LA MATIÈRE ET L'ESPRIT

17 juin 2009 0 Par caroline-sarroul

                                Sur la question du rapport entre la matière et l’esprit, il y a deux grandes conceptions qui s’opposent. D’un côté le dualisme qui pose la matière et l’esprit comme étant 2 substances distinctes et irréductibles. De l’autre le monisme qui soutient qu’il n’y a qu’une seule substance : soit l’esprit, soit la matière, soit une substance dont l’esprit et la matière seraient deux modes d’existence.

1. Dualisme et monisme :  dualisme : 2 substances séparées, distinctes (DESCARTES) / monisme : une seule substance :

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    • tout est matière : MARX – ÉPICURE – neuroscience

    • tout est esprit : immatérialisme

    • parallélisme : SPINOZA : une seule substance qui se manifeste sous 2 modes divins

      • mode « pensée »

      • mode « étendue »

 

Quand il s’agit de définir la réalité, la matière semble partir gagnante par rapport à l’esprit. Par exemple l’avantage d’un cheval sur l’idée de cheval, c’est que le cheval peut être l’objet d’une expérience sensible, il est perceptible. La seconde caractéristique de la matière après la perceptibilité, c’est la divisibilité. Toute chose matérielle peut être cassée, décomposée, divisée. D’ailleurs DESCARTES définissait la matière comme la substance étendue en longueur profondeur largeur, « partes extra partes », c’est à dire dont les parties sont extérieures les unes aux autres. D’où la troisième caractéristique : la matière est susceptible de transformation partielle ou même totale, de prendre les formes que va imaginer l’esprit. Soit comme intellect, soit comme chez ARISTOTE comme Anima : vie.

Mais on peut s’interroger sur cette définition « gagnante » de la matière: c‘est ce que souligne BERKELEY en reprenant l’analyse du morceau de cire chez DESCARTES. DESCARTES distingue avec le morceau de cire les qualités secondes des qualités premières et par là il renverse le sensualisme. On croit connaître les choses par les sens mais si tel était le cas, quand une chose change radicalement au niveau des sens, on ne devrait pas dire que la chose demeure. Si on le dit, c’est parce qu’on n’a jamais perçu la chose par les sens, mais par une « inspection de l’esprit » comme le dit Descartes. Donc les qualités premières ne sont pas perceptibles donc la matière (ici la cire) ne l’est pas, elle n’est que pour notre esprit, une abstraction, une idée. Cependant DESCARTES pose l’existence de la matière indépendamment de notre esprit. BERKELEY lui est au contraire un empiriste, c’est à dire que pour lui toutes nos idées nous viennent de la sensation. Donc même s’il y a un travail intellectuel qui nous amène à penser les qualités premières de la cire, elles sont le résultat indirect de la sensation. Et pour BERKELEY alors que tout part des sens, il est cependant impossible d’affirmer que la matière existe en dehors, indépendamment de mon esprit, même s’ il est certain que les choses existent puisque je les perçois. Pour lui « être, c’est être perçu ou percevoir » et nos perceptions, nos idées viennent soit de l’activité de notre esprit (raisonnement, imagination), soit de nos sens qui reçoivent passivement quelque chose d’extérieur. Mais si ces idées ne viennent pas de notre volonté, comme elles n’existent pas dans une substance séparée de la matière, elles sont issues d’une autre volonté : celle de Dieu. Ce que je perçois, c’est ce que Dieu perçoit et ce qui fait que je ne doute pas que les choses sont, c’est que je les perçois et que Dieu n’est pas trompeur. Ce qui permet à BERKELEY d’affirmer que « l’âme n’est pas dans le monde mais le monde est dans l’âme ». Même si cette conception est difficile à admettre, elle évite la difficulté du dualisme. Si il y a deux substances distinctes, radicalement autres, comment expliquer le lien de l’une à l’autre ? Et en particulier le lien du corps et de l’esprit.

2. « je ne suis pas logé dans mon corps comme un pilote en son navire » selon Descartes

 

Descartes soutient une position dualiste mais il est obligé d’admettre que « nous ne sommes pas simplement logés dans notre corps comme un pilote en son navire ». On peut en effet dans une certaine mesure faire une analogie entre le rapport âme/corps et le rapport pilote/navire. Depuis PLATON, le corps est considéré comme l’enveloppe de l’âme, comme un contenant, comme le navire transporte le pilote. L’âme et le corps comme le pilote et le navire forment un tout fonctionnel, l’âme anime le corps, le corps offre un véhicule à l’âme, la possibilité d’un rapport au monde. De plus, l’âme peut être considérée comme le pilote du corps, elle commande, il dispose, même si parfois le corps peut déborder l’âme ou lui résister.

