L'expérience

22 mai 2009 0 Par caroline-sarroul

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Premier film du réalisateur allemand Olivier Hirschbiegel, L’Expérience (Das Experiment) s’inspire d’une étude expérimentale de psychologie, réalisée in vivo en 1971 à l’université de Stanford (Californie).Il s’agissait d’étudier les effets produits par la situation carcérale sur des individus ordinaires, les uns jouant le rôle de prisonniers, les autres ceux de gardiens. Reprenant ce postulat, le film transpose le principe de l’expérimentation dans l’Allemagne contemporaine et remplace les étudiants en psychologie (« cobayes » de l’expérience de Stanford) par des quidams recrutés sur la base du volontariat. Alors que l’expérience menée sur le campus californien avait rapidement tourné court (la violence atteignant un niveau inacceptable), le scénario du film d’Olivier Hirschbiegel pousse les situations jusqu’au bout.

     
L’expérience de Stanford

L’étude, financée par l’US Navy et l’US Marine Corps[,visait à comprendre la raison des conflits dans leur système carcéral. Le professeur Zimbardo et son équipe ont voulu tester l’hypothèse selon laquelle les gardiens de prison et les prisonniers s’adaptaient spontanément par autosélection un comportement menant à une dégradation des conditions de détention. Les participants, recrutés par une annonce dans un journal, étaient payés 15 $ par jour (ce qui représenterait 75 $ en 2007) pour participer à une « simulation de prison » d’une durée de deux semaines. Le professeur Zimbardo et son équipe sélectionnèrent parmi les 75 personnes ayant répondu à l’annonce les 24 candidats qui leurs semblaient les plus stables psychologiquement et étaient en bonne forme physique. Ces participants étaient majoritairement de jeunes blancs appartenant à la classe moyenne. Ils poursuivaient tous des études universitaires.

Les candidats furent divisés de manière aléatoire en deux groupes de taille égale, les « prisonniers » et les « gardiens ». A posteriori les prisonniers déclarèrent qu’ils pensaient que les gardiens avaient été choisis pour leur taille supérieure, mais en réalité ils avaient été choisis à pile ou face, et il n’y avait aucune différence objective de taille entre les deux groupes.

La prison se situait dans le sous-sol du bâtiment de psychologie de l’Université Stanford. Un assistant de recherche jouait le rôle de directeur et Zimbardo celui de superviseur. Zimbardo imposa des conditions particulières aux participants dans l’espoir d’augmenter la désorientation, la dépersonnalisation et la désindividualisation.

On fournit aux gardes une matraque en bois et un uniforme kaki de type militaire acheté dans un magasin de surplus. Ils avaient également des lunettes de soleil réfléchissantes (comme celles des policiers américains et de certains gardiens de prison) pour éviter tout contact entre les yeux d’un prisonnier et ceux d’un gardien. Contrairement aux prisonniers, les gardes étaient censés travailler en rotation et rentrer chez eux lorsqu’ils n’étaient pas de service, bien que par la suite nombre d’entre eux aient été volontaires pour du travail supplémentaire sans augmentation de salaire.

Les prisonniers devaient porter une sorte de robe, pas de sous-vêtements, et portaient des tongs en caoutchouc, ce qui, selon le professeur Zimbardo, devait les forcer à adopter des postures inhabituelles et à éprouver une sensation d’inconfort pour pousser leur désorientation. Ils étaient appelés par des numéros et non par leur nom. Ces numéros étaient inscrits sur leurs uniformes et ils devaient porter un bas nylon sur le haut de la tête pour simuler un crâne rasé (comme à l’armée). De plus, ils portaient une chaîne aux chevilles, pour leur imposer en permanence le sentiment de leur emprisonnement et leur oppression.

La veille de l’expérience, les gardes assistèrent à une réunion de formation, mais ne reçurent nulle consigne formelle, sinon qu’aucune violence physique n’était autorisée. Ils furent avertis que le bon fonctionnement de la prison était de leur responsabilité, et qu’ils devaient la gérer de la manière qui leur conviendrait.Zimbardo fit cette déclaration aux gardes durant la formation :

« Vous pouvez créer chez les prisonniers un sentiment d’ennui, de peur jusqu’à un certain degré, vous pouvez créer une notion d’arbitraire par le fait que leur vie soit totalement contrôlée par nous, par le système, vous, moi, et ils n’auront aucune intimité… Nous allons faire disparaître leur individualité de différentes façons. En général, tout ceci mène à un sentiment d’impuissance. Dans cette situation, nous aurons tout le pouvoir et ils n’en auront aucun. »
    — The Stanford Prison Study video, citée dans Haslam & Reicher, 2003.55

Les participants désignés comme prisonniers furent simplement prévenus d’attendre chez eux pour être appelés quand l’expérience commencerait. En fait, ils furent arrêtés pour vol à main armée, sans être prévenus, par la police de Palo Alto qui coopérait à cette partie de l’expérience.Les prisonniers durent passer par une procédure de « fichage » complète, incluant la prise des empreintes digitales, les photographies et la lecture de leurs droits. On les transporta ensuite dans la prison factice où il subirent une fouille complète et où on leur indiqua leur nouvelle « identité ».

LA FOULE

« La foule, non celle-ci ou celle-là, actuelle ou de jadis, composée d’humbles ou de grands, de riches ou de pauvres,etc., mais la foule envisagée dans le concept, la foule, c’est le mensonge; car ou bien elle provoque une totale absence de repentir et de responsabilité ou, du moins, elle atténue la responsabilité, de l’individu en la fractionnant. Aucun simple soldat n’osa porter la main sur Caius Marius ; cette conduite fut la vérité. Mais que trois ou quatre femmes eussent eu conscience d’être la foule ou se fussent imaginé l’être, tout en nourrissant l’espoir de l’impossibilité pour personne de dire qui a commencé : elles en auraient alors eu le courage ; quel mensonge ! Le mensonge, c’est d’abord que «la foule» ferait, soit ce que fait seul l’Individu air sein de la foule, soit en tout cas ce que fait chacun pris isolément. Car la foule est une abstraction et n’a pas de mains ; par contre, tout homme en a ordinairement deux, et quand, isolément, il les porte sur Caius Marius, ce sont bien les siennes et, non celles du voisin et encore moins celles de la foule qui n’en a pas. Le mensonge, c’est ensuite que la foule aurait « le courage » de le faire, puisque jamais même le plus lâche de tous les lâches pris individuellement ne l’est comme l’est toujours la foule. Car tout homme qui se réfugie dans la foule et fuit ainsi lâchement la condition de l’Individu (qui, ou bien a le courage de porter la main sur Caius Marius, ou bien du moins celui d’avouer qu’il en manque), contribue pour sa part de lâcheté à « la lâcheté » qui est : foule. – Prends le plus sublime exemple, imagine Christ – et toute l’humanité, tous les hommes -, nés et à naître; suppose encore que la situation soit celle de ]’Individu seul avec Christ dans un milieu solitaire, s’avançant, vers lui et lui crachant au visage : jamais n’est né ni ne naîtra l’homme ayant ce courage ou cette impudence; et cette attitude est la vérité. Mais quand ils furent en foule ils eurent ce courage – effroyable mensonge ! »

                                                Kierkegaard, L’individu, in Un point de vue explicatif de mon oeuvre (1850)