Une société peut-elle se passer d’artistes ?

18 janvier 2009 0 Par caroline-sarroul

I. On peut comme Bergson dire qu’une société, c’est « la mise en commun des énergies individuelles », une organisation qui permet de « bénéficier des efforts de tous » et de « rendre à tous leur effort plus facile ». Dans ce cas, une société est fondée sur le besoin et sur la mutualisation des moyens, des savoir-faire. C’est aussi ce que soutenait Platon avec la division naturelle du travail et la société comme coordination de talents pour une production de meilleure qualité et plus efficace. Dans ce cas, les artistes qui produisent des œuvres qui ne sont vouées qu’à être contemplées et qui ne sont ni des objets d’usage ( artisanat), ni des objets de consommation (industrie) n’apportent rien à la société, encore moins à une société industrielle de consommation à la recherche du profit. On peut même considérer que les artistes sont en quelque sorte des parasites, ils profitent des avantages de la société mais ne donnent rien en retour. On peut aussi considérer qu’ils sont un danger pour la société dans le sens où ils donnent le mauvais exemple en n’ayant pas le souci du bien commun, mais uniquement le désir de se réaliser, de créer pour créer pour affirmer et forger leur individualité. Un développement de l’individualité qui menace la société qui présuppose uniformité et donc une négation de l’individuel. Enfin, l’artiste ayant comme le dit aussi Bergson la capacité de lever le voile et de rompre avec la vision utilitaire et conventionnelle de la réalité, peut être à l’origine d’un regard critique sur la société qui l’a encore pourrait menacer sa subsistance. Donc si on  pense la société contre l’individu en quelque sorte et fondé uniquement sur le besoin, l’art n’a pas sa place [même si la société peut utiliser l’art pour fonder son identité, se glorifier ou même asseoir sa domination (propagande) ou laisser être l’art comme divertissement, comme expression sublimée des désirs et aspirations refoulées face à la discipline sociale, à ses lois, à sa logique. L’art permettrait d’éviter l’implosion des individus permettant ainsi à la société de se pérenniser, de se mettre à l’abri des révoltes. On a l’art pour décompresser.]

II. Mais on peut penser que si les hommes ont accepté de former société (et par là d’abandonner une certaine indépendance), ce n’est pas uniquement par besoin, mais c’est aussi  par désir (d’ailleurs seul le désir lie véritablement , selon Rousseau, car une fois le besoin satisfait en commun, chacun pourrait retourner à sa solitude, seule la renaissance du besoin fait que nous sommes liés sans l’être véritablement). Et si c’est le besoin, même la disproportion entre nos besoins et nos facultés, qui nous a poussé à  entrer en société, c’est sans doute un désir de progrès qui fait que nous y restons. On peut donc penser que le but d’une société humaine, ce n’est pas seulement de subsister comme une société animale mais de progresser. Bergson dit à ce propos : « chez l’insecte, la première condition est seule remplie. Les sociétés de fourmis et d’abeilles sont admirablement disciplinées et unies, mais figées dans une immuable routine. » et il ajoute « si l’individu s’y oublie lui-même, la société oublie aussi sa destination ». En ce sens, si l’art n’est pas utilitaire et ne répond pas à un besoin vital, il est par contre très utile à l’individu et à sa réalisation en tant qu’individu et donc indirectement à l’évolution de la société. On peut souligner ce qu’apporte l’art aussi bien à l’artiste (Hegel) qu’à l’amateur ( éveil de l’âme, meilleure compréhension de la réalité, nourriture spirituelle…) Dans ce cas, l’art permet d’habiter un monde humain ( qui a du sens, Merleau-Ponty, qui porte sa marque comme le soulignent Hegel et Hannah Arendt) et d’y développer son humanité à travers l’évolution de son regard, de sa compréhension des choses. La non-fonctionnalité de  l’art comme le dit Adorno serait ici très utile, car pour qu’il y ait volonté de progresser, il faut qu’on reconnaisse que la situation actuelle est insuffisante et cela n’est possible que si on envisage qu’autre chose est possible. C’est cet autre possible qu’offre l’art par sa seule existence. On peut échapper à la logique de l’utilitaire et u fonctionnel, on peut donc y travailler. Donc si la société veut progresser, elle, ne peut se passer des artistes. Peut-elle pour autant ne pas se passer de tous les artistes et dans n’importe quelles conditions?

III. On peut penser que certains artistes sont plus facteurs de progrès et par là plus utile que d’autres : en effet, lorsque l’artiste se contente de reproduire la réalité (même si son œuvre reste sans fonction), elle n’apporte peut-être pas grand-chose au spectateur. Si on pense que le progrès de l’homme est aussi un progrès vers le vrai, les producteurs de simulacres peuvent être condamnés comme le faisait en son temps Platon. On peut aussi penser que l’art n’est utile à l’homme et ne lui permet réellement d’évoluer que s’il reste en dehors de la logique de la consommation et ne devient pas un simple loisir. C’est ce que soutient Hannah Arendt lorsqu’elle souligne que le danger pour l’art n’est pas la culture de masse ( c’est-à-dire l’accès pour tous à l’art) mais la société de loisirs ( conséquences de la société du travail) qui finit dans son appétit gargantuesque à investir aussi le domaine de l’art. Donc la société ne peut se passer d’artistes qui restent des artistes