La justice n’est-elle qu’un idéal d’envieux ?

18 avril 2009 0 Par caroline-sarroul

Le sujet suggère que :

– il faut prendre ici justice au sens d’idée, de notion avec le mot idéal ( =idéel, ce qui existe pour la pensée), et non pas au sens d’institution judiciaire

– c’est le DESIR qui fait que l’on réclame justice ou la justice, donc par intérêt et NON la raison, par exemple

– avec le « ne…que » seuls certains hommes désireraient la justice, d’autres n’y auraient pas avantage ou pas intérêt.

– que la justice avantagerait ceux qui sont au départ désavantagés : l’envieux, c’est celui qui est jaloux de celui qui a, est ou peut plus que lui, et qui aspire à combler l’écart, le manque ; la justice mettrait tout le monde sur un pied d’égalité

– que tout homme n’est pas envieux

– que la justice n’est peut-être qu’un idéal (on oppose souvent idée et réalité)

Ce sujet est un clin d’œil à :

– Calliclès dans le Gorgias  de Platon pour qui les lois ( le droit positif) ne sont qu’une invention des faibles, des malchanceux qui pour se protéger des forts et se venger de ce que la nature ne leur a pas donné, les empêchent de faire usage de leur force pour les mettre au même niveau qu’eux  « Mais voici ce qui est beau et juste suivant la nature, je te le dis en toute franchise, c’est que, pour bien vivre, il faut laisser prendre à ses passions tout l’accroissement possible., au lieu de les réprimer, et, quand elles ont atteint toute leur force, être capable de leur donner satisfaction par son courage et son intelligence et de remplir tous ses désirs à mesure qu’ils éclosent. Mais cela n’est pas, je suppose, à la portée du vulgaire. De là vient qu’il décrie les gens qui en sont capables, parce. qu’ il a honte de lui-même et veut cacher sa propre impuissance. Il dit que l’intempérance est une chose laide, essayant par là d’asservir ceux qui sont mieux doués par la nature, et, ne pouvant lui-même fournir à ses passions de quoi les contenter, il fait l’éloge de la tempérance et de la justice à cause de sa propre lâcheté. Car pour ceux qui ont eu la chance de naître fils de roi, ou que la nature a faits capables de conquérir un commandement, une tyrannie, une souveraineté, peut-il y avoir véritablement quelque chose de plus honteux et de plus funeste que la tempérance ? Tandis qu’il leur est loisible de jouir des biens de la vie sans que personne les en empêche, ils s’imposeraient eux-mêmes pour maîtres la loi, les propos, les censures de la foule! Et comment ne seraient-ils pas malheureux du fait de cette prétendue beauté de la justice et de la tempérance, puisqu’ils ne pourraient rien donner de plus à leurs amis qu’à leurs ennemis, et cela, quand ils sont les maîtres de leur propre cité ? La vérité, que tu prétends chercher, Socrate, la voici : le luxe, l’incontinence et la liberté, quand ils sont soutenus par la force constituent la vertu et le bonheur; le reste, toutes ces belles idées, ces conventions contraires à la nature, ne sont que niaiseries et néant.

– Nietzsche et à La généalogie de la morale où il se propose de déterminer « qui a inventé les jugements de valeur bon et méchant » et donc pose la morale comme produit d’un petit nombre. Pour lui le point de départ de ces valeurs, c’est « la révolte des esclaves dans la morale ». « Le soulèvement des esclaves dans la morale commence lorsque le ressentiment devient lui-même créateur et engendre des valeurs. » Les mauvaises valeurs débutent lorsque les valeurs aristocratiques qui sont un acquiescement à soi se transmuent en un non à l’autre. De l’affirmation à être soi, (morale aristocratique que Nietzsche appelle de ses vœux), on passe à une négation de l’autre, désigné comme le « méchant ». « L’idéal ascétique a sa source dans l’instinct de défense et de salut d’une vie en voie de dégénération. » Naturellement, ce sont les plus faibles qui, par nature, ne peuvent jouir de la vie, qui promeuvent un tel idéal.

