L’homme peut-il vivre sans exigence morale ?

6 mai 2009 0 Par caroline-sarroul

Intro : « la vie, c’est l’ensemble des facultés qui résistent à la mort » disait Bichat. En ce sens vivre, c’est simplement se maintenir en vie. L’homme en tant qu’être vivant, qu’animal semble pouvoir se passer de l’exigence morale pour survivre. Celle-ci peut même apparaître comme une menace pour la vie comme le souligne Nietzsche qui voit la morale comme un idéal ascétique opposé au mouvement vital, castrateur, comme « négation de la vie ». Mais vivre une vie proprement humaine, ce n’est pas simplement respirer et s’alimenter, c’est mener une existence satisfaisante, qui a du prix pour soi, en accord avec notre nature. Or ce qui distingue l’homme, c’est la conscience morale. Dès lors, un homme ne pourrait vivre dignement en faisant fi de celle-ci. Aussi on peut se demander si l’homme peut réellement vivre sans exigence morale. C’est donc du problème de la nature de cette exigence par rapport à d’autres et de notre liberté face à elle dont nous allons traiter. Soulever ce problème, c’est présupposer que l’homme peut vivre avec l’exigence morale et y répondre pleinement. Nous nous demanderons donc si on ne peut pas survivre sans cette exigence, si pour autant on peut pleinement vivre sans elle et si une vie morale est cependant possible.

  Survivre sans exigence morale semble tout à fait possible. Comme l’animal inconscient, l’enfant innocent en est un exemple patent. Ils ne s’interrogent pas sur les valeurs absolues que sont le Bien et le Mal, ils ne se soucient que de ce qui est bon ou mauvais pour eux. Ce n’est que par l’éducation ou le dressage qu’ils contractent le sentiment de culpabilité ou éprouvent des remords.

Si comme le disait Epicure les hommes tendent naturellement, comme l’animal,  vers le plaisir, la vertu n’apparaît pas comme le but naturel de la vie.

Et on peut même penser que la recherche de la vertu détourne des plaisirs et par là d’une certaine conception du bonheur. La morale a souvent comme le dit Nietzsche des accents de « moraline », elle sonne comme un moralisme qui nous impose de faire ceci ou cela, de ne pas faire ceci ou cela. Et bien souvent le Bien ne rime pas avec l’agréable, l’élan vital. La morale impose que l’on sacrifie, que l’on se prive et qu’on préfère la vertu au bonheur, au plaisir ; le principe de réalité au principe de plaisir selon Freud ;  l’ascèse à la célébration de la vie selon Nietzsche, Apollon contre Dionysos. Et c’est leur contradiction qui est à l’origine du malaise dans la culture, des refoulements et frustrations. La conscience morale, les interdits nous empêchent de satisfaire des pulsions de vie (comme de mort certes) et en cela nous empêche de parvenir au plaisir et au bonheur.

Mais on pourrait refuser ce sacrifice et préférer vivre pleinement ses désirs et pulsions. Nous le pouvons en tant qu’être de désir refuser les interdits qui pèsent sur eux et qui n’ont d’autres buts que de nous empêcher de nous réaliser en tant qu’individu au profit du troupeau, de la société comme le souligne Nietzsche.

Nous le pouvons aussi en tant qu’être doué du libre-arbitre choisissant contre le Bien, le Mal. On peut même penser que c’est là une manière de montrer notre liberté.

Notre éthique peut nous amener à refuser cette exigence ; on peut penser que si nous nous demandons « comment vivre ? », on se demande en même temps « quelle place faire dans sa vie à la morale ? ». Et il semble possible de ne pas lui donner la première place, on peut avoir semble-t-il d’autres priorités et exigences. Nietzsche invitait à vivre « par delà le Bien et le Mal »

Mais si on le peut, en a-t-on pour autant le droit ?  Ne sommes-nous pas des êtres vivants à part, des êtres duels, des  êtres de raison avant tout ?

