’on est ( ne pas refouler ce que nous sommes, Freud) et s’engager sans vraiment savoir si nous sommes cela ( angoisse liée à la liberté , au fait que nous ne sommes pas définis, Sartre.)