La puissance de l’Etat est-elle (la) condition de l’harmonie sociale ?

18 avril 2009 0 Par caroline-sarroul

« Condition » n’est pas cause ( la condition est une circonstance favorable, alors que la cause est ce qui produit nécessairement un effet) ; si l’harmonie sociale a des conditions, c’est qu’elle n’est pas donnée ( mais à faire) et qu’elle est pensée comme possible. Le « la » ou l’absence d’article laisse penser que la puissance de l’Etat est la seule condition.

I.(oui) L’harmonie renvoie à l’idée d’ORDRE. Elle est un accord agréable, un heureux arrangement de notes en musique, de formes et lignes en peinture ou sculpture. Elle est le bon ordre entre des choses qui mal arrangées, mal ordonnées seraient dissonantes, conflictuelles, cacophoniques car différentes, opposées, étrangères. Donc l’harmonie sociale, ce serait le contraire d’une société en conflits, en guerre. Donc ce serait une société en paix. On peut penser que les hommes ne peuvent vivre ensemble sans entrer en conflits (ce qui exclut la perspective anarchiste, ce qui considère les sociétés sans Etat comme anecdotiques ou d’un autre âge, l’homme ayant découvert son individualité et sa liberté individuelle ne peut se fondre dans un tout sans lequel il peut exister ou qui l’empêche même d’être) et qu’ils ont donc besoin d’une puissance extérieure pour cela.

-C’est l’hypothèse de Kant « l’insociable sociabilité des hommes » fait qu’ils ne peuvent se passer de la société et d’un maître. Ce maître, c’est l’Etat.

-C’est aussi l’hypothèse de Hobbes qui voit dans l’Etat et sa puissance au sens de FORCE ce qui peut mettre un terme à la guerre généralisée qu’est l’Etat de nature. Un Etat puissant ce serait donc un Etat FORT, ayant une FORCE DE COERCITION, capable de forcer les hommes à ne pas faire un usage abusif de leur liberté et de leur propre force, partant du principe que seule une force supérieure peut arrêter la force. Un Etat puissant, au sens de FORT, serait seul capable de maintenir l’ordre en sachant imposer des lois, en veillant à leur application  et en réprimant les actes contraires.

Mais,(non) II. comme le disait Spinoza,

Réduire l’harmonie à un ordre maintenu par la force n’est-ce pas réduire l’ordre à l’absence de désordre apparent, la paix à l’absence de conflits déclarés ?

Ce n’est pas parce que nous ne sommes pas en conflits, car terrorisés, uniformisés que pour autant nous n’avons pas de raison d’être en conflits, que nous nous entendons, que nous formons un tout harmonieux, une véritable union.

 « L’expérience paraît enseigner que, dans l’intérêt de la paix et de la concorde, il convient que tout le pouvoir appartienne à un seul. Nul État en effet n’est demeuré aussi longtemps sans aucun changement que celui des Turcs et en revanche nulles cités n’ont été moins durables que les cités populaires ou démocratiques, et il n’en est pas où se soient élevées plus de séditions. Mais si la paix doit porter le nom de servitude, de barbarie et de solitude, il n’est rien de si lamentable que la paix. […] C’est donc la servitude, non la paix, qui demande que tout le pouvoir soit aux mains d’un seul : […] la paix ne consiste pas dans l’absence de guerre, mais dans l’union des âmes, c’est-à-dire dans la concorde. »

Un Etat peut par la force empêcher tout désordre mais cela ne signifie donc pas pour autant qu’il y ait harmonie,

– car l’Etat ne peut maintenir l’ordre que par la SERVITUDE ET LA TERREUR : « Il arrive qu’une nation conserve la paix à la faveur seulement de l’apathie des sujets menés comme du bétail et inaptes à s’assimiler quelque rôle que ce soit sinon celui d’esclaves. Cependant un groupe de ce genre devrait plutôt porter le nom de désert que de nation » selon Spinoza.

  car l’Etat ne peut maintenir l’ordre que par une UNIFORMISATION des hommes sous son pouvoir alors que l’harmonie présuppose un accord de sons différents. Un son monocorde n’est pas une harmonie, même s’il n’y a pas cacophonie.

Du coup, si l’Etat relâche la bride, les conflits éclatent et la société avec. La société n’est alors qu’un troupeau tenu par le berger et sans cesse menacée de se désagréger OU alors il ne s’agit pas d’une harmonie mais d’une monotonie, plus d’une société mais d’un troupeau.

Dans les deux cas, il n’y a ni union, ni unité. Non seulement, il n’y a pas de réelle harmonie, mais on peut même se demander si un Etat fort est réellement un Etat puissant, si le recours à la force n’est pas un aveu de faiblesse et d’une perte de réelle autorité.

 III.(oui mais pas seulement)

1. Réduire la puissance de l’Etat à la force, c’est aussi être victime des apparences : Diderot dans L’encyclopédie distingue 2 formes de puissance ou d’AUTORITE : « La puissance qui s’acquiert par la violence n’est qu’une usurpation, et ne dure qu’autant que la force de celui qui commande l’emporte sur celle de ceux qui obéissent ; en sorte que si ces derniers deviennent à leur tour les plus forts et qu’ils secouent le joug, ils le font avec autant de droit et de justice que l’autre qui le leur avait imposé. La même loi qui a fait l’autorité, la défait alors : c’est la loi du plus fort. Quelquefois l’autorité qui s’établit par la violence change de nature c’est lorsqu’elle continue et se maintient du consentement exprès de ceux qu’on a soumis ; mais elle rentre par là dans la seconde espèce dont je vais parler ; et celui qui se l’était arrogée, devenant alors prince, cesse d’être tyran. » En somme ce qui fait qu’un Etat est réellement puissant, c’est que justement il n’a pas besoin de faire usage de la force, parce qu’il a su obtenir librement le consentement de ceux qui lui obéissent et cela parce qu’il apparaît comme légitime

– soit parce qu’il est l’incarnation de la volonté du peuple et qu’en y obéissant le peuple ne perd pas sa liberté (contrat de Rousseau)

– soit parce qu’il a su éduquer ses citoyens en les faisant passer d’un désir capricieux à une volonté raisonnable et générale, de la licence à l’autonomie (Platon)

– soit parce que l’Etat remplit correctement sa mission en réduisant les causes de conflits en réduisant le sentiment d’injustice, les inégalités, en instaurant un ordre juste sans porter atteinte aux libertés fondamentales.

    2. ceci dit il ne peut y avoir de réelle harmonie sociale si on n’ajoute pas à la puissance de l’Etat d’autres conditions, comme une volonté de vivre ensemble ( pacte d’association de Rousseau qui doit précéder le pacte de soumission) ;  sinon une religion civile comme Spinoza ou Rousseau, une tolérance religieuse pour des religions tolérantes ; un socle commun ( un passé, des valeurs, une culture…) ; la vision de l’autre comme un semblable même si différent ; comme une vigilance citoyenne ; une acceptation de l’autorité, ce qui pose problème dans une société qui remet en question toute hiérarchie au nom d’une « passion de l’égalité » ou de l’assimilation de la liberté à l’absence totale de loi et d’ordre. L’harmonie sociale est la CONCORDE, l’union des âmes.

   3. il ne s’agit que de conditions, l’harmonie sociale est toujours difficile à obtenir et à maintenir