 Il invite donc à s’interroger d’abord sur ce qui est à l’origine de la revendication de justice (qu’on peut prendre aussi bien au sens de respect de droit positif ou de vertu morale) et du sentiment de justice, qui fait qu’on estime que la réalité n’est pas ce qu’elle doit être et qu’il faut l’accorder avec un idéal, un modèle ou une idée ET puis sur la nature de la justice : est-elle une réalité ou un simple idéal.

Le « ne…que » suggère 2 plans :

– soit on dépasse de cette restriction en passant du particulier

I. Calliclès, Nietzsche : le droit positif instaure l’égalité en droits et devoirs, donc chacun se trouve dans les mêmes limites  ; au nom de la justice et du principe d’égalité, on peut attendre de l’Etat qu’il corrige les inégalités naturelles et socio-économiques (justice distributive selon Aristote); la vertu invite à se sacrifier, à renoncer à ce que l’on pourrait faire, ce qui arrange ceux qui ne sont pas capables de beaucoup. Cela ferait donc de la revendication de justice l’idéal des envieux , car ce sont les faibles qui ont intérêt à la justice qui non seulement les protège des forts mais fait même de leur faiblesse une vertu.

II. au général(II) :

– mais ceux qui ne sont pas envieux, mais veulent protéger ce qu’ils ont ou peuvent déjà faire peuvent aussi avoir intérêt à la justice ; les lois protègent chacun, et aussi de l’envie des autres qui peut leur être nuisible

– on oppose spontanément la force à la justice et on pense que la justice est au service des faibles, mais elle peut aussi servir les intérêts des plus forts en légitimant le fait, en transformant la possession en propriété, en faisant croire qye tout le monde a les même droits et en ayant avantage à ce que chacun s’acquitte en échange de ses devoirs. C’est ce que soulignent Marx, Nietzsche et Pascal. Le droit positif peut même justifier l’inégalité sous certaines conditions, comme le montre Rawls et sa théorie du voile d’ignorance, qui montre que ce qui peut rendre certains envieux peut être reconnu comme juste.

ceux qui ne sont envieux peuvent aussi aspirer à la vertu, parce qu’ils peuvent estimer, juger qu’il est injuste que certains n’aient pas accès à ce qu’ils ont ou peuvent: on peut vouloir alors une plus grande égalité même si elle n’est pas à notre avantage, par altruisme, par sentiment du devoir, par respect de la personne humaine ou parce que le visage de l’autre nous y oblige (Lévinas)

III. et même à l’universel (III) : on peut en effet considérer que tout homme aspire à la justice en tant qu’être de désir qui ne peut se contente de ce qui est et ne peut pas ne pas désirer par rapport aux autres hommes ( désir mimétique de R.Girard qui fait que nous sommes en quelque sorte tous des envieux), mais aussi en tant qu’être de raison, qui ne peut pas ne pas juger, aspirer au Bien ( et pas seulement à l’agréable), ne pas vouloir ce qui est dans son intérêt ( calcul rationnel sur lequel est fondé la théorie de Rawls) et en tant qu’être doué de conscience morale qui ne peut échapper aux injonctions de sa raison, de la Nature ( Rousseau) ou des morales qu’il a intégrées ( en tant que membre d’une culture, d’une société, d’une religion)

-soit on « dégonfle l’universel » 

I. on pourrait penser que tout homme aspire à la justice car il ne peut y avoir de vie en société sans Etat et Droit positif et l’homme ne peut se passer de la vie en société, ni de vie proprement humaine sans faire usage de sa raison, de sa conscience, sans dimension morale, qui souligne que l’homme est capable de dépasser sa pulsion animal du moment, son intérêt pour faire son devoir. L’animal est a-moral.

(II) mais en réalité ce sont les envieux qui y aspirent car c’est toujours l’intérêt ( lésé, en danger,..) qui est à l’origine de cette revendication ( les faibles veulent plus de justice, d’égalité pour se hisser, les forts pour consolider leur position), ou le désir qui ne peut se contenter de ce qui est

(III) et ce n’est qu’un idéal d’envieux qui ne correspond à aucune réalité, un fantasme, une illusion sécrétée par les désirs humains qui empêche d’ailleurs la réalisation de la justice, chacun cherchant à défendre ses intérêts ou étant incapable de dépasser cet intérêt (impossible pureté de l’intention, impossibilité d’un acte purement désintéressé OU les hommes ne font « le juste » que par peur de la punition, comme Gygès)