le travail et aliénation

6 janvier 2009 0 Par caroline-sarroul

« La différence décisive entre les outils et les machines trouve peut-être sa meilleure illus­tration dans la discus­sion apparemment sans fin sur le point de savoir si l’homme doit « s’adapter » à la machine ou la machine s’adapter à la « nature » de l’homme. Nous avons donné au premier chapitre la princi­pale raison expliquant pourquoi pareille discus­sion ne peut être que stérile : si la condition humaine consiste en ce que l’homme est un être conditionné pour qui toute chose, donnée ou fabriquée, devient immédiatement condition de son existence ultérieure, l’homme s’est « adapté » à un milieu de machines dès le moment où il les a inventées. Elles sont certainement devenues une condition de notre existence aussi inaliénable que les outils aux époques précédentes. L’intérêt de la discussion à notre point de vue tient donc plutôt au fait que cette question d’adaptation puisse même se poser. On ne s’était jamais demandé si l’homme était adapté ou avait besoin de s’adapter aux outils dont il se servait : autant vouloir l’adapter à ses mains. Le cas des machines est tout différent. Tandis que les outils d’artisanat à toutes les phases du pro­cessus de l’œuvre restent les serviteurs de la main, les machines exigent que le travailleur les serve et qu’il adapte le rythme naturel de son corps à leur mouvement mécanique. Cela ne veut pas dire que les hommes en tant que tels s’adaptent ou s’asservissent à leurs machines : mais cela signi­fie bien que pendant toute la durée du travail à la machine, le processus mécanique remplace le rythme du corps humain. L’outil le plus raffiné reste au service de la main qu’il ne peut ni guider ni remplacer. La machine la plus primitive guide le travail corporel et éventuellement le remplace tout à fait. » Arendt, Condition de l’homme moderne

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   et le pire!

« Sous le règne du principe de rendement, le corps et l’esprit sont transformés en instruments du travail aliéné […] La répartition du temps joue un rôle fondamental dans cette transformation. L’homme n’existe comme instru­ment de rendement aliéné que pendant une partie de son temps : pendant les jours de travail; le reste du temps, il est libre pour lui-même […]. Ce temps libre serait (en puissance) disponible pour le plaisir. Mais le principe de plaisir qui gouverne le ça est également « intemporel » dans le sens où il lutte contre l’émiettement temporel du plaisir, contre son partage en petites doses séparées. Une société régie par le principe de rendement doit nécessairement imposer une telle répartition parce que l’organisme doit être entraîné à l’aliénation au niveau de ses racines mêmes, le moi de plaisir. Il doit apprendre à oublier la revendication d’une satisfaction intemporelle et inutile, la revendication du « plaisir éternel ». En outre, l’aliénation et l’enrégimentement débordent du temps de travail sur le temps libre. Une telle coordination ne doit pas être imposée de l’extérieur par les agences de la société, et, formellement, elle ne l’est pas. C’est la longueur de la journée de travail elle-même, la routine lassante et mécanique du travail aliéné qui accomplit ce contrôle sur les loisirs, cette longueur et cette routine exigent que les loisirs soient une détente passive et une recréation de l’énergie en vue du travail futur. Ce n’est qu’à la dernière étape de la civilisation indus­trielle, au moment où l’augmentation de la productivité menace de dépas­ser les limites fixées par la domination répressive, que la technique de mani­pulation des masses a développé une industrie des loisirs qui contrôle directement le temps de loisir ou que l’État a directement pris en main ces contrôles. L’individu ne doit pas être laissé à lui-même. Car si l’énergie libidineuse venue du ça était livrée à elle-même et aidée par une intelli­gence libre, consciente de la possibilité de se libérer de la réalité répressive, elle se soulèverait contre les limitations qui lui sont de plus en plus exté­rieures et étrangères et lutterait pour absorber un champ toujours plus vaste de relations existentielles, et par là ferait exploser le moi de réalité et ses barrières répressives. »  Herbert Marcuse, Éros et civilisation, 

et encore, Marcuse est optimiste, il envisage une rebellion possible ( bien qu’empêchée!) !

Nietzsche l’était beaucoup moins!

« Dans la glorification du « travail », dans les infatigables discours sur la « bénédiction » du travail, je vois la même arrière-pensée que dans les louanges adressées aux actes impersonnels et utiles à tous : à savoir la peur de tout ce qui est individuel. Au fond, on sent aujourd’hui, à la vue du travail on vise toujours sous ce nom le dur labeur du matin au soir , qu’un tel travail constitue la meilleure des polices, qu’il tient chacun en bride et s’entend à entraver puissamment le développement de la raison, des désirs, du goût de l’indépendance. Car il consume une extraordinaire quantité de force nerveuse et la soustrait à la réflexion, à la méditation, à la rêverie, aux soucis, à l’amour et à la haine, il présente constamment à la vue un but mesquin et assure des satisfactions faciles et régulières. Ainsi une société où l’on travaille dur en permanence aura davantage de sécurité : et l’on adore aujourd’hui la sécurité comme la divinité suprême. »