Mais cette analogie a des limites évidentes même si le pilote est très attaché à son navire, le navire reste un avoir, une propriété extérieure à lui alors que nous considérons notre corps certes comme une propriété dont on peut disposer, qui ne peut être violée, mais c’est surtout ce que nous sommes. Notre corps, c’est aussi nous et c’est de plus en plus le lieu de la réalisation de soi. À tel point que cela pourrait remettre en question l’histoire imaginée par LOCKE de l’échange d’âme à la résurrection entre un prince et un savetier. Et surtout l’âme et le corps sont dans un rapport d’intériorité. Lorsque l’âme est affectée par ce qui touche le corps, ce n’est pas du dehors dans un constat visuel ou intellectuel, mais c’est du dedans, dans un vécu, un ressenti très subjectif. Ceci semble souligner que l’âme n’est pas simplement unie au corps, elle est mêlée, confondue avec lui au point de ne former qu’un tout. Le problème est de savoir par où elle est unie et comment elle peut l’être alors que ce sont 2 substances distinctes. La réponde de DESCARTES est la glande pinéale (l’épiphyse, au milieu du cerveau). Si DESCARTES a choisi cette glande comme « le principal siège de l’âme », c’est d’abord parce qu’elle se situe dans le cerveau. Or c’est là que par expérience on a tendance à situer la pensée parce qu’elle est située au centre, cette position étant parfaite pour commander. Et enfin parce qu’elle est le seul organe du cerveau qui n’ait pas de double. Son unicité la distingue donc de la matière divisible et semble être en accord avec l’unicité de la conscience. C’est par là, en l’inclinant que l’âme contrôlerait le mouvement des esprits animaux et l’ensemble du corps. Cette glande pinéale a été l’objet de multiples critères car malgré les précautions que prend DESCARTES, il localise l’âme et même si ce n’est qu’en un point, il lui faut un minimum d’étendue pour avoir un impact sur cette glande. Finalement il est condamné à se contredire et à rompre le dualisme alors qu’il y avait d’autres stratégies possibles :

1) Avouer qu’on est ici aux limites de l’explication mécaniste, on ne peut expliquer comment l’âme dirige le corps même si il est évident qu’elle le fait.

2) Il aurait pu distinguer « présence localiter » et « présence virtualiter » selon Kant. On peut imaginer que sans contact, l’âme dirige le corps comme un prince dirige de son palais les confins de son royaume.

3) d’imaginer une interaction entre l’esprit et la matière selon un principe d’harmonie mais sans lien physique. Cela va donner l’occasionnalisme de MALEBRANCHE qui présuppose qu’à chaque occasion, c’est Dieu qui assure la synchronisation entre le corps et l’esprit. Ou la théorie de l’harmonie préétablie de LEIBNIZ où Dieu aurait réglé au départ de manière parfaite cette synchronisation. Ce qui est selon lui une solution moins complexe, plus économique et qui laisse la place à de véritables miracles. Mais à vouloir sauver le dualisme on est contraint d’accepter la théologie (Dieu).

D’où la dernière stratégie : renoncer au dualisme pour un monisme donc soit voir la matière comme un épiphénomène de l’esprit (BERKELEY) soit voir l’esprit comme un épiphénomène de la matière, c’est la position matérialiste, c’est celle d’ÉPICURE qui considérait l’âme comme un composé d’atomes et donc mortel ou celle de MARX qui voit la conscience comme un produit de l’action des hommes ou comme les neurologues qui s’efforcent de montrer que comme le disait CABANIS en 1802 « le cerveau sécrète la pensée comme le foie sécrète la bile ».

Pour cela, ils ont montré à travers l’étude des aphasies (troubles du langage), des agnosies (troubles de la reconnaissance), que certaines ères du cerveau correspondaient à des compétences et qu’on pourrait montrer qu’à chaque état mental correspond un corrélat neuronal. Pour les plus optimistes, on pourrait expliquer par ces états neuraux, nos états de conscience et même notre conscience de ces états. Pour d’autres, il y a une clôture cognitive qui ferait qu’on ne pourrait pas expliquer par des processus neurologiques la conscience de la conscience, le vécu des états de conscience. Ceci dit ce matérialisme nous réduit à de la matière et donc nous ramène à l’animalité.

(Merci à Augustin, TS4)