Ce qui appartient au passé est-il par là même inactuel ?

23 janvier 2009 0 Par caroline-sarroul

 

L’actuel, c’est d’abord ce qui se passe ici et maintenant, ce qui appartient au présent. En ce sens, ce qui appartient au passé semble nécessairement inactuel, le passé étant par définition ce qui n’est plus, ce qui est révolu. De même ce qui appartient au futur est inactuel car n’est pas encore. L’inactuel, c’est donc ou le passé ou le futur par opposition au présent. Mais l’actuel, c’est aussi ce qui est en acte  et non en puissance. En ce second sens l’actuel s’oppose au potentiel ou virtuel, et pas nécessairement au passé. Le passé peut même être actuel dans le sens où le présent est conséquence, continuation du passé. La seconde guerre mondiale appartient au passé dans le sens où elle n’est plus, a eu lieu mais elle appartient encore à notre présent dans notre manière de considérer les relations internationales, par exemple. Aussi on peut se demander si ce qui appartient au passé est par là même inactuel. Poser cette question, c’est présupposer que la seule alternative à l’actuel est le passé et qu’il y a rupture entre passé, présent et futur, dans un temps à trois dimensions, où seul le présent est actuel. C’est donc du problème de notre rapport au passé, de sa nature et de ses rapports avec le présent dont nous allons traiter en nous demandant si ce qui appartient au passé n’est pas logiquement étranger au présent, si pour autant le passé ne peut être encore présent et en acte dans le présent et en quel sens il peut être réellement inactuel.

 

 

 

 

I. I.
-Par définition ce qui est passé n’est plus, donc est inactuel.
-chaque évènement n’ayant lieu un seule et unique fois ( primultimité de l’évèvement, selon Schopenhauer), ce qui a été ne sera jamais plus et donc ne sera jamais plus d’actualité.
-D’autant plus que l’idée d’appartenir au passé suggère l’idée d’un jugement. Ce qui appartient au passé, c’est ce qui est jugé comme étant de l’ordre du passé. Il y a donc en même temps une prise de conscience du caractère définitivement passé et révolu de l’évènement jugé comme appartenant au passé. Dire que cela appartient au passé, c’est dire qu’on en fait en quelque sorte le deuil ou qu’on a pardonné, digéré et qu’on peut le distinguer du présent, s’en libérer et libérer par là le présent. Ce n’est plus d’actualité, l’actualité est ailleurs. C’est toute la différence entre commémorer et se remémorer, et tout l’enjeu de la démarche psychanalytique et même de l’histoire.
-Donc ce qui appartient au passé, ce n’est pas seulement ce qui est passé, c’est ce qui est jugé comme étranger au présent qui a changé , évolué, dépassé ce passé en un sens ( le passé c’est le démodé, le caduque, l’inadapté, l’impertinent, l’inadéquat…) ou à l’inverse le passé est inactuel au sens où il est comme hors du temps, indépassable. C’est le cas du passé qui surplombe le présent par son côté monumental, qui en fait quelque chose d’universel ( d’aucun temps et d’aucun lieu) ou quelque chose d’éternel.

Mais ce qui appartient au passé est-il vraiment étranger au présent ?

II.
-Ce qui appartient au passé pour moi, c’est qui est dans ma mémoire. Or au travers du souvenir et de l’acte de remémoration, on peut dire que le passé est de l’ordre du présent. Soit on part du principe de Bergson que la mémoire est coextensive de la conscience et que tout le passé est retenu et par là en moi en totalité même si pour l’action présente, je n’en convoque qu’une infime partie, dès lors le passé est toujours présent à mon esprit, même si je n’en ai pas une conscience claire et est en ce sens actuel, soit on se contente de dire que le passé n’est que pour moi, et se souvenir s’est rendre présent ce qui est révolu. Si bien que Saint Augustin, (texte 2 p. 126) dira que distinguer le passé, le présent, le futur comme trois temps séparés est artificiel, en réalité, c’est trois temps n’existent pour moi qu’au présent : ce qui appartient au passé, c’est ce qui appartient à ma mémoire, c’est « le présent de ma mémoire », le passé est là pour moi, même s’il n’existe plus en soi. Il n’est plus, mais est pour moi et est au présent. De même pour le futur, il n’existe pas encore, mais il est déjà présent à ma conscience par mon attente, mon anticipation. Le passé est donc actuel, car actualisé par le souvenir et le temps n’est rien en dehors de notre conscience.
-ce qui appartient au passé peut aussi être actuel dans le sens où le passé perdure, se conserve dans le présent soit en l’envahissant comme pour le nostalgique, le passéiste ou celui qui a comme dit Nietzsche « la manie de l’antiquaille », soit parce que le présent n’est que l’effet du passé ( c’est d’ailleurs en l’étudiant qu’on va juger rétrospectivement de l’importance du passé et qu’on se rend compte qu’un évènement n’est jamais achevé en quelque sorte : même s’il a été commencé dans le passé, il est encore en acte dans le présent et par là actuel) ; soit par ce que le présent est construit en fonction de lui sous forme d’héritage, d’indicateur, d’avertissement ou sur ce passé. Danger de voir dans le passé des exemples des leçons, et de mépriser l’originalité et l’unicité du passé.
-Le passé est toujours déjà là et bien là. En ce sens Jean Bauffret dit , texte 3 p 143, « l’homme se heurte à soi-même comme déjà-là (…) dans la nécessité de se trouver implacablement soi-même déjà derrière soi, comme un défi à sa prétention de fonder le tout de son être sur sa liberté. »
Dès lors le passé, bien que révolu est actuel en deux sens : actuel au sens de présent et actuel au sens d’en acte, comme le futur est actuel dans le commencement de la réalisation d’un projet.

Mais alors tout est-il actuel et rien inactuel ?

III.
On peut en effet dire que le temps étant subjectif, tout est actuel dans le sens où par ma conscience, je porte attention au présent, me rappelle le passé et anticipe le futur.
Mais on peut aussi dire que « le présent , pour être du temps, doit rejoindre le passé » , comme Saint Augustin ( Texte 1 p 126) , et que donc le temps ne peut être qu’en cessant d’être. Aussi on ne mesure le temps qui passe que par la mémoire de son passage, de son basculement dans le passé (exemple de la mesure d’un son , texte 3 p.127) Donc finalement , il n’y a de l’actuel que parce qu’il y a ce mouvement du temps qui fait passer dans le passé et cet actuel, ce n’est que la trace de ce qui n’est plus, ce qui demeure « gravé dans ma mémoire » , donc ce qui appartient déjà au passé, c’est ce qui est reconnu comme actuel ;
et on peut même aller jusqu’à dire que nous ne vivons jamais dans le présent mais toujours dans le passé ou le futur ( critique de Pascal de notre incapacité à « tenir au temps présent » , texte 1 p 118) donc rien n’est finalement actuel. Le virtuel l’emporte sur l’actuel.
Et la référence au passé n’aide guère à construire un présent neuf, l’histoire bégaie, se répète. Réaction plutôt qu’action.
Donc il n’y a pas que ce qui appartient au passé qui est inactuel.