 

 Ce qui distingue l’homme de l’animal, c’est cette capacité de faire retour sur soi et par là de se juger, de porter des jugements de fait mais aussi de valeurs et donc moraux. Nous nous caractérisons donc par la conscience morale et par le fait de poser des valeurs ( c’est ce que souligne Sartre : même s’il ne reconnaît aucune morale extérieure, transcendante  et une liberté totale ; choisir, c’est définir ce que tout homme devrait faire dans cette situation ; d’où une infinie responsabilité.)

Aussi on ne peut vivre en faisant comme si elle n’existait pas. Ou si on peut le faire, ce n’est que momentanément et de manière illusoire. C’est ce que soutient en tout cas Kant pour qui  « Tout  homme a une conscience et se trouve observé, menacé, de manière générale, tenu au respect (respect  lié à la crainte) par un juge intérieur et cette puissance qui veille en lui sur les lois n’est pas quelque chose de forgé (arbitrairement) par lui-même, mais elle est inhérente à son être. Elle le suit comme son ombre quand il pense lui échapper. Il peut sans doute par des plaisirs ou des distractions s’étourdir ou s’endormir, mais il ne saurait éviter parfois la voix terrible. Il est bien possible à l’homme de tomber dans la plus extrême abjection où il ne soucie plus de cette voix, mais il ne peut jamais éviter de l’entendre. » D’ailleurs on considère comme « monstrueux » celui qui ne semble pas manifester de remords, de regrets vis-à-vis d’actes immoraux. On peut ici penser à Eichmann et au concept de « banalité du Mal » d’Hannah Arendt, qui souligne que l’absence d’usage de la conscience et de réflexion ne réduit peut-être  l’homme à un monstre, mais en tout cas à une mécanique soumise qui n’est plus un homme au sens plein du terme.

On peut penser aussi qu’une vie sans exigence morale serait une vie insatisfaisante (bien que peut-être plus plaisante), même si cette exigence tourmente, car cela signifierait que nous ne serions plus des êtres de raison mais simplement des êtres de désirs et d’intérêts, faisant fi des injonctions de notre raison. Or le bonheur suppose une satisfaction totale de tous nos penchants  et  la morale en fait partie.

En tant qu’homme, on se doit (on n’a pas le droit de ne pas…) de vivre en accord avec notre raison.

L’exigence morale est aussi ce qui permet de vivre une vie en société dont l’homme ne peut se passer malgré son insociabilité en tant qu’être prométhéen et culturel; l’exigence morale est ce qui nous détournera de faire le mal ou nous poussera à faire le Bien lorsque la loi ne nous interdit ou prescrit ici rien. La morale nous invite à aller contre ou au-delà de la loi ou dans le sens de la loi, si elle est juger juste (en accord avec nos valeurs).

Mais obéissons-nous toujours à la loi poussés par cette exigence et jusqu’où peut-on y répondre ?

 

 Souvent ce n’est que par souci du regard des autres, par conformisme et donc intérêt que nous nous plions à la morale et à ses exigences. Or on peut penser que la morale exige intention pure et désintéressée et sacrifice de soi (Nietzsche le dénonce, mais Kant, Hegel l’exigent).

 Bien souvent, la morale se réduit à des commandements religieux ou sociaux (les  mœurs) ou même aux lois de l’Etat ; certes cela permet aux hommes de vivre ensemble, mais cela dédouane aussi d’une morale individuelle et universelle; on confond alors des valeurs relatives avec des valeurs universelles, et on manque alors l’exigence morale et sa dimension impérative et universelle.

« Nul n’est méchant volontairement » disait Socrate. Ce qui signifie que si l’homme veut son bien et le Bien, mais que par ignorance, par faiblesse (acrasie « je vois le meilleur, je l’approuve et je fais le pire »), par confusion entre le bon et l’agréable, il fait le Mal et ce qui est mauvais pour lui.

Même si on veut être en accord avec l’exigence morale, les conflits de devoirs font qu’on ne peut être irréprochable du point de vue moral ( la véracité contre le devoir de bienveillance chez Kant, le devoir filial et le devoir patriotique, de solidarité pour l’élève de Sartre).

Donc difficulté à atteindre cette sainteté qu’exigerait de nous la morale. « Une volonté sainte est une volonté conforme en tout à la loi morale » disait Kant